Auguste
Rodin (1840-1917), Le penseur, 1903, Bronze,
H. 180 cm ; L. 98 cm ; P. 145 cm, Musée Rodin, Paris.
Solipsisme
Analyse.
Le terme « solipsisme » provient
de deux termes latins, solus, seul et
ipse, même, moi-même, soi-même auquel
on a ajouté le suffixe -isme.
On trouve « solipiste » en
français dans la traduction en 1721 par Pierre Restaut (1696-1764) d’un ouvrage
vénitien qui se moque des jésuites, Monarchia
solipsorum, de 1645 sous le titre : La monarchie des solipsistes (cf. Sébastien Charles, Berkeley au siècle des lumières.
Immatérialisme et scepticisme au XVIII°, Vrin, 2003, Introduction, note 2
p.19).
Il apparaît en philosophie d’abord en
allemand. On le trouve notamment chez Kant qui utilise « Solipsismus » comme synonyme
d’égoïsme au sens moral, voire d’amour-propre (allemand Selbstsucht) (cf. Critique de
la raison pratique, première partie Doctrine élémentaire de la raison pure
pratique, Livre premier L’analytique de la raison pure pratique, chapitre 3 Des
mobiles de la raison pure pratique, A 130, P.U.F., p.76). Il s’introduit en
français en 1878.
Depuis, il désigne en philosophie la
thèse selon laquelle le sujet n’a la certitude que de son existence. Il a au
mieux une certitude seconde, voire simplement une certitude probable de
l’existence des choses ou d’autrui entendu comme un autre sujet.
C’est d’abord le terme
« égoïsme » qui a été utilisé pour désigner cette position. On peut
l’attribuer à Kant, notamment dans l’Anthropologie
d’un point de vue pragmatique (1798). Mais c’est surtout Schopenhauer qui
la définit clairement, comme le montre le texte suivant : « [L]’égoïsme théorique, (…) considère tous les phénomènes, sauf son
propre individu, comme des fantômes, tout de même que l’égoïsme pratique, qui,
dans l’application, ne voit et ne traite comme une réalité que sa personne, et
toutes les autres comme des fantômes. On ne pourra jamais réfuter l’égoïsme
théorique par des preuves ; toutefois, il n’a jamais été employé en
philosophie que comme sophisme sceptique, par jeu, non exposé comme conviction.
On ne le rencontrerait, à ce titre, que, dans une maison d’aliénés ; et
alors ce n’est pas par un raisonnement, c’est par une douche qu’il faut le
réfuter ; c’est pourquoi nous n’en tiendrons aucun compte, à cet égard, et
nous le considérerons comme le dernier retranchement du scepticisme, qui, par
nature, aime la chicane. » Schopenhauer,
Le monde comme volonté et comme
représentation, § 19 Passage de mon corps aux autres objets ;
absurdité de l’égoïsme théorique ; la volonté seule essence possible de
tous les corps.
On a attribué au philosophe Fichte – ce
que ne fait pas Schopenhauer – qui fait du moi unique le premier principe
absolue de la philosophie et dont la doctrine est un idéalisme subjectif une
position solipsiste. C’est le cas de Proudhon notamment dans De la Justice dans la Révolution et dans l’Église
(1858).
« L’écueil du solipsisme » pour parler comme Sartre dans L’être et le néant (IIIème partie) vient
de ce qu’il est assez difficile de penser qu’il existe autre chose qu’un seul
sujet, celui que je suis, si la conscience du sujet est la condition de toute
objectivité.
Le solipsisme n’a pas été soutenu en
tant que tel par un philosophe important. Toutefois, s’il est l’idée que le
seul sujet est la certitude première et que la réalité du monde ou celle
d’autrui est douteuse, le solipsisme appartient fondamentalement à la
philosophie du sujet. À ce titre, il est dans les temps modernes, un moment de
toutes les philosophies du sujet.
Ainsi Descartes établit-il d’abord la
seule certitude de l’ego cogito (Méditations
métaphysiques, méditation seconde). C’est d’elle qu’il démontre l’existence
de Dieu (méditation troisième), puis l’évidence comme critère de la vérité
(méditation quatrième) et enfin la réalité du corps et de la matière
(méditation sixième). Aussi n’est-il pas étonnant que le solipsisme ait été
défendu avant que le mot existât. Dans une note sur les Principes de la connaissance humaine (1711) de Berkeley, on lit
dans les Mémoires de Trévoux : « Un de nous connaît un malebranchiste qui va
plus loin que M. Berkeley ; il lui a soutenu fort sérieusement, dans une
longue dispute, qu’il est très probable qu’il soit le seul être créé qui
existe, et que non seulement il n’y ait point de corps, mais qu’il n’y ait
point d’autre esprit créé que lui ; c’est à ceux qui croient que nous
ne voyons qu’un monde intelligible à prouver qu’on porte trop loin leurs
principes. » (Note sur les Principes
dans les Mémoires de Trévoux de mai 1713,
art. LXXX, p.922 cité in Berkeley, Trois
dialogues entre Hylas et Philonous, traduction par Geneviève Brykman et
Roselyne Dégremont, GF Flammarion, 1998, p.255 ; cf. Geneviève Lewis, L’individualité selon Descartes, Vrin,
1950, note (61) p.109).
Ainsi Husserl lorsqu’il répète en le
corrigeant Descartes remarque qu’une philosophie limitée au seul moi
transcendantal, qui exclut donc toute considération objective sur le moi
empirique ou animal, paraît condamnée au solipsisme, fût-il transcendantal (cf.
Husserl, Méditations cartésiennes.
Introduction à la phénoménologie, traduit de l’allemand par Mlle Gabrielle
Peiffer et M. Emmanuel Levinas, Paris, Vrin, 1980, Deuxième méditation, § 13,
p.25-26 ; cf. § 1, p.3). Le projet de Husserl dans la cinquième de ses Méditations cartésiennes est justement
de ne pas s’en tenir au solipsisme transcendantal. Sa résolution du problème
demeure ambiguë : « L’apparence
du solipsisme est dissipée, bien qu’il reste vrai que tout ce qui existe pour
moi ne peut puiser son sens existentiel qu’en moi, dans la sphère de ma
conscience. » (ibid., p.128).
Problèmes.
Pour sortir du solipsisme, si on part du
sujet, faut-il établir d’abord la réalité nécessaire du monde extérieur ou
celle d’autrui et dans ce cas, autrui est-il un autre sujet ou bien est-ce le
tout autre ?
Si le solipsisme appartient à la philosophie
du sujet, ne faut-il pas abandonner cette dernière et revenir aux anciens,
c’est-à-dire poser d’abord le monde et ensuite s’interroger sur ce qu’il est et
sur ce qu’est le “sujet” ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire