jeudi 30 avril 2015

Fiche 5 : La justice et la loi (terminale technologique)

Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553),
Le Christ et la femme adultère, 1532,
huile sur panneau de bois, 83 x 121 cm,
Budapest, Szépmûvészeti Múzeum.

Analyse.
La justice désigne d’abord ce qui est légal. Il faut comprendre par là que la justice se situe dans le cadre des lois ou des coutumes d’un pays. Non seulement elle est l’application de lois et coutumes particulières à un temps et un lieu, mais elle désigne aussi les décisions singulières prises en applications des obligations légales. L’injustice consiste alors à ne pas s’en tenir à ce qui est légal. Par exemple, Socrate, condamné à mort alors qu’il se pense innocent, accepte sa sentence pour rester juste (cf. Platon, Criton).
La justice désigne ensuite ce qui est légitime au sens moral. On veut dire par là qu’il peut y avoir des lois et des coutumes qui ne sont pas justes. Par exemple, la loi qui condamnait à mort les homosexuels en France au XVIII° siècle nous paraît injuste. De même, la loi qui permettait au mari d’exécuter sa femme en public ainsi que son amant en Espagne. On doit penser alors à l’idée d’une justice universelle, valable partout et à toutes les époques. On parle parfois de justice naturelle par opposition à la justice positive.

La loi désigne dans les sciences l’expression d’un rapport nécessaire ou probable entre des phénomènes ou des faits. C’est en ce sens qu’on parle en physique de la loi de la gravitation universelle ou des lois de Mendel en biologie. Il ne peut y avoir alors d’injustice de la loi, à moins de se placer au point de vue de la « création » et de s’interroger sur son sens moral. Si la société a des lois en ce sens, il est impossible de les transgresser. Les connaître permet de savoir comment agir pour parvenir à ses fins comme le marin se sert de sa connaissance du vent pour amener le bateau à bon port.
La loi désigne autrement, du point de vue humain une prescription ou une interdiction obligatoire. Il faut entendre par obligation ce qu’on est tenu de faire ou de ne pas faire et qu’on peut ne pas faire car à l’impossible nul n’est tenu. L’obligation peut se distinguer de la contrainte lorsqu’elle est vécue par le sujet comme un engagement de sa part. Elle s’en distingue aussi et surtout lorsqu’elle est légitime alors que la contrainte ne l’est pas. Si je suis obligé de respecter le code de la route, je suis contraint d’obéir à un voleur qui me menace.
On distingue en ce sens les lois positives qui sont instituées par un pouvoir. On les distingue des décisions ou des applications qui sont singulières. Par exemple, si la loi donne à Rome un droit de vie et de mort sur les membres de sa famille, encore faut-il l’exercer. Ainsi, un certain « Egnatius Mécénius (…) fit en effet mourir son épouse sous les coups de bâton pour avoir bu du vin. Ce meurtre ne donna lieu à aucune accusation ; il n’y eut même personne pour le blâmer. Chacun pensait qu’elle avait justement expié par une punition exemplaire un manquement aux règles de la sobriété. Il est vrai que toute femme qui aime à l’excès l’usage du vin, ferme son cœur à toutes les vertus et l’ouvre à tous les vices. » Valère-Maxime (1er siècle), Actions et paroles mémorables, livre VI, chapitre 3.
On peut penser qu’outre les lois positives, il existe des lois naturelles, c’est-à-dire des obligations valables universellement et qui fondent la légitimité des lois positives, au nom desquelles il est possible de se dresser contre les lois positives, d’y désobéir. Le plus ancien exemple se trouve dans la pièce de Sophocle (~498-~406 av. J.-C.) où Antigone refuse d’obéir à la décision de Créon de ne pas enterrer son frère Polynice parce qu’il est un traître au nom des lois divines, supérieures aux lois de la cité.
Problèmes.
1. Dans la mesure où les lois sont variables et qu’elles avantagent la vie en société, l’homme entendu comme individu peut-il justement transgresser toutes les lois s’il en a le pouvoir ? Faut-il au contraire obéir aux lois quelles qu’elles soient pour maintenir l’ordre social ?
2. Pour que la justice soit, faut-il que la loi soit la même pour tous ou bien doit-elle tenir compte des différences entre les hommes, voire des inégalités ? Y a-t-il des inégalités justes ou toutes doivent-elles être détruites de la vie sociale ?

mercredi 29 avril 2015

Fiche 4 : L'expérience (terminale technologique)

Rembrandt (1606-1669), La leçon d'anatomie du docteur Nicolaes Tulp1632, huile sur toile, 169.5 × 216.5 cm, Mauritshuis, La Haye (Pays-Bas)

Analyse.
On dit de certains hommes qu’ils ont de l’expérience, soit en général, soit dans un domaine particulier. On entend par là qu’ils ont eu un contact long et régulier avec les choses.
L’homme d’expérience s’en tiendrait au concret, c’est-à-dire à ce qui est perceptible par opposition au théoricien qui se situerait dans l’abstrait, c’est-à-dire à ce qu’on retrouve identique en de multiples choses mais qui ne peut jamais apparaître comme tel dans la perception. Ainsi je vois Pierre et Paul ou ma fourchette et mon couteau qui sont concrets. Je conçois le nombre 2 qui est abstrait. Le nombre s’applique soit à Pierre et à Paul, soit à ma fourchette et à mon couteau ensemble. Je ne peux jamais le voir. Si maintenant je ne raisonne que sur le nombre en général comme le mathématicien, je suis encore plus dans l’abstraction et loin de l’expérience.
Or, pour avoir de l’expérience il faut déjà abstraire ce qu’il y a de commun aux choses ou aux activités rencontrées pour que l’expérience accumulée guide et puisse permettre des anticipations. On peut appeler le passage du particulier au général, voire du particulier au particulier, l’induction. On la distingue de la déduction qui consiste à passer du général au particulier ou du général au général (cf. Russell, Les problèmes de la philosophie, 1912, chapitre 7).
Mais pour avoir de l’expérience, il faut faire des expériences. Faire une expérience peut s’entendre en deux sens.
Premièrement, on dit qu’on fait une expérience lorsqu’on subit quelque chose de nouveau, d’inattendu, voire de douloureux. Dans ce cas, l’expérience n’est pas provoquée, elle est subie. Elle reste particulière sauf si on la généralise, c’est-à-dire si on n’en tire une proposition générale. Dans ce cas, la généralisation n’est une induction car sa valeur n’est que subjective.
Deuxièmement, on dit qu’on fait une expérience lorsqu’on se dispose à regarder quelque chose pour apprendre (observation) ou à manipuler des choses pour savoir ce qui en résulte (expérimentation). Dans ce cas, l’expérience est active. Elle semble provenir d’une interrogation préalable. Elle peut être technique lorsqu’on fait une expérience en vue de réaliser quelque chose ou théorique s’il s’agit de connaître la vérité.

