Taganrog
Anton
Pavlovitch Tchékhov est né le 17 janvier (29) 1860 à Taganrog, un port au bord
de la mer d’Azov, près de l’embouchure du Don, en Ukraine. Il est le troisième
fils de Pavel Egorovitch Tchekhov (1825-1898).
Son
grand-père, Egor Tchékhov, était un serf vivant en Ukraine. Il avait réussi à
force de travail à devenir intendant d’une comtesse. À force d’économie il se rachète
en 1841. Son père avait 36 ans au moment de l’abolition du servage par le Tsar
Alexandre II (1818-1855-1881) en février
1861.
Le
père d’Anton s’installe à Taganrog. Il travaille comme commis. Puis il réussit
à s’établir à son compte comme épicier.
En
1854, il épousa Evguenia Yakolevna Morozova, fille de marchands de draps dont
il eut cinq fils et une fille : outre Anton, Alexandre (1855-1913),
Nicolaï (1858-1889), Ivan (1861-1922), Mikhaïl (1865-1936) et Maria Pavlovna
(1863-1957). L’éducation qu’il donna à ses enfants était rude. On peut lire
dans le passage suivant d’une lettre à Souvorine datée du 7 janvier 1889 le souvenir
qu’en gardait Tchekhov :
« Essayez donc d’écrire l’histoire d’un jeune
homme, fils d’un serf, ancien boutiquier, chantre à l’église, lycéen, puis
étudiant, dressé à courber l’échine, à baiser les mains des popes, soumis aux
idées d’autrui, reconnaissant pour chaque morceau de pain, cent fois rossé,
courant, misérablement chaussé, donner quelques leçons ; bagarreur, aimant
torturer les animaux, acceptant avec gratitude les dîners de riches
parents ; hypocrite devant Dieu et devant les hommes sans besoin aucun,
simplement par conscience de sa propre nullité. »
Les
enfants Tchékhov eurent une instruction secondaire, travaillaient dans la
boutique paternelle et participaient à la chorale de l’Eglise. Anton, dès l’âge
de neuf ans est soumis à cette rude épreuve à laquelle s’ajoutent les cours
d’une école professionnelle de tailleurs et de cordonniers.
C’est
en vacances, chez son grand-père, toujours intendant, qu’il découvre la douceur
et les parfums champêtres.
L’agitation
révolutionnaire est présente en Russie. Le tzar Alexandre II échappe à un
premier attentat le 4 avril 1866, perpétré par Karakozov, un étudiant membre
d’un groupe révolutionnaire (Cf. Constantin de Grunwald, Société et
Civilisation russes au xix° siècle,
Seuil, Points histoire, 1975, p. 258.). La période des réformes s’arrête.
Toutefois, l’émancipation féminine commence. Voïnitski dans Oncle Vania
persifle sa mère à ce propos (Acte I, p.16). À partir des années 1870, la Russie connaît le mouvement
populiste (en un sens laudatif) qui prône une attention de l’intelligentsia
pour le peuple et un mouvement de retour au peuple (cf. Constantin de Grunwald,
Société et Civilisation russes au xix°
siècle, pp. 263-264). Les jeunes révolutionnaires se font ouvriers
agricoles mais rencontrent peu de succès auprès des paysans qui dénoncent
souvent leurs activités de propagande aux autorités. Tchekhov qui vient du
peuple n’aura guère besoin d’y revenir. Les attentats terroristes et les procès
sont nombreux comme celui de Véra Zassoulitch (1849-1919), acquittée
quoiqu’elle ait grièvement blessé le général Trepov, préfet de police et
tortionnaire (cf. Constantin de Grunwald, Société et Civilisation russes au xix° siècle, p.264).
Anton
découvre le théâtre en 1873 en assistant au Théâtre Municipal de Taganrog à la
représentation de La
Belle Hélène , opéra-bouffe en trois actes, composé en
1864 par Jacques Offenbach (1819-1880) sur un livret de Ludovic Halévy (1834-1908)
et Henri Meilhac (1831-1897). Il songe en 1874 à écrire une tragédie à partir
du Tarass Boulba (1835) de Gogol (1809-1852). Il joue avec ses frères Le
Révizor (1836) du même Gogol. Sérébriakov, dans Oncle Vania,
commencera son discours annonçant son intention de vendre le domaine en citant
la première phrase de cette pièce (Acte III, p.72).
