mercredi 12 août 2015

Molière (1622-1673), biographie

Molière ou plutôt Jean-Baptiste Poquelin est baptisé le 15 janvier 1622 en l’Église Saint-Eustache à Paris. Il est le fils de Jean Poquelin (~1593-1669) et de Marie Cressé (~1595-1632) qui se sont mariés le 22 février de l’année précédente. Son père, fils de tapissier est tapissier. Sa mère est fille et petite-fille de tapissier. Il est le premier de six enfants, dont deux mourront en bas âge.
En 1631, Jean Poquelin achète la charge de “tapissier ordinaire du Roi” à son frère Nicolas (1600-1646). Il reçoit ainsi le titre honorifique d’Écuyer et 337 livres de gages par an. Il est reçu le 22 avril.
Le 11 mai 1632, la mère de Molière meurt.
En mai 1633, son père se remarie avec Catherine Fleurette (~1617-1636), fille de marchands du quartier.
En 1635, il entre au collège de Clermont (aujourd’hui lycée Louis-le-Grand). Les Jésuites y prodiguent un enseignement complet où le théâtre tient un grand rôle. Le futur Molière y acquiert une solide culture et une grande connaissance des classiques. Il a peut-être eu pour condisciple Claude Chapelle (1626-1686). Son grand-père maternel, Louis Cressé, l’emmène au théâtre, à l’Hôtel de Bourgogne où sont jouées les farces par les Comédiens Italiens et les tragédies par les “Grands Comédiens”.
Le 12 novembre 1636, la deuxième femme de son père, Catherine Fleurette, meurt.
En décembre 1637 Jean-Baptiste prête serment de “survivancier” à la charge de tapissier du roi. Il commence dans le même temps des études de droit pour devenir avocat.
En 1638, Claude Chapelle emmène Jean-Baptiste voir Pierre Gassendi (1592-1655), l’épicurien qui s’opposera à Descartes, correspondant de Galilée (1564-1642).
En 1640 Jean-Baptiste rencontre Tiberio Fiorelli, dit Scaramouche, maître de la pantomime. Peut-être qu’il prend des cours avec lui. Il rencontre une comédienne de 22 ans, Madeleine Béjart (1618-1672), fille d’un huissier des eaux et forêts, “protégée” du duc de Modène ainsi que le reste de sa famille dont ses frères Joseph (~1616-1658), Geneviève (1624-1675), Louis (1630-1678). Et il y a Armande (1638-1700) née en 1638, qui passera pour la sœur de Madeleine. Mais n’est-elle pas plutôt sa fille et celle de son amant le duc de Modène ?
En 1641, il est peut-être reçu avocat. Son père essaye sans succès de l’éloigner de Madeleine en l’envoyant à sa place à la cour de Narbonne.
Le 6 janvier 1643, Jean-Baptiste renonce à la survivance de la charge de tapisser du roi de son père. Ce dernier lui coupe les vivres. Le 30 juin, il signe le contrat qui fonde l’Illustre-Théâtre avec Madeleine Béjart, son frère Joseph et neuf autres comédiens. Madeleine a seule le droit de choisir ses rôles. Jean-Baptiste se partage les rôles tragiques avec deux comédiens. Le 12 septembre, l’Illustre Théâtre loue le jeu de paume des Métayers. En attendant la fin des travaux d’aménagement, la troupe part jouer à Rouen. En décembre, la troupe revient. Léonard Aubry fait paver le sol devant le théâtre le 28 (cf. Eudoxe Soulié, Recherches sur Molière et sur sa famille, Hachette, 1863, p.173 et sq.).
