mardi 30 juin 2015

Roger Daval, note biographique

Daval Roger (1911-1994), éléments de biographie.
Roger Daval est né le 10 mai 1911. Il est un étudiant de René Le Senne. Agrégé de philosophie. Il enseigne au lycée de Metz où il rencontre Georges-Théodule Guilbaud (1912-2008), ancien normalien, professeur de mathématiques en mathématiques spéciales. Docteur ès lettres avec une thèse sur Kant qu’il publiera en 1950, il a été professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Rennes de 1949 à 1951. Il crée à l’Université de Bordeaux l’Institut des Sciences Humaines Appliquées (ISHA). Il a été professeur de méthodologie des sciences humaines à l’Université Paris-Sorbonne et à l’Université René-Descartes Paris IV.
Il est mort le 24 septembre 1994.

Œuvres.
Le raisonnement mathématique en collaboration avec G.-Th. Guilbaud (1945) ; La métaphysique de Kant. Perspectives sur la métaphysique de Kant d’après la théorie du schématisme (1950) ; Méthode statistique en collaboration avec G.-Th. Guilbaud (1951) : La valeur morale (1951) ; Histoire des idées en France (1953) ; Traité de psychologie sociale par Roger Daval, François Bourricaud, Yves Delamotte, Roland Doron, tome I : Sciences humaines et psychologie sociale. Les méthodes (1963) ; Traité de psychologie sociale par Daval R., Bourricaud F., Delamotte Y., Doron R., tome II : Recherches en psychosociologie appliquée (1964) ; Logique de l’action individuelle (1981)


lundi 29 juin 2015

Comte, les ingénieurs (texte)

Entre les savants proprement dits et les directeurs effectifs des travaux productifs, il commence à se former de nos jours une classe intermédiaire, celle des ingénieurs, dont la destination spéciale est d’organiser la relation de la théorie et de la pratique. Sans avoir aucunement en vue le progrès des connaissances scientifiques, elle les considère dans leur état présent pour en déduire les applications industrielles dont elles sont susceptibles. (…) Le corps de doctrines propre à cette classe nouvelle, et qui doit constituer les véritables théories directes des différents arts, pourrait sans doute donner lieu à des considérations philosophiques d’un grand intérêt et d’une importance réelle. Mais un travail qui les embrasserait conjointement avec celles fondées sur les sciences proprement dites serait aujourd’hui tout à fait prématuré ; car ces doctrines intermédiaires entre la théorie pure et la pratique directe ne sont point encore formées.
Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 2ème leçon (1830).



Auguste Comte, biographie

Isidore-Auguste-Marie-François-Xavier Comte est né le 19 janvier 1798 à Montpellier. Il est le fils de Rosalie Boyer (1764-1837), fille d’un négociant, qui avait 12 ans de plus que son mari, Louis-Auguste Comte (1776-1859), « contrôleur » de la Recette générale de l’Hérault. Ses parents sont monarchistes et catholiques (cf. Préface du dernier volume du Cours de philosophie positive). Il a eu une sœur, Alix et un frère, Adolphe, qui fera des études de médecine, inachevées, et qui mourra aux colonies, en Martinique.
En 1806, le jeune Isidore-Auguste entre au lycée à Montpellier comme interne. Il supporte difficilement la discipline militaire. Il est brillant mais indiscipliné.
En 1812, il perd la foi catholique. Il étudie les sciences sous la direction de Daniel Encontre (1762-1818) qui était professeur de mathématiques transcendantes et deviendra doyen de la Faculté de théologie protestante de Montauban en 1816. Il est prêt à entrer à l’école polytechnique à la fin de l’année. Trop jeune, il est doit attendre.
Le 6 avril 1814, Louis XVIII (1755-1814-1815-1824) devient roi de France suite à l’abdication de Napoléon 1er (1769-1821) : la défaite de la France permet la Restauration monarchiste. Auguste Comte est reçu au concours de l’école polytechnique en août 1814. Il est admis 4ème sur la liste principale derrière trois parisiens. L’école polytechnique a comme enseignants des scientifiques de renom comme les mathématiciens Louis Poinsot (1777-1859) et François Arago (1786-1853), le chimiste Louis Thénard (1777-1857), les physiciens Alexis Petit (1791-1820) et Siméon Denis Poisson (1781-1840). Comte, lycéen indiscipliné, a également un comportement répréhensible à Polytechnique.
Le 20 mars 1815, Louis XVIII fuit devant le retour de Napoléon. Le 27 mars 1815, les polytechniciens sont aux Tuileries lors de la revue des troupes par Napoléon. Le 28 avril, l’empereur visite l’école. Le 18 juin, c’est Waterloo. Paris apprend la nouvelle de la défaite le 20. Les membres de l’école sont prêts à défendre Paris. Mais le 30, c’est la capitulation. Louis XVIII revient une seconde fois dans les fourgons des alliés qui vont imposer de dures conditions de paix à la France.
En avril 1816, Auguste Comte est exclu de l’École polytechnique en même temps que toute sa promotion. Le motif en est la contestation des élèves relative à un de leurs répétiteurs. La réalité est que l’école polytechnique passe à juste titre pour un foyer républicain ou bonapartiste dont se débarrassent les autorités. Auguste Comte rentre à Montpellier. Il y rédige son premier écrit connu : Mes réflexions. Humanité, vérité, justice, liberté, patrie. Rapprochements entre le régime de 1793 et celui de 1816 adressés au peuple français par Comte, ex-élève de l’école polytechnique. Dès septembre, il est de retour à Paris. Il continue sa formation, seul et vit de leçon de mathématiques. Le général Jacques David Martin de Campredon (1761-1837), général de la Révolution et de l’Empire mais surtout montpelliérain, auquel il se présente au général-baron Simon Bernard (1779-1839), lui aussi général de la Révolution et de l’Empire. Ce dernier a pour projet de faire une école polytechnique aux États-Unis. Comte est enthousiasmé par le projet qui n’aura pas de suite faute de crédits.
Il rencontre le comte Henri de Saint-Simon (1760-1825) avec qui il travaille à partir d’août 1817. Ce dernier le prend comme secrétaire pour 300 francs par mois (un répétiteur à Polytechnique en gagnait 2000 par an). Rapidement, il devient son collaborateur. Il participe au troisième volume de l’Industrie de Saint Simon. Il traduit de l’anglais l’Analyse géométrique de John Leslie (1766-1832), professeur de mathématiques à l’université d’Edimbourg à la demande de Jean Nicolas Pierre Hachette (1769-1834), mathématicien et ancien professeur à l’école polytechnique.
En 1818, voire l’année suivante, il adopte le prénom Auguste. Il collabore au Politique de Saint Simon. Il écrit Essais sur quelques points de la philosophie des mathématiques.
En 1819, il rédige la « Séparation générale entre les opinions et les désirs ». L’article paraît dans le Censeur européen, une publication libérale qui publiait Saint Simon. Dans une lettre à son ami Pierre Valat du 24 septembre, il critique la possibilité de l’introspection au nom de l’impossibilité de diviser l’esprit en observateur et en observé, thème fondamental qui oriente sa philosophie vers l’étude des réalisations effectives, positives de l’esprit humain pour le connaître, à savoir les sciences avec leur histoire, la société, avec ses créations collectives.
En 1820, il rédige la « Sommaire appréciation de l’ensemble du passé moderne ». L’article paraît dans l’Organisateur de Saint Simon. Le 14 février, le duc de Berry, héritier du trône après le duc d’Artois, le futur Charles X, est assassiné. En avril, Saint-Simon lance Le Système industriel.
En 1821, il rencontre une ouvrière âgée de dix-neuf ans, Caroline Massin (1802-1877). Selon son témoignage ultérieur qu’on trouve dans son Testament, elle se livrait alors à la prostitution.
En avril 1822, il publie le « Prospectus des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société » pour Le Système industriel de Saint-Simon. C’est l’année où l’École normale supérieure, autre foyer anti monarchiste est fermée. Augustin Cournot (1801-1877) qui y était entré l’année précédente continue ses études à la Sorbonne.
Comte publie le Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société retouché et reprend le Prospectus de 1822 sous le titre de « Système de politique positive », tome 1er, première partie en avril 1824. En mai, Comte rompt avec Saint Simon. Dans une lettre datée du 1er mai à son élève Gustave d’Eichthal (1804-1886), il estime que cela fait cinq ans qu’il ne lui doit plus rien sur le plan intellectuel. Le 16 septembre, Louis XVIII meurt, son frère, sous le nom de Charles X (1757-1824-1830-1836) lui succède.
En 1825, il épouse Caroline Massin. À la fin de l’année, il publie les « Considérations philosophiques sur les sciences et les savants » dans les numéros 7, 8 et 10 du Producteur.
Début 1826, il publie les « Considérations sur le pouvoir spirituel » dans les numéros 13, 20 et 21 du Producteur. Dans une lettre à Blainville du 27 février, il explique avoir une seule pensée, mettre la science au service de la réorganisation de la société. Il commence à donner des cours sur la philosophie positive le 2 avril. Il a comme auditeurs : le biologiste Henri-Maire Ducrotay de Blainville (1777-1850), le naturaliste Alexandre de Humboldt (1769-1859), l’économiste Charles Dunoyer (1786-1862), etc. Mais, Auguste Comte est victime d’une crise de folie qui lui fait interrompre le cours après la troisième leçon. Il tente de marcher sur l’eau. Le surmenage, les difficultés financières et conjugales peuvent l’expliquer. C’est son épouse qui se charge de le faire soigner. Il passe ainsi sept mois à la clinique du docteur Esquirol (1772-1840). Il en sort à la demande de sa femme. Esquirol le considère non guéri. Un prête l’attend chez lui sur la demande de sa mère pour qu’il se marie religieusement. Il signe « Brutus Bonaparte Comte » l’acte de mariage.
En avril 1827, Comte se jette dans la Seine du haut du pont des arts. Un garde royal le sauve de justesse. Il part pour Montpellier puis revient à Paris où il peut reprendre ses activités intellectuelles.
En 1828, François Broussais (1872-1838) publie De L’irritation et de la folie, ouvrage dans lequel les rapports du physique et du moral sont établis sur les bases de la médecine physiologique. En août, Auguste Comte rédige un « Examen du traité de Broussais : de l’irritation et de la folie » dans Le Journal de Paris. Il y mentionne la crise qu’il a subie.
Le 4 janvier 1829, Auguste Comte reprend son Cours de philosophie positive à son nouveau domicile, rue Saint Jacques. Esquirol fait partie des auditeurs. En novembre, la Revue encyclopédique publie le « Discours d’ouverture du cours de philosophie positive ». Le 9 décembre, c’est devant un large public qu’il présente son cours de philosophie positive à l’Athénée.
En juillet 1830, il commence la publication de son Cours de Philosophie positive avec un premier tome contenant les préliminaires généraux et la philosophie mathématique, qui va de la 1ère leçon à la 18ème leçon. Les 27, 28 et 29 juillet, ce sont les Trois Glorieuses qui amènent la chute de Charles X qui part en exil. Comte parlera de « la mémorable secousse de 1830 » (Cours de philosophie positive, tome 4, première partie, Paris, Bachelier, 1839, p.31). Louis-Philippe d’Orléans (1773-1830-1848-1850) devient roi des Français. En décembre, il est un des membres fondateurs de l’Association polytechnique pour l’instruction populaire. Il propose de faire un cours d’astronomie pour les ouvriers parisiens. Il le donne à la mairie du IIIème arrondissement durant dix-huit ans.
En 1832, il est candidat à une chaire d’enseignement à l’école polytechnique, il échoue contre Henri Navier (1785-1836). Il devient répétiteur d’analyse et de mécanique rationnelle grâce à ce dernier.
En 1835 paraît le tome 2 du Cours de Philosophie positive contenant la philosophie astronomique et la philosophie de la physique, qui va de la 19ème leçon jusqu’à la 34ème leçon.
En 1836, Victor Cousin (1792-1867) publie Du Vrai, du Beau et du Bien, qui reprend son cours de 1818, texte fondamental de l’éclectisme. Alfred de Musset publie sa Confession d’un enfant du siècle où il expose le « mal du siècle » : « Un sentiment de malaise inexprimable commença alors à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. ». À la mort de Navier, Comte se présente à nouveau pour une chaire de professeur à Polytechnique. C’est un de ses camarades, Jean-Marie Duhamel (1797-1872), qui est choisi en novembre. Comte en attendant son installation, fait une suppléance de deux mois.
En 1837, il devient examinateur d’admission à Polytechnique.
En 1838, Comte publie le tome 3 Cours de Philosophie positive contenant la philosophie chimique et la philosophie biologique qui va de la 35ème leçon à la 45ème leçon. Son Traité élémentaire de géométrie analytique est un succès parmi les candidats à l’École polytechnique.
En 1839, Comte publie le tome 4 du Cours de philosophie positive contenant la philosophie sociale et les conclusions générales. Il va de la 46ème leçon à la 51ème leçon. Le terme sociologie, inventé par Comte, apparaît dans la 47ème leçon en remplacement de celui de physique sociale. Ce tome 4 est en fait la première partie du quatrième volume initialement prévu comme l’indique l’avis de l’éditeur daté du 24 juillet, Comte prévoyant seulement un deuxième volume (édition de 1839, p. V).
En 1840, Émile Littré (1801-1881) lit le Cours de philosophie positive publié jusque là : il est enthousiaste. Comte se présente à nouveau pour la chaire d’analyse à l’école Polytechnique. Il échoue pour la troisième fois face à Charles Sturm (1803-1855).
En 1841, il emménage avec son épouse Caroline, au 10, rue Monsieur-le-Prince, dans un vaste appartement (actuellement Musée Auguste Comte), signe d’une certaine aisance. Sophie Bliaux, sa servante, engagée par Caroline, y restera. Comte la considèrera comme sa fille adoptive. Le 12 novembre commence sa correspondance avec John Stuart Mill (1806-1873) qui l’aidera financièrement (elle s’achèvera par une lettre de Stuart Mill sans réponse du 17 mai 1847). En mars Comte publie le tome 5 du Cours de philosophie positive contenant la partie historique de la philosophie sociale qui va de la 52ème leçon à la 55ème leçon.
En juillet 1842, il achève le Cours de philosophie positive par le tome 6 qui va de la 56ème à la 60ème leçon. Il comprend une « préface personnelle » qui mentionne l’épisode de sa folie. Il y attaque aussi violemment François Arago. Il se sépare définitivement de sa femme, Caroline Massin – le divorce n’existait pas. Il lui verse une pension.
En 1843, John Stuart Mill publie A system of logic (traduit pour la première fois en 1866 sous le titre Système de logique déductive et inductive). En mars, Comte publie un Traité élémentaire de géométrie analytique. Or, les examinateurs à polytechnique ne devaient pas publier d’ouvrages qui pussent servir pour l’examen. En avril, le Conseil de l’école polytechnique chargé d’élire les examinateurs d’admission charge une commission d’examiner le cas d’Auguste Comte. Un rapport favorable de cette commission lui permet d’être désigné examinateur d’examen le 19 mai. Toutefois, un système de roulement implique son remplacement à la fin de l’année en cours.
Au début de 1844, il publie son Traité philosophique d’astronomie populaire qui reprend son cours d’astronomie populaire. Le traité est précédé du Discours sur l’esprit positif. Le 24 mais, le Conseil de l’école polytechnique désigne les nouveaux examinateurs d’examen où ne figure pas Comte. Malgré ses protestations, il ne réussit pas à retrouver son poste. En octobre, il rencontre Clotilde de Vaux (1815-1846). Cet amour le sublime et va le conduire vers la religion de l’humanité. Pendant ce temps, Émile Littré fait campagne pour promouvoir le positivisme dans une série de six articles qui paraissent dans Le National entre le 22 novembre et le 4 décembre.
En 1845, Littré reprend ses articles du National dans un ouvrage intitulé De la philosophie positive. Auguste Comte qui a revu Clotilde de Vaux commence une correspondance avec elle. Elle se refuse à lui quoique son mari l’ait abandonné depuis 1837.
Le 5 avril 1846, Clotilde de Vaux s’éteint dans les bras d’Auguste Comte, victime de la tuberculose.
Le 22 février 1848, la révolution éclate. La deuxième république succède à la monarchie de juillet. Le 25 février, Comte fonde l’Association libre pour l’instruction positive du peuple dans tout l’Occident européen. L’appel est placé sous sa devise : Ordre et progrès. Le 8 mars, il lance un appel : Le fondateur de la Société positiviste à quiconque désire s’y incorporer. Le 12 mars a lieu la première réunion de la Société positiviste au 10, rue Monsieur-le-Prince. Comte commence à rédiger le Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l’Humanité. Il publie le Discours sur l’ensemble du positivisme. Le 10 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la république au suffrage universel masculin avec près de 75% des voix.
En 1849, Comte, en tant que grand prêtre, commence à s’adresser aux grands de ce monde ainsi qu’à ses disciples aux États-Unis et au Brésil. Le 11 mars, Comte ouvre au Palais-Cardinal, un Cours philosophique sur l’histoire générale de l’humanité qui prend le relai du cours d’astronomie populaire. En avril, Comte publie au nom de la Société positiviste le Calendrier positiviste. Littré publie de nouveaux articles en faveur du positivisme dans Le National de juillet à octobre.
En 1850, Auguste Comte arrête ses cours d’astronomie populaire. Toujours dans Le National, Littré publie des articles en faveur de la philosophie positive de juin 1850 à octobre 1851.
En juillet 1851, Auguste Comte commence en juillet la publication du Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l’Humanité avec le tome premier contenant le Discours préliminaire, et l’Introduction fondamentale. Le Discours préliminaire reprenant le Discours sur l’ensemble du positivisme de 1848. En novembre, il perd son emploi de répétiteur à Polytechnique. Il ne vit plus que des subsides de ses disciples. En décembre, Émile Littré est prêt à publier Conservation, Révolution et positivisme. Le 2 décembre, le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873) commet un coup d’État. Littré renonce à sa publication. Comte proteste mais bientôt, il approuve le nouveau pouvoir. Il qualifie Louis-Napoléon Bonaparte de « dictateur progressif ».
En 1852, Auguste Comte publie le Catéchisme positiviste ou Sommaire exposition de la religion universelle, en onze entretiens systématiques entre une femme et un prêtre de l’Humanité. En mai, il publie le deuxième volume du Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l’Humanité contenant la statique sociale ou le traité abstrait de l’ordre humain. En août, c’est la rupture avec Littré. Outre les aspects philosophiques, à savoir le tournant religieux et la méthode subjective de Comte, politiques, puisque Comte accueille favorablement le coup d’État du prince Louis Napoléon Bonaparte, les relations amicales de Littré avec la femme d’Auguste Comte, Caroline, qu’il défend lorsque sa pension diminue, participent à la rupture.
En août 1853 paraît le troisième volume du Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l’Humanité contenant la dynamique sociale ou le traité général du progrès humain (philosophie de l’histoire).
En 1854, le quatrième et dernier volume du Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l’Humanité contenant le tableau synthétique de l’avenir humain. En appendice, il reprend sous le titre d’Opuscules de philosophie sociale des articles anciens : « Séparation entre les opinions et les désirs » ; « Sommaire appréciations sur l’histoire du passé moderne » ; « Considérations philosophiques sur les sciences et les savants » ; « Considérations sur le pouvoir spirituel » ; « Examen du traité de Broussais : de l’irritation et de la folie ».
En août 1855, Comte publie l’Appel aux Conservateurs. En décembre, il rédige son testament.
En 1856, il publie le tome I de la Synthèse subjective ou Système universel des conceptions propres à l’état normal de l’Humanité. Ce devait être le premier de dix volumes qui auraient présenté une synthèse essentiellement subjective, tournée vers l’homme, du système.
Le 5 septembre 1857, il meurt, laissant derrière lui nombre de projets de livres inachevés.

