mercredi 22 juillet 2020

La question de l'animal

Le cardinal de Polignac aurait dit à un orang outan au Jardin des plantes : parle et je te baptise (cf.Diderot, Suite de l’entretien avec d’Alembert). Il lui demandait donc de manifester son humanité. L’animal se montre dans un silence qui est non pas volonté de se taire mais impossibilité de parler. L’homme lui parle et se reconnaît ainsi dans sa différence avec l’animal. Ce dernier apparaît donc d’emblée moins qu’un homme. L’homme étant plus que l’animal. Le silence caractérise-t-il la bête. Le singe qui, dans la nouvelle de Kafka, Rapport pour une académie (1917), raconte comment il est devenu humain, souligne que c’est en disant « hallo » Mais qui soutient que c’est la parole, sinon l’homme !
Platon, dans Le Politique (263) fait remarquer que c’est l’homme qui fait de lui-même un genre et met tous les autres dans un autre genre, celui des bêtes (synonyme d’animaux), une grue intelligente mettrait les grues d’un côté et tous les autres à part. En grec ancien le terme ζῷον désigne plutôt le vivant en général et l’image peinte et θηρίον l’animal sauvage.
De même, la distinction entre grecs et barbares est réversible. 
On voit l’enjeu moral, voire politique. Si l’animal, est un moindre homme, ne va-t-on pas animaliser ou bestialiser certains hommes ou certaines activités humaines. Ce qui a été le cas des femmes et des peuples non européens.
Mais la question de l’animal est aussi une question métaphysique. Séparer l’homme de l’animal, penser un propre de l’homme, n’est-ce pas toujours oublier l’animalité en l’homme, la nier. 
L’animal est présent dans l’existence de l’homme et dans la culture. L’homme se situe par rapport à l’animal : il ne doit pas l’être. Qu’on pense à la « bêtise » ou à la « bestialité ».
On peut illustrer cette situation avec ce texte d’Épictète :
Ce n'est pas une chose bien commune d'accomplir ce que promet la qualité d'homme. C'est un animal mortel, doué de raison, et c'est par la raison qu'il se distingue des bêtes. Toutes les fois donc qu'il s'éloigne de la raison, qu'il agit sans raison, l'homme périt, et la bête se montre. Épictète, Entretiens, II,23.
Cette définition traditionnelle de l’homme le situe comme ayant à ne pas être animal. Or, ne s’agit-il pas d’un déni de l’être de l’homme ? penser l’animal, c’est donc s’interroger sur la place de l’homme dans le monde.
Comment accéder à l’animal aussi bien hors de nous qu’en nous ?
On peut distinguer deux grandes attitudes : soit l’animal est assimilé à l’homme, soit il s’en distingue absolument, Montaigne représente la première, Descartes et surtout les cartésiens comme Malebranche la seconde.

samedi 4 juillet 2020

Porphyre: l'animal répond (texte)

V. On rapporte que parmi les animaux qui sont sans voix, il y en a d'aussi obéissants à leurs maîtres, qu'aucun domestique pourrait l'être. Tel était le poisson de Crassus, appelé par les Romains murène. Il était si familier avec son maître et son maître l'aimait à un tel point, que lui qui avait supporté avec constance la mort de trois de ses enfants, pleura sa murène lorsqu'elle mourut. On prétend qu'il y a des anguilles dans l'Aréthuse, et des coracins dans le Méandre, qui obéissent à la voix de ceux qui les appellent. On voit par-là que les animaux qui ne font point usage de leur langue pour exprimer ce qu'ils pensent, sont cependant affectés des mêmes sentiments que ceux qui parlent. Ce serait donc une chose fort déraisonnable de dire qu'il n'y a de la raison que dans le discours de l'homme, parce que nous le comprenons ; et qu'il n'y en a point dans le langage des animaux parce qu'il nous est inintelligible. C'est comme si les corbeaux soutenaient que leur croassement est le seul langage raisonnable, et que nous sommes sans raison, parce qu'ils n'entendent pas ce que nous disons ; ou comme si les habitants de l'Attique prétendaient qu'il n'y a de langue que la leur, et que tous ceux qui ne la parlent point sont privés de raison. Cependant un habitant de l'Attique entendrait plutôt le croassement du corbeau, que la langue des Syriens ou des Perses. Ce serait donc une absurdité de décider qu'une telle espèce est raisonnable ou non, parce qu'on entend ce qu'elle dit, ou qu'on ne l'entend point, ou parce qu'elle parle, ou parce qu'elle garde le silence. On pourrait par la même raisin assurer que l'être suprême et les autres dieux sont dépourvus de raison, puisqu'ils ne parlent point; mais les dieux même en se taisant indiquent ce qu'ils pensent. Les oiseaux les entendent plutôt que les hommes ; et après les avoir entendus, ils rendent aux hommes les volontés des dieux, autant qu'ils le peuvent : car ce sont les oiseaux qui servent d'interprètes aux dieux. L'aigle l'est de Jupiter, l'épervier et le corbeau le sont d'Apollon, la cigogne l'est de Junon, l'aigrette et la chouette le sont de Minerve, la grue l'est de Cérès ; d'autres oiseaux le sont des autres dieux. Ceux parmi nous qui étudient les animaux et qui les nourrissent, entendent leur langage. Le chasseur comprend à l'aboiement du chien, s'il cherche le lièvre, s'il l'a trouvé ; si après l'avoir trouvé, il le poursuit ; s'il l'a pris et s'il s'est échappé. Ceux qui conduisent les vaches, savent quand elles ont faim, quand elles ont soif, quand elles font fatiguées, quand elles sont en colère, quand elles cherchent leur veau : le lion par son rugissement fait entendre qu'il menace ; le loup par son hurlement nous indique qu'il est malade, et le berger connaît au bêlement de la brebis ce qui lui manque.
Porphyre (234-310), De l’abstinence (v.271), III,5