dimanche 19 avril 2015

"La Terre est plate" ou la brève histoire d'une "vérité"

Une représentation de la Terre donnée par le satellite Goce montre qu'elle n'est pas vraiment "sphérique".


On croit souvent que les hommes ont d’abord affirmé que la Terre était plate. On croit aussi que Galilée (1564-1642) ou Christophe Colomb (1451-1506) ont découvert cette vérité qu’elle est ronde. Parfois, on fait mourir Galilée pour cette raison sur le bûcher.
Ce sont des erreurs. Ce sont peut-être des mythes. On se représente l’explorateur ou le grand savant solitaire s’opposant au péril de leur vie à d’obscurantistes hommes d’Église. Peut-être qu’une société qui sacralise la science à défaut d’une autre religion a besoin de tels mythes.
Galilée n’a pu découvrir que la Terre est ronde. Né en 1564, il vécut après que les marins de Magellan (1480-1521) eurent fini leur tour du monde en 1522.
Christophe Colomb n’a pas non plus fait cette découverte. Il possédait en effet un ouvrage du XIV° siècle du cardinal français d’Ailly, l’Imago mundi, dans une version imprimée en 1480. C’est dans cet ouvrage que Colomb découvrit les preuves apportés par les Anciens de la sphéricité de la Terre, notamment celle du chapitre XIV du livre II du Traité du Ciel d’Aristote, soit le IV° siècle av. J.-C. C’est dans le texte d’Aristote que se trouve mentionnée la thèse selon laquelle il y a une seule mer de l’Afrique aux Indes. Il prit aussi connaissance des mesures du méridien terrestre effectuées par Ératosthène au II° siècle avant J.-C. 
Bref, dès l’Antiquité, « on savait » que la Terre est ronde. Quand donc a-t-on cru qu’elle était plate et qui l’a cru ?

Cette thèse nous la devons à un savant bien ancien, à savoir Thalès (VII°-VI° av. J.-C.). Elle fut aussi soutenue si on en croit le Traité du Ciel d’Aristote par les philosophes ou savants, Anaximène, Anaxagore et Démocrite au V° siècle av. J.-C. Et ce fut un “progrès” car Thalès rompit avec les représentations mythiques, telles qu’on les trouve chez Hésiode (VIII°-VII° av. J.-C.) d’une déesse Terre (Gaïa) qui occupait le bas de l’univers et qui avait des racines. Thalès concevait un disque plat posé sur l’eau. Les mouvements de l’eau expliquaient selon lui les tremblements de terre. Cette conception relative à la forme de la Terre continua son chemin dans l’Antiquité. On la trouve encore chez le poète latin Ovide (43 av. J.-C.-17 ap. J.-C.) dans Les métamorphoses.
Une objection contre la conception de Thalès était possible. Si la Terre repose sur l’eau, sur quoi repose l’eau ? Anaximandre (VI° av. J.-C.), le disciple de Thalès proposa alors une autre représentation de la Terre, celle d’un cylindre – la courbure apparaît – au milieu d’un univers infini. Il n’y a aucune raison dans un tel univers pour que la Terre se dirige d’un côté plutôt que de l’autre. Pourtant, malgré sa connaissance de la courbure, Anaximandre ne conçut pas la sphéricité de la Terre.
C’est vraisemblablement au V° siècle que la Terre devint ronde, peut-être chez Parménide, certainement chez le pythagoricien Philolaos. Au IV° siècle Platon l’affirme pour des raisons de symétrie. Il lui paraît plus rationnel que cette figure soit celle de la Terre que tout autre, d’autant plus qu’il la conçoit au centre de l’univers. Peut-être même qu’il conçut le mouvement de la Terre sur elle-même.
C’est Aristote qui, dans le Traité du ciel, apporte les premières preuves qui nous sont connues. La première est que l’élément Terre se dirige vers le centre de l’univers qu’Aristote conçoit fini. Donc, la sphère est la figure qui en résulte. Cet argument, reposant sur la physique d’Aristote qui est dépassée n’est plus valable.
La seconde preuve, toujours valable de nos jours, est que chaque fois qu’il y a une éclipse de Lune, c’est-à-dire que la Terre est entre le Soleil et la Lune, la forme réfléchie est toujours courbe.
Enfin, la troisième preuve, elle aussi valable aujourd’hui, repose sur l’observation selon laquelle on ne voit pas les mêmes étoiles lorsqu’on se déplace du nord au sud : la différence s’explique si la Terre est sphérique.
Le géographe Strabon (64 av. J.-C.- 25 ap. J.-C.) ajoute un autre argument. Lorsqu’un bateau arrive à l’horizon, on commence à voir le mât avant la proue ou à l’inverse les bateaux qui s’éloignent disparaissent à l’horizon. Il utilise explicitement la courbure “visible” comme preuve de la sphéricité de la Terre.
Avant, il revient à Ératosthène (~276-~195 av. J.-C.) d’avoir mesuré le méridien terrestre. Pour cela, il lui fallait bien concevoir la Terre comme sphérique et considérer qu’il s’agissait là d’une thèse définitive. Pour la mesurer, il se servit du fait qu’à Syène, l’actuelle Assouan, un rayon de Soleil se dirigeait vers le fond d’un puits. Aussi, connaissant la distance de Syène à Alexandrie et l’angle que fait le Soleil à la même heure, il put en déduire la grandeur du méridien terrestre. On estime qu’il arriva à une mesure à peu près équivalente à la mesure actuelle, soit environ 40 000 kilomètres.
Avant lui, Aristarque de Samos (~310-~230 av. J.-C.), non seulement proposa une méthode correcte pour mesurer les distances entre la Lune et la Terre et la Terre et le Soleil, mais il proposa le premier l’hypothèse héliocentrique, c’est-à-dire l’idée selon laquelle c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et non l’inverse. Si la question de la forme de la Terre ne posa aucun problème particulier, on peut faire remarquer que l’hypothèse d’Aristarque fut condamnée par le stoïcien Cléanthe qui proposa qu’on le poursuive pour impiété : ce que personne ne fit.
Avant donc le christianisme, l’hypothèse héliocentrique posait un problème religieux à certains païens mais nullement la question de la forme de la Terre.

