samedi 16 mars 2024

correction du sujet: Punition et violence

 Longtemps la peine de mort a été administrée en public en France. Le 24 juin 1939, le gouvernement Daladier (1884-1970) signe un décret supprimant son caractère public quelques jours après une exécution qui avait été filmée et photographiée. Cette punition violente amène à s’interroger sur punition et violence.

La punition, dans la mesure où elle consiste à sanctionner, semble en elle-même violente puisqu’elle contraint la volonté de l’individu.

Cependant la violence est dans la transgression de la loi et celui qui est puni mérite sa punition de sorte qu’on ne voit pas en quoi on peut parler de violence.

Ainsi, peut-on penser que la violence s’associe nécessairement à la punition ? La punition apparaît en droit comme une juste rétribution, ou plutôt comme violence dans le cadre de la lutte de classes ou elle montre la violence du pouvoir de punir.

 

 

La punition se distingue de la vengeance en ce que cette dernière est une sanction de la partie lésée qu’elle inflige au criminel putatif sur la base de ses émotions. Dès lors, la vengeance est violence car elle contraint l’autre. Alors que la punition est une rétribution que motive le crime et qui résulte d’une décision du tribunal (cf. Hegel [1770-1831], Principes de la philosophie du droit, 182, § C102). Les juges ne s’inquiètent pas du coupable et même si la punition comprend des souffrances, elle n’est pas plus violente que l’intervention médicale car elle n’a pas la souffrance pour fin.

En outre, la punition vise à maintenir l’ordre. Elle conduit au contraire à écarter la violence en réprimant ceux qui transgressent les lois ou les décisions gouvernementales. Dès lors la contrainte qu’elle exerce n’est pas violence car cette dernière comme la définit Lalande est l’« emploi illégitime ou du moins illégal de la force » selon son Vocabulaire critique et technique de la philosophie. La punition est légale. Est-elle légitime ?

Les théoriciens du contrat social ont conçu la punition comme voulue par le criminel car, en acceptant le pacte social qui institue le pouvoir politique, chaque sujet convient d’obéir aux lois forgées par le souverain. En effet, en souscrivant au pacte social, le sujet a accepté les lois y compris les lois pénales. Beccaria (1738-1794) dans Des délits et des peines (1764) en tire la légitimité de la punition tout en combattant les supplices de l’ancien régime dont la brutalité lui apparaissait inutile. Rousseau (1712-1778) dans le Contrat social (1762), considère que le criminel a rompu le contrat social et il devient un ennemi à qui on peut faire la guerre légitimement donc sans violence.

 

Cependant, si la punition se distingue de la vengeance en ce qu’elle est légitime et voulue tacitement par tous les citoyens, il n’en reste pas moins vrai que la punition sert à maintenir une certaine structure sociale et à ce titre, elle un instrument de lutte, donc, elle n’est pas neutre, et donc potentiellement violente.

 

 

En effet, dans la société moderne on trouve une opposition de classes sociales qui se définissent par leurs positions dans la structure économique. On peut appeler dominante la classe qui possède l’essentiel des moyens de production, ainsi les citoyens dans la cité grecque dont Xénophon écrivait dans le Hiéron (IV,3) que « les citoyens se gardent mutuellement, sans solde, contre les esclaves et ils se gardent contre les mlfaiteurs pour qu’aucun citoyen ne meurt de mort violente. » (cité par Hannah Arendt, « Sur la violence » in Du mensonge à la violence, p.202. il en va de même des nobles dans la société féodale ou les bourgeois dans le capitalisme moderne. La pénalité vise alors à maintenir la domination de classe. Ainsi la criminalisation du syndicalisme par la loi le Chapelier en 1791 servit les intérêts de la bourgeoisie.

La punition fait violence à ceux qui s’opposent à l’ordre social comme Antigone dans la pièce (441 av. J.-C. av. J.-C.) de Sophocle (495-406 av. J.-C.), condamné parce qu’elle avait préféré obéir aux lois des Dieux plutôt qu’à celle du roi Créon qui interdisait qu’on enterrât Polynice défini comme traître. De ce point de vue, la punition n’échappe pas à la violence même psychologique puisque son administration vise à dissuader les autres membres de la société, donc à susciter cette crainte qui contraint l’individu.

