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lundi 4 février 2019

L'amour - biographie de Shakespeare

Indépendamment des notices, chronologies, articles et écrits divers relatifs à Shakespeare ou à son époque que j’ai utilisés pour écrire cette esquisse de biographie, je mentionne uniquement :
Bill Bryson, Shakespeare. Antibiographie (2007), traduit de l’américain par Hélène Hinfray, Payot, 2010.
Henri Fluchère, Shakespeare, dramaturge élisabéthainGallimard, 1966, « Tel ».
Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, traduit du polonais par Anna Posner avec une préface de Peter Brook, Payot, 1992.
Mon but n’a pas été de résoudre les incertitudes concernant cet auteur, ni de prendre une position définitive contre les thèses qui font de lui le prête-nom de son œuvre, mais uniquement de fixer les grands moments de sa carrière tels qu’on peut raisonnablement les fixer.
La chronologie des œuvres qui est incluse est tout aussi hypothétique que celles qui ont pu être données.

Le 26 avril 1564 du calendrier julien, William Shakespeare est baptisé à Stratford-upon-Avon. Il est né quelques jours avant (peut-être le 23, jour de la fête nationale par une heureuse coïncidence inutile car le calendrier a changé). La ville de Stratford-upon-Avon est située à 130 kilomètres au nord-ouest de Londres. Il fallait quatre jours de marche ou deux jours à cheval pour rejoindre la capitale. Avec ses deux mille habitants, c’est une ville importante. En effet, trois villes avaient plus de 10 000 habitants (Norwich était la seconde ville), Londres en comptant 200 000 environ. William est le troisième enfant et premier garçon de John Shakespeare (~1530-1601) de Snitterfield et de Mary Arden de Wilmcote qui se sont mariés en 1557. Sa sœur Joan est la seule de ses quatre sœurs qui devint adulte. Née en 1558 elle épousa un chapelier. Elle mourut à soixante dix-sept ans. Son premier frère Gilbert, née en 1566, devint mercier. Richard né en 1574 vécut moins de quarante ans. Le plus jeune Edmund, devint comédien à Londres dans une troupe qui nous est inconnue. Il mourut à 27 ans. Son père est gantier et fait le commerce d’objets en cuir. Rien n’interdit de penser qu’il savait lire et écrire comme 60% des artisans spécialisés. C’est un citoyen en vue. En 1568, John Shakespeare est élu high bailiff, c’est-à-dire maire. 
On suppose que le jeune William fit des études qui sont l’équivalent du lycée. Pour la King’s New School qu’il aurait pu fréquenter, les archives ont disparu depuis longtemps. L’enseignement y était de qualité. Il a dû apprendre parfaitement le latin contrairement à une allégation de son concurrent Ben Jonson (1572-1637) car les élèves de l’époque n’apprenaient pratiquement rien d’autres. Ses autres connaissances ont dû être acquises ailleurs et après. Il dut quitter l’école vers quinze ans. On perd sa trace.
Dans les années 1570 des troupes de théâtre itinérantes se produisent à Stratford-upon-Avon. À plusieurs reprises, John Shakespeare est accusé de pratiquer l’usure. (cf. Bill Bryson, p.19, p.41 et sq.). En 1576, il se retire de la vie publique.
1580 est l’année qui date pour la critique le drame élisabéthain qui mourrait en 1640 (Fluchère, p.37). On y distingue plusieurs périodes. La première qui est l’âge élisabéthain à proprement parler se caractérise par un culte et une foi en la vie (Fluchère, p.41). La seconde, qui peut se nommer jacobéenne, commence à la mort d’Élisabeth en 1603 (Fluchère, p.57). Elle est celle de l’incertitude. Le succès est interrogé du point de vue politique quant aux moyens et du point de vue métaphysique quant à la mort (Fluchère, pp.60-61).
En 1582 William se marie avec Anne Hathaway (~1556-1623), la fille d’un propriétaire terrien qui a huit ans de plus que lui dont on ne connaît pas exactement la date de naissance. Elle est enceinte – ce qui était le cas de 40 % des “jeunes filles” de l’époque.
En 1583, naît sa première fille, Susanna (1583-1649) : elle est baptisée le 26 mai.
Pendant la saison 1583-1584, trois troupes jouent à Stratford-upon-Avon, celle du comte d’Oxford, du comte d’Essex et du comte de Worcester.
Début février 1585, sa femme lui donne deux autres enfants, des faux jumeaux, une fille et un garçon, Judith (1585-1662) et Hamnet (1585-1596).
On pense qu’il a quitté Stratford pour Londres en 1585 ou 1586. Jusqu’en 1592, sa vie est obscure pour l’historien faute de documents. Aussi l’imagination ou les conjectures les plus fantaisistes ont pu se donner libre cours. On pense qu’il est entré pendant cette période dans le milieu du théâtre. Conjecture raisonnable car il a bien fallu qu’il s’y exerçât. C’est de façon bien évidemment conjecturale qu’on date certaines de ses pièces.
En 1587 les Chroniques d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande de Raphael Holinshed ( ?-~1580) sont publiées. Shakespeare y puisera des sujets, notamment Macbeth, voire des passages entiers. Le 8 février, Élisabeth 1ère (1533-1558-1603) fait exécuter la reine d’Écosse Marie Stuart, catholique et coupable selon elle d’avoir fomenté des complots contre elle. Au printemps, l’Espagne envoie l’Invincible Armada, une flotte qu’une tempête balaya. L’expédition fut un cuisant échec pour la première puissance mondiale de l’époque. Elle marque les débuts de l’irrésistible ascension du Royaume Uni qui dura jusqu’à la première guerre mondiale.
En 1589, est la date la plus reculée où le premier Henri VI a pu être représenté, à moins que ce soit l’année suivante.
En 1590, ce sont Henri VI 2 et qui sont représentés ou l’année suivante pour l’un ou l’autre ou les deux.
En 1592, Robert Greene ( ?-1592), fait allusion à Shakespeare dont il cite un vers de la troisième partie d’Henry VI, dans un texte satirique. Il le qualifie de « upstart crow » (corbeau arriviste). Il est donc connu. L’éditeur et secrétaire de Robert Greene, Chettle, présenta à Shakespeare ses excuses Il apparaît sur une liste d’acteurs. Philippe Marlowe (1564-1593), grand rival de Shakespeare, fait représenter la première version théâtrale de La tragique histoire du docteur Faust, première pièce sur ce personnage. Le drame historique de Shakespeare, Richard III est joué cette année ou la suivante. On y trouve le mot fameux du roi ou du tyran au moment où il connaît la peur d’être à son tour assassiné après avoir beaucoup tué :
« Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! » Richard III, Acte V, scène 4.
Pendant deux ans, à cause d’une grosse épidémie de peste (en un an il y eut à peu près 10 000 morts), les théâtres sont la plupart du temps fermés.
En 1593, Christopher Marlowe meurt dans une rixe à Deptford (il avait déjà été impliqué dans deux rixes mortelles). Titus Andronicusest représenté ou l’année précédente ou l’année suivante. Un croquis illustrant la scène où Tamora supplie Titus de supplier ses fils montre des costumes romains et des costumes de l’époque (cf. Bryson, p.83). Il donne La Comédie des erreurs (The Comedy of Errors) ou l’année suivante. La pièce est empruntée à Plaute. Puis, les théâtres sont fermés à cause de l’épidémie de peste jusqu’en 1594. Shakespeare écrit des poèmes (Sonnets). Son poème narratif, Vénus et Adonis (Venus and Adonis), est publié en avril. Il est dédié à un jeune homme de 19 ans, Henry Wriothesley, troisième comte de Southampton et baron de Titchfield. Efféminé, connu pour ses relations avec des femmes ou des hommes, il est peut-être (un portrait de lui en fait le jouvenceau du Sonnet 20 – il y a été identifié en 2002 selon Bryson p.95). Le poème fut un gros succès éditorial et connut dix rééditions de son vivant. Vénus poursuit le chaste Adonis sans succès. Peut-être écrit-il des pièces destinées à être jouées dans des cercles aristocratiques privés.
En 1594, Shakespeare donne La Mégère apprivoisée (The Taming of the Shrew), à moins que ce soit l’année précédente. Il donne également Peines d’amour perdues (Love’s Labour’s Lost), pièce perdue et Les Deux Gentilshommes de Vérone (The Two Gentlemen of Verona), à moins que ce soit l’année précédente ou l’année suivante. Il publie (Le Viol de LucrèceThe Rape of Lucrece. Le poème est dédié à Southampton. Le thème en est la chasteté contrainte par un désir coupable. Il participe à la création d’une compagnie de théâtre, The Lord Chamberlain’s Men. La troupe est sous le patronage d’Henry Carey, baron Hunsdon (1523-1596) futur Lord Chamberlain, c’est-à-dire chef de la cour. La troupe participe donc aux divertissements royaux. Peut-être que Le songe d’une nuit d’été a été joué le 30 août à l’occasion de fêtes données par Jacques VI d’Écosse à l’occasion du baptême de son fils.
En 1595 ou l’année suivante (à l’occasion du mariage entre Thomas Berkeley et Elisabeth Carey auquel la reine Elisabeth 1ère a assisté), est jouée sa comédie Le songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream). Il donne Roméo et Juliette(Romeo and Juliet) à moins que ce soit l’année précédente ou l’année suivante. La pièce est démarquée de La tragique Histoire de Romeus et Julietted’Arthur Brooke. Cette dernière vient d’une pièce d’un Italien, Matteo Bandello. Richard IIest donné à moins que ce soit l’année suivante.
En 1596 Le Marchand de Venise (The merchant of Venice) est joué. Le Roi Jean (King John) est donné à moins que ce soit l’année précédente ou l’année suivante. Son fils Hamnet meurt à l’âge de onze ans à Stratford. À Londres, il est relaxé avec trois autres personnes dans une affaire de menace de mort.
En mai 1597, Shakespeare a acheté la deuxième plus grande maison de Stratford-upon-Avon, preuve que ses affaires sont prospères. Il achète des armoiries pour se faire appeler ainsi que son père « gentleman ». Dans le même temps, il est attrapé pour ne pas avoir payé une taxe de 5 shillings alors que ses revenus sont évalués à 200 à 700 livres annuels. Henri IV, 1 est joué à moins que ce soit l’année suivante ou l’année précédente. Henri IV, 2 est joué à moins que ce soit l’année suivante.
En 1598, sa troupe grâce à des appuis notamment financiers, entreprend la construction du théâtre du Globe à l’extérieur de Londres. Un des buts est d’échapper ainsi aux attaques des puritains (c’est-à-dire des protestants que la fondation de l’Église anglicane ne satisfait pas parce qu’elle conserve le faste du rite romain honni) qui pourfendent l’immoralité du théâtre. Ce sera le plus beau théâtre de la capitale. Il apparaît sur une liste d’acteurs, celle de la pièce de Ben Jonson, Chaque homme selon son humeur. Est représentée sa comédie, Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado about nothing). Elle provient d’un conte populaire italien. C’est l’année où son nom apparaît sur les pages de titre de ses pièces dans leur édition in-quarto. Francis Meres lui décerne des éloges dans son Palladis Tamia. Il se réfère à sa pièce Le songe d’une nuit d’été.
En 1599, Henri V, sa grande tragédie patriotique, est représentée. Jules Césarest représenté. Il publie The Phoenix and Turtle. Un recueil de poésie, Le Pèlerin passionné, où sa contribution, peut-être involontaire, est modique, paraît avec son nom sur la page de titre, nouvelle preuve de sa célébrité. On trouve son nom dans un passage élogieux dans une pièce joué par des étudiants de Cambridge et intitulé Retour du Parnasse, Première partie.
En 1600, deux comédies, Comme il vous plaira et Les Joyeuses Commères de Windsor, sont représentées à moins que ce ne soit l’année précédente pour l’une ou l’autre ou les deux. La première est empruntée à Rosalyndede Thomas Lodge. Le 8 octobre Le songe d’une nuit d’été est inscrit au registre des librairies. Une édition in-quarto est publiée la même année.
En 1601, son père meurt. Le 7 février, son drame historique Richard IIest représenté au théâtre du Globe. La censure de la reine Elisabeth 1ère interdira sa publication (Kott, p.18, p.19). A lieu également la représentation d’Hamlet. Une tradition non prouvée veut que Shakespeare ait joué le rôle du fantôme. La pièce est imitée d’un Hamlet perdu qui aurait pu avoir Thomas Kyd (1558-1594) pour auteur. Il publie un poème, Le Phénix et la Tourterelle.
En 1602, est représenté Troïlus et Cressida où les héros homériques sont parodiés. Tout est bien qui finit bienest représenté à moins que ce soit l’année suivante ou en 1604.
Le 24 mars 1603, la reine Élisabeth 1ère meurt. Jacques VI (1566-1525), roi d’Écosse depuis 1567, fils de Marie Stuart, accède au trône sous le nom de Jacques 1erd’Angleterre. La troupe de Shakespeare devient les King’s Men et joue régulièrement pour la cour. Shakespeare apparaît de nouveau sur une liste d’acteurs, celle de la pièce de Ben Jonson, La chute de Séjan. Les Essais de Montaigne (1533-1592) sont traduits par Florio.
En 1604 Othello et Mesure pour Mesure sont représentés. Othello a peut-être été donné devant Jacques 1er en 1604.
Le Roi Lear a été joué pour les fêtes de noël 1606 au palais de Whitehall devant Jacques 1er. Il existait un Roi Leir antérieur. Macbeth est également daté de 1606. Le sujet en est tiré des chroniques de Holinshed. D’une part on trouve une allusion à la Conspiration des Poudres qui a eu lieu en 1605. D’autre part, on trouve dans deux œuvres de 1607 des allusions à la pièce. L’une dans le Puritain, une pièce dont l’auteur est inconnu. L’autre dans le Chevalier au Pilon ardent de Beaumont et Fletcher. Précisons que les rôles féminins étaient joués par des hommes, vraisemblablement des jeunes gens. On ne sait rien des acteurs qui jouaient les rôles féminins de Shakespeare. Les puritains, de leur côté, accusaient de mauvaises mœurs, les troupes de théâtre à cause de ces travestissements. Shakespeare continue à investir dans les propriétés terriennes près de Stratford. 
En 1607, sa fille Susanna se marie avec un médecin à Stratford. Antoine et Cléopâtre et Coriolan sont représentés à moins que ce soit l’année précédente pour l’une des pièces ou l’autre ou les deux. Timon d’Athènes est représenté.
En 1608 la troupe de Shakespeare prend possession de la salle de théâtre de Blackfriars. Il est toujours présent sur une liste d’acteurs. Périclèsest représenté. Sa production dramatique s’oriente vers les « romances », à savoir des pièces d’inspiration syncrétique avec des éléments mythologiques, historiques, comiques, tragiques, etc. Ben Jonson (1572-1637) est son ami et son principal rival pour les « divertissements de cour ».
En 1609 Cymbeline (The tragedy of Cymbeline, King of Britain) est représenté à moins que ce soit l’année suivante. The Sonnets sont publiés sans son autorisation. Ils sont consacrés à l’amour.
En 1610, Le Conte d’hiver est représenté à moins que ce soit l’année suivante. Il est une version arrangée d’un roman de Robert Greene, Pandosto.
En 1611, il donne sa plus célèbre « romance », La Tempête. C’est cette année-là qu’a dû avoir lieu la première représentation connue de Macbeth.
Il se retire, fortune faite, à Stratford-upon-Avon en 1612.
En 1613 Henri VIII est représenté. Le théâtre du Globe est détruit par un incendie.
Le 10 février 1616, sa fille Judith se marie avec un marchand de vins. William Shakespeare meurt le 23 avril.