Le 1er janvier 1644, L’Illustre Théâtre ouvre ses portes. Ses rivaux sont l’Hôtel de Bourgogne, troupe née en 1629 et le Marais, troupe née en 1634 grâce à Guillaume Desgilberts, dit Montdory (1594-1653). La troupe joue sans grand succès Pierre Corneille (1606-1684), Pierre du Ryer (1605-1658) Nicolas Mary, sieur Desfontaines dit Desfontaines, (~1610-1652), Jean Magnon ( ?-1662) et François l’Hermite dit Tristan l’Hermite (1601-1655). Sous le pseudonyme de Molière (mot-lierre), Jean-Baptiste signe un contrat pour engager un danseur professionnel le 28 juin. Malgré le soutien de Gaston d’Orléans (1606-1660), deuxième frère du roi, les dettes s’accumulent.
En juillet 1645, Molière connaît la prison pour deux factures impayées de chandelles. C’est le paveur Léonard Aubry qui fournit la caution qui lui permet d’être libéré. Son père rembourse ce dernier. Bientôt la troupe quitte Paris. C’est la fin de l’Illustre Théâtre. À l’automne, Molière, Joseph, Madeleine et Geneviève Béjart entrent dans la troupe du comédien Charles Dufresne (~1611-1684) où se trouve René Berthelot, dit Du Parc ou Gros-René (1630-1664). Elle compte une vingtaine de comédiens. Elle est la troupe de Bernard de Nogaret de La Valette, duc d’Épernon (1592-1661), alors gouverneur de Guyenne. Commence ainsi une série de pérégrinations qui vont durer jusqu’en 1658. La troupe joue à Albi.
En 1648, la troupe est à Nantes.
En 1649, la troupe est à Toulouse, Montpellier, Narbonne.
Début janvier 1650 Molière et Catherine Leclerc du Rosé (1630-~1706), actrice de la troupe, font baptiser un fils. Elle se marie peu après avec Edme Villequin, dit de Brie (1607-1676). Quelques jours plus tard, Molière est le parrain de Jean, fils d’Anne. Est-ce le même ? En avril, il rentre à Paris pour régler une affaire de dettes avec son père. Il prend la direction de la troupe. Elle est à Agen. Elle parcourt le Languedoc avec un nouveau membre, l’ancien maître de musique de Louis XIII (1601-1610-1643) un excellent luthiste souvent obligé de fuir à cause de son homosexualité, Charles Coypeau (1605-1675/77), dit d’Assoucy. À Pézenas la troupe attire l’attention d’Armand de Bourbon, prince de Conti (1629-1666, frère du Grand Condé), nouveau gouverneur de Guyenne puis du Languedoc. Bientôt la troupe de Molière devient la troupe du prince de Conti. La troupe s’installe à Pézenas (actuel département de l’Hérault).
En 1651, la troupe est à Vienne puis à Carcassonne.
En 1652, la troupe est à Grenoble.
À partir de 1653, Lyon, est le port d’attache de la troupe qui fait la navette entre cette ville et les États de Languedoc.
En 1654, le prince de Conti qui a besoin d’un secrétaire propose cet office à Molière. Il préfère continuer l’aventure de la troupe.
En 1655 Molière est en Avignon. Le peintre Nicolas Mignard (1606-1668) y peint « le portrait de Jean-Baptiste Poquelin-Molière en César ». Il aurait créée L’Étourdi, sa première comédie où « Un valet conseiller y fait mal ses affaires » (Acte I, scène 2). Le prince de Conti rencontre Mgr Nicolas Pavillon (1597-1677), évêque d’Aleth (de 1639 à 1677) et membre de la Confrérie du Saint-Sacrement de l’Autel. Créée vingt-huit ans plus tôt, le projet de la confrérie était de contraindre le peuple à la sainteté pour la plus grande gloire de Dieu. Sa campagne du moment visait à l’interdiction définitive de l’usage du tabac. Conti prend pour confesseur l’abbé Gabriel de Ciron (1619-1675), chancelier de l’Université de Toulouse. Il est converti. Il retire son patronage à la troupe qu’il chasse violemment. Il va devenir, au sein de la confrérie du Saint-Sacrement, un ennemi de Molière.
En 1656, la troupe est à Narbonne puis à Béziers où est créé Le Dépit amoureux. Une fille amoureuse se travestit en garçon pour retrouver son amoureux.