John Stuart Mill publie en 1865, Auguste Comte and Positivism.
Émile Littré publie Auguste Comte et Stuart Mill en 1866.
En 1868, Georges Clémenceau traduit l’ouvrage de Stuart Mil sur Comte sous le titre, Auguste Comte et le positivisme.
En 1870, sont publiées les Lettres d’Auguste Comte à M. Valat, professeur de mathématiques (1815- 1844).
En 1884 est publié le Testament d’Auguste Comte avec les documents qui s’y rapportent, pièces justificatives, prières quotidiennes, confessions annuelles, correspondance avec Mme de Vaux, édition de l’Exécution testamentaire (2ème édition, 1896).
Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939) publie les Lettres inédites de John Stuart Mill à Auguste Comte avec les réponses de Comte en 1899.
Ses exécuteurs testamentaires publient : Lettres d’Auguste Comte à divers, la première partie du tome I : 1850-1857, en janvier 1902 et la deuxième partie en 1904. Le tome II : lettres antérieures à 1850, en 1905. Dans le même temps quatre volumes de la Correspondance inédite d’Auguste Comte sont publiés en 1903-1904.
En 1926, Emile Corra (1848-1934) publie les Lettres d’Auguste Comte au Docteur Robinet et à sa famille, à Paris.
F. Germano Medeiros publie à Sao Paolo en 1927 : Lettres et fragments de lettres.
En 1932, les Lettres inédites à Célestin de Blignières (1823-1905), sont publiées et présentées par Paul Arbousse-Bastide (1899-1985) chez Vrin.
En 1939, Paulo E. de Berredo-Carneiro (1901-1982) publie de Nouvelles lettres inédites, à Paris.