En 1623 a lieu la première publication des œuvres de Shakespeare grâce à ses collègues, Henry Condell et John Heminges. On la nomme « premier folio » (le format d’une page équivalant environ à celui d’une feuille A3, soit 30 cm x 40 cm). Il a peut-être été inspiré par la publication des œuvres de Ben Jonson en 1616. On y trouve trente-six pièces, dont dix-huit inédites. Les pièces publiées séparément l’avaient toutes été avant 1616.
Le « folio » de 1623 est la base de toutes les éditions modernes. Deux pièces ont été ajoutées, Les Deux Nobles Cousins et Périclès, prince de Tyr. Il subsiste des doutes pour une douzaine de pièces. Deux pièces avérées, Love’s Labour’s Won, antérieure à 1598 et Cardenio, 1613, n’ont jamais été retrouvées.
On utilise les éditions en Quarto antérieures pour obtenir un texte acceptable. En effet, le texte n’appartenait pas à l’auteur mais à la compagnie qui le revendait à un imprimeur. D’où des obscurités.
Font partie intégrante de son œuvre, ses poésies, cent cinquante-quatre sonnets, quatre poèmes mythologico-métaphysiques (dont un qui est incertain), un recueil de vingt poèmes signé Shakespeare dont on sait que sept sont d’autres auteurs (deux de ces treize textes sont aussi inclus dans les Sonnets et trois sont des extraits de la pièce Peines d’amour perdues !).
On ne possède de la main de Shakespeare que six signatures sur des documents légaux. Les pièces que jouait sa troupe impliquaient la collaboration des comédiens, voire plusieurs auteurs.
Des spéculations ont eu cours sur le véritable auteur des pièces de Shakespeare. Comment un roturier aurait-il pu faire preuve d’autant d’esprit ? Nietzsche ne voit qu’un homme d’action capable d’une telle œuvre. Il penche pour Lord Bacon (cf. Ecce homo, Pourquoi j’en sais si long, 4). Le philosophe Francis Bacon (1561-1626) était, il est vrai, ami de Shakespeare. De façon générale, le modeste acteur soucieux d’argent n’aurait pu avoir la culture et les dons pour écrire une telle poésie.
Les choses se corsent lorsqu’il s’agit de révéler le véritable auteur car les prétendants sont nombreux. Outre le philosophe Francis Bacon qui fut le premier prétendant, on trouve des nobles comme le comte de Derby, le comte d’Oxford, le comte de Rutland ou un des comtes d’Essex et enfin d’autres dramaturges : Chettle, Dekter, Robert Greene, Middleton, Peele, Webster et même le dramaturge Christopher Marlowe (Christopher Marlowe) assassiné en 1593 (et prétendument réfugié en Italie.
Le manque de preuve d’une autre attribution implique d’accepter que le fils d’un gantier soit plus profond que les prétendues nobles seigneurs qu’il a dépeints.

  En 1996, le théâtre du Globe a été reconstruit selon les plans de l’époque à son emplacement londonien.

mercredi 19 décembre 2018

L'amour - Vie et oeuvres de Stendhal

Marie-Henri Beyle est né le 23 janvier 1783 à Grenoble. Il est baptisé le lendemain. Il est l’aîné. Un premier enfant du couple est mort-né en 1782. Il va avoir deux sœurs : Pauline (1786-1857), sa confidente et Zénaïde-Caroline (1788-1866) qu’il détestera, l’accusant de rapporter. Il perd sa mère, Caroline Adelaïde Henriette Gagnon, le 23 novembre 1790, qui meurt en couches d’une troisième fille. Il n’a pas d’affection pour son père, Chérubin Joseph Beyle (1747-1818), royaliste et dévot, avocat du parlement de Grenoble dont les spéculations furent malheureuses. Et ce d’autant plus qu’il avouera avoir été amoureux de sa mère et jaloux de son père comme il l’écrira clairement dans La Vie de Henry Brulard (l’événement du fameux complexe d’Œdipe chez lui n’a donc en aucun cas été refoulé). Il écrit notamment : « Je voulais couvrir ma mère de baisers et qu’il n’y eût pas de vêtements. » (La Vie de Henry Brulard, chapitre III). Il se sent persécuté par sa tante Séraphie (1760-1797), la sœur de sa mère, qu’il soupçonne d’avoir une liaison avec son père. C’est son grand-père maternel, son parrain, le docteur Henri Gagnon (1728-1813), qui le forme intellectuellement. Il le considèrera comme son vrai père : le vieux chirurgien-major pour Julien Sorel comme l’abbé Blanès pour Fabrice Del Dongo dans Le Rouge et le noiret La Chartreuse de Parmepeuvent en être des transpositions (cf. Victor Brombert, Stendhal. Roman et liberté, Éditions de Fallois, 1991, p.22). Il se réconforte aussi auprès de sa grande tante, Élisabeth Gagnon (1721-1808) qui lui semble avoir un cœur espagnol. Elle lui aurait révélé les origines italiennes des Gagnon (Fabrice Del Dongo sera un métis franco-italien). Assez rapidement, le jeune Henri Beyle a en horreur la religion, selon lui dès l’âge de quatre ans (cf. La vie d’Henry Brulard, chapitre III).
En 1788, l’atmosphère est révolutionnaire à Grenoble. Le 7 juin, le roi ayant sanctionné le parlement de Grenoble, un soulèvement populaire a lieu : c’est la fameuse journée des Tuiles (qui sont jetées des toits par le peuple sur la troupe du roi). Le 14 juin, neuf ecclésiastiques, trente-trois nobles et cinquante-neuf membres du tiers état, dont Antoine Barnave (1761-1793) et Jean-Joseph Mounier (1756-1806), réclament la convocation des États particuliers de la province avec égalité du tiers et des deux autres ordres et celle des états généraux du royaume. Le 21 juillet, les représentants des trois ordres se réunissent au château de Vizille prêté par l’industriel et banquier Claude Périer (1742-1801).
En 1791, Henri Beyle séjourne aux Échelles en Savoie chez son oncle Romain Gagnon ( ?-1830), avocat et libertin de la famille. Il y découvre la lecture, notamment de la littérature italienne à travers le Roland furieux (1516, 1532) de l’Arioste (1474-1553) et de la Jérusalem délivrée (1581) du Tasse (1544-1595).
À partir de décembre 1792, il a pour précepteur l’abbé Raillane, un curé réfractaire qu’il déteste.
En 1793, il applaudit la mort de Louis XVI le 21 janvier comme il le laisse entendre dans La vie de Henry Brulard. Son père est arrêté pour opinions contre-révolutionnaires, ce qui le met en joie. Henri Beyle assiste à la Terreur à Grenoble. Chez lui, a lieu tous les dimanches, une messe clandestine.
En juillet 1794, son père est libéré. En août, l’Abbé Raillane qu’il considère comme un tyran n’est plus son précepteur.
Le 21 novembre 1796, il entre à l’École centrale de Grenoble le jour de son ouverture. Ses camarades le surnomment peu aimablement « la Tour ambulante » à cause de sa corpulence (cf. Philippe Berthier, Avec Stendhal, Éditions de Fallois, 2013, p. 26).
Il a une passion pour Victorine, la sœur de son ami Bigillion et pour une jeune actrice et chanteuse, Virginie Kubly (1778-1835) en 1797. Sa tante Séraphie meurt.
Il obtient en 1798 le premier prix de littérature.
Il sort en 1799 de l’École centrale avec un premier prix de mathématiques obtenu le 15 septembre. Le 30 octobre, il quitte Grenoble pour Paris où il arrive le 10 novembre (19 brumaire), le lendemain du coup d’État du général Bonaparte (1769-1821). Il refuse de passer le concours de polytechnique. Il va habiter en fin d’année chez son cousin Pierre Daru (1767-1829). Il y connaît la vie de salon.
Au début de 1800, son cousin, Pierre Daru, le prend avec lui au ministère de la guerre. Son activité n’est guère satisfaisante à cause de son orthographe déplorable : il écrit « cella » par exemple (cf. Philippe Berthier, Avec Stendhal, Éditions de Fallois, 2013, p. 97). Le 7 mai, Henri Beyle part pour l’Italie où il suit Pierre et Martial Daru (1774-1827). Le capitaine Burelvillers lui apprend à se tenir à cheval, à tenir son sabre et l’essentiel de la vie militaire. Il participe aux combats en franchissant les Alpes au fort de Bard. Le 1er juin, il découvre en Italie la musique à travers Le Mariage secret (1792) de Domenico Cimarosa (1741-1801). Il découvre également l’amour vénal. Vers le 10 juin, il est à Milan. Il rencontre Angela Pietragrua (peut-être le modèle de la Sanseverina de La Chartreuse de Parme) dont il tombe amoureux (cf. La vie de Henry Brulard, chapitre 47). Le 23 septembre, il est nommé sous-lieutenant de cavalerie. Il est affecté au 6èmedragons. En décembre, il passe à Grenoble un congé de convalescence.
En 1801, il est l’aide de camp du général Claude Michaud (1751-1835) qu’il suit dans la Lombardie. Il a appris l’italien. En fin d’année il demande un congé et rentre en France. Il commence son Journal.
En janvier 1802, il connaît à Grenoble Victorine Mounier (1783-1822) qu’il aime platoniquement. Il lit et se forge une doctrine personnelle qu’il nomme la « Filosofia Nova ». Il démissionne le 1erjuillet de son poste. Il sera, pendant quatre ans, entretenu par son père, qui lui verse cent cinquante (1800 francs par an) puis deux cents francs par mois (2400 francs par an à comparer avec les 1,80 francs d’un mineur, soit un salaire annuel de 540 francs pour 300 jours de travail). Il aura le temps de lire nombre de philosophes : Hobbes (1588-1679), Condillac (1714-1780), Helvétius (1715-1771), les idéologues Destutt de Tracy (1754-1836), Cabanis (1757-1808) et Volney (1757-1820) ; et d’œuvres littéraires : Shakespeare (1564-1616), Corneille (1606-1684), Molière (1622-1673), Alfieri (1749-1803), le cardinal de Retz (1613-1679) et Saint-Simon (1675-1755, qu’il utilisera dans La Chartreuse de Parme, chapitre VI) ; et nombre de critiques littéraires. Il séjourne à Paris. Il s’essaie au théâtre, en vain. Il est amoureux de sa cousine Adèle Rebuffel (1788-1861) qui a quatorze ans, mais ne réussit qu’à être l’amant de sa mère.
En juin 1803, il revient à Grenoble où il demeure neuf mois.
En avril 1804, Henri Beyle est de retour à Paris. Il entre dans le monde du théâtre. Il prend des leçons de déclamation avec Dugazon (1746-1809). En juin, il peine sur une pièce intitulé Les Deux Hommes. Il tombe amoureux de la comédienne et chanteuse Mélanie Guilbert (1780-1828), dite Saint-Albe, qu’il a rencontrée en décembre chez Dugazon où elle prend des cours. L’empire le déçoit car il reste républicain. Il lit avec passion Destutt de Tracy (1754-1836).
En 1805, il est dandy mais manque de moyens. Il suit la Saint-Albe à Marseille. Son Journal note à la date du 25 juillet son succès auprès d’elle, à moins que ce soit le 29. Dans le même temps, il fait son apprentissage dans la banque. Il espère, en vain, que son père lui prête trente à quarante mille francs pour ouvrir une banque avec son camarade Fortuné Mante (1781- ?). Il se contente d’être employé dans la maison de produits coloniaux Ch. Meunier et Cie.
En 1806, la Saint-Albe revient à Paris en ayant perdu son rôle et son amant le 1ermars. Henri Beyle revient aussi à Paris en juillet. Le 3 août, il est initié à la loge maçonnique Sainte-Caroline. Il renoue avec Pierre Daru, alors intendant général de la Grande Armée. Il obtient une mission en Prusse où il suit Martial Daru à partir du 17 octobre. Le 27, les cousins entrent à Berlin après que l’empereur a écrasé les Prussiens. Le 29 octobre, il est nommé adjoint provisoire aux commissaires des Guerres. Il est envoyé à Brunswick où il arrive le 13 novembre. Il y tombe amoureux, sans succès, de Wilhelmine de Griesheim (1790-1881). Il se console dans les bras de Charlotte Knabelhuber, une fille entretenue par un riche hollandais, qui lui fait payer ses charmes.
À l’été 1807, il est titularisé comme adjoint provisoire aux commissaires des Guerres. À Brunswick, il exerce son poste, administre les domaines impériaux dans le département de l’Ocker et surveille les biens du roi de Westphalie.
En septembre 1808, il doit faire face à une émeute. Il connaît à Brunswick un certain Wolff, un allemand qui sert les Français avec une affectation de zèle (on en a fait le modèle du Rassi de La Chartreuse de Parme). En novembre, il quitte Brunswick et rentre à Paris où il passe quatre mois.
En 1809, il est envoyé à Strasbourg. Puis, il accompagne Daru à Vienne. Malade, il manque la bataille de Wagram. Mais à l’arrière, il voit les effets d’un affrontement de cinquante heures qui met aux prises cinq cent mille hommes (il a peut-être emmagasiné là les éléments de description de la bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme). Il est de plus en plus lié à Alexandrine, la comtesse Daru (1783-1815) durant son séjour à Vienne.
En 1810, il est de nouveau à Paris. C’est sa période mondaine. Il cherche toujours la gloire par le théâtre. Il est d’abord nommé le 1eraoût auditeur au Conseil d’État. Puis il est nommé inspecteur du mobilier et des bâtiments de la Couronne. Il a huit mille francs de rentes. Il doit faire l’inventaire du musée Napoléon (actuel musée du Louvre), ce qui lui donne accès à un fond important pour l’histoire de l’art qui va l’intéresser.
En 1811, il a une liaison avec la chanteuse d’opéra Angéline Bereyter (17..-18..) : elle durera quatre ans. Toutefois, elle n’est pas exclusive. Il note dans son Journalà la date du 3 juin qu’il a fait sa déclaration à la comtesse Daru qui ne tient qu’à être sa cousine. À la fin de l’été, il part pour l’Italie. À Milan, il a enfin Angela Pietragrua comme maîtresse. Il en date le début du 21 septembre. Il voyage à Bologne. Puis à Florence où il a un malaise. Il écrit à ce propos : « (…) les Sibylles du Volterrano m’ont donné peut-être le plus vif plaisir que la peinture m’ait jamais fait. J’étais déjà dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, ce qu’on appelle des nerfs, à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. » StendhalRome, Naples et FlorenceIl va également à Rome et à Naples. On parle à ce propos d’un syndrome de Stendhal ou de Florence qui reste discutable.