En 1657, la troupe parcourt le Sud-ouest et la région de Lyon-Dijon.
En 1658, la troupe remonte sur Rouen. Elle prépare son retour à Paris. Molière rencontre les deux frères Corneille, Pierre et Thomas (1625-1709). Pierre Corneille, amoureux, et en concurrence avec son frère Thomas, adresse ses fameuses stances à la « Marquise » Du Parc (1633-1668), la femme de Gros-René. Molière et sa troupe sont de retour à Paris. La troupe devient celle de Monsieur, Philippe d’Anjou (1640-1701), homosexuel notoire mais jeune frère du roi Louis XIV (1638-1643-1715). Le 24 octobre, la troupe joue devant le roi dans la salle des gardes du Louvre. Au programme, Nicomède (1651) de Corneille. Quoique rodée, la pièce de Corneille ennuie. Molière donne une de ses farces, le Docteur amoureux. C’est un triomphe. Le 2 novembre grâce à l’appui du roi, la troupe s’établit dans la salle du Petit-Bourbon qu’elle partage avec les Comédiens-Italiens, ceux-ci jouent les jours ordinaires (dimanche, mardi, vendredi), la troupe de Molière se contentant des autres jours.
Après Pâques 1659, les Du Parc quittent la troupe pour celle du Marais. Charles Dufresne prend sa retraite. Arrivent Philibert Gassot, dit du Croisy (1626-1695), âgé de 29 ans, Charles Varlet de La Grange (1635-1692), âgé de 19 ans et Julien Bedeau, dit Jodelet (~1600-1660) le dernier farceur du Paris qui emmène son frère L’Espy (~1603-1663). Le 7 juillet 1659, les Italiens étant retournés en Italie, Molière et sa troupe dispose seul du Petit-Bourbon. Le répertoire est composé des pièces tragiques de Corneille. On n’y déclame emphatiquement des pièces de Jean Rotrou (1609-1650), Tristan l’Hermite, Jean Mairet (1604-1686). Molière n’y réussit pas. Par contre, L’Étourdi et Le Dépit amoureux ont du succès. Le 18 novembre, c’est la création des Précieuses ridicules. La pièce est un immense succès (cf. Gérard Defaux, Molière ou les métamorphoses du comique : de la comédie morale au triomphe de la folie, Lexington, Kentuchy, French Forum, Publishers, 1980, p.46). La pièce est jouée en même temps qu’est repris le Cinna (1641) de Corneille qui ennuie. Molière remplace bientôt la pièce de Corneille qui en est furieux. Son frère, Thomas, qualifie Les Précieuses ridicules de « bagatelles ». Joseph Béjart meurt.
En 1660, Les Précieuses ridicules paraissent avec un achevé d’imprimer daté du 29 janvier. Le 26 mars Jodelet meurt. Par prudence, Molière qui s’est réconcilié avec son père, et dont le frère cadet, Jean, vient de mourir le 6 avril, reprend la survivance de la charge de son père. Elle lui permet de voir matinalement le roi. Les Du Parc, peut-être attirés par le succès, retrouvent la troupe. Le 28 mai est créé Sganarelle ou le Cocu imaginaire au Palais Royal. La pièce est une suite de quiproquos autour d’un médaillon trouvé. Le succès est au rendez-vous. Il poursuit le libraire Ribou qui a publié Les Précieuses ridicules sans son autorisation. Le 31 mai, il prend un privilège pour l’impression de L’Étourdi, du Dépit amoureux et de Sganarelle. Le 11 octobre le théâtre du Petit-Bourbon est détruit. La troupe de Molière obtient le théâtre du Palais-Royal qui nécessite d’importants travaux. Cette année-là, Charles Le Brun (1619-1690) fait le portrait de Molière.
En 1661, les Comédiens Italiens reviennent avec Domenico Biancolelli (1640-1688), le grand Arlequin, âgé de 21 ans. Il deviendra l’ami de Molière. Durant les travaux de la salle du Palais-Royal, la troupe joue quelques fois devant le roi au Louvre ou à Vincennes. Le 4 février, est créée Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux, une comédie héroïque dont le titre dit bien le sujet. C’est un échec. La pièce est retirée après quatre représentations et Molière ne la fera pas publier de son vivant. Le 24 juin L’École des maris est créée. On a pensé que la pièce était démarquée de la pièce, les Adelphes, du poète comique latin Térence (190-159 av. J.-C.). Deux frères âgés veulent épouser deux sœurs. L’une d’elle réussit à se défaire de son amoureux pour épouser son jeune amant. Le second frère tente en vain de raisonner l’éconduit. La pièce est un succès. En juillet la troupe joue L’Étourdi et Le Cocu imaginaire pour le Surintendant aux Finances, Nicolas Fouquet (1615-1680). Ce dernier, enthousiaste, commande à Molière une nouvelle pièce. Lors de la grande fête donnée par Nicolas Fouquet à Vaux-le-Vicomte pour l’inauguration de son château, Molière est chargée de coordonner les spectacles. Il crée le 17 août Les Fâcheux, sa première comédie-ballet, avec un prologue de Paul Pellisson (1624-1693). Le thème en est un rendez-vous amoureux que des « fâcheux » diffèrent sans cesse. Le roi lui-même lui souffle un épisode. Sous les personnages, on reconnaît les modèles que Molière croque à la cour. La Fontaine (1621-1695), pensionné depuis deux ans par Fouquet, en fait le compte rendu suivant :
« Tout cela fait place à la comédie, dont le sujet est un homme arrêté par toute sorte de gens, sur le point d’aller à une assignation amoureuse.
C’est un ouvrage de Molière ;
Cet écrivain par sa manière
Charme à présent toute la Cour.
De la façon que son nom court,
Il doit être par delà Rome :
J’en suis ravi, car c’est mon homme. » La Fontaine, À Monsieur de Maucroix relation d’une fête donnée à Vaux année 1661.
Le 23 janvier 1662 est signé le contrat de mariage entre Molière et Armande Béjart, la plus jeune sœur de Madeleine ou sa fille, qu’il a élevée. Le 20 février, le mariage religieux est célébré à Saint-Germain l’Auxerrois. Au printemps, Molière engage, François Le Noir, dit La Thorillière (1626-1680). Il vient du théâtre du Marais. Durant l’été, la troupe part jouer pour le roi à Saint-Germain. Molière engage Guillaume Marcoureau, dit Brécourt (1638-1685) qui quittera la troupe deux ans plus tard pour celle de l’Hôtel de Bourgogne. Fin novembre 1662 l’édition originale de L’Étourdi avec Le Dépit amoureux, Sganarelle ou le Cocu imaginaire et Dom Garcie de Navarre voit le jour, avec la date de 1663. Le 26 décembre, L’École des femmes est créée au Palais-Royal. Agnès est élevée par Arnolphe, son tuteur, qui la garde innocente pour l’épouser. Mais l’amour de la jeunesse sera le plus fort. En trois semaines, elle rapporte 11 000 livres. Elle suscite une virulente querelle. Elle est notamment attaquée par le prince de Conti, l’ancien protecteur de Molière revenu à la religion.