dimanche 28 juin 2015

Condillac, biographie

Etienne Bonnot (de Condillac) est né à Grenoble le 30 septembre 1715 dans une famille de la noblesse de robe. Son père Gabriel Bonnot est vicomte de Mably (~1650-1729). Il a cinq enfants : Jean (1696-1761), l’aîné, Gabriel, le second, connu sous le nom d’abbé de Mably (1709-1785), Etienne est donc le troisième, le quatrième se prénomme François et la cinquième, Anne.
En 1720, Gabriel Bonnot achète le domaine de Condillac près de Romans dont Etienne prendra le nom. Il semble qu’il ait eu une santé fragile.
Toutefois, en 1727, après la mort de son père, il s’installe chez son frère aîné à Lyon. Il y suit des études au Collège des Jésuites.
Vers 1733, son second frère, l’abbé de Mably, l’emmène à Paris où il reçoit un enseignement traditionnel de théologie, de philosophie et de sciences au séminaire de Saint-Sulpice, puis à la Sorbonne.
En 1740, il reçoit les ordres mais renonce à exercer le sacerdoce. Il n’aurait célébré qu’une fois la messe. Dans le même temps, il fréquente les salons. Il lie et étudie Descartes (1596-1650), Malebranche (1638-1715) et Leibniz (1646-1716) qui écrivaient en latin.
Ne sachant pas l’anglais, il lit l’Essai philosophique concernant l’entendement humain de Locke (1632-1704) dans la traduction de Pierre Coste (1668-1747) publiée en 1700 que Locke avait d’ailleurs revue lui-même. Il en retiendra le refus de l’innéisme et l’empirisme comme principe de la connaissance. Voltaire (1694-1778) n’écrivait-il pas de Locke en 1734 dans ses Lettres anglaises ou Lettres philosophiques :
« Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l’âme, un sage est venu qui en a fait modestement l’histoire. » Voltaire, Lettres philosophiques, treizième lettre sur M. Locke, Paris, GF Flammarion, 1964, p.83.
Les traités de Newton (1642-1727), Principes mathématiques de la philosophie (1ère édition 1697) et l’Optique (1704) étant parus en latin, il peut les étudier directement. En outre, en 1737, Voltaire avait vulgarisé la physique de Newton dans ses Éléments de la Philosophie de Newton (jusqu’au xviii° siècle, voire au xix°, la physique peut être appelée philosophie naturelle, philosophie seconde ou philosophie tout court, conformément à un usage qui remonte à Aristote).
Avec son frère, l’abbé de Mably, il fréquente l’hôtel célèbre de la marquise Marie de Tencin (1682-1749). Il retrouve Rousseau (1712-1778), qui fera son éloge dans l’Émile (1762) et dans les Confessions (posthume : livres I à VI 1782, livres VII à XII 1789). Le philosophe avait été précepteur des enfants de son frère aîné. C’est par lui qu’il se lie à Diderot (1713-1784). Il fréquente également tous les salons à la mode dont celui de Mademoiselle Ferrand, l’égérie des philosophes. Il prétendra qu’elle lui a inspiré le Traité des sensations et la fameuse hypothèse de la statue (cf. « Dessein de l’ouvrage » in Traité des sensations. Traité des animaux, Paris, Fayard, « Corpus des œuvres de philosophie en langue française, 1984, pp.10-14). Par Diderot, il rencontre les autres « philosophes » des Lumières, Duclos (1704-1772), d’Holbach (1723-1789), Helvétius (1715-1771), Voltaire. Il rencontre ultérieurement dans le salon de Mme Helvétius, Benjamin Franklin (1706-1790) et Turgot (1727-1781). Il est lié à d’Alembert (1717-1783) qui lui empruntera pour son Discours préliminaire de l’Encyclopédie (1751).
En 1746, grâce à Rousseau si l’on en croit le témoignage de ce dernier, paraît son Essai sur l’origine des connaissances humaines.
En 1748, il fait paraître anonymement dans un recueil de l’Académie de Berlin une « Dissertation sur les Monades » qui sera en grande partie reprise dans le chapitre 6 « Comment l’homme acquiert la connaissance de Dieu » de la Seconde partie du Traité des animaux (cf. Traité des animaux, Paris, Vrin, 2004, note 1, p.169).
En 1749, paraît le Traité des systèmes. Condillac y fait l’apologie de la méthode inductive et de Newton contre la méthode déductive de Descartes et des “cartésiens”, Spinoza (1632-1677), Malebranche, Leibniz. Il devient membre de l’Académie de Berlin.
En 1754 il fait paraître le Traité des sensations où Condillac analyse la fameuse statue qu’il dote progressivement de chaque sens. Le but du Traité des sensations est de montrer que toutes les facultés humaines dérivent de la sensation. Cette thèse sera désignée en 1804 par le terme “sensualisme” inventé par Joseph Marie baron de Gérando (1772-1842) dans la seconde édition de son ouvrage Histoire comparée des systèmes de philosophie relativement aux principes des connaissances pour faire l’éloge de Condillac. Le terme deviendra péjoratif chez les philosophes spiritualistes du xix° siècle. Il fait également paraître une Dissertation sur la liberté.
En 1755, paraît le Traité des animaux avec un extrait raisonné du Traité des sensations. L’ouvrage est explicitement placé sous le signe de la polémique avec Buffon (1707-1788). Condillac veut écarter l’accusation de plagiat. Il n’en reste pas moins lié à la problématique du Traité des sensations, à savoir faire la genèse de toutes les facultés humaines à partir de la sensation tout en témoignant de l’orthodoxie religieuse de l’abbé de Condillac.
En 1758, il est célèbre. À la demande de Louise-Élisabeth (1727-1759), fille aînée du roi Louis XV (1710-1715-1774), Condillac part pour Parme où il est précepteur de son fils, l’infant Don Ferdinand. Il remplit cet office jusqu’en 1767. Il en profite pour rédiger son Cours d’Études (Grammaire, Art d’écrire, Art de raisonner, Art de penser, Histoire ancienne, Histoire moderne). Il faillit y mourir de la petite vérole autrement nommée variole.
En 1766, l’extrait raisonné du Traité des sensations est réédité.
De retour à Paris en 1767, il reçoit l’abbaye de Mureau.
Le 28 novembre 1768, il est élu à l’Académie française. Dans son Discours de réception prononcé lors de sa réception le 22 décembre, il célèbre l’Europe sortie de la barbarie et acquérant progressivement les lumières. Il décline l’offre flatteuse d’éduquer les trois fils du Dauphin, les futurs Louis XVI (1753-1774-1793) Louis XVIII (1755-1814-1824) et Charles X (1757-1824-1830-1836).
En 1771, le Traité des systèmes est réédité.
En 1773, il achète le domaine de Flux près de Beaugency où il se retire. Il publie le Cours d’Études à Paris en 16 volumes qui sera réédité en 1778, 1780, 1782 et 1783.
En 1776, il entre à la Société Royale d’Agriculture d’Orléans où règne le libéralisme. Il y rencontre Antoine Lavoisier (1743-1794) qui se réfèrera à son œuvre en 1789 dans son Traité élémentaire de chimie et le physiocrate Guillaume-François Le Trosne (1728-1780). Rousseau, n’ayant pu déposer le manuscrit de ses Dialogues sur l’autel de Notre-Dame parce que les grilles étaient fermées, lui en fait don. Il publie Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre l’année où Adam Smith (1723-1790) fait paraître ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. L’extrait qui suit montre si besoin en était que la question du libéralisme n’est pas récente.
« Si, dans un temps où les anglais et les Français ne commercent point ensemble, les récoltes surabondantes en Angleterre ont été insuffisantes en France, il s’établira deux prix, tous deux fondés sur la quantité relativement au besoin, et tous deux différens, puisque la quantité relativement au besoin n’est pas la même en France et en Angleterre. Aucun de ses prix ne sera donc tout à la fois proportionnel pour toutes deux : aucun ne sera également avantageux à toutes deux : aucun ne sera, pour toutes deux, le vrai prix.
Mais si les Anglais et les Français commerçoient entre eux avec une liberté pleine et entière, le blé, qui surabonde en Angleterre, se verseroit en France ; et parce qu’alors les quantités, relativement au besoin, seroient les mêmes dans l’une et l’autre monarchie, il s’atabliroit un prix qui seroit le même pour toutes deux et ce seroit le vrai pour l’une comme pour l’autre, puisqu’il leur seroit également avantageux.
On voit par-là combien il importeroit à toutes les nations de l’Europe de lever les obstacles qu’elles mettent pour la plupart à l’exportation et à l’importation. » Condillac, Le Commerce et le Gouvernement considérées relativement l’un à l’autre in Œuvres de Condillac, revues, corrigées par l’auteur, 23 volumes, in-8°, Paris, Imprimerie de C. Houiel, an VI-1798 (J’ai conservé l’orthographe originale).
En 1777, il rédige une Logique pour les écoles de Pologne à la demande du Comte Ignace Potocki (1751-1809). Ce dernier la traduisit en polonais (cf. Biographie nouvelle des contemporains ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers; précédée d’un tableau par De Antoine-Vincent Arnault, Antoine Jay, Etienne de Jouy, Norvins, Publié par Librairie historique, 1824, p.45). Elle sera éditée en 1780.
Il commence l’année suivante La langue des Calculs qui restera inachevée.
Il meurt le 3 août 1780 au domaine de Flux.
En 1798, ses œuvres sont éditées. Elles comprennent La langue des Calculs. Elles servent de base à l’édition des œuvres de Condillac.


samedi 27 juin 2015

Cournot, biographie

Antoine Augustin Cournot est né dans la petite ville de Gray en Haute-Saône le 28 août 1801. Il fait ses études secondaires dans sa ville natale où il entre au collège de Gray en 1809 et en sort en 1816. Il occupe alors un emploi de clerc. En 1820, il rencontre Louis Poinsot, inspecteur de l’université, auprès duquel il se renseigne pour entrer à l’École Normal supérieure. Il entre en mathématiques spéciale au collège de Besançon pour préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure en sciences. Reçu en 1821, il la quitte en 1822 car elle est fermée le 6 septembre.
Il va à la Sorbonne où il obtient en une année (il en fallait deux ans à cette époque) sa licence de mathématiques en 1823. En 1827, il ajoute à ses diplômes une licence en droit. Il donne de nombreux articles et comptes rendus à la revue lancée en 1827 dont Victor Cousin est la figure de proue, Le Lycée, Journal de l’instruction rédigé par une société de professeurs, d’anciens élèves de l’École normale, de savants et de gens de lettres.
Il devient précepteur chez le maréchal Gouvion Saint-Cyr (1764-1830). Il l’aide à rédiger ses Mémoires qui paraîtront en 1831. Dans le même temps, il obtient en 1829 son doctorat en sciences avec un Mémoire sur le mouvement d’un corps rigide soutenu par un plan fixe.
À partir de 1833, il entame une carrière d’universitaire et de haut fonctionnaire.grâce à Siméon Poisson (1781-1840). Il est d’abord professeur d’analyse et de mécanique à la Faculté des sciences de Lyon. Il publie alors une traduction du Traité d’astronomie de William Herschel (1738-1822), découvreur de la planète Uranus (1781) grâce à son télescope. La même année, il traduit les Éléments de mécanique de Dionysius Lardner (1793-1859) et de Henry Kater (1777-1835). Il est recteur de Grenoble en 1834.
En 1839, il devient Inspecteur général et Président du jury d’agrégation de mathématiques.
Il publie ses Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses en 1838. Il fonde dans cet ouvrage l’économie mathématique : ce qui passa totalement inaperçu. Il préfigure l’école marginaliste (il est qualifié de proto-marginaliste) qui conçoit la valeur d’échange sur la base de l’utilité et réfute l’économie classique dans laquelle Marx se situait qui s’appuie sur la valeur travail.
En 1841, il publie le Traité élémentaire de la théorie des fonctions et du calcul infinitésimal.
En 1842, il édite un ouvrage de et sur Leonhard Euler, les Lettres à une princesse d’Allemagne sur divers sujets de physique et de philosophie, précédées de l’éloge d’Euler par Condorcet.
En 1843, il donne son Exposition de la théorie des chances et des probabilités. Il y formule sa fameuse définition du hasard comme rencontre de séries causales indépendantes.
En 1847 c’est un autre ouvrage de mathématiques qu’il publie : De l’origine et des limites de la correspondance entre l’algèbre et la géométrie.
Ni la révolution de février 1848, ni le coup d’État du 2 décembre 1851 n’interrompent sa carrière.
En 1851, c’est la fameux Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les recherches de la critique philosophique où on peut trouver sa théorie du hasard appliquée à l’histoire. Il rompt ainsi avec le déterminisme de Laplace (1749-1827). De 1856 à 1861, il est recteur de l’académie de Dijon. C’est durant cette période en 1859 qu’il rédige ses Souvenirs qui paraîtront après sa mort en 1913.
Il publie en 1861 le Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire.
En 1861, il est mis à la retraite. En 1863, il publie les Principes de la théorie des richesses, démarqués de son premier ouvrage d’économie. L’année suivante, il donne Des institutions d’instruction publique en France.
En 1872, ce sont les Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes.
Il offre une synthèse de sa réflexion philosophique en 1875, Matérialisme, vitalisme, rationalisme.
Enfin, il donna une Revue sommaire des doctrines économiques en 1877.
Il meurt à Paris le 31 mars 1877.

mercredi 24 juin 2015

Le monde des passions - Descartes : Définition des passions (texte)

Art. 27. La définition des passions de l’âme.
Après avoir considéré en quoi les passions de l’âme différent de toutes ses autres pensées, il me semble qu’on peut généralement les définir des perceptions ou des sentiments, ou des émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits (1).

Art. 28. Explication de la première partie de cette définition.
On les peut nommer des perceptions lorsqu’on se sert généralement de ce mot pour signifier toutes les pensées qui ne sont point des actions de l’âme ou des volontés, mais non point lorsqu’on ne s’en sert que pour signifier des connaissances évidentes. Car l’expérience fait voir que ceux qui sont les plus agités par leurs passions ne sont pas ceux qui les connaissent le (350) mieux, et qu’elles sont du nombre des perceptions que l’étroite alliance qui est entre l’âme et le corps rend confuses et obscures. On les peut aussi nommer des sentiments, à cause qu’elles sont reçues en l’âme en même façon que les objets des sens extérieurs, et ne sont pas autrement connues par elle. Mais on peut encore mieux les nommer des émotions de l’âme, non seulement à cause que ce nom peut être attribué à tous les changements qui arrivent en elle, c’est-à-dire à toutes les diverses pensées qui lui viennent, mais particulièrement parce que, de toutes les sortes de pensées qu’elle peut avoir, il n’y en a point d’autres qui l’agitent et l’ébranlent si fort que font ces passions.

Art. 29. Explication de son autre partie.

J’ajoute qu’elles se rapportent particulièrement à l’âme, pour les distinguer des autres sentiments qu’on rapporte, les uns aux objets extérieurs, comme les odeurs, les sons, les couleurs ; les autres à notre corps, comme la faim, la soif, la douleur. J’ajoute aussi qu’elles sont causées, entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits, afin de les distinguer de nos volontés, qu’on peut nommer des émotions de l’âme qui se rapportent à elle, mais qui sont causées par elle-même, et aussi afin d’expliquer leur dernière et plus prochaine cause, qui les distingue derechef des autres sentiments. (351)
Descartes, Les passions de l'âme (1649)

Note.
(1) Voilà comment Descartes définit les "esprits" ou "esprits animaux" dans la même oeuvre :
[O]n sait que tous ces mouvements des muscles, comme aussi tous les sens, dépendent des nerfs, qui sont comme de petits filets ou comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et contiennent ainsi que lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux.

mardi 23 juin 2015

Le monde des passions - Rousseau : naissance de la jalousie (texte)