En 1812, de retour à Paris, il travaille à l’Histoire de la peinture en Italie. Le 23 juillet, il suit la Grande Armée qui part pour Moscou. Il voit l’incendie de Moscou en septembre. Il vit la retraite de Russie où il fait preuve de courage et surtout de résolution comme il le note dans son Journal. Il passe la Berezina avant la cohue. Il voit un hôpital dont les fenêtres sont bouchées par des cadavres gelés.
En 1813, il est déçu que sa conduite exemplaire pendant la retraite de Russie ne lui vaille aucune récompense. Le 31 janvier, il se console dans les bras d’Angelina Bereyter. Le 19 avril, il repart pour l’Allemagne. Il note dans son Journal à la date du 21 mai à propos de la bataille de Bautzen : « Nous voyons fort bien, de midi à 3 heures, tout ce qu’on peut voir d’une bataille, c’est-à-dire rien » (cf. La Chartreuse de Parme, Fabrice à Waterloo). La maladie lui fait quitter l’Allemagne. En décembre, il se voit affecter à la défense de Grenoble.
Fin mars 1814, Henri Beyle regagne Paris. Les Bourbons (les frères de Louis XVI, Louis XVIII [1755-1814-1824] et le futur Charles X [1757-1824-1830-1836]) reviennent dans les fourgons des ennemis. Il est en quête d’une place. La fin de l’empire est vraiment la ruine pour lui : il est couvert de dettes. En mai et juin il écrit les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase : c’est un plagiat. Il quitte Paris le 20 juillet. Il commence un séjour à Milan où il arrive le 10 août qui va durer sept ans. Son père, ultra, est récompensé : il reçoit la légion d’honneur et la mairie de Grenoble. Henri Beyle vivote d’articles qu’il publie dans les revues anglaises. Angela Pietragrua n’est plus intéressée par lui. Quant à lui, il a des pensées de suicide.
Henri Beyle quant à lui est en Italie pendant les cent jours qui commence le 1ermars. Le 18 juin, c’est Waterloo. Le 7 juillet, Napoléon abdique pour la seconde fois. Le 8 juillet, Louis XVIII entre à nouveau à Paris. Le 25 juillet 1815, après Waterloo, Stendhal dessine dans son journal un éteignoir. Il publie les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastasesous le pseudonyme de Louis-Alexandre-César Bombet. Angela Pietragrua rompt avec lui le 1erdécembre.
En 1816, Stendhal mène une vie mondaine en Italie. D’avril à juin il est à Grenoble. Il rencontre le 23 octobre Lord Byron (1788-1824) en Italie. Il lui raconte des anecdotes controuvées sur Napoléon selon le témoignage de Hobbouse qui le croit (cf. J. C. Hobbouse, Lord Broughton, Napoléon, Byron et leurs contemporains, traduction par Fournier, 1910). C’est dans l’Edinburgh Reviewque Stendhal découvre le romantisme ou romanticisme comme il dit.
En 1817, il voyage à Rome, Naples, Milan. Au printemps, il est à Grenoble puis à Paris. Au mois d’août, il est à Londres. Il publie l’Histoire de la peinture en Italiesous le nom de M.B.A.A. (Monsieur Beyle Ancien Auditeur). En septembre, il publie Rome, Naples et Florence en 1817. Sur le frontispice figure pour la première fois le pseudonyme « M. de Stendhal, officier de cavalerie » (du nom de Stendal, une ville allemande au nom de laquelle il ajoute un h, ville de l’historien de l’art Winckelmann, célèbre pour sa correspondance avec Goethe). Il écrit pour décrire son époque : « Après la gloire, nous avons la boue. » Il fait cette remarque qui montre l’importance de la politique chez lui : « On ne peut plus, au milieu de la grande révolution qui nous travaille, étudier les mœurs d’un peuple, sans tomber dans la politique. » (Rome, Naples et Florence en 1817). Il commence une Vie de Napoléon. Il rencontre pour la première fois, le 4 septembre à Paris, le philosophe Destutt de Tracy qui vient le voir après avoir lu l’Histoire de la peinture en Italie (cf. Stendhal, Souvenirs d’égotisme).
En 1818, commence son amour pour Matilde Viscontini qu’il rencontre le 4 mars. Âgée de 28 ans, épouse séparée du brutal général polonais Dembowski, mère de deux enfants, elle est une activiste politique auprès des carbonari qui luttent contre l’Autriche. Stendhal la nomme Métilde. Dans une lettre à Mareste du 21 mars 1818, il considère que la philosophie de Benjamin Constant, le chantre des libéraux (encore à notre époque) est « de la bouillie pour les enfants ». À l’automne, il séjourne sur le lac de Côme (près duquel Fabrice Del Dongo de La Chartreuse de Parme grandira).
En 1819 Stendhal doit régler la succession fort mince de son père. Il vote comme électeur pour le conventionnel Abbé Grégoire (1750-1831). Jusqu’en 1820, son amour pour Métilde Dembowski est malheureux. Il en tire De l’amour qui traite des délices de l’amour-passion même s’il s’agit d’un amour malheureux. Il perd le manuscrit. Il rencontre souvent le musicien compositeur d’opéra Rossini (1792-1868).
En 1821, la répression qui s’abat sur les libéraux dont fait partie Métilde Dembowski rend sa situation intenable. Le 13 juin, Stendhal quitte Milan. Il rentre en France où il arrive à Paris le 21 juin. Il fréquente pendant sept ans le baron Alphonse de Mareste (1784-1867), fonctionnaire de police, royaliste ultra qui ne discutait jamais de littérature ou d’amour. Pourtant, Stendhal déteste les Bourbons. En août, ses amis lui offrent une partie de filles. Il note son fiasco avec un jeune débutante Alexandrine à cause du souvenir de Métilde. Du 18 octobre au 20 novembre, il voyage en Angleterre. Il se console avec une des deux sœurs chez lesquelles il loge. De retour à Paris, il retrouve le manuscrit de De l’amour et le travaille à nouveau.
En 1822, il publie De l’amour. Alors qu’il consacre deux chapitres aux troubadours et un appendice à la codification de l’amour courtois, il écrit dans son Journal : « Les troubadours sont ennuyeux. » Il a une vie mondaine. Il collabore à partir de novembre au New Monthly Magazine. Il en perçoit des revenus importants. Avec sa rente, sa demi-solde et ses revenus des activités d’écriture, il perçoit environ neuf mille francs. Sa vie s’organise autour des salons. Le samedi, il fréquente le salon du biologiste Georges Cuvier (1769-1832), le dimanche, celui de Destutt de Tracy où il rencontre le vieux général de La Fayette (1757-1834), le mardi, à partir de 1825, celui de Mme Ancelot (1792-1875), le mercredi il est chez le baron François Gérard (1770-1837). Il fréquente le grenier du peintre et critique d’art Etienne-Jean Delécluze (1781-1863).
En 1823, il publie une Vie de Rossiniqui est son premier succès littéraire. Puis il publie un manifeste romantique (il parlait plutôt de romanticisme), Racine et Shakespeare, qui aurait lancé en France le mot « romantisme » qui suit une représentation d’Othellode Shakespeare (1564-1616) à Paris. À l’automne, il part pour l’Italie où il séjourne à Florence et à Rome.
En janvier 1824, il est à Rome. Puis il passe le reste de l’année à Paris où il a une liaison avec la comtesse Curial (dite Menti) à partir du mois de mai (les centaines de lettres entre les deux amants ont été détruites par son exécuteur testamentaire). En juillet, elle le cache pendant trois jours dans la cave de son château, le nourrit, vide sa chaise percée, place et déplace l’échelle qui lui permet de le retrouver (Le Rouge et le Noiren garde une trace). Pendant ce temps, Métilde Dembowski meurt à Milan. Il écrit sur la peinture et la musique dans le Journal de Paris. Le Globe publie ses articles. Il appartient au romantisme libéral.
En 1825, il écrit dans un pamphlet, D’un nouveau complot contre les industriels, contre ceux qui font des industriels les sauveurs du genre humain : c’est le saint-simonisme qui est peut-être visé. Dans le salon de Mme Ancelot, il peut voir Mme Récamier (1777-1849), le futur auteur de De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville (1805-1859), Chateaubriand (1768-1848). Il est l’ami de Paul-Louis Courier (1772-1825), de Mérimée (1803-1870), de l’explorateur et naturaliste Victor Jacquemont (1801-1832). Il publie une deuxième version de Racine et Shakespeare.
En 1826, il voyage en Angleterre (c’est son troisième séjour à Londres). Il travaille à un roman qui sera Armance. À Saint Omer, à son retour de voyage d’Angleterre, le 15 septembre, la comtesse Curial rompt avec lui. Elle lui préfère M. de Rospiec (cf. Stendhal, Vie de Henry Brulard, chapitre I). 
En février 1827 paraît une nouvelle édition remaniée de Rome, Naples et Florence. En août paraît Armance. Le livre lui rapporte 1000 francs, mais la baisse de ses revenus journalistiques le met en crise financière. Il repart pour l’Italie en juillet. Il va à Naples, à Ischia, où le 15 septembre, il pense à sa rupture un an plus tôt avec la comtesse Curial, à Rome. À Florence, il rencontre Lamartine (1790-1869).
Début janvier 1828, il est refoulé de Milan par la police autrichienne à cause de la deuxième version de Rome, Naples et Florence. Il passe l’année à Paris et y cherche un emploi. Il écrit un Henri III.
En 1829, il a une liaison avec Alberthe de Rubempré (dite Sanscrit ou Mme Azur). Il a pour rival le peintre Eugène Delacroix (1798-1863). D’où une passion, de la jalousie. En juin, il est comblé. En septembre, il publie Promenades dans Rome. Et il s’éloigne d’Alberthe de Rubempré. À Marseille, les 25 et 26 octobre, l’idée du Rouge et du Noir lui vient. En décembre, il fait paraître dans La Revue de ParisVanina Vanini ou Particularités sur la dernière vente de carbonari dans les états du pape. C’est Mareste qui le remplace auprès d’Alberthe de Rubempré (pendant trente-huit ans). Il écrit Le Coffre et le Revenant qui va paraître dans la Revue de Paris et Mina de Vanghel qui restera inédit de son vivant.
En janvier 1830, il rencontre Victor Hugo (1802-1885). Giula Rinieri de Rocchi (1801-1881) devient amoureuse de lui : « Je sais bien et depuis longtemps que tu es laid et vieux, mais je t’aime » lui déclare-t-elle le 3 février. Toutefois, il ne lui cède que deux mois après. Entre temps, il publie en mars dans la Revue de Paris, un article intitulé « Lord Byron en Italie ». Les 27, 28 et 29 juillet ont lieu les Trois Glorieuses qui mettent fin à la Restauration. La monarchie de juillet qui s’installe va lui offrir une situation. Le 25 septembre, il obtient du ministre François Guizot (1787-1874) un consulat en Italie, un poste de préfet lui ayant été refusé. Le 6 novembre, il part pour Trieste en tant que consul après avoir demandé, sans succès, la main de Giula Rinieri à son tuteur. Le 13 novembre paraît Le Rouge et le Noir. Il a perçu pour céder ses droits 1500 francs. Victor Hugo n’y voit que du patois. Goethe (1749-1832) y voit le meilleur ouvrage de Stendhal. Le 21 novembre, le chancelier autrichien Metternich (1873-1859) demande au gouvernement français de nommer un autre consul que lui. Le 25 novembre, il arrive à Trieste. Il apprend officiellement le refus du gouvernement autrichien le 24 décembre de lui accorder l’exequatur. Il est alors nommé consul à Civitavecchia, une petite ville dans les États pontificaux. Avec ce changement d’affectation, il perd quinze mille francs de revenus pour dix mille francs.