En
1875, les affaires du père de Tchékhov périclitent. Ses frères aînés, Alexandre
et Nikolaï partent pour Moscou.
En
avril 1876, son père quitte secrètement Taganrog pour Moscou. Seuls Anton et
Ivan ne partent pas. Jusqu’en 1879, Anton vit pauvrement de leçons
particulières.
En
1877, après un séjour à Moscou, il publie dans Le Bègue, la gazette des
élèves de son lycée.
C’est
en 1878 qu’il écrit son premier drame Sans père, non retrouvé.
Moscou
Reçu
bachelier en juin 1879, il rejoint sa famille à Moscou grâce à une bourse
d’étudiant de la ville de Taganrog. Anton s’inscrit à la faculté de médecine.
Il mène de front ses études et son travail littéraire. Il devient le principal
soutien de sa nombreuse famille. Ses frères aînés travaillent mais Alexandre,
qui écrit aussi, vit avec une femme adultère qui a un enfant et Nicolaï, qui
peint, est tuberculeux et boit. Ils vivent dans des taudis. Anton collabora,
sous divers pseudonymes, dont Antocha Tchekonté qu’il gardera jusqu’en 1885, à
plusieurs revues humoristiques dans lesquels il publie des contes, des
reportages, etc.
En
1880, il publie la Lettre
d’un propriétaire du Don à son savant voisin dans la revue humoristique La Cigale. Il écrit
un drame découvert en 1920, imprimé en 1923 et intégré aux Œuvres complètes
de l’édition soviétique de 1949. On la nommera Pièce sans titre puis
Jean Vilar (1912-1971) choisira Ce Fou de Platonov et parfois on se
contente d’un simple Platonov.
Le
1er mars 1881, le tzar Alexandre II est assassiné. Le nouveau Tsar,
Alexandre III (1845-1881-1894)
conduira une politique “réactionnaire”. Le régime policier, la censure, un
antisémitisme d’État avec des pogroms couverts par la police seront le contexte
politique dans lequel Tchekhov vivra désormais.
En
1882, sa pièce, Platonov, est refusée par le théâtre Maly. La pièce Sur
la grand-route, tirée du récit En Automne, est interdite par la
censure. Elle ne sera ni publiée ni jouée du vivant de Tchékhov. Il collabore
aux Éclats, revue humoristique qui paraît à Pétersbourg.
En
1883, Plekhanov (1856-1918), le père du marxisme russe, fonde un groupe
révolutionnaire.
En
1884, après avoir achevé ses études, il exerce la médecine à Moscou et dans ses
environs, dans les petites villes de Voskressensk, où son frère Ivan était
instituteur, et Zvenigorad. Il voit trente à quarante malades par jour et en
tant que médecin régional, il doit accompagner le juge d’instruction. Le
directeur du journal humoristique Les Éclats (Oskolki) édité à Pétersbourg, Nicolaï Alexandrovitch Leïkine (1841-1906),
l’encourage. Cette même année paraît son premier recueil de six récits sur les
acteurs : Les
Contes de Melpomène. Les premiers symptômes de la tuberculose
apparaissent : il crache du sang, mais il refuse de reconnaître la
maladie.
En
1885, il rencontre le peintre paysagiste Isaac Levitane (1860-1900). Dans cette
période, il s’attache à Tolstoï (1828-1910) qui, après sa crise morale de 1881,
a exprimé dans Mes confessions, une doctrine morale et non violente
tournée vers le don aux pauvres. Tolstoï, d’une famille de grande noblesse,
songea à se faire moine et à donner sa fortune aux pauvres.