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ; aussi l’un et l’autre étaient-ils inconnus aux sauvages de l’Amérique qui pour cela sont toujours demeurés tels ; les autres peuples semblent même être restés barbares tant qu’ils ont pratiqué l’un de ces arts sans l’autre ; et l’une des meilleures raisons peut-être pourquoi l’Europe a été, sinon plus tôt, du moins plus constamment et mieux policée que les autres parties du monde, c’est qu’elle est à la fois la plus abondante en fer et la plus fertile en blé.
Il est très difficile de conjecturer comment les hommes sont parvenus à connaître et employer le fer : car il n’est pas croyable qu’ils aient imaginé d’eux-mêmes de tirer la matière de la mine et de lui donner les préparations nécessaires pour la mettre en fusion avant que de savoir ce qui en résulterait. D’un autre côté on peut d’autant moins attribuer cette découverte à quelque incendie accidentel que les mines ne se forment que dans des lieux arides et dénués d’arbres et de plantes, de sorte qu’on dirait que la nature avait pris des précautions pour nous dérober ce fatal secret. Il ne reste donc que la circonstance extraordinaire de quelque volcan qui, vomissant des matières métalliques en fusion, aura donné aux observateurs l’idée d’imiter cette opération de la nature ; encore faut-il leur supposer bien du courage et de la prévoyance pour entreprendre un travail aussi pénible et envisager d’aussi loin les avantages qu’ils en pouvaient retirer ; ce qui ne convient guère à des esprits déjà plus exercés que ceux-ci ne le devaient être.
Quant à l’agriculture, le principe en fut connu longtemps avant que la pratique en fût établie, et il n’est guère possible que les hommes sans cesse occupés à tirer leur subsistance des arbres et des plantes n’eussent assez promptement l’idée des voies que la nature emploie pour la génération des végétaux ; mais leur industrie ne se tourna probablement que fort tard de ce côté-là, soit parce que les arbres, qui avec la chasse et la pêche fournissaient à leur nourriture, n’avaient pas besoin de leurs soins, soit faute de connaître l’usage du blé, soit faute d’instruments pour le cultiver, soit faute de prévoyance pour le besoin à venir, soit enfin faute de moyens pour empêcher les autres de s’approprier le fruit de leur travail. Devenus plus industrieux, on peut croire qu’avec des pierres aiguës et des bâtons pointus ils commencèrent par cultiver quelques légumes ou racines autour de leurs cabanes, longtemps avant de savoir préparer le blé, et d’avoir les instruments nécessaires pour la culture en grand, sans compter que, pour se livrer à cette occupation et ensemencer des terres, il faut se résoudre à perdre d’abord quelque chose pour gagner beaucoup dans la suite ; précaution fort éloignée du tour d’esprit de l’homme sauvage qui, comme je l’ai dit, a bien de la peine à songer le matin à ses besoins du soir.
L’invention des autres arts fut donc nécessaire pour forcer le genre humain de s’appliquer à celui de l’agriculture. Dès qu’il fallut des hommes pour fondre et forger le fer, il fallut d’autres hommes pour nourrir ceux-là. Plus le nombre des ouvriers vint à se multiplier, moins il y eut de mains employées à fournir à la subsistance commune, sans qu’il y eût moins de bouches pour la consommer ; et comme il fallut aux uns des denrées en échange de leur fer, les autres trouvèrent enfin le secret d’employer le fer à la multiplication des denrées. De là naquirent d’un côté le labourage et l’agriculture, et de l’autre l’art de travailler les métaux et d’en multiplier les usages.
De la culture des terres s’ensuivit nécessairement leur partage, et de la propriété une fois reconnue les premières règles de justice : car pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose ; de plus les hommes commençant à porter leurs vues dans l’avenir et se voyant tous quelques biens à perdre, il n’y en avait aucun qui n’eût à craindre pour soi la représaille des torts qu’il pouvait faire à autrui. Cette origine est d’autant plus naturelle qu’il est impossible de concevoir l’idée de la propriété naissante d’ailleurs que de la main-d’œuvre ; car on ne voit pas ce que, pour s’approprier les choses qu’il n’a point faites, l’homme y peut mettre de plus que son travail. C’est le seul travail qui donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre qu’il a labourée, lui en donne par conséquent sur le fond, au moins jusqu’à la récolte, et ainsi d’année en année, ce qui faisant une possession continue, se transforme aisément en propriété. Lorsque les Anciens, dit Grotius, ont donné à Cérès l’épithète de législatrice, et à une fête célébrée en son honneur le nom de Thesmophories, ils ont fait entendre par là que le partage des terres a produit une nouvelle sorte de droit. C’est-à-dire le droit de propriété différent de celui qui résulte de loi naturelle.
Les choses en cet état eussent pu demeurer égales, si les talents eussent été égaux, et que, par exemple, l’emploi du fer et la consommation des denrées eussent toujours fait une balance exacte ; mais la proportion que rien ne maintenait fut bientôt rompue ; le plus fort faisait plus d’ouvrage ; le plus adroit tirait meilleur parti du sien ; le plus ingénieux trouvait des moyens d’abréger le travail ; le laboureur avait plus besoin de fer, ou le forgeron plus besoin de blé, et en travaillant également, l’un gagnait beaucoup tandis que l’autre avait peine à vivre. C’est ainsi que l’inégalité naturelle se déploie insensiblement avec celle de combinaison et que les différences des hommes, développées par celles des circonstances, se rendent plus sensibles, plus permanentes dans leurs effets, et commencent à influer dans la même proportion sur le sort des particuliers.
Les choses étant parvenues à ce point, il est facile d’imaginer le reste. Je ne m’arrêterai pas à décrire l’invention successive des autres arts, le progrès des langues, l’épreuve et l’emploi des talents, l’inégalité des fortunes, l’usage ou l’abus des richesses, ni tous les détails qui suivent ceux-ci, et que chacun peut aisément suppléer. Je me bornerai seulement à jeter un coup d’œil sur le genre humain placé dans ce nouvel ordre de choses.
Voilà donc toutes nos facultés développées, la mémoire et l’imagination en jeu, l’amour-propre intéressé, la raison rendue active et l’esprit arrivé presque au terme de la perfection, dont il est susceptible. Voilà toutes les qualités naturelles mises en action, le rang et le sort de chaque homme établi, non seulement sur la quantité des biens et le pouvoir de servir ou de nuire, mais sur l’esprit, la beauté, la force ou l’adresse, sur le mérite ou les talents, et ces qualités étant les seules qui pouvaient attirer de la considération, il fallut bientôt les avoir ou les affecter, il fallut pour son avantage se montrer autre que ce qu’on était en effet. Être et paraître devinrent deux choses tout à fait différentes, et de cette distinction sortirent le faste imposant, la ruse trompeuse, et tous les vices qui en sont le cortège. D’un autre côté, de libre et indépendant qu’était auparavant l’homme, le voilà par une multitude de nouveaux besoins assujetti, pour ainsi dire, à toute la nature, et surtout à ses semblables dont il devient l’esclave en un sens, même en devenant leur maître ; riche, il a besoin de leurs services ; pauvre, il a besoin de leur secours, et la médiocrité ne le met point en état de se passer d’eux. Il faut donc qu’il cherche sans cesse à les intéresser à son sort, et à leur faire trouver en effet ou en apparence leur profit à travailler pour le sien : ce qui le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres, et le met dans la nécessité d’abuser tous ceux dont il a besoin, quand il ne peut s’en faire craindre, et qu’il ne trouve pas son intérêt à les servir utilement. Enfin l’ambition dévorante, l’ardeur d’élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspire à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement, une jalousie secrète d’autant plus dangereuse que, pour faire son coup plus en sûreté, elle prend souvent le masque de la bienveillance ; en un mot, concurrence et rivalité d’une part, de l’autre opposition d’intérêt, et toujours le désir caché de faire son profit aux dépens d’autrui, tous ces maux sont le premier effet de la propriété et le cortège inséparable de l’inégalité naissante.
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Seconde partie.


samedi 20 juin 2015

Le monde des passions - Rousseau : l'amour à l'état de nature (texte)

Commençons par distinguer le moral du physique dans le sentiment de l’amour. Le physique est ce désir général qui porte un sexe à s’unir à l’autre ; le moral est ce qui détermine ce désir et le fixe sur un seul objet exclusivement, ou qui du moins lui donne pour cet objet préféré un plus grand degré d’énergie. Or il est facile de voir que le moral de l’amour est un sentiment factice ; né de l’usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d’habileté et de soin pour établir leur empire, et rendre dominant le sexe qui devrait obéir. Ce sentiment étant fondé sur certaines notions du mérite ou de la beauté qu’un sauvage n’est point en état d’avoir, et sur des comparaisons qu’il n’est point en état de faire, doit être presque nul pour lui. Car comme son esprit n’a pu se former des idées abstraites de régularité et de proportion, son cœur n’est point non plus susceptible des sentiments d’admiration et d’amour qui, même sans qu’on s’en aperçoive, naissent de l’application de ces idées ; il écoute uniquement le tempérament qu’il a reçu de la nature, et non le goût qu’il n’a pu acquérir, et toute femme est bonne pour lui.
Bornés au seul physique de l’amour, et assez heureux pour ignorer ces préférences qui en irritent le sentiment et en augmentent les difficultés, les hommes doivent sentir moins fréquemment et moins vivement les ardeurs du tempérament et par conséquent avoir entre eux des disputes plus rares, et moins cruelles. L’imagination, qui fait tant de ravages parmi nous, ne parle point à des cœurs sauvages ; chacun attend paisiblement l’impulsion de la nature, s’y livre sans choix, avec plus de plaisir que de fureur, et le besoin satisfait, tout le désir est éteint.
C’est donc une chose incontestable que l’amour même, ainsi que toutes les autres passions, n’a acquis que dans la société cette ardeur impétueuse qui le rend si souvent funeste aux hommes, et il est d’autant plus ridicule de représenter les sauvages comme s’entr’égorgeant sans cesse pour assouvir leur brutalité, que cette opinion est directement contraire à l’expérience, et que les Caraïbes, celui de tous les peuples existants qui jusqu’ici s’est écarté le moins de l’état de nature, sont précisément les plus paisibles dans leurs amours, et les moins sujets à la jalousie, quoique vivant sous un climat brûlant qui semble toujours donner à ces passions une plus grande activité.
À l’égard des inductions qu’on pourrait tirer dans plusieurs espèces d’animaux, des combats des mâles qui ensanglantent en tout temps nos basses-cours ou qui font retenir au printemps nos forêts de leurs cris en se disputant la femelle, il faut commencer par exclure toutes les espèces où la nature a manifestement établi dans la puissance relative des sexes d’autres rapports que parmi nous : ainsi les combats des coqs ne forment point une induction pour l’espèce humaine. Dans les espèces où la proportion est mieux observée, ces combats ne peuvent avoir pour causes que la rareté des femelles eu égard au nombre des mâles, ou les intervalles exclusifs durant lesquels la femelle refuse constamment l’approche du mâle, ce qui revient à la première cause ; car si chaque femelle ne souffre le mâle que durant deux mois de l’année, c’est à cet égard comme si le nombre des femelles était moindre des cinq sixièmes. Or aucun de ces deux cas n’est applicable à l’espèce humaine où le nombre des femelles surpasse généralement celui des mâles, et où l’on n’a jamais observé que même parmi les sauvages les femelles aient, comme celles des autres espèces, des temps de chaleur et d’exclusion. De plus parmi plusieurs de ces animaux, toute l’espèce entrant à la fois en effervescence, il vient un moment terrible d’ardeur commune, de tumulte, de désordre, et de combat : moment qui n’a point lieu parmi l’espèce humaine où l’amour n’est jamais périodique. On ne peut donc pas conclure des combats de certains animaux pour la possession des femelles que la même chose arriverait à l’homme dans l’état de nature ; et quand même on pourrait tirer cette conclusion, comme ces dissensions ne détruisent point les autres espèces, on doit penser au moins qu’elles ne seraient pas plus funestes à la nôtre, et il est très apparent qu’elles y causeraient encore moins de ravage qu’elles ne font dans la société, surtout dans les pays où les mœurs étant encore comptées pour quelque chose, la jalousie des amants et la vengeance des époux causent chaque jour des duels, des meurtres, et pis encore ; où le devoir d’une éternelle fidélité ne sert qu’à faire des adultères, et où les lois mêmes de la continence et de l’honneur étendent nécessairement la débauche, et multiplient les avortements.
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements et l’inégalité parmi les hommes, première partie.



vendredi 19 juin 2015

Leçon : Pourquoi la loi ?