Le 4 janvier 1831, il écrit à quel point il s’ennuie à Trieste. En février, il décide de ne plus rien publier tant qu’il demeurera fonctionnaire. Le 17 avril, il prend ses fonctions à Civitavecchia. C’est une petite bourgade de sept mille cinq cents habitants, sans compter les mille forçats et les étrangers débarquant pour Rome qui se situe à quatre-vingts kilomètres. Il a du mal à supporter le travail administratif d’autant plus qu’il va progressivement entrer en conflit avec le chancelier du consulat, Lysimaque Tavernier (1805- ?. Stendhal a peut-être transposé sa propre histoire dans le conflit entre le comte Mosca et le fiscal Rassi dans La Chartreuse de Parme). Il préfère l’atmosphère de Paris. Toutefois, il entreprendra à de multiples occasions des fouilles archéologiques à Tarquinia et à Cerveteri situées à quelques dizaines de kilomètres de Civitavecchia (ces fouilles inspireront certains passages de La Chartreuse de Parme, chapitre VII ; chapitre IX ; chapitre XI). C’est le 25 juillet que le gouvernement pontifical lui accorde l’exequatur. Fin septembre, il écrit San Francesco a Ripa qu’il ne publie pas.
En 1832, il voyage à travers l’Italie. Il écrit les douze premiers chapitres des Souvenirs d’égotisme(publiés à titre posthume) entre le 20 juin et le 4 juillet. Il s’interrompt définitivement. En septembre, il commence un nouveau roman, Une position sociale, qu’il ne terminera jamais. Il y décrit l’ambassadeur de France à Rome Louis-Clair de Beaupoil de Sainte-Aulaire (1778-1854) et rêve à sa femme, la belle comtesse de Saint-Aulaire (1802-1873) : ce n’est guère publiable. La même année, il revoit Giula Rinieri qui lui prouve son amour.
En 1833, il découvre des manuscrits qu’il copie. Ils lui donneront le thème de ce que nous nommons les Chroniques italiennes. Giula Rinieri, lasse de l’attendre, même si elle lui prouve encore qu’elle l’aime, se marie le 24 juin. Stendhal lui écrit : « Eh bien donc, nous ne serons qu’amis ». Le 15 décembre, il rencontre à Lyon l’écrivaine George Sand (1804-1876) et le poète Alfred de Musset en route pour l’Italie. Stendhal y retourne après un séjour à Paris. Ils descendent ensemble le Rhône.
En 1834, il est ou à Civitavecchia ou plus souvent à Rome. Il entreprend Lucien Leuwen (roman inachevé publié à titre posthume) en mai. La satire de la monarchie de Juillet y est féroce. Le livre III, abandonné, devait se situer à Rome. Sur l’exemplaire Bucci du Rouge et le noir, il écrit : « M. de Tracy me disait : on ne peut plus atteindre au vrai (il n’y a plus de vérité) que dans le roman » (cité par Daniel Moutote, « L'expression de l'égotisme dans les romans de Stendhal », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1974, n°26. p. 207). Le 21 décembre, dans une lettre à Sainte-Beuve, il a ce mot : « Le siècle progresse ! Quel joli mot qui rime avec graisse ! » 
En janvier 1835, il reçoit la légion d’honneur comme homme de lettres. Il a la vue qui baisse ; il porte donc des lunettes à partir du 1erseptembre. Il a les dents qui tombent. En novembre, il délaisse Lucien Leuwen pour la Vie de Henry Brulard (publié à titre posthume).
Le 26 mars 1836, il interrompt définitivement La vie de Henri Brulard lorsqu’il apprend que sa deuxième demande de congé pour Paris est acceptée. Il a obtenu trois mois mais le congé va durer trois ans grâce notamment au premier ministre, le comte Louis Molé (1781-1855). Il perçoit toujours ses dix mille francs annuels de traitement. Il travaille sur les Mémoires sur Napoléon. Restant amoureux de la comtesse de Saint-Aulaire, il l’est également de la comtesse Cini (dite Sandre) : ce sont des amours “platoniques”. Durant son congé, il voyage en France, mais également en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique. En novembre, il travaille à nouveau à sa Vie de Napoléon. Il tente sans succès de renouer avec la comtesse Curial. Il s’attache en vain à sa vieille amie, Mme Sophie Gauthier, l’amie de sa sœur Pauline.
En 1837, il essaie de reprendre la vie mondaine de 1820 sans beaucoup de succès. Il commence à publier dans la Revue des deux Mondes certaines de ce que nous nommons ses Chroniques italiennes Vittoria Accoramboni, le 1er mars et Les Cenci le 1er juillet. Il commence les Mémoires d’un touriste. Il revoit Giula Rinieri à Paris. En juin, il arrête de travailler à sa Vie de Napoléon sans l’avoir achevé. Il a un projet de récit qui reste inachevé, Le Rose et le Vert.
Le 25 juin 1838, il publie les Mémoires d’un touriste. C’est le récit par un pseudo-représentant en objets de verre d’un voyage en France. Le mot tourisme qu’il acclimate ainsi est d’origine anglaise. Il continue à publier des Chroniques italiennes La Duchesse de Palliano le 15 août. Le 16 août, il a le projet d’une nouvelle tirée de la jeunesse d’Alexandre Farnèse intitulé Origines des grandeurs de la famille Farnèse. Elle raconte l’ascension d’Alexandre Borgia, futur pape Paul III, son ascension grâce à sa tante Vandozza Farnèse. Est-ce un modèle de la Sanseverina de La Chartreuse de Parme ? À son propos, Stendhal a noté : « Voici la famille Farnèse qui fait fortune par une catin, Vandozza Farnèse ». Ce qui n’est pas le cas de l’héroïne du roman. L’histoire conte aussi les amours d’Alexandre avec une noble romaine, Cléria. Le prénom est proche de Clélia, l’aimée de Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme. Ce jour-là, sur la copie du texte, Stendhal écrit : « Make of this sketch a romanzetto. » Dans le même temps, il fait, à partir du 1erseptembre, le récit pour deux jeunes filles de la bataille de Waterloo d’un héros prénommé Alexandre. Il s’agit des filles de la comtesse de Montijo, Paca et Eugénie, la future femme de Napoléon III (la dédicace à la fin du chapitre III en est la marque). Il revoit Giula Rinieri. Puis, le projet de romanzetto prend corps, augmente et devient un roman. Il commence à rédiger L’Abbesse de Castro en septembre. À partir du 4 novembre, il s’enferme au quatrième étage du 8 rue Caumartin. Le 15, il a déjà dicté, à un copiste embauché pour l’occasion, 270 pages de son manuscrit. Le 2 décembre, il en est à 640 pages. À noël, Stendhal a terminé La Chartreuse de Parme. Le 26 décembre, il remet son manuscrit à Romain Colomb (1784-1858), son cousin par la branche maternelle, qui le confit à l’éditeur Ambroise Dupont.
Le 24 janvier 1839, le contrat est signé avec Ambroise Dupont. Le libraire achète les droits pour cinq ans pour 2500 francs. Les 1er février et 1er mars 1839, L’Abbesse de Castro paraît dans La Revue des Deux Mondes. Du 6 février au 26 mars, Stendhal corrige les épreuves de La Chartreuse de Parme. Il a dû éliminer des passages car son éditeur trouvait le roman trop long. Entre temps, Le Constitutionnel publie l’épisode de Waterloo le 17. En mars, le ministre Molé tombe. Le 20 mars, Balzac lui écrit pour louer son texte sur Waterloo tout en lui exprimant sa jalousie, autre façon d’en faire l’éloge. Balzac (1799-1850) attend avec impatience le livre. Le 5 avril, après avoir reçu un exemplaire avant la publication qu’il a lu, il lui envoie une lettre pour le féliciter tout en lui faisant non des critiques mais des observations. Il n’aurait pas dû nommer la ville ni l’État. Il trouve des longueurs pour le lecteur vulgaire. Quant à la fin, elle est trop rapide. Il manque quelques descriptions physiques de personnages. Il aurait pu aussi montrer Rassi en son intérieur pour préparer la fin. La Chartreuse de Parmeest publiée le 6 avril. Le 14 avril, Balzac écrit à Mme Hanska : « Beyle vient de publier à mon sens le plus beau livre qui ait paru depuis cinquante ans. » Le 24 juin, Stendhal doit partir pour Civitavecchia retrouver son poste. Il fait des détours de sorte qu’il n’y arrive que le 10 août. Il est surtout à Rome où Mérimée le retrouve. Il entreprend Lamiel (inachevé qui sera publié à titre posthume). Le 28 décembre L’Abbesse de Castro paraît avec trois autres nouvelles, Vittoria AccoramboniLes CenciLa Duchesse de Palliano (le recueil recoupe partiellement nos Chroniques italiennes).
En 1840, il réside peu à Civitavecchia. Il est surtout à Rome. Il est amoureux d’une mystérieuse « Earline ». Il parle de « The last romance ». Le 25 septembre, Balzac, enthousiaste fait paraître dans la Revue parisienneson article sur La Chartreuse de Parme. L’article fait 69 des 124 pages de la revue. Il le qualifie d’« homme de génie ». Mais il lui reproche aussi un style négligé. Le 15 octobre, Stendhal reçoit l’article de Balzac sur La Chartreuse de Parme. Le 16 octobre, il lui écrit comment il a procédé, à savoir écrire 20 à 30 pages par jour puis se distraire. Ayant tout oublié le lendemain matin, il relit les trois ou quatre dernières pages et reprend sa tâche. Il s’est très peu corrigé. Le 10 novembre, il note : « Après avoir [lu] l’article de M. Balzac je prends mon courage à deux moins pour corriger le style. » Mais il va progressivement abandonner ce travail de correction. Il publie en collaboration avec le peintre suisse Abraham Constantin les Idées italiennes sur quelques tableaux célèbres qu’il destine à la mystérieuse « Earline ». Il retrouve la tendresse avec Giula Rinieri à Florence.
Le 15 mars 1841, il a une attaque d’apoplexie. Il écrit « Je me suis colleté avec le néant » (lettre à Domenico Fiore du 5 avril 1841). Toujours à son ami Domenico Fiore, il écrit : « Je vous aime réellement, et il n’y a pas foule. » (lettre à Domenico Fiore du 19 avril 1841). En août, il note que la femme du sculpteur Bouchot lui a donné deux grandes joies « perhaps the last of his life » comme il le note. Le 21 octobre il part pour Paris en congé où il arrive en novembre. Il travaille régulièrement. Peut-être à Lamiel.
Le 21 mars, il s’engage à fournir des nouvelles à la Revue des deux Mondes pour 2500 francs. Le 22 mars, il a une nouvelle attaque d’apoplexie dans la rue Neuve-des-Capucins à sept heures du soir. Il ne reprend pas connaissance. Le 23 mars, Henri Beyle meurt à deux heures du matin. Romain Colomb devient son exécuteur testamentaire. Il lègue à son ami Donato Bucci (1798-1870) sa bibliothèque qui contient notamment des exemplaires annotés d’Armance, des Promenades dans Rome, du Rouge et le noir, de La Chartreuse de Parmeet des Mémoires d’un touriste.
Sur sa tombe est inscrit en italien : Arrigo Beyle Milanese Scrisse Amò Visse (Henri Beyle. Milanais. Il écrivit. Il aima. Il vécut.)