Le 1er janvier 1663 Boileau prend la défense de Molière avec ses Stances à M. Molière sur sa comédie de L’École des femmes que plusieurs gens frondaient. La pièce est publiée le 17 mars et Molière annonce dans la préface qu’il va porter la querelle sur la scène. Il créé La Critique de l’École des femmes le 1er juin au Palais-Royal. Colbert (1619-1683), le ministre de Louis XIV, charge le poète Jean Chapelain (1595-1674) de dresser la liste des écrivains qui méritent d’être pensionnés. Molière en fait partie pour mille livres par an. Il écrit un Remerciement au roi. En août, on joue Zélinde ou la Véritable Critique de l’École de Jean Donneau de Visé (1638-1710) qui accuse Molière d’impiété. Le 1er octobre, Edme Boursault (1638-1701) fait jouer à l’Hôtel de Bourgogne la première du Portrait du peintre ou la contre-critique de l’École des femmes où Molière est présenté comme un cocu. Il assiste à une représentation. Il crée L’Impromptu de Versailles à Versailles le 14 octobre. La pièce est donnée une seconde fois le lendemain. Elle est une nouvelle réponse, forte, à ses adversaires où Molière joue son propre rôle. Il y précise d’ailleurs le rôle des modèles réels dans une comédie :
« Comme l’affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu’un dans le monde ; et s’il faut qu’on l’accuse d’avoir songé à toutes les personnes où l’on peut trouver les défauts qu’il peint, il faut sans doute qu’il ne fasse plus de comédies. » Molière, L’impromptu de Versailles, scène 4.
Molière et sa troupe séjournent à la Cour. Le 4 novembre, il reprend L’Impromptu de Versailles à Paris. Les ennemis de Molière ne désarment pas. Donneau de Visé joue contre lui La Vengeance du Marquis. Zacharie Jacob, dit Montfleury (1600-1667), l’acteur vedette de l’hôtel de Bourgogne, adresse au roi une plainte où il accuse Molière d’avoir épousé sa propre fille fin décembre. Et Antoine Jacob, dit également Montfleury (1640-1685), le fils de l’acteur, donne L’Impromptu de l’Hôtel de Condé où il accuse plus ou moins clairement Molière d’inceste.
En 1664, il donne le 29 janvier une comédie-ballet au Louvre, Le Mariage forcé. Commence alors son association avec le musicien Jean-Baptiste Lully, né Giovanni Battista (1632-1687), surintendant de la musique royale. Louis, le premier fils de Molière, né le 19 janvier, est baptisé le 28 février. Il a pour parrain le roi et pour marraine Henriette d’Angleterre. Le roi montre ainsi qu’il ne croit pas aux accusations d’inceste. Molière prépare les Plaisirs de l’Île enchantée, que Louis XIV veut offrir à sa favorite, Mlle de La Vallière (1644-1710), sous le prétexte d’honorer la reine. La Compagnie du Saint-Sacrement de l’Autel s’en inquiète et veut interdire une pièce qu’elle ne connaît pas. Brécourt quant à lui rejoint l’hôtel de Bourgogne. À partir du 8 mai, les Plaisirs de l’Île enchantée ont lieu à Versailles. C’est dans ce cadre que Molière donne le premier jour une comédie galante La Princesse d’Élide qui peut se lire comme la révélation des amours du roi. Le 9, il donne Le Palais d’Alcine. Le dimanche 10, on reprend Les Fâcheux. Le lundi 11, il donne devant le roi un Tartuffe en trois actes. Le mardi, on donne Le Mariage forcé. Le mercredi, la fête s’achève. Le premier Tartuffe est interdit sur l’intervention de la confrérie du Saint-Sacrement de l’Autel, soutenue par la reine-mère, Anne d’Autriche. L’abbé Pierre Roullé, curé de Saint-Barthélemy, dans un libelle intitulé Le Roy glorieux au monde, ou Louis XIV, le plus glorieux de tous les rois du monde, écrit contre le Tartuffe de Molière où il dénonce une pièce écrite contre l’Église. Il le nomme : « Un homme, ou plutôt un démon vêtu de chair et habillé en homme, et le plus signalé impie et libertin qui fût jamais ». Il l’accuse d’avoir, avec le premier Tartuffe, donné une pièce « à la dérision de toute l’Église, et au mépris du caractère le plus sacré et de la fonction la plus divine, et au mépris de ce qu’il y a de plus saint dans l’Église ». Il le voue au « dernier supplice exemplaire et public, et le feu même ». La troupe de Molière crée le 20 juin au Petit-Bourbon La Thébaïde ou les Frères ennemis la première tragédie de Jean Racine (1639-1699). Le 21 juillet, il fait approuver sa pièce par le légat Flavio Chigi (1631-1693). En août il écrit son « Premier placet au roi » à propos de Tartuffe. Il joue et lie sa pièce en privé. Boileau lui dédit la Satire II où il écrit de lui « Rare et fameux esprit dont la fertile veine… » En novembre, Tartuffe comprend maintenant cinq actes. Son fils meurt le 10 novembre. Le 29, il joue la nouvelle version du Tartuffe en privée sur l’ordre de Monseigneur le Prince de Condé (1621-1686) qui appartient au parti libertin. André Hubert ( ?-1700) remplace Brécourt dans la troupe. René Du Parc, dit Gros-René, meurt et la femme de Du Croisy s’en va. Lagrange remplace Molière comme orateur de la troupe.