On se plaint de la loi. Elle nous empêcherait d’être libres. Pourtant, on a peur de l’anarchie au sens du désordre. On ne peut se passer de la loi. La loi est-elle un instrument de domination ou de liberté ou même de justice ?

I. La règle sociale.
La loi rend possible la vie sociale puisqu’en interdisant ou en prescrivant certaines actions, elle permet aux membres de la société auxquels elle s’applique d’agir ensemble ou les uns pour les autres. Elle est une sorte de règle du jeu qui, pour arbitraire qu’elle soit, permet à chacun d’agir dans certaines limites.
Elle a surtout pour fonction de permettre la vie humaine, dans la mesure où elle empêche les hommes de se nuire mutuellement. Elle favorise dans ses limites leur liberté au sens de faire ce qui leur plaît. Sans loi, les hommes vivraient dans la crainte. Ils ne pourraient rien entreprendre : travail, technique, échanges avec les autres, science, loisir, etc.
Pourtant, la loi peut servir certains et en desservir d’autres. Elle est alors plutôt un instrument de domination. Ne peut-on pas lui trouver une fonction plus positive ?

II. La maîtrise des désirs.
La loi, pour être efficace, doit être accompagnée de la menace d’une sanction, c’est-à-dire de la possibilité d’une contrainte. On peut nommer juridique une telle loi par différence avec la loi morale qui n’oblige que le seul individu. C’est une obligation juridique de subvenir aux besoins de ses parents même si on ne le veut pas. C’est une simple obligation morale de faire un don à un mendiant.
Si la loi paraît nous limiter, c’est parce qu’elle s’oppose à nos désirs. Or, ceux-ci ne proviennent pas de nos choix. La loi nous libère donc de la tyrannie de nos désirs. En ce sens, elle est un facteur de liberté au sens où elle nous éduque à choisir. Même le tyran paraît favoriser la liberté au sens de la maîtrise de soi, voire manifester la capacité de choix.
Cependant, différer la réalisation de ses désirs n’est qu’un aspect de la liberté. En rester là, c’est demeurer soumis aux autres comme l’est un esclave. La loi n’aurait-elle pas pour rôle essentiel de permettre la justice ?

III. Justice et liberté.
Il faut distinguer la loi du simple commandement. Celui-ci va de l’un à l’autre alors que la loi au sens strict est valable pour tous. Si le tyran n’obéit pas aux lois, c’est qu’il n’en est pas le sujet. Et là où il y a tyrannie, c’est-à-dire où un seul ou quelques uns imposent leur volonté aux autres, il n’y a pas de loi.
Lorsque donc la règle est la même pour tous, c’est-à-dire qu’il y a loi, au moins pour tous ceux à qui elle s’applique comme par exemple une loi sur le commerce du pain ne s’applique qu’aux boulangers, elle constitue la justice. En effet, dans cette mesure, elle contraint également tous et permet à tous soit de ne pas se nuire, soit d’agir ensemble pour le bien de tous. De ce point de vue, la justice permet la liberté au moins en ce sens négatif où personne n’est sous la domination des autres. En outre, en obéissant à la loi, chacun se rend maître de ses désirs.
La loi permet donc au minimum la vie sociale. Or, dans la tyrannie, la vie sociale peut être pire que la vie la plus sauvage et la plus solitaire. Par la discipline qu’elle instaure, la loi permet l’éducation au choix, mais il faut alors que la règle soit la même pour tous – ce qu’est la loi véritable – pour réaliser la justice et être une véritable condition de la liberté.


jeudi 18 juin 2015

Epictète, biographie

Vie.

Épictète est né en 50 ap. J.-C., vraisemblablement en Phrygie. Il était l’esclave d’Épaphrodite ( ?-95), un affranchi qui servit comme secrétaire impérial plusieurs empereurs, Claude (10 av. J.-C.-41ap. J.-C.-54), Néron (37-54-68) qu’il aida à se suicider, Vespasien (9-69-79), Titus (39-79-81), Domitien (51-81-96). Il a donc été emmené à Rome. Son maître a la réputation d’avoir été cruel. Une anecdote veut que son maître le torturant, Épictète aurait prévenu son bourreau en disant : « Attention ! La jambe va se casser ». Puis, la torture continuant, il lui aurait dit : « La jambe est cassée ». On la connaît par le chrétien Origène (~185-~253) qui, au livre VII de son Contre Celse, rapporte les propos de Celse, philosophe épicurien du II° siècle dans son Discours de la vérité contre les chrétiens qui opposait Epictète à Jésus. L’anecdote présente une attitude manifestement stoïcienne. Si on l’accepte, on est amené à penser qu’Epictète a dû suivre des cours de philosophie stoïcienne de Gaius Musonius Rufus (~30-~90) pendant sa captivité.

En 89, il a peut-être quitté Rome suite au décret de bannissement des philosophes pris par l’empereur Domitien (cf. Yann Le Bohec [né en 1943], Naissance, vie et mort de l’empire romain, Picard, 2012, p.94).

En 95, il fut peut-être affranchi à la mort de son maître exécuté par Domitien. C’est peut-être à ce moment qu’il a quitté Rome.

À Nicopolis en Épire, Épictète ouvre une école de philosophie où il enseigne la philosophie stoïcienne. Peut-être qu’il lui arriva de revenir à Rome.

Épictète est mort à Nicopolis en 125 ou en 130.

Œuvres.

Épictète n’a écrit aucun ouvrage.

Parmi ses nombreux disciples, une mention spéciale doit donc être faite à Arrien (~95-~175), haut fonctionnaire et historien (il est notamment l’auteur d’une Histoire d’Alexandre le grand) grâce à qui nous possédons les Entretiensd’Épictète et le Manuel, pensées du maître qu’il a recueillies. Les Entretiens montrent Épictète dialoguant avec divers interlocuteurs. C’était un moment de ses cours qui devaient comprendre des leçons plus techniques d’exposés doctrinaux et des commentaires des œuvres des philosophes antérieurs, notamment stoïciens. Le Manuel est un résumé de la doctrine destinée à être appris par cœur pour être utilisé à tous les moments de la vie. Le terme grec “enkheiridion” traduit par “manuel” signifie littéralement “ce que l’’on a sous la main”.

 