Problèmes.
1. Faut-il concevoir l’expérience comme première par rapport à l’élaboration théorique ou bien exige-t-elle un cadre théorique pour qu’elle soit possible ?
2. L’expérience, quelle qu’elle soit, est toujours particulière. Or, les hypothèses ou les théories qu’on veut prouver, c’est-à-dire qu’on veut tester, sont générales. Comment l’expérience peut-elle prouver ? Est-ce par induction ? Est-ce en rectifiant les erreurs ?

mardi 28 avril 2015

Fiche 3 : La raison et la croyance (terminale technologique)



Sandro Botticelli (1445-1510), Saint Augustin dans son cabinet de travail, 1480, fresque, 152 × 112 cm, Église Ognissanti, Florence (Italie).

Analyse.
La distinction de la raison et de la croyance peut se faire à plusieurs points de vue.
Premièrement, la raison, au sens fort, désigne la faculté qui nous permet de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. Elle permet de saisir les principes, c’est-à-dire les propositions vraies, indémontrables et qui servent à en démontrer d’autres. On peut indiquer comme principes les axiomes des mathématiciens, par exemple que « Si des choses égales sont ajoutées à d’autres choses égales, leurs sommes sont égales » (Euclide, Éléments, III° av. J.-C.) ou les principes du raisonnement comme le principe de non-contradiction selon lequel il n’est pas possible qu’une proposition soit vraie et fausse ou encore les lois fondamentales de la physique comme le principe d’inertie (cf. Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687). On peut aussi entendre par principes, les règles fondamentales de la morale, c’est-à-dire ce qui nous permet de distinguer le bien du mal. La raison en se sens permet de déduire des principes les conséquences légitimes. Ainsi la raison organise-t-elle les propositions en un système.
À l’inverse, la croyance désigne le simple assentiment, donné par l’esprit, à une proposition qui est susceptible d’être vraie ou fausse ou à une proposition qui peut être mauvaise ou bonne. Par extension, on peut dire d’une croyance qu’elle est relative à un fait. Les croyances ne sont pas nécessairement organisées. Elles reposent sur des sources extérieures à l’esprit comme les besoins, les désirs ou les passions ; comme aussi sur les coutumes, mœurs, etc. bref, la culture. Parmi les croyances, il est possible de faire un sort à part à la foi, qui est une croyance dans laquelle l’individu s’investit. Formellement, on distingue ainsi « croire que… » où la croyance porte sur un fait, un événement, etc. de « croire en… » où la croyance marque la confiance en une personne présente en chair ou en os ou surnaturelle comme un Dieu, un ange, etc.
Ainsi, la croyance peut être erronée alors que la raison est réputée infaillible.

Deuxièmement, la raison, au sens faible, désigne la faculté qui règle l’enchaînement des propositions selon des règles. Elle permet donc le raisonnement. Il consiste en l’inférence. La raison procède essentiellement en tirant les conséquences nécessaires des principes dont elle n’est pas la source. Elle reçoit ses principes soit de l’expérience par induction, c’est-à-dire par généralisation des cas particuliers, soit d’une autre faculté comme le cœur (cf. Pascal, Pensées, 110, Lafuma).
La croyance, y compris la foi, se distingue de la raison en tant qu’elle est un assentiment (c’est-à-dire un tenir pour vrai) immédiat ou direct alors que la raison rend possible un assentiment médiat ou indirect.
La croyance peut alors donner à la raison des principes à partir desquelles elle déduit des conséquences. La croyance n’est alors pas nécessairement erronée. La raison peut se tromper, notamment lorsqu’elle cherche à démontrer ce qui est hors de son domaine.

Problème.
Peut-on définir la raison au sens fort, c’est-à-dire la concevoir comme une faculté capable de déterminer les principes de la connaissance et de l’action ? Comment, si par définition un principe ne peut être démontré ?
Faut-il au contraire donner de la raison un sens limité à l’inférence ? Comment admettre alors que certaines croyances puissent vraies sans examen aucun ?
Autrement dit, les points de départ de tous les raisonnements sont-ils des croyances ou bien la raison peut-elle les établir ?


lundi 27 avril 2015

Fiche 2 : Les échanges (terminales technologiques)

Edward Sheriff Curtis (1868-1952), Un potlatch Kwakwaka’wakw (Amérindiens du Canada), photographie publiée entre 1907 et 1930.

Analyse.
Échanger, c’est donner et recevoir. On peut parler d’échanges pour les choses. Par exemple des échanges de températures ou encore des échanges entre la cellule et son environnement. Mais ni les choses, ni même la plupart des êtres vivants n’échangent en sachant qu’ils le font. C’est pour cela que l’échange appartient éminemment à la culture et concerne les hommes même s’ils ne savent pas exactement ce qu’ils font. Pourquoi parle-t-on d’échanges au pluriel ?
On peut distinguer les échanges à deux points de vue, celui des « objets » échangés et celui des différentes modalités d’échanges.

Du point de vue des « objets » échangés, on peut avec les anthropologues comme Claude Lévi-Strauss (1908-2009) ou Maurice Leenhardt (1878-1954) distinguer trois grandes catégories de « choses » échangées :
1. Les biens, matériels ou immatériels, les services, les honneurs, etc. Chez le commerçant ou chez le prestataire de service nous acquérons des « objets ». Le précepteur vend un bien immatériel, connaissance ou compétence. La légion d’honneur vient récompenser une série d’actions méritoires.
2. Les mots. Non seulement on ne peut parler que parce qu’on a reçu une langue, mais sauf dans le soliloque (c’est-à-dire lorsqu’on se parle à soi-même silencieusement), parler, c’est échanger avec d’autres.
3. Les femmes. Le mariage tel que nous le connaissons depuis le xix° siècle suppose que les femmes et les hommes se choisissent. Toujours est-il que dans la plupart des sociétés, ce sont les hommes qui se répartissent les femmes. Dire qu’elles sont « objets » d’échanges, c’est dire que dans aucune société on ne garde pas pour soi les femmes de sa famille. On les donne et on reçoit celles des autres familles.
Les différents objets d’échanges se mêlent dans les échanges concrets. Lors d’un mariage avec une dot, la famille de la mariée donne des biens avec la promise et c’est par les mots que sont réglés les détails de la cérémonie.
Du point de vue des modalités de l’échange, on peut distinguer :
1. L’échange marchand. Cet échange a deux formes. D’abord, le troc par lequel on donne une marchandise pour en recevoir une autre. Ensuite, le commerce qui suppose l’institution de la monnaie où la marchandise est donnée par le commerçant pour recevoir de l’argent, équivalent général de toutes les autres marchandises (cf. Marx, Le Capital, livre I, 1867), argent qu’il donnera contre d’autres marchandises. Les marchandises peuvent être des biens, mais également des mots ou des femmes. Le poète se fait payer. La femme s’achète contre ce que les anthropologues appellent le « prix de la fiancée », biens, services, etc. On donne pour recevoir.
2. L’échange social. Cet échange peut aussi porter sur des biens, des mots ou des femmes (c’est la prohibition de l’inceste) mais il n’a pas pour principe la marchandise, mais la sociabilité elle-même ou encore l’alliance avec l’autre. Le don appelle un contre-don. Par exemple, il est obligatoire à Noël de se faire mutuellement des cadeaux pour renforcer les liens des membres de la famille. De même, se dire bonjour, c’est ne rien échanger comme information. L’échange social est obligatoire du point de vue de la société. On donne et on reçoit pour créer ou renforcer le lien social.
3. L’échange moral. Il concerne le don désintéressé et il est vrai qu’il semble paradoxal de parler d’échange dans ce cas. Toutefois, lorsqu’il y a un don, même si le donateur ne doit pas s’attendre à recevoir quelque chose en retour de la part du donataire pour faire le don, il ne peut pas ne pas s’attendre à recevoir de la reconnaissance ou de la gratitude. C’est une exigence morale et non une exigence sociale. On donne et on reçoit pour l’humanité.

