Torricelli (1608-1647) dans son laboratoire.
La
science semble avoir pour démarche essentielle de prouver, c’est-à-dire de
faire des expériences pour valider certaines hypothèses. Pourtant, il est
arrivé que des hypothèses “prouvées” se soient révélées fausses. Est-il est
possible et si oui comment de prouver une hypothèse ?
Le
savant émet des hypothèses alors que l’homme ordinaire s’appuie sur des préjugés
qui généralisent abusivement des expériences intéressées. L’hypothèse rejette
la simple opinion. Elle implique de chercher une expérience qui permet de la
prouver. Le savant ne fait pas d’expérience au hasard. Par exemple, les anciens
ont émis l’hypothèse que la Terre était sphérique. Pour la prouver, Aristote a
utilisé l’observation de la forme de la Terre qui se reflète lors d’une éclipse
de lune. Strabon pour sa part a utilisé l’apparition progressive des bateaux à
l’horizon.
On
peut donc dire avec Kant dans la Critique
de la raison pure (1787) que dans la science la raison interroge la nature,
lui pose une question à la façon d’un juge qui force le témoin à parler :
telle est l’expérience. Sinon, vague et imprécise, l’expérience ne prouve rien.
Cependant,
lorsqu’une condition implique une conséquence, la vérité de la conséquence ne
prouve pas la vérité de la condition alors que la fausseté de la conséquence
prouve la fausseté de la condition. Dès lors, l’expérience ne peut prouver au
sens de démontrer la vérité de façon absolue. Faut-il refuser alors toute
possibilité de prouver l’expérience ou bien prouver une expérience passe bien
plutôt par une procédure particulière ?
L’expérience,
commune ou scientifique, est particulière. Autrement dit, elle ne concerne
toujours qu’une partie de ce dont il est question. Par contre, l’hypothèse est
formulée de façon universelle. Lorsque Torricelli (1608-1647) soutient sa
théorie de la pression atmosphérique, il l’entend de tout air, en tout temps et
en tout lieu. Dès lors, l’expérience ne peut logiquement prouver une hypothèse.
Par contre, multiplier les expériences prouve. Autrement dit, la preuve d’une hypothèse
n’est pas une déduction, mais une induction, c’est-à-dire qu’elle conclut du
« particulier au particulier ou du
particulier au général » pour la définir comme Russell dans Les problèmes de la philosophie (1912).
Il
est donc nécessaire que les expériences soient les plus nombreuses possibles et
qu’elles soient toutes concluantes. Si on peut considérer la proposition « tous
les hommes sont mortels » comme prouvée, c’est parce qu’aucun homme n’est ressuscité
au vu et au su de tous dans des conditions qui exclut la foi. En effet, par
définition, la foi exige la confiance et non la preuve. La vérité de l’hypothèse
n’est que probable.
Néanmoins,
s’il fallait fonder la preuve sur l’induction, aucune révolution scientifique
ne serait possible. Or, il suffit logiquement d’une expérience pour réfuter une
hypothèse. Dès lors, plutôt que de chercher des confirmations, ne faut-il pas
au contraire chercher à réfuter les hypothèses ? Comment penser alors la
possibilité qu’on puisse les prouver ?
Il
est nécessaire d’insister sur le fait que l’expérience est toujours seconde
lorsqu’il s’agit de prouver parce que, même faite au hasard, elle n’a de sens
que pour qui comprend ce qui est en jeu. Alain écrivait a juste titre : « il faut être bien savant pour saisir un fait »
dans ses Éléments de philosophie
(1941, l. II, ch. XI). Lorsqu’il conçoit de mettre du mercure dans un tube à
essai d’un mètre, de le boucher, de le renverser dans un récipient plein de
mercure dans lequel il le débouche, Torricelli avait calculé par avance que le
mercure devait, puisqu’il est 14 fois plus lourd que l’eau environ, devait s’élever
à 0,76 m environ puisque l’eau s’élève à 10,33 m dans les pompes des
fontainiers de Florence. L’explication par la pression atmosphérique a impliqué
une hypothèse précise.
Or,
une telle expérience prend un risque. Si tout le mercure s’était écroulé, l’explication
l’aurait fait également. Autrement dit, c’est parce qu’elle prend un risque
plutôt que parce qu’elle répète ce qu’on a toujours pensé que l’expérience est
susceptible de prouver. Mais elle ne peut le faire que sous la forme de la
corroboration comme Popper le montre dans La
logique de la découverte scientifique (1934). En effet, une expérience qui
réussit, c’est une hypothèse qu’on n’a pas pu falsifier. Elle n’est vraie que
de façon provisoire ou encore, elle n’est prouvée que jusqu’à preuve du
contraire.
En un mot, le problème était de savoir s’il est
possible et comment de prouver une hypothèse. On a vu qu’il fallait que l’expérience
réponde à une question précise, mais qu’elle ne pouvait être vraie par
induction de sorte qu’elle ne peut prouver que négativement, c’est-à-dire être
en quelque sorte la rectification d’une ancienne erreur.
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