En 1850, Prosper Mérimée fait paraître de façon anonyme une plaquette, H.B., qui présente un Stendhal grotesque, incohérent, immoral. Il écrit notamment : « Il n’avait aucune idée religieuse, ou s’il en avait, il apportait un sentiment de colère et de rancune contre la Providence. « Ce qui excuse Dieu, disait-il, c’est qu’il n’existe pas. » »
En 1876, ses Mémoires sur Napoléon sont publiés.
En 1888, son Journalest publié.
En 1890, sa Vie de Henry Brulard est publiée.
En 1893, ses Souvenirs d’égotisme sont publiés.
En 1894, Lucien Leuwen est édité.
En 1932, Une position socialeest publiée.
En 1928, Le Rose et le Vert, un projet de récit inachevé, est publié.
En 1980, l’inventaire du fonds Bucci est publiée par Victor Del Litto (1911-2004), fonds qui se trouve à Milan dont il remarque que les Autrichiens en avaient expulsé Henri Beyle.



jeudi 20 août 2015

Tchékhov (1860-1904), biographie

Taganrog
Anton Pavlovitch Tchékhov est né le 17 janvier (29) 1860 à Taganrog, un port au bord de la mer d’Azov, près de l’embouchure du Don, en Ukraine. Il est le troisième fils de Pavel Egorovitch Tchekhov (1825-1898).
Son grand-père, Egor Tchékhov, était un serf vivant en Ukraine. Il avait réussi à force de travail à devenir intendant d’une comtesse. À force d’économie il se rachète en 1841. Son père avait 36 ans au moment de l’abolition du servage par le Tsar Alexandre II (1818-1855-1881) en février 1861.
Le père d’Anton s’installe à Taganrog. Il travaille comme commis. Puis il réussit à s’établir à son compte comme épicier.
En 1854, il épousa Evguenia Yakolevna Morozova, fille de marchands de draps dont il eut cinq fils et une fille : outre Anton, Alexandre (1855-1913), Nicolaï (1858-1889), Ivan (1861-1922), Mikhaïl (1865-1936) et Maria Pavlovna (1863-1957). L’éducation qu’il donna à ses enfants était rude. On peut lire dans le passage suivant d’une lettre à Souvorine datée du 7 janvier 1889 le souvenir qu’en gardait Tchekhov :
« Essayez donc d’écrire l’histoire d’un jeune homme, fils d’un serf, ancien boutiquier, chantre à l’église, lycéen, puis étudiant, dressé à courber l’échine, à baiser les mains des popes, soumis aux idées d’autrui, reconnaissant pour chaque morceau de pain, cent fois rossé, courant, misérablement chaussé, donner quelques leçons ; bagarreur, aimant torturer les animaux, acceptant avec gratitude les dîners de riches parents ; hypocrite devant Dieu et devant les hommes sans besoin aucun, simplement par conscience de sa propre nullité. »
Les enfants Tchékhov eurent une instruction secondaire, travaillaient dans la boutique paternelle et participaient à la chorale de l’Eglise. Anton, dès l’âge de neuf ans est soumis à cette rude épreuve à laquelle s’ajoutent les cours d’une école professionnelle de tailleurs et de cordonniers.
C’est en vacances, chez son grand-père, toujours intendant, qu’il découvre la douceur et les parfums champêtres.
L’agitation révolutionnaire est présente en Russie. Le tzar Alexandre II échappe à un premier attentat le 4 avril 1866, perpétré par Karakozov, un étudiant membre d’un groupe révolutionnaire (Cf. Constantin de Grunwald, Société et Civilisation russes au xix° siècle, Seuil, Points histoire, 1975, p. 258.). La période des réformes s’arrête. Toutefois, l’émancipation féminine commence. Voïnitski dans Oncle Vania persifle sa mère à ce propos (Acte I, p.16). À partir des années 1870, la Russie connaît le mouvement populiste (en un sens laudatif) qui prône une attention de l’intelligentsia pour le peuple et un mouvement de retour au peuple (cf. Constantin de Grunwald, Société et Civilisation russes au xix° siècle, pp. 263-264). Les jeunes révolutionnaires se font ouvriers agricoles mais rencontrent peu de succès auprès des paysans qui dénoncent souvent leurs activités de propagande aux autorités. Tchekhov qui vient du peuple n’aura guère besoin d’y revenir. Les attentats terroristes et les procès sont nombreux comme celui de Véra Zassoulitch (1849-1919), acquittée quoiqu’elle ait grièvement blessé le général Trepov, préfet de police et tortionnaire (cf. Constantin de Grunwald, Société et Civilisation russes au xix° siècle, p.264).
Anton découvre le théâtre en 1873 en assistant au Théâtre Municipal de Taganrog à la représentation de La Belle Hélène, opéra-bouffe en trois actes, composé en 1864 par Jacques Offenbach (1819-1880) sur un livret de Ludovic Halévy (1834-1908) et Henri Meilhac (1831-1897). Il songe en 1874 à écrire une tragédie à partir du Tarass Boulba (1835) de Gogol (1809-1852). Il joue avec ses frères Le Révizor (1836) du même Gogol. Sérébriakov, dans Oncle Vania, commencera son discours annonçant son intention de vendre le domaine en citant la première phrase de cette pièce (Acte III, p.72).
En 1875, les affaires du père de Tchékhov périclitent. Ses frères aînés, Alexandre et Nikolaï partent pour Moscou.
En avril 1876, son père quitte secrètement Taganrog pour Moscou. Seuls Anton et Ivan ne partent pas. Jusqu’en 1879, Anton vit pauvrement de leçons particulières.
En 1877, après un séjour à Moscou, il publie dans Le Bègue, la gazette des élèves de son lycée.
C’est en 1878 qu’il écrit son premier drame Sans père, non retrouvé.