Problème.
Rien n’interdit de penser que quel que soit l’objet ou quelle que soit la modalité, l’échange vise la seule utilité de l’individu qui échange.
Et pourtant, comment accepter que l’aide à un ami ou un mariage soit mis sur le même plan que l’achat d’un plat de lentilles ?
Dès lors, tous les échanges ne se ramènent-ils pas ou ne doivent-ils pas se ramener à l’échange marchand ou bien tout ramener à la marchandise ne revient-il pas à nier une dimension essentielle de la culture humaine ?


dimanche 26 avril 2015

Fiche 1 : L'art et la technique (terminale technologique)

Fernand Léger (1881-1955), Les constructeurs (1950), huile sur toile, 300.1 × 228.2 cm, Musée national Fernand-Léger, Biot.

Analyse.
Les notions d’art et de technique sont proches étymologiquement. En effet, le premier terme a pour origine le latin, « ars, artis » qui désignait un savoir-faire réfléchi. Le second a pour origine un terme grec, « tekhnikos » ce qui est relatif à la « tekhnê », qui avait le même sens. Les latins et les grecs n’avaient qu’un mot là où nous en avons reçu deux.
Néanmoins, on distingue traditionnellement les arts des beaux-arts. À partir du XVIII°, le mot technique s’est introduit en français. On admet traditionnellement six beaux-arts : l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la danse et la poésie (notre littérature). On y ajoutait parfois l’art du jardin. On a ajouté un septième art, le cinéma, un huitième (la radio, puis la télévision ou la photographie), un neuvième (la bande-dessinée), un dixième (le jeu vidéo) et un onzième (le multimédia).
À quel point de vue peut-on opposer ou distinguer l’art et la technique ?

On peut distinguer l’art et la technique du point de vue de l’œuvre. En effet, un objet technique est fait pour être utilisé. Aussi est-il essentiellement un moyen pour une fin, c’est-à-dire ce pour quoi une chose est faite. En tant que moyen, il peut servir à une autre fin que celle qui était initialement prévue. Mais en tant que moyen, il ne peut jamais être une fin. Ou plutôt, lorsqu’il est une fin, elle est provisoire.
Par contre une œuvre d’art est faite pour être contemplée. Autrement dit, on la voit, on l’écoute ou les deux. Les sens du contact (odorat, goût et toucher) ne sont pas concernés par l’œuvre d’art. En tant qu’œuvre d’art, elle n’est pas utile en ce sens qu’on ne peut en faire usage. Ce qui revient à dire que si on en fait usage, ce n’est pas en tant qu’œuvre d’art. C’est pour cela qu’elle n’est pas un moyen, mais une fin en soi.
C’est cette distinction qui conduit à privilégier la beauté comme constitutive de l’œuvre d’art. On entend alors par beauté un caractère objectif de l’œuvre ou un effet subjectif différent du simple plaisir que donnent les sens. La beauté d’une nature morte qui montre des fruits n’est pas l’agréable de leur goût dans la bouche.

On peut distinguer l’art et la technique du point de vue de l’origine. Le technicien, qu’il soit artisan ou ingénieur, met en œuvre un savoir et un savoir-faire qui s’acquiert. Entre un bon et un mauvais technicien, la différence est de degré. Un mauvais outil reste un outil du moment qu’il fonctionne.
L’artiste peut se distinguer du technicien en tant que génie. On entend par là qu’il possède un don inné qui lui permet de créer des œuvres. Les anciens se le représentaient comme inspiré par les dieux. Les modernes y voient plutôt un singulier arrangement des facultés humaines, une sorte d’heureuse exception et parfois, la main d’un Créateur.

On peut enfin distinguer l’art et la technique du point de vue du sens culturel de l’objet. En effet, une œuvre d’art exprime la signification d’une culture. Une statue grecque ou un tableau de Léonard (1452-1519) exprime leur culture.
Par contre, un objet technique s’insère dans un réseau d’autres objets et c’est ensemble qu’ils expriment une culture. Par rapport à l’usage en général, un objet technique a un usage qui dépend des autres objets disponibles. Ainsi l’arc est un objet fondamental chez un peuple de chasseurs-cueilleurs mais un objet ludique dans une civilisation industrielle.

Problème.
Peut-on véritablement distinguer de façon universelle l’art et la technique ou bien ce qui revient à l’un et à l’autre dépend-il de chaque culture ? N’y a-t-il pas des cultures qui rendent cette distinction obsolète ?
D’un autre côté, à supposer que la distinction ne soit pas universelle, n’a-t-elle pas un sens en ce qu’elle ne met pas l’accent sur le même rapport au monde ?
L’art n’est-il pas la possibilité de ne pas tout ramener à l’utile, à l’utilisable, voire à la constitution de toutes choses comme un stock à exploiter ?

Fiche C : La liberté (terminale technologique)

Eugène Delacroix (1798-1863), La liberté guidant le peuple, 1830, huile sur toile, 260 × 325 cm, Musée du Louvre, Paris.

Analyse
L’opinion commune définit la liberté « faire ce qui nous plaît » ou « faire ce qu’on veut ». L’opinion commune toutefois n’admet pas qu’elle soit possible dans la mesure où personne n’a tout à sa disposition. Que peut-on raisonnablement entendre par liberté ?

Premièrement, le terme de liberté possède un sens physique. C’est celui qui se rapproche le plus de l’opinion commune. La liberté se dit alors de celui qui n’est pas contraint, c’est-à-dire qui ne rencontre aucun obstacle qui s’oppose à ce qu’il désire ou veut faire. En ce sens assez large, on l’attribue même aux animaux ou aux choses. On dira que l’oiseau est libre ou que le cours d’eau est libre.
En ce qui concerne les hommes, sont des contraintes tout ce qui s’oppose à ce qu’ils désirent, quoi qu’ils désirent. Les contraintes sont d’abord physiques. Elles peuvent être mentales comme dans la menace qui accompagne la loi juridique, voire la loi religieuse pour ceux qui y croient. La liberté donc s’oppose à la contrainte. Elle s’oppose aussi à l’obligation dans la mesure où elle se présente comme une loi non désirée mais qui ne sert que de moyen pour éviter d’être menacé par les actions des autres.
Entendue comme absence de contraintes, la liberté dépend pour partie de l’état de choses dans lequel vit un homme et dépend pour partie de ses désirs.