Ainsi même si sur le plan des principes, tout membre d’une société en accepte la pénalité comme le disent les lois dans la prosopopée des lois du Criton de Platon (428-347av. J.-C.) pour lui montrer qu’il doit endurer sa peine, la mort car il a accepté en restant vivre à Athènes. On pourrait dire ainsi que l’ordre social et toujours un consensus, mais la punition reste violente lorsqu’elle s’abat injustement sur l’individu. La violence est un abus de la force et son usage illégitime.

 

Néanmoins, à partir du moment où elle n’est pas sanglante et où elle permet l’ordre social, la punition n’est-elle pas violente quant à son exercice même ?

 

 

Lorsqu’on regarde les sanctions qui ont été appliquées dans l’histoire, la violence semble être la règle : les mutilations, mains ou oreilles coupées, les mises à mort atroces comme la roue, le bûcher ou l’écartèlement dans les cas de régicides sous l’ancien régime. Or cette violence a un sens selon Michel Foucault (1926-1984) dans Surveiller et punir (1975) , à savoir de manifester le pouvoir du roi en se déchainant sur le corps du supplicié. Le peuple convié au spectacle doit approuver le supplice pour lui donner valeur et éclat. Dans certains cas, il prenait fait et cause pour le supplicié et une émeute pouvait s’ensuivre. Le pouvoir de punir a ainsi une fonction sociale spécifique et non seulement celle de l’ordre social. La violence de la punition est un instrument du pouvoir politique.

Si en apparence à partir des campagnes de réforme de la pénalité comme celle avancée par Beccaria (1738-1794), les supplices ont disparu et la peine de mort devint plus expéditive, il n’en reste pas moins vrai que la prison qui devient la peine par excellence s’’inscrit dans un pouvoir de punir qui est disciplinaire, c’est-à-dire qui vise à majorer l’utilité du corps de l’individu. En même temps, Foucault met en lumière que l’échec supposé de la prison, à savoir former des délinquants est sa réussite car elle conduit à constituer un illégalisme qui est détesté par le peuple et qui masque l’illégalisme de la bourgeoisie. En outre, le pouvoir disciplinaire qui traverse le pouvoir de punir s’inscrit dans une normalisation qui contraint les corps : là est la violence du pouvoir de punir.

Cette contrainte des corps, elle n’est pas seulement dans la privation de liberté, mais aussi dans la surveillance constante dont le panoptique de Jeremy Bentham (1748-1832) et de son frère Samuel (1757-1831) est le modèle. L’individu doit se sentir constamment surveillé pour qu’il agisse conformément à un modèle social auquel il doit se plier. Jean Valjean, dans Les misérables (1862) de Victor Hugo (1802- 1885) fait ainsi quatorze ans de bagne de plus que les cinq auxquels il avait été condamné pour des tentatives d’évasion. La violence du bagne appelle la tentative d’évasion, puni du bagne. Tout autre est la sanction chez les Indiens des plaines selon Lévi-Strauss (1908-2009) dans Tristes tropiques (1955). Doté d’une police, ces Amérindiens sanctionnent par la destruction de ses biens celui qui a transgressé la loi puis s’estime en dette et lui refont des biens et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on estime qu’il est réintégré dans la tribu. Ainsi la sanction n’est pas une punition qui vise toujours à faire souffrir.

 

 

En un mot, le problème était de savoir si la violence s’associe nécessairement à la punition. Il est apparu qu’elle semble s’en distinguer en droit comme une juste rétribution opposée en cela à la violence de la vengeance. Mais à l’analyse il est apparu qu’elle était violence dans le cadre de la lutte de classes qui traverse la société moderne, et que la violence était intrinsèque au pouvoir de punir lui-même.

La société moderne pourrait-elle se passer du pouvoir de punir comme certaines sociétés primitives ?