V. On rapporte que parmi les animaux qui sont sans voix, il y en a d'aussi obéissants à leurs maîtres, qu'aucun domestique pourrait l'être. Tel était le poisson de Crassus, appelé par les Romains murène. Il était si familier avec son maître et son maître l'aimait à un tel point, que lui qui avait supporté avec constance la mort de trois de ses enfants, pleura sa murène lorsqu'elle mourut. On prétend qu'il y a des anguilles dans l'Aréthuse, et des coracins dans le Méandre, qui obéissent à la voix de ceux qui les appellent. On voit par-là que les animaux qui ne font point usage de leur langue pour exprimer ce qu'ils pensent, sont cependant affectés des mêmes sentiments que ceux qui parlent. Ce serait donc une chose fort déraisonnable de dire qu'il n'y a de la raison que dans le discours de l'homme, parce que nous le comprenons ; et qu'il n'y en a point dans le langage des animaux parce qu'il nous est inintelligible. C'est comme si les corbeaux soutenaient que leur croassement est le seul langage raisonnable, et que nous sommes sans raison, parce qu'ils n'entendent pas ce que nous disons ; ou comme si les habitants de l'Attique prétendaient qu'il n'y a de langue que la leur, et que tous ceux qui ne la parlent point sont privés de raison. Cependant un habitant de l'Attique entendrait plutôt le croassement du corbeau, que la langue des Syriens ou des Perses. Ce serait donc une absurdité de décider qu'une telle espèce est raisonnable ou non, parce qu'on entend ce qu'elle dit, ou qu'on ne l'entend point, ou parce qu'elle parle, ou parce qu'elle garde le silence. On pourrait par la même raisin assurer que l'être suprême et les autres dieux sont dépourvus de raison, puisqu'ils ne parlent point; mais les dieux même en se taisant indiquent ce qu'ils pensent. Les oiseaux les entendent plutôt que les hommes ; et après les avoir entendus, ils rendent aux hommes les volontés des dieux, autant qu'ils le peuvent : car ce sont les oiseaux qui servent d'interprètes aux dieux. L'aigle l'est de Jupiter, l'épervier et le corbeau le sont d'Apollon, la cigogne l'est de Junon, l'aigrette et la chouette le sont de Minerve, la grue l'est de Cérès ; d'autres oiseaux le sont des autres dieux. Ceux parmi nous qui étudient les animaux et qui les nourrissent, entendent leur langage. Le chasseur comprend à l'aboiement du chien, s'il cherche le lièvre, s'il l'a trouvé ; si après l'avoir trouvé, il le poursuit ; s'il l'a pris et s'il s'est échappé. Ceux qui conduisent les vaches, savent quand elles ont faim, quand elles ont soif, quand elles font fatiguées, quand elles sont en colère, quand elles cherchent leur veau : le lion par son rugissement fait entendre qu'il menace ; le loup par son hurlement nous indique qu'il est malade, et le berger connaît au bêlement de la brebis ce qui lui manque.
Porphyre (234-310), De l’abstinence (v.271), III,5
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