Deuxièmement, le terme de liberté possède un sens politique fort. C’est le statut de l’homme libre, c’est-à-dire du citoyen en tant qu’il a le droit de participer directement ou indirectement au débat public. Public désigne ce qui concerne la collectivité tout entière et s’oppose à privé et public s’oppose également à ce qui est secret. L’homme libre s’oppose bien sûr à l’esclave qui est la propriété d’un autre. Mais il s’oppose plus généralement à tout homme dirigé par un autre, le sujet, même s’il n’est pas esclave. L’homme libre s’oppose aussi à tous les hommes qui vivent dans des communautés où les coutumes sont censées être intangibles, à savoir les tribus. On attribue aux anciens, grecs puis romains, cette conception de la liberté.
Il possède également un sens politique faible, voire un sens antipolitique. C’est le statut de l’homme qui possède un domaine privé où il peut décider de ce qu’il fait. La liberté s’oppose alors à la politique en ce que cette dernière implique de la part de l’individu un engagement. On attribue aux modernes, plus précisément aux libéraux cette conception de la liberté.
Disons donc que la liberté au sens politique dépend de l’organisation des rapports avec les autres.

Troisièmement, la liberté a un sens pour l’individu pris en lui-même, un sens métaphysique. Elle désigne alors le choix fait sans être déterminé par des désirs ou toute autre détermination intérieure. En ce sens on dit d’un homme qui dépend d’un désir qu’il est esclave de lui-même alors que celui qui maîtrise son désir passe pour libre.
Si le choix est pensé indépendamment de tout motif, on parle alors de libre arbitre. La liberté s’oppose au serf arbitre.
Si le choix est pensé à partir de la capacité du sujet à penser son action à partir d’une loi qu’il se donne à lui-même, on parle alors d’autonomie. La liberté s’oppose à l’hétéronomie.
De façon générale, la liberté au sens métaphysique repose sur l’idée qu’il est possible d’agir sans être déterminé par une cause.

Problème
Quelle est la vraie liberté ? Est-ce seulement celle que nous avons en commun avec les animaux sauvages, c’est-à-dire l’absence de contraintes ? Est-elle dans le choix que nous pouvons toujours faire qui, quels que soient le régime politique, les lois, est toujours notre choix et qui fait que « nous sommes condamnés à la liberté » (Sartre, L’être et le néant) ? Est-elle plutôt dans la vie en commun avec d’autres ou rendue possible par une certaine organisation de la vie en commun, c’est-à-dire la constitution d’un espace public qui fait que nul ne peut être libre seul ?


samedi 25 avril 2015

La culture - une dissertation : La pluralité des cultures est-elle un obstacle à l’unité du genre humain ?

Paul Gauguin (1848-1903), Arearea ("Joyeusetés") ou le chien rouge, huile sur toile, 75 x 94 cm, Musée d'Orsay Paris.

Il est courant d’attribuer à la pluralité des cultures le manque d’unité du genre humain. Parce qu’ils n’ont pas les mêmes modes de vies et de pensées, parce que les religions auxquelles ils adhèrent sont différentes, parce qu’ils parlent tant de langues, les hommes seraient divisés, opposés, en guerre. Et surtout, comment le genre humain pourrait-il être un s’il est constitué d’une pluralité de cultures qui, toutes, revendiquent d’être la véritable culture ?
Mais, n’est-ce pas justement ce refus de la pluralité culturelle qui est à la source de l’impossibilité de reconnaître l’unité du genre humain qui n’est pas celle d’une espèce biologique, d’un genre au sens de la classification, mais d’êtres qui ont pour tâche de réaliser leur humanité ?
On peut donc se demander s’il est possible de concilier l’unité du genre humain avec la pluralité des cultures ou bien si elle est véritablement l’obstacle qui rend impossible tant théoriquement que pratiquement l’unité du genre humain.

La pluralité des cultures signifie que l’on nie l’unité de la culture. Or, comme le genre humain n’est pas l’espèce humaine, son unité semble en ce sens impossible. C’est que l’espèce humaine définit par des critères biologiques, station verticale, forme du squelette, etc. n’existe qu’abstraction faite de ce qui fait l’humain. Même les critères généraux comme la fabrication d’outils ou le langage sont abstraits car ce sont toujours des outils particuliers ou des langues différentes que les hommes parlent. Enfin, la biologie appartient à une culture particulière et il n’est pas sûr que toutes les cultures aient la même idée de l’espèce humaine.
Si donc par culture on entend la façon toujours particulière qu’a chaque groupe particulier de vivre et de penser, façon transmise par une tradition, alors il faudrait considérer que l’unité du genre humain n’est pas possible. La raison en est que chaque tradition définit d’une certaine façon l’homme et surtout le réalise d’une certaine façon. En ce sens l’idée de nature humaine, c’est-à-dire l’idée de caractéristiques universelles qui définirait l’humain apparaît comme totalement illusoire. Ce qui est vrai en théorie, c’est-à-dire ce qui concerne la vérité, l’est à plus forte raison en pratique.
Il est évident que tout n’oppose pas pratiquement les cultures. Des coopérations, des échanges sont même possibles. Il n’en reste pas moins vrai que le conflit est toujours possible parce qu’il appartient à chaque culture de définir ce qui est bien ou mal en se prenant elle-même comme centre. Si l’interdit du meurtre est universel, cela est vrai à l’intérieur de la culture, voire de la tribu. Dieu interdit le meurtre aux Hébreux, il ne leur interdit pas de massacrer d’autres peuples pour s’installer sur la terre promise. Certaines cultures ont des pratiques qui les opposent aux autres, comme les peuples anthropophages tels les redoutables Mundugumor décrit par Margaret Mead (1901-1978) dans Mœurs et sexualité en Océanie (1963 pour la traduction française). En outre, toutes s’opposent en ce sens qu’elles sont d’abord soucieuses d’elles-mêmes. Ce n’est donc pas pour rien que la guerre est un phénomène universel, tout au moins général. Dès lors, l’unité pratique, c’est-à-dire qui concerne l’action, du genre humain apparaît impossible.
Pourtant, n’est-ce pas parce que chaque culture tend à s’affirmer elle-même qu’elle est conduite à affronter les autres ou à vouloir se considérer comme la seule culture ? Dès lors, n’est-ce pas au contraire l’affirmation positive de la pluralité de cultures qui est à même de pouvoir affirmer l’unité du genre humain ?

En effet, comme Claude Lévi-Strauss (1908-2009) l’a montré dans Race et histoire (1952), refuser à l’autre la culture, c’est-à-dire le considérer comme un barbare comme le faisait les Grecs puis les Gréco-latins ou comme un sauvage comme l’Occident l’a fait pour les peuples qualifiés de « primitifs » au sens de premiers et d’attardés, c’est non seulement nier la diversité culturelle comme fait qui qualifie l’homme mais c’est également reproduire l’attitude de ceux que l’on qualifie ou traite de sauvage ou de barbare. En effet, telle est l’attitude la plus générale des peuples sur terre. Reconnaître la diversité culturelle, c’est donc la seule façon de refuser la barbarie qui consiste à penser que l’autre est un barbare.
C’est qu’outre l’aspect théorique, il y a l’aspect pratique. C’est ainsi que la colonisation a été fondée sur le principe qu’affirmait notamment Jules Ferry selon lequel les races supérieures se devaient d’éduquer les races inférieures. On sait que le vingtième siècle a été particulièrement ensanglanté par des prétentions encore plus exorbitantes. C’est la raison pour laquelle l’idée d’humanité requiert d’accepter la pluralité culturelle et de refuser l’ethnocentrisme. Le respect de l’altérité autrement dit la tolérance positive qui refuse l’intolérance sans quoi elle est contradictoire, voilà ce qui permet de concilier pratiquement la pluralité des cultures et l’unité du genre humain.
Ce n’est donc pas la pluralité des cultures mais son refus qui conduit à rendre impossible l’unité du genre humain d’un point de vue théorique. D’un point de vue pratique, l’ethnocentrisme conduit bien évidemment à confondre l’humanité avec son propre groupe. A l’inverse, en refusant l’ethnocentrisme, on montre par-là même une capacité à se détacher des préjugés de sa propre culture. Tel est le processus qui conduit à accéder à une idée de l’humanité qui englobe tous les hommes et dont Lévi-Strauss dit, avec raison, qu’elle est récente. L’histoire du vingtième siècle montre d’ailleurs qu’une telle idée reste fragile. Si donc le barbare véritable, c’est celui qui croit à la barbarie, le genre humain est irréductiblement pluriel. C’est en cela que l’homme n’est pas qu’une espèce biologique, mais également un être capable de culture. Or, si la culture était unique, comment se distinguerait-elle de la simple nature ?
Néanmoins, il semble contradictoire de considérer à la fois que la pluralité culturelle est ce qui définit l’humanité comme genre humain et de refuser le caractère exclusif des cultures. N’est-il pas lui-même barbare celui qui définit le barbare comme celui qui croit à la barbarie ?