En
1886 Anton habite une agréable maison à étages à Moscou. Il lit Darwin
(1809-1882), qui a formulé sa théorie de l’évolution en 1859 dans la première
édition de L’origine des espèces et en 1871, dans The Descent of Man and Selection in Relation to sex qui en est l’application à l’homme.
« Je lis Darwin. Quelle merveille ! »
écrit-il dans une lettre.
Il
devient collaborateur de la revue conformiste ou réactionnaire, comme on
voudra, Temps nouveaux et y
fait la connaissance de son directeur, Alexis Sergueïevitch Souvorine (1834-1912),
qui deviendra plus tard son éditeur et grand ami. Une lettre datée du 25 mars
de l’écrivain Dimitri Grigorovitch (1822-1899) l’adjure de se prendre au
sérieux et de ne pas gaspiller son temps.
« Je ne suis pas journaliste, ni un
éditeur ; je ne puis me servir de vous qu’en vous lisant ; si je
parle de votre talent, j’en parle avec conviction ; j’ai soixante-cinq ans
passés, mais j’ai gardé encore tant d’amour pour la littérature ; ses
succès me sont si chers ; je me réjouis tellement lorsque je rencontre en
elle quelque chose de vivant, de doué, que je n’ai pu – comme vous le voyez –
me retenir, et je vous tends les deux mains (…) Vous êtes, j’en suis sûr,
appelé à écrire quelques œuvres admirables, réellement artistiques. Vous vous
rendrez coupable d’un grand péché moral si vous ne répondez pas à ces
espérances. Voici ce qu’il faut pour cela : respecter le talent que l’on
reçoit si rarement en partage. Cesser tout travail hâtif. Je ne connais pas
votre situation de fortune ; si vous êtes pauvre, souffrez plutôt la faim,
comme nous en avons souffert autrefois, gardez vos impressions pour une œuvre
réfléchie, achevée, écrite non d’un seul jet, mais pendant les heures
bienheureuses de l’inspiration. »
Il
lui répond pour le remercier :
« Je
sentais bien que j’avais du talent, mais j’avais pris l’habitude de ne pas en
faire cas... ».
En
février, paraît Des méfaits du tabac. En mars, il écrit notamment à son
frère Nikolaï
« Si une personne a du talent, il le
respectera, et lui sacrifiera la paix, les femmes, le vin et la vanité ».
En
mai paraît son second recueil : Récits bariolés. Il écrit une pièce
en un acte Le Chant du Cygne tiré de son récit Calchas.
Le
1er mars 1887 a lieu un attentat raté contre Alexandre III auquel
participe le populiste Alexandre Ilitch Oulianov (1866-1887), le frère aîné de
Lénine (1870-1924). Il est pendu. Tchekhov publie un recueil Au Crépuscule.
Il rédige une grande nouvelle, La
Steppe. Le 19 novembre, il fait jouer Ivanov au théâtre Korch, à
Moscou qui suscite des controverses dans le public et la critique. Le
personnage éponyme a épousé cinq ans plus tôt une juive qui s’est convertie et
qui a été rejetée par ses parents. Il était confiant dans la vie. Il ne l’aime
plus, semble la tromper et passe pour un être vil qui ne cherche que des dots,
alors qu’il est sincère. Après la mort de sa femme, il finit par se suicider le
jour où il devait épouser la jeune Sacha, fille de sa créancière. Dans une
lettre datée du 30 décembre 1888, Tchékhov écrit à son propos à
Souvorine :
« S’il est coupable, il ne sait pourquoi. Des
gens comme Ivanov ne peuvent pas résoudre les problèmes, mais ils succombent
sous leur poids. »
En
1888, Tchékhov publie des récits plus longs et plus graves comme La Steppe (en mars) qui
fait sensation, Les Feux, etc. Il compose des pièces légères comme Une
demande en mariage en octobre. Le 28, L’ours, un petit vaudeville en
un acte, est créé au Théâtre Korsch à Moscou et obtint un franc succès. La
reprise d’Ivanov, quelque peu remanié, obtient un triomphe à
Pétersbourg. Dans une lettre datée du 4 octobre à Pleschev, il écrit :
« Le saint des saints est pour moi le corps
humain, la santé, l’esprit, le talent, l’inspiration, l’amour et la liberté
absolue. ».