Moscou
Reçu bachelier en juin 1879, il rejoint sa famille à Moscou grâce à une bourse d’étudiant de la ville de Taganrog. Anton s’inscrit à la faculté de médecine. Il mène de front ses études et son travail littéraire. Il devient le principal soutien de sa nombreuse famille. Ses frères aînés travaillent mais Alexandre, qui écrit aussi, vit avec une femme adultère qui a un enfant et Nicolaï, qui peint, est tuberculeux et boit. Ils vivent dans des taudis. Anton collabora, sous divers pseudonymes, dont Antocha Tchekonté qu’il gardera jusqu’en 1885, à plusieurs revues humoristiques dans lesquels il publie des contes, des reportages, etc.
En 1880, il publie la Lettre d’un propriétaire du Don à son savant voisin dans la revue humoristique La Cigale. Il écrit un drame découvert en 1920, imprimé en 1923 et intégré aux Œuvres complètes de l’édition soviétique de 1949. On la nommera Pièce sans titre puis Jean Vilar (1912-1971) choisira Ce Fou de Platonov et parfois on se contente d’un simple Platonov.
Le 1er mars 1881, le tzar Alexandre II est assassiné. Le nouveau Tsar, Alexandre III (1845-1881-1894) conduira une politique “réactionnaire”. Le régime policier, la censure, un antisémitisme d’État avec des pogroms couverts par la police seront le contexte politique dans lequel Tchekhov vivra désormais.
En 1882, sa pièce, Platonov, est refusée par le théâtre Maly. La pièce Sur la grand-route, tirée du récit En Automne, est interdite par la censure. Elle ne sera ni publiée ni jouée du vivant de Tchékhov. Il collabore aux Éclats, revue humoristique qui paraît à Pétersbourg.
En 1883, Plekhanov (1856-1918), le père du marxisme russe, fonde un groupe révolutionnaire.
En 1884, après avoir achevé ses études, il exerce la médecine à Moscou et dans ses environs, dans les petites villes de Voskressensk, où son frère Ivan était instituteur, et Zvenigorad. Il voit trente à quarante malades par jour et en tant que médecin régional, il doit accompagner le juge d’instruction. Le directeur du journal humoristique Les Éclats (Oskolki) édité à Pétersbourg, Nicolaï Alexandrovitch Leïkine (1841-1906), l’encourage. Cette même année paraît son premier recueil de six récits sur les acteurs : Les Contes de Melpomène. Les premiers symptômes de la tuberculose apparaissent : il crache du sang, mais il refuse de reconnaître la maladie.
En 1885, il rencontre le peintre paysagiste Isaac Levitane (1860-1900). Dans cette période, il s’attache à Tolstoï (1828-1910) qui, après sa crise morale de 1881, a exprimé dans Mes confessions, une doctrine morale et non violente tournée vers le don aux pauvres. Tolstoï, d’une famille de grande noblesse, songea à se faire moine et à donner sa fortune aux pauvres.
En 1886 Anton habite une agréable maison à étages à Moscou. Il lit Darwin (1809-1882), qui a formulé sa théorie de l’évolution en 1859 dans la première édition de L’origine des espèces et en 1871, dans The Descent of Man and Selection in Relation to sex qui en est l’application à l’homme.
« Je lis Darwin. Quelle merveille ! » écrit-il dans une lettre.
Il devient collaborateur de la revue conformiste ou réactionnaire, comme on voudra, Temps nouveaux et y fait la connaissance de son directeur, Alexis Sergueïevitch Souvorine (1834-1912), qui deviendra plus tard son éditeur et grand ami. Une lettre datée du 25 mars de l’écrivain Dimitri Grigorovitch (1822-1899) l’adjure de se prendre au sérieux et de ne pas gaspiller son temps.
« Je ne suis pas journaliste, ni un éditeur ; je ne puis me servir de vous qu’en vous lisant ; si je parle de votre talent, j’en parle avec conviction ; j’ai soixante-cinq ans passés, mais j’ai gardé encore tant d’amour pour la littérature ; ses succès me sont si chers ; je me réjouis tellement lorsque je rencontre en elle quelque chose de vivant, de doué, que je n’ai pu – comme vous le voyez – me retenir, et je vous tends les deux mains (…) Vous êtes, j’en suis sûr, appelé à écrire quelques œuvres admirables, réellement artistiques. Vous vous rendrez coupable d’un grand péché moral si vous ne répondez pas à ces espérances. Voici ce qu’il faut pour cela : respecter le talent que l’on reçoit si rarement en partage. Cesser tout travail hâtif. Je ne connais pas votre situation de fortune ; si vous êtes pauvre, souffrez plutôt la faim, comme nous en avons souffert autrefois, gardez vos impressions pour une œuvre réfléchie, achevée, écrite non d’un seul jet, mais pendant les heures bienheureuses de l’inspiration. »
Il lui répond pour le remercier :
« Je sentais bien que j’avais du talent, mais j’avais pris l’habitude de ne pas en faire cas... ».
En février, paraît Des méfaits du tabac. En mars, il écrit notamment à son frère Nikolaï
« Si une personne a du talent, il le respectera, et lui sacrifiera la paix, les femmes, le vin et la vanité ».
En mai paraît son second recueil : Récits bariolés. Il écrit une pièce en un acte Le Chant du Cygne tiré de son récit Calchas.
Le 1er mars 1887 a lieu un attentat raté contre Alexandre III auquel participe le populiste Alexandre Ilitch Oulianov (1866-1887), le frère aîné de Lénine (1870-1924). Il est pendu. Tchekhov publie un recueil Au Crépuscule. Il rédige une grande nouvelle, La Steppe. Le 19 novembre, il fait jouer Ivanov au théâtre Korch, à Moscou qui suscite des controverses dans le public et la critique. Le personnage éponyme a épousé cinq ans plus tôt une juive qui s’est convertie et qui a été rejetée par ses parents. Il était confiant dans la vie. Il ne l’aime plus, semble la tromper et passe pour un être vil qui ne cherche que des dots, alors qu’il est sincère. Après la mort de sa femme, il finit par se suicider le jour où il devait épouser la jeune Sacha, fille de sa créancière. Dans une lettre datée du 30 décembre 1888, Tchékhov écrit à son propos à Souvorine :
« S’il est coupable, il ne sait pourquoi. Des gens comme Ivanov ne peuvent pas résoudre les problèmes, mais ils succombent sous leur poids. »
En 1888, Tchékhov publie des récits plus longs et plus graves comme La Steppe (en mars) qui fait sensation, Les Feux, etc. Il compose des pièces légères comme Une demande en mariage en octobre. Le 28, L’ours, un petit vaudeville en un acte, est créé au Théâtre Korsch à Moscou et obtint un franc succès. La reprise d’Ivanov, quelque peu remanié, obtient un triomphe à Pétersbourg. Dans une lettre datée du 4 octobre à Pleschev, il écrit :
« Le saint des saints est pour moi le corps humain, la santé, l’esprit, le talent, l’inspiration, l’amour et la liberté absolue. ».
À son éditeur, Souvorine, il écrit :
« L’artiste ne doit pas être le juge de ses personnages et de ce qu’ils disent, mais seulement le témoin impartial : mon affaire est seulement d’avoir du talent, c’est-à-dire de savoir distinguer les indices importants de ceux qui sont insignifiants, de savoir mettre en lumière des personnages, parler leur langue. »
Il se voit récompensé par le Prix Pouchkine décerné par l’Académie des Sciences pour son recueil Au Crépuscule. Il publie un autre recueil, Récits. Un attentat a lieu contre la famille impériale à Borki.
En juin 1889, Nicolas, son frère aîné, meurt de la tuberculose. Il publie en septembre une grande nouvelle Une morne histoire (ou Une banale histoire). L’homme à l’étui fait la caricature de maîtres d’école sans génie. Sa comédie, Le sauvage ou Le Sylvain ou L’esprit des bois, est refusée par le comité de lecture des théâtres impériaux pour « manque de qualités dramatiques ». Il la remaniera pour en faire Oncle Vania. Il publie en mai Le Tragédien malgré lui et Une Noce en octobre, pièce d’abord jouée par des amateurs. Le même mois, il écrit à Souvorine son credo relatif à la science :
« Tout ce qui vit sur terre est nécessairement matériel (…) les gens pensants sont matériels aussi par nécessité. Ils cherchent la vérité dans la matière car ils ne peuvent pas la chercher ailleurs, puisqu’ils ne voient, n’entendent et ne sentent qu’elle seule. Ils ne peuvent de nécessité, chercher la vérité que là où peuvent leur servir leurs microscopes, leurs sondes et leurs scalpels. Défendre à l’homme la tendance matérialiste, c’est lui interdire de chercher la vérité. Hors la matière, il n’y a ni expérience, ni science, ni par conséquent de vérité. »
L’esprit des bois est créé le 27 décembre 1889 au théâtre privé Abramova à Moscou : c’est un échec. La Sonate à Kreutzer de Tolstoï (1828-1910), un drame de la jalousie, est censuré(e). Des copies circulent. Tchékhov condamne l’œuvre en tant qu’homme et médecin.
En 1890, malgré un état de santé précaire (il est atteint aux poumons), il part en avril pour l’île de Sakhaline où sont relégués dix mille déportés et forçats. Il y arrive en juillet et y restera jusqu’en octobre. Il y voit l’abaissement, l’avilissement, le mépris de l’humain. Peut-être écrit-il Oncle Vania à son retour. En effet, il écrira à Gorki dans une lettre datée du 3 décembre 1898 : « Il y a très longtemps que j’ai écrit Oncle Vania ». À Diaghilev que c’est en 1890 qu’il l’a écrit. Il écrit pour Temps nouveaux ses Lettres de Sibérie et commence L’Île de Sakhaline. Il écrit deux comédies : Le Tragédien malgré lui et Une noce.
En 1891, il fait le premier de ses cinq voyages en Europe. Il visite l’Italie, Venise qui l’enchante, Bologne, Florence, Rome et Naples, la France, Nice, Monte-Carlo, Paris, l’Allemagne et l’Autriche, Vienne. Il travaille à L’Île de Sakhaline. Il publie des récits : Le Duel, Les Babas, Kachtanka. Le Jubilé est une pièce publiée et jouée sur les scènes de province et d’amateurs. En décembre, il participe à la lutte contre la famine qui sévit dans les gouvernements du centre.

Mélikhovo
En 1892, il trouve le village de ses rêves : Mélikhovo. Il y achète une propriété. Ses parents et sa sœur s’y installent avec lui. On lui rend visite. Lévitane y peint le paysage. En juillet, il soigne gratuitement les paysans et prend une part active à la lutte contre l’épidémie de choléra. Sa maison sert de dispensaire gratuit pour les paysans. Il contribue financièrement à la construction d’écoles et à l’enrichissement de bibliothèques. Il publie Salle 6. Dans un hôpital où les fous sont maltraités, un médecin, Andréï Efimitch Raguine a tenté d’y mettre bon ordre mais finit par se lasser. Il commence à fréquenter la salle 6 et à dialoguer avec un paranoïaque, Gromov, qui remet en cause sa “philosophie tolstoïenne”. On accuse le médecin de folie et on l’enferme. On ne manquera pas de lire, dans les propos du fou, une critique du cynisme antique de Diogène (~413-~327 av. J.-C.) et du stoïcisme et de Marc-Aurèle (121-180) (cf. Tchékhov, La Steppe Salle 6 L’Évêque, Paris, Gallimard, Folio classique, n°3847, pp. 217-223).
Son intense activité médicale et sociale se poursuit à Mélikhovo en 1893. Il a des difficultés avec la censure à cause de L’Île de Sakhaline. Il publie le Récit d’un Inconnu ainsi que Le Moine Noir. Il fréquente la chanteuse Lika Mizinova qu’il n’épouse pas. Un deuxième voyage en 1894 le mène en Autriche, à Vienne, en Italie, à Milan et Gènes, en France à Nice et Paris, en Allemagne, à Berlin.
Alexandre III meurt le 1er novembre 1894. Lui succède le futur dernier tzar, Nicolas II (1868-1894-1917-1918), que les Bolcheviks fusilleront avec sa famille le 17 juillet 1918. L’opposition révolutionnaire des sociaux-démocrates et des socialistes révolutionnaires se poursuit. Une lettre adressée à Souvorine et datée du 27 mars, montre son détachement vis-à-vis de la morale de Tolstoï :
« La philosophie tolstoïenne me touchait très fort, elle a régné sur moi dix-sept ans et ce qui agissait sur moi ce n’étaient pas les protestations générales, que je connaissais auparavant, mais la manière tolstoïenne de s’exprimer, le bon sens et sans doute une sorte d’hypnotisme. Or à présent, quelque chose proteste en moi ; la prudence et le sens de la justice me disent qu’il y a dans l’électricité et la vapeur plus d’amour des hommes que dans la chasteté et le refus de manger de la viande »
En 1895, il vit essentiellement à Mélikhovo. Il rend visite à Léon Tolstoï à Iasnaïa Poliana. Il publie Trois années. En novembre il écrit La Mouette. À Souvorine, il écrit dans une lettre datée du 21 novembre :
« J’écris La Mouette non sans plaisir, bien que je me sente terriblement en faute quant aux conditions de la scène (…) C’est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (une vue sur un lac) ; beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour. »
En décembre, la pièce est lue à Moscou pour être soumise au jugement de Vladimir Némirovitch-Dantchenko (1858-1943). Le 17 octobre 1896, La Mouette échoue bruyamment sur la scène du Théâtre impérial Alexandrineski de Pétersbourg devant Tchékhov, assis dans une loge. Le 21 octobre par contre, la pièce connaît un succès considérable. Tchékhov fait la connaissance du metteur en scène Constantin Stanislavski (1863-1938). Tchékhov publie Ma Vie, une fiction autobiographique. En mars 1897, il est terrassé par une grave crise d’hémoptysie alors qu’il dîne dans un restaurant avec des amis, dont Souvorine. Ses deux poumons sont atteints. Il est hospitalisé dans une clinique de Moscou où il reçoit la visite de Tolstoï le 28 mars. Les deux hommes s’entretinrent de l’immortalité de l’âme comme l’indique une lettre à Menchikov datée du 16 avril 1897 :
« Léon Nicolaévitch est venu me voir et nous avons eu une très intéressante conversation, intéressante surtout pour moi qui écoutais plus que je ne parlais. Nous avons parlé de l’immortalité. Il croit à l’immortalité dans un sens Kantien : il pense que nous tous (hommes et animaux) survivrons au sein d’un principe (raison, amour) dont l’essence et le but constituent pour nous un mystère. Pour ce qui est de moi, ce principe ou élément m’apparaît sous la forme d’une masse informe et gélatineuse ; que mon moi, ma personnalité, ma conscience se fondent avec cette masse ? non ; je ne veux pas d’une telle immortalité, je ne la comprends pas et Léon Nicolaévitch s’étonne que je ne la comprenne pas. » [Je dois avouer ne pas comprendre en quoi une telle conception serait kantienne. Kant défend plutôt la thèse d’une immortalité individuelle de l’âme, thèse qu’il nomme un postulat de la raison pratique en tant qu’elle est nécessaire pour penser la morale dans la Critique de la raison pratique (1788)]
En mai paraît un recueil de pièces parmi lesquels Oncle Vania, jusque là inconnu(e). La pièce est jouée avec succès en province à l’étonnement de Tchékhov. Il publie Les Moujiks, un tableau très noir de la campagne russe. Il part en septembre pour l’Europe, gagne Biarritz puis Nice où il passera l’hiver. Des Français il écrit :
« Comme il se donne du mal, comme il paie pour tous, ce peuple qui va au-devant des autres et qui donne le ton à la culture européenne. »
En 1898, le J’accuse de Zola, publié le 13 janvier dans L’Aurore, produit une profonde impression sur Tchékhov. À cause du parti pris anti-dreyfusard de Souvorine, Tchékhov s’éloigne de lui. En septembre, Tchékhov assiste aux répétitions du Tsar Fédor et de La Mouette. Il fait la connaissance d’Olga Léonardovna Knipper (1868-1959). À Moscou, le Théâtre d’Art ouvre le 14 octobre ‑ le mois où il perd son père. Il a été fondé par Constantin Stanislavski et Vladimir Némirovitch-Dantchenko qui l’a convaincu de monter la pièce. Elle est jouée le 18 décembre. C’est un triomphe. Le parti social-démocrate russe est fondé à Minsk. Le parti social-révolutionnaire est lui aussi fondé. Il fait le procès de ce que l’on appelle le bonheur dans une étonnante nouvelle, Le Groseillier épineux ou Les Groseillers où il essaie de montrer que le sens de la vie n’est pas la recherche du bonheur mais « faire le bien ».

Yalta ou l’île du Diable
Sur les instances de ses médecins qui lui conseillent de passer ses hivers en Crimée, il doit abandonner Mélikhovo. C’est ainsi que sur la côte sud de la Crimée, aux portes de Yalta, il achète un terrain caillouteux et aride où il fait bâtir une grande villa blanche qui surplombe la mer. Il y plante des arbres.
En 1899, la propriété de Mélikhovo est vendue. En août, Olga Knipper lui rend visite et ils échangent leur premier baiser. Le 26 octobre, c’est la première d’Oncle Vania en l’absence de Tchékhov : c’est un succès. Tolstoï trouvait que la pièce manque de « véritable nerf dramatique ». Maxime Gorki, dans une lettre datée de novembre, écrit qu’il a pleuré tellement la pièce l’a bouleversé. C’est Olga, sa future femme qui interprète le rôle d’Éléna Andréevna. Il publie La Dame au chien.
En 1900, Tchékhov est élu membre de la Section des belles lettres de l’Académie des Sciences. Maxime Gorki (1868-1936) lui rend visite. Le Théâtre d’Art se rend en avril à Yalta et Sépastopol. Il peut assister à la représentation de ses pièces, La mouette et Oncle Vania, ainsi que d’autres comme Hedda Gabler (1891) d’Henrik Ibsen (1828-1906) et Les Âmes solitaires (1890) de Gerhart Hauptmann (1862-1946) créées en 1893. Fin juin, Olga Knipper revient seule et débute leur liaison à l’insu de la mère et de la sœur de Tchékhov qui vivent avec lui. Fin octobre, il donne lecture des Trois sœurs à Moscou. Le 20, il est fêté à une représentation de La Mouette. En décembre, il voyage en France, à Nice, où il achève les Trois sœurs, en Italie, à Pise, Florence et Rome puis passe l’hiver à Nice.
Il revient en Russie en février 1901. La première des Trois sœurs a eu lieu au Théâtre d’Art avec Olga Knipper dans le rôle de Macha le 31 janvier. Deux personnages, le commandant Verchinine et le lieutenant Touzenbach évoquent une future société russe où la vie sera belle et où tous travailleront. Cet aspect social déclenche l’hostilité des journaux conservateurs tandis que les progressistes s’enflamment pour la pièce. Le 25 mai, il épouse Olga Knipper en secret par peur de la noce comme il le lui écrit. Le métier de son épouse la retenant loin de lui, il a cette boutade : « Si vous craignez la solitude, ne vous mariez pas ». Il voyage sur la Volga. Le 3 août, il rédige son testament sous forme de lettre à sa sœur, Marie. Il rend visite à Tolstoï à Gaspa en Crimée. De jeunes écrivains viennent le voir : Gorki lié aux milieux révolutionnaires, Ivan Alekseïevitch Bounine (1870-1953) et Alexandre Kouprine (1870-1938) qui eux, restent en dehors de la politique (cf. Constantin de Grunwald, Société et Civilisation russes au xix° siècle, pp. 252-253).
Le 25 janvier 1902, il apprend que Les trois sœurs ont reçu le prix Griboïédov. Il est officiellement chargé de la mission d’aider les tuberculeux nécessiteux. En juillet, il séjourne avec Olga près de Moscou. En septembre, il donne une nouvelle version des Méfaits du tabac. Il écrit L’évêque, autobiographie transposée. Il démissionne de l’Académie russe parce que Gorki en a été exclu sur l’ordre du Tsar.
En 1903, il publie La Fiancée. En octobre, il termine La Cerisaie, pièce qu’il pensait comique. Il vit solitaire en Crimée. Sa tuberculose pulmonaire se complique d’une tuberculose intestinale. Il souffre beaucoup. La censure interdit son théâtre pour le répertoire des théâtres populaires. C’est en juillet-août qu’a lieu le II° congrès du parti social-démocrate russe à Londres qui instaure la scission entre bolcheviks (majoritaires à ce moment jusqu’en 1905 où ils deviennent minoritaires) dont le guide est Lénine et mencheviks (minoritaires). C’est loin de Tchékhov que la révolutionnaire allemande, Rosa Luxemburg (1879-1919), dans Questions d’organisation de la social-démocratie russe, critique la conception bolchevique de l’organisation du parti révolutionnaire qui ne peut conduire selon elle qu’à la dictature.
Durant l’hiver qu’il passe à Moscou car il va un peu mieux, il assiste le 17 janvier 1904, jour de ses quarante quatre ans, à la première de La Cerisaie au théâtre d’Art avec Olga dans le rôle de Loubiov Andréevna Ranévskaïa. Il reçoit l’acclamation du public et des acteurs. La pièce est un triomphe. Le 8 février, c’est le début de la guerre russo-japonaise – qui s’achèvera par la défaite de la Russie. Tchékhov désire partir sur le front comme médecin mais ne le peut. Il retourne en Crimée. En mai, il revient à Moscou puis part avec sa femme pour Berlin et la Forêt Noire. « Je m’en vais pour crever » écrit-il à un ami. Il rend en effet à Badenweiler son dernier soupir, le 2 juillet après avoir bu un peu de champagne avec Olga Knipper à ses côtés. On peut lire dans ses Carnets : « Comme je serai couché seul dans ma tombe, de même toute ma vie j’ai vécu seul ».
Il est enterré le 9 juillet à Moscou.