Si c’est par la culture que l’on devient homme, une chose est d’avoir une culture reçue par la tradition, une autre est de se cultiver. Remarquons que le mot culture vient du latin où comme en français il a un sens propre et un sens figuré. Au sens propre la culture c’est les soins donnés aux plantes, au sens figuré c’est le soin que l’on se donne à soi-même. Cicéron qui a utilisé le terme de culture en ce sens figuré dans les Tusculanes pour définir l’acquisition de ce que les Grecs avaient découvert. Il est le premier selon Hannah Arendt (La crise de la culture, p.271-273). N’est-il pas alors remarquable que l’idée de culture en ce sens soit la reconnaissance de la valeur d’une autre culture au sens anthropologique.
En effet, il est vrai que les Romains considéraient de nombreux peuples comme barbares à l’exemple des Grecs. Tite-Live par exemple considère que les Gaulois sont à peine des hommes et qu’avec eux, il ne faut avoir nul égard. Toujours est-il que les romains pensaient que les Grecs étaient un modèle. C’est donc la reconnaissance de la valeur universelle d’une autre culture qui est à l’origine de ce terme et du processus positif d’acquisition de la culture. Or, ne se retrouve-t-on pas alors dans un processus de négation de la pluralité culturelle ?
Il apparaît nécessaire de distinguer en chaque culture ce qui est acceptable ou ce qui ne l’est pas, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique. Dès lors, la pluralité des cultures s’intégrerait à l’unité du genre humain pensé sous le signe de la culture. Ou plutôt, ce qui n’est pas acceptable dans chacune des cultures c’est ce par quoi elle nie les autres. Tel est le cas des traditions reçues passivement. Ce n’est donc pas pour rien que le voyage a toujours été un moyen pour remettre en cause les préjugés de sa propre culture. Déjà Solon (vi° siècle av. J.-C.) était tenu pour un philosophe selon l’Histoire d’Hérodote (~480-~420 av. J.-C.), c’est-à-dire quelqu’un qui place son intérêt dans le savoir, à cause de ses nombreux voyages. Descartes montre dans le Discours de la méthode comment le voyage a été pour lui un moyen de se défaire de nombre de préjugés acquis lors de sa scolarité. Pratiquement, l’inacceptable, c’est la négation des autres cultures, y compris la prétention de civiliser les autres, ce pourquoi la guerre est ce qui empêche pratiquement l’unité du genre humain.

Si la pluralité des cultures apparaît comme un obstacle à l’unité du genre humain c’est parce qu’en fin de compte celui-ci n’est pas indépendant de l’idée de culture. Alors que l’espèce humaine n’a d’unité que biologique, le genre humain ne peut être un que par la culture.
Or, chaque culture a tendance à prétendre détenir la vérité en ce qui concerne ce qu’est l’homme. Ce n’est donc pas la pluralité en tant que telle des cultures, mais leur exclusivité potentielle qui est un obstacle à l’unité du genre humain.

Aussi, sans tomber dans un relativisme qui consiste à considérer que toutes les cultures sont bonnes, on peut accepter la pluralité culturelle comme un moyen pour les hommes pour chercher par eux-mêmes à s’humaniser, c’est-à-dire à se cultiver véritablement, ce qui suppose de se détacher de sa propre culture au sens anthropologique du terme pour recueillir ce par quoi on peut être humain, y compris au sens pratique qui consiste à reconnaître l’humain même dans l’inhumain dont les hommes sont souvent capables.

La Bruyère (1645-1696), brève biographie

La Bruyère (1645-1696)

Jean de la Bruyère est né à Paris. Il est baptisé le 7 août 1645 à l’église Saint-Christophe. Son père était contrôleur général des rentes de l’hôtel de ville.
Il a vingt ans lorsqu’il présente ses thèses qui lui confèrent le grade de licencié ès deux droits de l’Université d’Orléans. Il devient avocat au Parlement de Paris où il ne plaide pas beaucoup.
Il achète en 1673 la charge de trésorier général de France au bureau des finances de la généralité de Caen. Il continue toutefois à résider à Paris.
Bossuet lui permet en 1684 d’être un des précepteurs chargés d’achever l’éducation du jeune duc de Bourbon qui a seize ans, petit-fils du grand Condé. La Bruyère lui enseigne l’histoire, la géographie, les institutions du royaume de France.
En 1686, il revend sa charge de trésorier général.
En 1687, l’éducation de son élève achevé, La Bruyère demeure dans la maison de Condé où il prend le titre de gentilhomme de M. le Duc.
Dans une lettre à Jean Racine (1639-1699) datée du 19 mai 1687, Boileau (1636-1711) écrit : « Maximilien (La Bruyère) m’est venu voir à Auteuil, et m’a lu quelque chose de son Théophraste. »
Les Caractères de Théophraste traduits du grec avec les Caractères ou les mœurs de ce siècle de Jean de La Bruyère paraissent au début de l’année 1688.
Reçu à l’Académie française le 15 juin 1693, La Bruyère publie son discours dans l’année.
La huitième édition des Caractères paraît en 1694. La Bruyère commence des Dialogues sur le quiétisme. Il les lit le 8 mai 1696 à Antoine Bossuet, frère de l’aigle de Meaux.
Dans la nuit du 10 au 11 mai La Bruyère meurt à Versailles d’une attaque d’apoplexie.
Fin 1698, le libraire Osmont met en vente les Dialogues posthumes du sieur de La Bruyère sur le quiétisme, texte remanié et complété par l’abbé Ellies du Pin.

jeudi 23 avril 2015

Théorie et expérience - une dissertation sur le sujet : Peut-on prouver une hypothèse?

Torricelli (1608-1647) dans son laboratoire.

La science semble avoir pour démarche essentielle de prouver, c’est-à-dire de faire des expériences pour valider certaines hypothèses. Pourtant, il est arrivé que des hypothèses “prouvées” se soient révélées fausses. Est-il est possible et si oui comment de prouver une hypothèse ?