À
son éditeur, Souvorine, il écrit :
« L’artiste ne doit pas être le juge de ses
personnages et de ce qu’ils disent, mais seulement le témoin impartial :
mon affaire est seulement d’avoir du talent, c’est-à-dire de savoir distinguer
les indices importants de ceux qui sont insignifiants, de savoir mettre en
lumière des personnages, parler leur langue. »
Il
se voit récompensé par le Prix Pouchkine décerné par l’Académie des Sciences
pour son recueil Au Crépuscule. Il publie un autre recueil, Récits.
Un attentat a lieu contre la famille impériale à Borki.
En
juin 1889, Nicolas, son frère aîné, meurt de la tuberculose. Il publie en
septembre une grande nouvelle Une morne histoire (ou Une banale
histoire). L’homme à l’étui
fait la caricature de maîtres d’école sans génie. Sa comédie, Le sauvage
ou Le Sylvain ou L’esprit des bois, est refusée par le comité de
lecture des théâtres impériaux pour « manque de qualités
dramatiques ». Il la remaniera pour en faire Oncle Vania. Il publie
en mai Le Tragédien
malgré lui et Une Noce en octobre, pièce d’abord jouée par des
amateurs. Le même mois, il écrit à Souvorine son credo relatif à la
science :
« Tout ce qui vit sur terre est nécessairement
matériel (…) les gens pensants sont matériels aussi par nécessité. Ils
cherchent la vérité dans la matière car ils ne peuvent pas la chercher
ailleurs, puisqu’ils ne voient, n’entendent et ne sentent qu’elle seule. Ils ne
peuvent de nécessité, chercher la vérité que là où peuvent leur servir leurs
microscopes, leurs sondes et leurs scalpels. Défendre à l’homme la tendance
matérialiste, c’est lui interdire de chercher la vérité. Hors la matière, il
n’y a ni expérience, ni science, ni par conséquent de vérité. »
L’esprit
des bois
est créé le 27 décembre 1889 au théâtre privé Abramova à Moscou : c’est un
échec. La Sonate
à Kreutzer de Tolstoï (1828-1910), un drame de la jalousie, est censuré(e).
Des copies circulent. Tchékhov condamne l’œuvre en tant qu’homme et médecin.
En
1890, malgré un état de santé précaire (il est atteint aux poumons), il part en
avril pour l’île de Sakhaline où sont relégués dix mille déportés et forçats.
Il y arrive en juillet et y restera jusqu’en octobre. Il y voit l’abaissement,
l’avilissement, le mépris de l’humain. Peut-être écrit-il Oncle Vania à
son retour. En effet, il écrira à Gorki dans une lettre datée du 3 décembre
1898 : « Il y a très longtemps que j’ai écrit Oncle Vania ».
À Diaghilev que c’est en 1890 qu’il l’a écrit. Il écrit pour Temps nouveaux
ses Lettres de Sibérie et commence L’Île de Sakhaline. Il écrit
deux comédies : Le Tragédien malgré lui et Une noce.
En
1891, il fait le premier de ses cinq voyages en Europe. Il visite l’Italie,
Venise qui l’enchante, Bologne, Florence, Rome et Naples, la France , Nice, Monte-Carlo,
Paris, l’Allemagne et l’Autriche, Vienne. Il travaille à L’Île de Sakhaline.
Il publie des récits : Le Duel, Les Babas, Kachtanka.
Le Jubilé est une pièce publiée et jouée sur les scènes de province et
d’amateurs. En décembre, il participe à la lutte contre la famine qui sévit
dans les gouvernements du centre.
Mélikhovo
En
1892, il trouve le village de ses rêves : Mélikhovo. Il y achète une
propriété. Ses parents et sa sœur s’y installent avec lui. On lui rend visite.
Lévitane y peint le paysage. En juillet, il soigne gratuitement les paysans et
prend une part active à la lutte contre l’épidémie de choléra. Sa maison sert
de dispensaire gratuit pour les paysans. Il contribue financièrement à la
construction d’écoles et à l’enrichissement de bibliothèques. Il publie Salle
6. Dans un hôpital où les fous sont maltraités, un médecin, Andréï Efimitch
Raguine a tenté d’y mettre bon ordre mais finit par se lasser. Il commence à
fréquenter la salle 6 et à dialoguer avec un paranoïaque, Gromov, qui remet en
cause sa “philosophie tolstoïenne”. On accuse le médecin de folie et on
l’enferme. On ne manquera pas de lire, dans les propos du fou, une critique du cynisme
antique de Diogène (~413-~327 av. J.-C.) et du stoïcisme et de Marc-Aurèle
(121-180) (cf. Tchékhov, La Steppe Salle
6 L’Évêque, Paris, Gallimard, Folio classique, n°3847, pp. 217-223).
Son
intense activité médicale et sociale se poursuit à Mélikhovo en 1893. Il a des
difficultés avec la censure à cause de L’Île de Sakhaline. Il publie le Récit
d’un Inconnu ainsi que Le Moine Noir. Il fréquente la chanteuse Lika
Mizinova qu’il n’épouse pas. Un deuxième voyage en 1894 le mène en Autriche, à
Vienne, en Italie, à Milan et Gènes, en France à Nice et Paris, en Allemagne, à
Berlin.
Alexandre
III meurt le 1er novembre 1894. Lui succède le futur dernier tzar,
Nicolas II (1868-1894-1917-1918), que
les Bolcheviks fusilleront avec sa famille le 17 juillet 1918. L’opposition
révolutionnaire des sociaux-démocrates et des socialistes révolutionnaires se
poursuit. Une lettre adressée à Souvorine et datée du 27 mars, montre son
détachement vis-à-vis de la morale de Tolstoï :
« La philosophie tolstoïenne me touchait très
fort, elle a régné sur moi dix-sept ans et ce qui agissait sur moi ce n’étaient
pas les protestations générales, que je connaissais auparavant, mais la manière
tolstoïenne de s’exprimer, le bon sens et sans doute une sorte d’hypnotisme. Or
à présent, quelque chose proteste en moi ; la prudence et le sens de la
justice me disent qu’il y a dans l’électricité et la vapeur plus d’amour des
hommes que dans la chasteté et le refus de manger de la viande »
En
1895, il vit essentiellement à Mélikhovo. Il rend visite à Léon Tolstoï à
Iasnaïa Poliana. Il publie Trois années. En novembre il écrit La Mouette. À
Souvorine, il écrit dans une lettre datée du 21 novembre :
« J’écris La Mouette
non sans plaisir, bien que je me sente terriblement en faute quant aux
conditions de la scène (…) C’est une comédie avec trois rôles de femmes et six
rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (une vue sur un lac) ; beaucoup
de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour. »
En
décembre, la pièce est lue à Moscou pour être soumise au jugement de Vladimir
Némirovitch-Dantchenko (1858-1943). Le 17 octobre 1896, La Mouette échoue
bruyamment sur la scène du Théâtre impérial Alexandrineski de Pétersbourg
devant Tchékhov, assis dans une loge. Le 21 octobre par contre, la pièce
connaît un succès considérable. Tchékhov fait la connaissance du metteur en
scène Constantin Stanislavski (1863-1938). Tchékhov publie Ma Vie, une
fiction autobiographique. En mars 1897, il est terrassé par une grave crise
d’hémoptysie alors qu’il dîne dans un restaurant avec des amis, dont Souvorine.
Ses deux poumons sont atteints. Il est hospitalisé dans une clinique de Moscou
où il reçoit la visite de Tolstoï le 28 mars. Les deux hommes s’entretinrent de
l’immortalité de l’âme comme l’indique une lettre à Menchikov datée du 16 avril
1897 :
« Léon Nicolaévitch est venu me voir et nous
avons eu une très intéressante conversation, intéressante surtout pour moi qui
écoutais plus que je ne parlais. Nous avons parlé de l’immortalité. Il croit à
l’immortalité dans un sens Kantien : il pense que nous tous (hommes et
animaux) survivrons au sein d’un principe (raison, amour) dont l’essence et le
but constituent pour nous un mystère. Pour ce qui est de moi, ce principe ou
élément m’apparaît sous la forme d’une masse informe et gélatineuse ; que
mon moi, ma personnalité, ma conscience se fondent avec cette masse ?
non ; je ne veux pas d’une telle immortalité, je ne la comprends pas et
Léon Nicolaévitch s’étonne que je ne la comprenne pas. » [Je dois avouer
ne pas comprendre en quoi une telle conception serait kantienne. Kant défend
plutôt la thèse d’une immortalité individuelle de l’âme, thèse qu’il nomme un
postulat de la raison pratique en tant qu’elle est nécessaire pour penser la
morale dans la Critique
de la raison pratique (1788)]
En
mai paraît un recueil de pièces parmi lesquels Oncle Vania, jusque là
inconnu(e). La pièce est jouée avec succès en province à l’étonnement de
Tchékhov. Il publie Les Moujiks, un tableau très noir de la campagne
russe. Il part en septembre pour l’Europe, gagne Biarritz puis Nice où il
passera l’hiver. Des Français il écrit :
« Comme il se donne du mal, comme il paie pour
tous, ce peuple qui va au-devant des autres et qui donne le ton à la culture
européenne. »
En
1898, le J’accuse de Zola, publié le 13 janvier dans L’Aurore,
produit une profonde impression sur Tchékhov. À cause du parti pris
anti-dreyfusard de Souvorine, Tchékhov s’éloigne de lui. En septembre, Tchékhov
assiste aux répétitions du Tsar Fédor et de La Mouette. Il
fait la connaissance d’Olga Léonardovna Knipper (1868-1959). À Moscou, le
Théâtre d’Art ouvre le 14 octobre ‑ le mois où il perd son père. Il a été fondé
par Constantin Stanislavski et Vladimir Némirovitch-Dantchenko qui l’a
convaincu de monter la pièce. Elle est jouée le 18 décembre. C’est un triomphe.
Le parti social-démocrate russe est fondé à Minsk. Le parti
social-révolutionnaire est lui aussi fondé. Il fait le procès de ce que l’on
appelle le bonheur dans une étonnante nouvelle, Le
Groseillier épineux ou Les
Groseillers où il essaie de montrer que le sens de la vie n’est pas la
recherche du bonheur mais « faire le bien ».
Yalta ou l’île du Diable
Sur
les instances de ses médecins qui lui conseillent de passer ses hivers en
Crimée, il doit abandonner Mélikhovo. C’est ainsi que sur la côte sud de la Crimée , aux portes de
Yalta, il achète un terrain caillouteux et aride où il fait bâtir une grande
villa blanche qui surplombe la mer. Il y plante des arbres.
En
1899, la propriété de Mélikhovo est vendue. En août, Olga Knipper lui rend
visite et ils échangent leur premier baiser. Le 26 octobre, c’est la première
d’Oncle Vania en l’absence de Tchékhov : c’est un succès. Tolstoï
trouvait que la pièce manque de « véritable nerf dramatique ». Maxime
Gorki, dans une lettre datée de novembre, écrit qu’il a pleuré tellement la
pièce l’a bouleversé. C’est Olga, sa future femme qui interprète le rôle
d’Éléna Andréevna. Il publie La
Dame au chien.
En
1900, Tchékhov est élu membre de la
Section des belles lettres de l’Académie des Sciences. Maxime
Gorki (1868-1936) lui rend visite. Le Théâtre d’Art se rend en avril à Yalta et
Sépastopol. Il peut assister à la représentation de ses pièces, La mouette
et Oncle Vania, ainsi que d’autres comme Hedda Gabler (1891) d’Henrik
Ibsen (1828-1906) et Les Âmes solitaires
(1890) de Gerhart Hauptmann (1862-1946) créées en 1893. Fin juin, Olga Knipper
revient seule et débute leur liaison à l’insu de la mère et de la sœur de
Tchékhov qui vivent avec lui. Fin octobre, il donne lecture des Trois sœurs
à Moscou. Le 20, il est fêté à une représentation de La Mouette. En
décembre, il voyage en France, à Nice, où il achève les Trois sœurs, en
Italie, à Pise, Florence et Rome puis passe l’hiver à Nice.
Il
revient en Russie en février 1901. La première des Trois sœurs a eu lieu
au Théâtre d’Art avec Olga Knipper dans le rôle de Macha le 31 janvier. Deux
personnages, le commandant Verchinine et le lieutenant Touzenbach évoquent une
future société russe où la vie sera belle et où tous travailleront. Cet aspect
social déclenche l’hostilité des journaux conservateurs tandis que les
progressistes s’enflamment pour la pièce. Le 25 mai, il épouse Olga Knipper en
secret par peur de la noce comme il le lui écrit. Le métier de son épouse la
retenant loin de lui, il a cette boutade : « Si
vous craignez la solitude, ne vous mariez pas ». Il voyage
sur la Volga. Le
3 août, il rédige son testament sous forme de lettre à sa sœur, Marie. Il rend
visite à Tolstoï à Gaspa en Crimée. De jeunes écrivains viennent le voir :
Gorki lié aux milieux révolutionnaires, Ivan Alekseïevitch Bounine (1870-1953)
et Alexandre Kouprine (1870-1938) qui eux, restent en dehors de la politique
(cf. Constantin de Grunwald, Société et Civilisation russes au xix° siècle, pp. 252-253).
Le
25 janvier 1902, il apprend que Les trois sœurs ont reçu le prix
Griboïédov. Il est officiellement chargé de la mission d’aider les tuberculeux
nécessiteux. En juillet, il séjourne avec Olga près de Moscou. En septembre, il
donne une nouvelle version des Méfaits du tabac. Il écrit L’évêque,
autobiographie transposée. Il démissionne de l’Académie russe parce que Gorki
en a été exclu sur l’ordre du Tsar.
En
1903, il publie La
Fiancée. En octobre, il termine La Cerisaie , pièce
qu’il pensait comique. Il vit solitaire en Crimée. Sa tuberculose pulmonaire se
complique d’une tuberculose intestinale. Il souffre beaucoup. La censure
interdit son théâtre pour le répertoire des théâtres populaires. C’est en
juillet-août qu’a lieu le II° congrès du parti social-démocrate russe à Londres
qui instaure la scission entre bolcheviks (majoritaires à ce moment jusqu’en
1905 où ils deviennent minoritaires) dont le guide est Lénine et mencheviks
(minoritaires). C’est loin de Tchékhov que la révolutionnaire allemande, Rosa
Luxemburg (1879-1919), dans Questions d’organisation de la social-démocratie
russe, critique la conception bolchevique de l’organisation du parti
révolutionnaire qui ne peut conduire selon elle qu’à la dictature.
Durant
l’hiver qu’il passe à Moscou car il va un peu mieux, il assiste le 17 janvier
1904, jour de ses quarante quatre ans, à la première de La Cerisaie au
théâtre d’Art avec Olga dans le rôle de Loubiov Andréevna Ranévskaïa. Il reçoit
l’acclamation du public et des acteurs. La pièce est un triomphe. Le 8 février,
c’est le début de la guerre russo-japonaise – qui s’achèvera par la défaite de la Russie. Tchékhov
désire partir sur le front comme médecin mais ne le peut. Il retourne en
Crimée. En mai, il revient à Moscou puis part avec sa femme pour Berlin et la Forêt Noire. « Je m’en vais pour crever »
écrit-il à un ami. Il rend en effet à Badenweiler son dernier soupir, le 2
juillet après avoir bu un peu de champagne avec Olga Knipper à ses côtés. On
peut lire dans ses Carnets :
« Comme je serai couché seul dans
ma tombe, de même toute ma vie j’ai vécu seul ».
Il
est enterré le 9 juillet à Moscou.
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