Freud, biographie

Sigismund Freud est né le 6 mai 1856 à Freiberg, en Moravie (dans l’actuelle république tchèque) dans une famille juive non pratiquante où on parlait allemand. Son père, Jakob (1815-1896) est un négociant en textiles. Il a épousé en troisièmes noces Amalia Nathansohn (1835-1930). Sigismund est le premier enfant du couple. Il a sept frères et sœurs. Ses deux demi-frères issus du premier mariage de son père, Philip et Emmanuel ont pratiquement le même âge que sa mère. Emmanuel est marié et Sigismund joue dans la maison d’à côté avec son fils, John. Il est l’enfant préféré de sa mère comme il nous l’apprend dans L’interprétation des rêves (1899).
Il est sujet de l’empereur d’Autriche, François-Joseph 1er (1830-1916) de la famille des Habsbourg qui règne depuis 1848. En 1867, l’empire d’Autriche devient l’empire d’Autriche-Hongrie, François-Joseph 1er étant le souverain.
En février 1860, la famille Freud frappée par la crise économique quitte Freiberg, passe par Leipzig, puis s’installe à Vienne, capitale de l’empire, dans le quartier de Leopoldstadt où vivent 15 000 juifs, soit la moitié des juifs de Vienne.
Sigmund commence ses études universitaires à l’université de Vienne en 1873. Juif, il est en butte à l’hostilité générale. Son père est en partie ruiné dans le krach de la bourse de Vienne. La pauvreté frappe la famille Freud
Il change son prénom en Sigmund en 1876. Il suit les cours du physiologiste E. Brücke (1819-1892) qui l’oriente vers la médecine (cf. Georges Canguilhem, Études d’histoire et de philosophie des sciences, Vrin, 1975, p.252). Il est diplômé en 1881. Interne à l’hôpital, il poursuit des recherches sur le cerveau.
En novembre 1882, le docteur Joseph Breuer (1842-1925), physiologiste et psychiatre autrichien, lui parle du cas d’une jeune fille surnommé Anna O., de son vrai nom Bertha Pappenheim, qui lui présente des symptômes d’hystérie : paralysie, troubles de la vue, toux nerveuse et anorexie. Il la soigne grâce à l’hypnose. Il abandonne sa malade après des séances d’hypnose où elle présente des symptômes de grossesse hystérique et d’accouchement. En termes psychanalytiques, Breuer n’a pas su maîtriser le transfert.
À partir de 1883, Freud s’intéresse à la cocaïne qui lui apparaît comme un médicament – passion qui lui est commune avec un autre célèbre enquêteur : Sherlock Holmes. Il publie en 1885 un article sur la question : « Contribution à la connaissance des effets de la coca ». Il défendra ce point de vue jusqu’en 1887.
Le 13 octobre 1885, il commence son stage à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris dans le service du professeur Charcot (1825-1893) grâce à une bourse d’études obtenue par E. Brücke (cf. Canguilhem, op. cit.). Il retournera à Vienne en avril 1886.
Après quatre ans de fiançailles, en septembre 1886, Freud épouse Martha Bernays, née le 26 juillet 1861 à Hambourg, dans une famille imprégnée de culture juive.
En novembre 1887, il fait la connaissance de Wilhelm Fliess (1858-1928). C’est le début d’une grande amitié et d’une correspondance importante seulement publiée en 1985.
En juillet 1888, Freud se rend à Nancy chez les neurologues Hyppolite Bernheim (1840-1919) et Antoine-Auguste Liébault (1823-1904) pour perfectionner sa technique hypnotique. Freud traduit en allemand l’ouvrage de Bernheim De la suggestion et ses applications thérapeutiques paru en 1886.
En 1891, il publie Contribution à la conception des aphasies : une étude critique.
En mai 1895, il publie en collaboration avec Joseph Breuer des Études sur l’hystérie. L’étiologie sexuelle des névroses y est affirmée.
En 1897, Freud commence une auto-analyse systématique. Il renonce à la théorie de la séduction précoce et met l’accent sur la sexualité infantile, l’importance de la vie fantasmatique et le rôle du complexe d’Œdipe.
Le 4 novembre 1899 paraît L’interprétation des rêves qui passe inaperçu. L’année suivante paraît Sur le rêve.
En 1901 paraît la Psychopathologie de la vie quotidienne – Application où Freud tente de montrer que les processus psychiques comme les actes manqués, les oublis ou les lapsus chez les individus normaux sont les mêmes que les processus qui expliquent les phénomènes pathologiques.
Le 5 mars 1902, l’empereur François Joseph 1er signe la nomination de Freud comme professeur extraordinarus. La même année il cesse d’écrire à Fliess qui l’accuse de plagiat dans l’invention de la psychanalyse. Il fonde la Société psychologique du mercredi.
En 1905, il publie les Trois essais sur la théorie de la sexualité ; Le mot d’esprit dans ses rapports avec l’inconscient (Der Witz une seine Beziehung zum Unbewussten) ; Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora).
En 1906, il publie un ouvrage d’incursion dans le domaine de l’art : Le délire et les rêves dans la Gradiva de Wilhelm Jensen.
En mars 1907, Freud reçoit la visite de Carl Gustav Jung (1875-1961) et de Ludwig Binswanger (1881-1966). Elle sera suivie de celles de Sándor Ferenczi (1873-1933), Karl Abraham (1877-1925) et de Ernst Jones (1879-1958).
C’est en avril 1908 qu’a lieu le premier Congrès international de psychanalyse à Salzbourg. Cette année, le pasteur Oskar Pfister (1873-1956), docteur en philosophie et en théologie, découvre l’œuvre de Freud et lui rend visite le 25 avril. Leur correspondance durera jusqu’en 1938.
En 1909, Freud publie l’Analyse d’une phobie d’un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) ; Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle (L’homme aux rats). En compagnie de Jung et de Ferenczi, il voyage aux Etats-Unis et donne des conférences à la Clark University. Il publie un ouvrage d’initiation : Cinq leçons sur la psychanalyse.
En 1910, il fait paraître À propos de la psychanalyse dite « sauvage » et « La question de l’analyse profane ». Il donne une étude où il applique la psychanalyse à l’art : Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci.
En 1911, Alfred Adler (1870-1937) démissionne de la société de psychanalyse. Freud rencontre Lou Andreas-Salomé (1861-1937) qui avait été l’amie du philosophe Nietzsche (1844-1900), celle du philosophe Georg Simmel (1858-1918) et l’amante du poète Rilke (1875-1926). Il publie les Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Président Schreber) ainsi que Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse.
En 1912, il publie La dynamique du transfert et Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique.
En 1913, il publie Totem et tabou, ouvrage où il applique la psychanalyse à l’ethnologie et au problème de l’origine de la culture qu’il inscrit dans le prolongement de la théorie de l’évolution de Darwin (1809-1882). Paraissent également Le début du traitement et La prédisposition à la névrose obsessionnelle.
En 1914, c’est au tour de Jung de quitter la société de psychanalyse. Freud publie Pour introduire le narcissisme, Névrose, psychose et perversion, Le Moïse de Michel-Ange, L’Homme aux loups, Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique.
En 1915 Freud publie Métapsychologie et Vue d’ensemble des névroses de transfert : un essai métapsychologique où il analyse les concepts fondamentaux de la psychanalyse. Il fait également paraître ses Considérations actuelles sur la guerre et la mort, où il réfléchit à la signification d’une guerre atroce mettant aux prises les nations qui se prétendaient seules civilisées.
En 1917, il publie l’Introduction à la psychanalyse, ouvrage qui fait le point sur ce qu’il est convenu de nommer la première topique. Il faut également paraître Deuil et mélancolie et Complément métapsychologique à la doctrine de rêves.
En 1918, il publie l’Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups).
En 1919 il fait paraître L’inquiétante étrangeté et autres essais et On bat un enfant.
En 1920, il publie Au-delà du principe de plaisir, ainsi que Psychologie collective et analyse du Moi où s’expose ce qu’il est convenu de nommer la seconde topique. Il fait également paraître Psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine.
En 1922 Freud publie De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité.
En 1923, on lui diagnostique un cancer à la mâchoire. Il subit une première opération. Il publie Le Moi et le Ça.
En 1924, Freud fait paraître Le problème économique du masochisme.
En 1925 il publie Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes et La négation.
En 1926 Freud fait paraître Inhibition, symptôme et angoisse.
En 1927, il publie L’avenir d’une illusion où il critique la religion et expose son rationalisme et La question de l’analyse profane.
En 1927, paraît Malaise dans la civilisation (ou Le malaise dans la culture) où il s’interroge sur le devenir de la civilisation à travers le conflit entre la pulsion sexuelle et de vie, Éros et la pulsion de mort, Thanatos.
En 1930, il reçoit le prix Goethe.
En 1932 il fait paraître les Nouvelles conférences sur la psychanalyse.
En 1933, les nazis brûlent les livres de Freud à Berlin. La psychanalyse est rejetée parce que juive. C’est aussi le cas de la physique d’Einstein (1879-1955). Avec Freud ils publient Pourquoi la guerre ?.
En 1937, Freud publie Analyse terminée et analyse interminable.
En mars 1938, c’est l’Anschluss, c’est-à-dire la fusion entre l’Allemagne et l’Autriche. En juin, Freud quitte l’Autriche pour l’Angleterre grâce à la princesse Marie Bonaparte (1882-1962), sa traductrice française. Il travaille à l’Abrégé de psychanalyse qui restera inachevé et publie Moïse et le monothéisme, dernier ouvrage de réflexion sur l’histoire de l’humanité et où il dénie à Moïse d’avoir été juif.
Il meurt à Londres le 23 septembre 1939.