Le 15 février 1665, Don Juan est créé au Palais-Royal. La pièce connaît un grand succès jusqu’à la clôture annuelle le 20 mars. S’ensuit une nouvelle querelle. La pièce disparaît à la rentrée de l’affiche. Certainement des pressions discrètes en sont-elles la cause. L’anonyme Sieur de Rochemont fait paraître les Observations sur une comédie de Molière intitulée le Festin de Pierre, dont le permis d’imprimer date du 10 mai, un pamphlet contre Molière qui provient peut-être de l’entourage de Port-Royal. Il y déclare notamment : « C’est là que l’on peut dire que l’impiété et le libertinage se présentent tous moments à l’imagination ». C’est à ce moment que le prince de Conti écrit son Traité de la comédie et des spectacles. Le 14 août, la troupe de Molière devient la troupe des Comédiens du roi qui lui accorde 6000 livres de pension. Molière a une fille qui naît le 4 août, Esprit-Madeleine dont la marraine est Madeleine Béjart et le parrain le duc de Modène. C’est le seul enfant qui lui survivra. À Versailles, Molière crée le 15 septembre L’Amour médecin où la flatterie apparaît comme l’essentiel de l’art médical. Il se brouille avec Racine qui avait fait répéter son Alexandre le Grand par sa troupe et la troupe rivale de l’hôtel de Bourgogne. C’est elle qui crée la pièce le 4 décembre. Molière est trahi par ce jeune auteur qu’il a aidé.
En 1666 est publié le Traité de la comédie et des spectacles, selon la tradition de l’Église tirée des conciles et des saints Pères du prince de Conti qui critique ce qu’il a adoré. Molière est gravement malade. Il ne joue pas pendant deux mois. Il a des difficultés avec sa femme, Armande, jeune et volage. Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux, sur lequel il a travaillé durant deux ans, est créé au Palais-Royal le 4 juin. Le succès n’est pas net jusqu’à ce que la pièce partage l’affiche à partir du 6 août avec Le Médecin malgré lui. Mélicerte, comédie pastorale héroïque avec un ballet est créée à Saint-Germain le 1er décembre avec dans le premier rôle un jeune comédien de treize ans, Michel Baron (1653-1729) ainsi que Le Ballet des Muses.
En 1667, deux comédies-ballets sont créées à Saint-Germain : La Pastorale comique le 5 janvier et Le Sicilien ou l’Amour peintre le 14 février. Le thème du Sicilien est encore une fois un mariage qui va se faire au nez et à la barbe d’un irascible. Le petit Baron y joue le rôle de Myrtil. En avril et en mai, Molière ne joue pas pour raison de santé. Il se retire à Auteuil. Ses amis l’y rejoignent, Claude Chapelle, Nicolas Boileau, Jean de La Fontaine, Jean-Baptiste Lully. L’affaire Tartuffe rebondit. Le roi a rejoint l’armée des Flandres. Croyant à une autorisation royale, Molière crée le 5 août, l’Imposteur, une version douce du Tartuffe. Le lendemain matin, la pièce est interdite par le premier président du parlement de Paris Guillaume de Lamoignon (1617-1677), par ailleurs membre de la Confrérie du Saint-Sacrement de l’Autel. Boileau et Molière vont le voir. