Depuis la fin de l’Antiquité, il était courant, en matière de théorie politique, de distinguer gouvernement conforme à la loi et tyrannie, cette dernière désignant la forme de gouvernement où le gouvernant gouverne selon son bon plaisir et ses intérêts propres, à l’encontre du bien-être privé et des droits, légitimes et civils, des gouvernés. En aucun cas on ne pourrait assimiler la monarchie en tant que telle, le règne d’un seul, à la tyrannie ; c’est pourtant précisément à cette assimilation que devaient être rapidement amenées les révolutions. La tyrannie, telle que les révolutions finirent par la percevoir, était une forme de gouvernement où le gouvernant, même s’il gouvernait conformément aux lois du royaume, avait monopolisé pour lui-même le droit à l’action, avait banni les citoyens de l’espace public pour les confiner à l’intimité de leur foyer et exiger qu’ils s’occupent seulement de leurs affaires privées. En d’autres termes, la tyrannie dépouillait les citoyens du bonheur public, mais pas nécessairement du bien-être privé, tandis qu’une république accordait à chaque citoyen le droit de devenir « un participant au gouvernement des affaires », le droit d’exister dans l’action, de manière publique et visible. Certes, le mot « république » n’apparaît pas encore ; c’est après la Révolution qu’on perçut tous les gouvernements non républicains comme des despotismes.
Hannah Arendt, De la révolution(1963, 1965), chapitre III La quête du bonheur, in L’humaine condition, Gallimard, Quarto, 2012, p.440.