Le savant émet des hypothèses alors que l’homme ordinaire s’appuie sur des préjugés qui généralisent abusivement des expériences intéressées. L’hypothèse rejette la simple opinion. Elle implique de chercher une expérience qui permet de la prouver. Le savant ne fait pas d’expérience au hasard. Par exemple, les anciens ont émis l’hypothèse que la Terre était sphérique. Pour la prouver, Aristote a utilisé l’observation de la forme de la Terre qui se reflète lors d’une éclipse de lune. Strabon pour sa part a utilisé l’apparition progressive des bateaux à l’horizon.
On peut donc dire avec Kant dans la Critique de la raison pure (1787) que dans la science la raison interroge la nature, lui pose une question à la façon d’un juge qui force le témoin à parler : telle est l’expérience. Sinon, vague et imprécise, l’expérience ne prouve rien.
Cependant, lorsqu’une condition implique une conséquence, la vérité de la conséquence ne prouve pas la vérité de la condition alors que la fausseté de la conséquence prouve la fausseté de la condition. Dès lors, l’expérience ne peut prouver au sens de démontrer la vérité de façon absolue. Faut-il refuser alors toute possibilité de prouver l’expérience ou bien prouver une expérience passe bien plutôt par une procédure particulière ?

L’expérience, commune ou scientifique, est particulière. Autrement dit, elle ne concerne toujours qu’une partie de ce dont il est question. Par contre, l’hypothèse est formulée de façon universelle. Lorsque Torricelli (1608-1647) soutient sa théorie de la pression atmosphérique, il l’entend de tout air, en tout temps et en tout lieu. Dès lors, l’expérience ne peut logiquement prouver une hypothèse. Par contre, multiplier les expériences prouve. Autrement dit, la preuve d’une hypothèse n’est pas une déduction, mais une induction, c’est-à-dire qu’elle conclut du « particulier au particulier ou du particulier au général » pour la définir comme Russell dans Les problèmes de la philosophie (1912).
Il est donc nécessaire que les expériences soient les plus nombreuses possibles et qu’elles soient toutes concluantes. Si on peut considérer la proposition « tous les hommes sont mortels » comme prouvée, c’est parce qu’aucun homme n’est ressuscité au vu et au su de tous dans des conditions qui exclut la foi. En effet, par définition, la foi exige la confiance et non la preuve. La vérité de l’hypothèse n’est que probable.
Néanmoins, s’il fallait fonder la preuve sur l’induction, aucune révolution scientifique ne serait possible. Or, il suffit logiquement d’une expérience pour réfuter une hypothèse. Dès lors, plutôt que de chercher des confirmations, ne faut-il pas au contraire chercher à réfuter les hypothèses ? Comment penser alors la possibilité qu’on puisse les prouver ?

Il est nécessaire d’insister sur le fait que l’expérience est toujours seconde lorsqu’il s’agit de prouver parce que, même faite au hasard, elle n’a de sens que pour qui comprend ce qui est en jeu. Alain écrivait a juste titre : « il faut être bien savant pour saisir un fait » dans ses Éléments de philosophie (1941, l. II, ch. XI). Lorsqu’il conçoit de mettre du mercure dans un tube à essai d’un mètre, de le boucher, de le renverser dans un récipient plein de mercure dans lequel il le débouche, Torricelli avait calculé par avance que le mercure devait, puisqu’il est 14 fois plus lourd que l’eau environ, devait s’élever à 0,76 m environ puisque l’eau s’élève à 10,33 m dans les pompes des fontainiers de Florence. L’explication par la pression atmosphérique a impliqué une hypothèse précise.
Or, une telle expérience prend un risque. Si tout le mercure s’était écroulé, l’explication l’aurait fait également. Autrement dit, c’est parce qu’elle prend un risque plutôt que parce qu’elle répète ce qu’on a toujours pensé que l’expérience est susceptible de prouver. Mais elle ne peut le faire que sous la forme de la corroboration comme Popper le montre dans La logique de la découverte scientifique (1934). En effet, une expérience qui réussit, c’est une hypothèse qu’on n’a pas pu falsifier. Elle n’est vraie que de façon provisoire ou encore, elle n’est prouvée que jusqu’à preuve du contraire.

En un mot, le problème était de savoir s’il est possible et comment de prouver une hypothèse. On a vu qu’il fallait que l’expérience réponde à une question précise, mais qu’elle ne pouvait être vraie par induction de sorte qu’elle ne peut prouver que négativement, c’est-à-dire être en quelque sorte la rectification d’une ancienne erreur.

Fiche B : La vérité (terminale technologique)

Analyse.
La vérité concerne à la fois la théorie et la pratique. On peut le remarquer à ses opposés. D’un côté, la vérité s’oppose à l’erreur, à l’illusion, etc. D’un autre, elle s’oppose au mensonge.
Du côté de l’erreur, on peut discerner :
1. La vérité matérielle. On peut entendre par là la relation entre les propositions et la réalité. Une proposition est vraie si et seulement si elle correspond à l’objet qu’elle exprime. La proposition “il fait beau” est vraie s’il fait beau. Elle est fausse s’il pleut, vente et fait froid. La vérité est pensée comme adéquation de la pensée avec son objet.
2. La vérité logique. Elle concerne les relations entre des propositions indépendamment de leur rapport à quelque objet. Ainsi, une addition est vraie ou fausse si elle est conforme aux règles de l’addition. Peu importe qu’il y ait ou non des objets à additionner. La vérité est pensée comme cohérence.
3. La vérité ontologique. On peut entendre par là les choses dont on dit qu’elles sont vraies par opposition à leur apparence. On parle de fausse monnaie ou d’un vrai Van Gogh, preuve que la vérité est directement attribuée à la chose avant que d’être transformée en proposition. De façon générale, dire que quelque chose est vraie, c’est dire qu’elle existe et non que la proposition correspond à quelque chose. La vérité est pensée comme dévoilement de l’être.
Du côté du mensonge, la vérité consiste non pas à exprimer ce qui est mais à dire ce qu’on pense être vrai. En effet, il est tout à fait possible de mentir sans connaître le vrai, il suffit de dire autre chose que ce que l’on croit vrai. C’est la raison pour laquelle le mensonge est dans l’intention et non dans le contenu de ce qu’on dit. Je puis donc mentir en disant la vérité si je crois autre chose qu’elle. Dès lors, l’homme peut être véridique même s’il ignore la vérité.

Problèmes.
Premièrement, des trois sens de la vérité que nous avons dégagés, lequel est le vrai ?
1. Est-ce l’idée d’une adéquation de la pensée avec son objet (Thomas d’Aquin, Descartes, Kant, …) ? Certes, la vérité seulement logique est la validité et ce qu’elle énonce doit être prouvé. Quant à une chose fausse, elle l’est dans l’esprit de celui qui la croit vraie.
Toutefois, comment sortir de sa représentation pour vérifier qu’elle est vraie ? Comme c’est proprement impossible, soit on trouve un critère intrinsèque au sujet (l’évidence, l’impression, etc.) dont la vérité peut être remise en cause, soit il faut renoncer à ne voir dans cette définition autre chose qu’un nid de difficultés.
2. La conception de la vérité comme cohérence de toutes les représentations dessine une conception de la vérité comme système qui évite l’absurdité d’une représentation qui serait hors d’elle-même (cf. David Hilbert [1862-1943], Harold Joachim [1868-1938]).
Néanmoins, la vérité-cohérence n’évite pas la présupposition d’une réalité absolument cohérente c’est-à-dire finalement la pétition de principe.
3. Quant à l’être, sa manifestation est nécessaire sans quoi il faudrait penser que l’homme est comme enfermé dans ses pensées – ce que l’expérience dément (Heidegger).
Mais cette manifestation elle-même repose sur l’a priori de ce qui est et de ce qui ne peut pas être.

Deuxièmement, le mensonge auquel s’oppose la véracité pose un autre problème. Il faut convenir que le mensonge est immoral puisqu’il consiste non seulement à ne pas dire ce qu’on pense être vrai, mais c’est en vue d’utiliser l’autre, c’est-à-dire par intérêt égoïste. Aussi dire la vérité semble être un devoir. Il faut préciser qu’on ne peut dire la vérité au sens moral que si et seulement si elle est dite sans intention de blesser autrui ou de lui nuire.
Dès lors, on peut se demander s’il n’y a pas des cas où il est impossible de ne pas mentir et où le mensonge n’est pas immoral.

Troisièmement, de façon plus générale, l’idée même de chercher la vérité n’est-elle pas essentiellement morale ?


mardi 21 avril 2015

La politique - une explication d'un extrait du "DIscours sur la première décade de Tite-Live" de Machiavel


Santo di Tito (1536-1603), Portrait posthume de Machiavel, détail.

Sujet

Expliquer le texte suivant :
Les hommes réussissent ou échouent suivant qu’ils savent ou non régler leur conduite sur les circonstances : on voit en effet les uns y aller pleins d’impétuosité, les autres circonspects et prudents : et ces deux démarches étant pareillement éloignées de la seule qui convienne, les fourvoient (1) pareillement. L’homme qui se fourvoie le moins et rencontre le succès est celui dont la démarche rencontre les circonstances favorables, mais alors, comme toujours, il ne fait qu’obéir à la force de sa nature. (…) Pier Soderini (2) réglait sa conduite sur les principes de l’humanité et de la patience. Il vit prospérer sa patrie tant que les circonstances se prêtèrent à ce génie. Mais vinrent des temps où il fallait rompre avec une politique d’humilité et de patience, et il ne sut pas rompre : il tomba et avec lui, sa patrie. Le pape Jules II (3) se livra pendant tout son pontificat à la fureur et à l’impétuosité de son caractère et comme les circonstances s’accordaient à merveille avec cette façon d’agir, il réussit dans toutes ses entreprises. Fût-il survenu d’autres circonstances qui eussent demandé un autre génie, il se serait nécessairement perdu, parce qu’il n’eût pas changé ni de caractère ni de conduite. (…) C’est de là que viennent les inégalités de fortune (4) : les temps changent, et nous ne voulons pas changer. De là vient aussi la chute des cités, parce que les Républiques ne changent pas leurs institutions avec le temps (…). Elles ont, il est vrai, cette excuse que, pour les y déterminer, il faut que viennent des temps qui les ébranlent tout entières, et il ne suffit pas qu’un seul homme y modifie son comportement.
Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (posthume, 1531)

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Notes.
(1) Les trompent.
(2) Pier Soderini (1452-1522), Homme d’Etat italien ayant dirigé la Cité de Florence.
(3) Giulliano Della Rovere (1443-1513), connu comme Pape sous le nom de Jules II ; il agit durant son pontificat comme un chef d’Etat et un chef de guerre impitoyable.
(4) Fortune : chance.

Corrigé

[Le texte est extrait du livre III, chapitre IX Qu’il faut savoir varier selon les temps, si l’on veut toujours trouver la fortune propice.]

Qu’est-ce qui importe en politique ? Agir de telle sorte qu’on obtienne le succès quels que soient les moyens mis en œuvre ou bien mettre en œuvre certains principes, notamment des principes moraux, quels que soient les résultats ?
Tel est le problème dont traite cet extrait du Discours sur la première décade de Tite-Live écrit par Machiavel et publié à titre posthume en 1531.
L’auteur veut montrer que ce qui importe en politique, quel que soit le régime, est de s’adapter aux circonstances pour conserver l’État.
On peut donc se demander s’il s’agit là d’un principe qui conduirait à faire du cynisme le principe même de la politique ou bien si ce n’est pas la condition nécessaire pour que les principes moraux qu’on trouve notamment dans le régime républicain ne se retournent pas contre lui.
On verra en quoi la réussite se comprend comme la rencontre entre une capacité à avoir des principes adaptés et des circonstances changeantes, puis comment ce principe s’applique aux chefs d’État pour ensuite voir en quoi les républiques sont également concernées.

Machiavel commence par des considérations générales sur la réussite ou l’échec des hommes. Par réussite, il faut entendre la réalisation des principes d’action qu’on met en œuvre et par échec l’inverse. Or, Machiavel définit la réussite et l’échec par la capacité à se régler sur les circonstances. Une telle définition paraît contradictoire. En effet, supposons que je veuille vivre en bonne santé. Je réussis si j’y arrive et j’échoue à l’inverse. Supposons encore que je désire me marier avec telle personne. Je ne peux me régler sur les circonstances pour réussir puisqu’il peut se faire que la personne ne le désire pas. Dans ce cas l’échec est nécessaire. Qu’est-ce que Machiavel entend par se régler sur les circonstances ?
Il donne deux cas d’actions reposant sur certains principes. C’est d’abord le cas de ceux qui agissent avec « impétuosité », c’est-à-dire de façon vive et rapide. C’est ensuite le cas de ceux qui sont « circonspects et prudents », c’est-à-dire qui agissent à l’inverse des premiers, comprenons qui réfléchissent avant d’agir et qui sont capables de discernement. Or, Machiavel rejette les deux types d’action. Elles s’opposent à la seule valable, celle de l’adaptation aux circonstances. Or, il y a des cas où on ne voit pas comment on pourrait agir autrement que de façon impétueuse ou de façon prudente. Que faut-il donc vraiment comprendre dans la critique de l’erreur dans l’action que fait Machiavel ?
Il précise justement que celui qui se trompe le moins est celui dont les principes d’actions sont conformes aux circonstances. On comprend donc que qui agit de façon impétueuse se trompe moins si les circonstances sont telles qu’elles exigent ce type d’action. À l’inverse, si c’est la circonspection et la prudence qui sont requises, se trompe moins celui qui agit ainsi dans certaines circonstances. Dès lors, ne pas se tromper, c’est être impétueux quand les circonstances l’exigent et être circonspect et prudent lorsqu’elles l’exigent. Finalement, l’erreur est d’avoir des principes qui restent toujours les mêmes. On pourrait dire de façon paradoxale que le seul principe valable pour Machiavel, c’est de ne pas en avoir. On comprend alors que si ceux qui ont des principes sont dans l’erreur, c’est qu’ils agissent en obéissant à leur nature – soit d’être impétueux ou d’être circonspect et prudent. Par nature ici il paraît difficile de comprendre une essence fixe qui déterminerait absolument chaque homme car en ce cas, l’analyse de Machiavel n’aurait pas d’objet. Car, l’extrait commence par l’idée qu’il faut savoir s’adapter au changement de circonstances. Comprenons alors qu’un tel savoir rend possible une conduite adaptée. On peut donc entendre l’idée d’une nature de l’individu en un sens un peu large comme lorsqu’on dit de la coutume qu’elle est une seconde nature, c’est-à-dire finalement que par nature on entend ce qui est en quelque sorte enraciné en nous, qui constitue un caractère relativement stable. Machiavel préconise donc de rompre avec les principes d’action de types moraux pour les remplacer par un principe d’adaptation aux circonstances.
Or, s’il faut se déterminer à agir en fonction des circonstances, ne faut-il pas justement les comprendre, les discerner ? N’est-ce pas la vertu de prudence qui est ce discernement ? Et surtout, le problème reste entier : comment comprendre la réussite ?