Avec le christianisme, les choses se compliquent quelque peu. D’un côté, nombre de religieux acceptèrent sans difficultés les données de l’astronomie antique. Augustin (354-430) recommande d’avoir de solides connaissances scientifiques pour défendre le christianisme contre les accusations d’ignorance des adversaires païens.
Mais, l’opposition à la science se manifesta également. On assista à des lectures littérales de la Bible. C’est ainsi que Lactance (~260-~325), quelque huit siècles après Aristote, semble avoir soutenu que la Terre est plate. Il arguait notamment « qu’il est insensé de croire qu’il existe des lieux où les choses puissent être suspendues de bas en haut » (Institutions divines). La décadence de la science dans l’Antiquité conduisit même à des résultats surprenants. C’est ainsi qu’un moine byzantin du VI° siècle, Cosmas Indicopleustès ou Cosmas d’Alexandrie, dans sa Topographia Christiana soutenait que la Terre était terminée par des murailles derrière lesquelles le Soleil se couchait.
Toutefois, la plupart des savants, c’est-à-dire des théologiens au moyen âge, admettaient une Terre ronde. Dans ses Étymologies, Isidore de Séville (~530-636) compare la Terre à une balle. Dans son Image du monde, au XIII° siècle, Gossuin de Metz la compare à une pelote.
La redécouverte de la philosophie et de la science antique durant le moyen âge, notamment par l’intermédiaire des arabo-musulmans qui l’enrichirent (algèbre par exemple) confirma la représentation d’une Terre sphérique au centre d’un univers lui-même sphérique. C’est celle que montre l’iconographie.
C’est cette représentation de sphères emboitées qui fut ébranlée par Copernic (1473-1543). Il reprit l’hypothèse héliocentrique d’Aristarque en toute connaissance de cause. C’est l’héliocentrisme qui fut l’objet de la condamnation de Galilée en 1633. Le vieil homme ne fut pas un martyr de la science puisqu’il jura sur la Bible que la Terre était au centre de l’univers et vécu en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 1642.

Curieusement, la physique finit par proposer une autre hypothèse avec Newton (1642-1727), celle d’une Terre non sphérique, mais boursouflée à l’équateur et aplatie aux pôles. Cette hypothèse fut confirmée dans la première moitié du XVIII° siècle.
Pourtant, on continue à croire que la Terre est ronde et non pas plate alors qu’elle n’est ni l’une ni l’autre, même si la sphéricité de la Terre est une bien meilleure approximation. Et surtout, on continue à croire que « la Terre est plate » est un dogme religieux, ce qui est méconnaître l’histoire des sciences et celle des religions.


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