Les considérations générales sont là pour éclairer le problème de Machiavel. En effet, il donne deux exemples de principes d’action politique qui permettent de comprendre ce qu’il entend par réussite : à savoir la conservation de l’État lorsque ce dernier est dirigé par un seul homme.
Son premier exemple est celui de Pier Soderini dont il décrit les principes politiques comme des principes moraux : humanité, patience, voire théologiques : humilité. Machiavel ne condamne pas ses principes. Ils constituent son génie, comprenons ce qui dirigeait son action au sens quasiment étymologique d’une être surnaturel et supérieur qui guide un individu. Il remarque que si longtemps ils ont permis à Pier Soderini et à la cité de Florence comme nous l’apprend la note de prospérer, un changement de circonstances qu’il ne détaille pas, a conduit à leur perte. Autrement dit, Pier Soderini aurait dû « rompre » avec la politique morale qui était la sienne. Il est clair que c’est une politique immorale qu’il aurait dû suivre. Pourquoi ? Cela lui aurait permis et de se sauver et sa patrie. On voit donc que le principe de l’adaptation aux circonstances apparaît comme le principe de la supériorité de la politique sur la morale, thème général de la pensée de Machiavel. C’est surtout celui selon lequel la conservation de soi prime sans quoi il n’est plus possible de faire quoi que ce soit.
Le deuxième exemple le confirme. En effet, Machiavel prend l’exemple d’une politique, celle du pape Jules II, peut-être mort au moment où il écrit puisqu’il la juge tout entière. Cette politique n’avait rien de moral puisqu’elle se fondait sur l’impétuosité. En prenant une politique réussie, immorale, menée par un pape, chef d’État du Vatican, Machiavel argumente contre la doctrine soutenue par l’Église selon laquelle le gouvernant doit respecter les valeurs morales et théologiques. Toujours est-il que la réussite de Jules II n’avait pas de valeur en elle-même. Si les circonstances avaient changé, il aurait échoué soutient Machiavel dans une sorte de prédiction dans le passé qui a pour but de faire ressortir la logique de l’action.
L’opposition de deux types de chefs d’État, l’un qui a une politique morale et l’autre une politique immorale vise à montrer qu’en politique, ce qui importe, c’est le principe du salut de l’Etat qui a pour corolaire celui de l’adaptation aux circonstances. On pourrait dire que le principe de la politique est autonome vis-à-vis de la morale. Il s’agit de perpétuer l’État, c’est-à-dire l’entité politique comme telle. C’est le sens de la maxime « Salus populis suprema lex esto » rapportée par Cicéron (Des lois, III, 3).
Il est remarquable que les exemples que donne Machiavel concernent des exemples d’États dirigés par un seul homme et où la conservation ou non de l’État dépend de son caractère. Or, justement, dans la mesure où certains États sont constitués autrement que par leur relation à un chef, l’analyse de Machiavel s’y applique-t-il ?

Machiavel paraît déduire que les inégalités de fortune proviennent du fait que « les temps changent » alors que les hommes en général ne veulent pas changer. On peut d’abord entendre par les temps non les époques, mais les circonstances. La raison en est qu’une époque est susceptible de durer plus d’une génération alors que les circonstances quant à elles peuvent varier indépendamment des considérations d’époques, voire à l’intérieur de la même époque. On peut donner comme exemple de circonstance qu’une guerre se déclare ou qu’une révolte populaire ait lieu, etc. Quant à la volonté de ne pas changer, on peut l’entendre en deux sens. Soit Machiavel veut dire qu’il s’agit là d’une sorte de faute, c’est-à-dire que nous pourrions changer mais que nous choisissons de ne pas le faire. Soit il s’agit du constat que notre volonté est en quelque sorte soumise à notre nature et que les hommes ne peuvent changer. Dans ce dernier cas, c’est le sens même de son analyse qui est problématique. Pourquoi s’interroger sur les conditions de la meilleure façon d’agir en politique ?
Il en déduit également « la chute des cités ». Il faut comprendre par là ce que nous nommons plutôt l’État. Il faut comprendre l’institution même du pouvoir politique, relativement séparé de la société, et qui exerce le pouvoir législatif et exécutif, peut décider de la paix ou de la guerre. Un État ou une Cité chute lorsqu’il perd son indépendance ou se retrouve intégrer à une autre. Machiavel donne comme raison de la disparition des républiques le fait qu’elles ne changent pas leurs institutions. Parle-t-il alors des mêmes faits que ceux dont il était question avec Pier Soderini ou le pape Jules II ou bien s’agit-il de faits différents ?
Machiavel excuse les républiques en avançant deux motifs. D’une part, il faut que les changements de circonstances soient suffisants pour qu’elles soient tout entières ébranlées. Ce motif semble s’accorder avec les deux exemples qu’il a donnés en ce sens que c’est bien la patrie de Pier Soderini qui aurait été atteinte et c’est donc l’État du pape qui aurait été détruit. Par contre, le deuxième motif énoncé par Machiavel est que le changement d’un seul homme ne suffit pas. On doit donc comprendre que les républiques diffèrent des régimes où un homme dirige qui sont formellement des monarchies ou des principautés. Par république, on entend alors un État dont les institutions permettent au peuple d’être directement ou indirectement souverain. Elles présentent donc un avantage, celui d’une plus grande stabilité. Si donc on admet qu’il est difficile aux hommes, voire impossible de changer de caractère, il est clair qu’un État gagnera à être plutôt une république. Dès lors, soit les hommes peuvent changer de nature et ils peuvent apprendre à s’adapter aux circonstances, soit certains hommes ont pour nature de s’adapter aux circonstances et ils sont de bons chefs d’État potentiels, soit l’État est une république et il dépend plus d’institutions solides et souples à la fois pour pouvoir s’adapter aux circonstances.

Disons en guise de conclusion que dans cet extrait de son Discours sur la première décade de Tite-Live, Machiavel traite par rapport à la fortune, c’est-à-dire à ce qui advient sans que les hommes puissent véritablement le prévoir, de la question de savoir si dans l’action politique, les principes doivent être toujours suivis ou si au contraire le principe est de n’en pas avoir. En montrant que c’est à la fois une exigence et que c’est en même temps difficile, il montre finalement que ce qui permet de contourner la difficulté de trouver un homme suffisamment habile dans l’art politique pour toujours trouver ce qu’il faut faire, c’est de vivre dans une république avec de bonnes institutions.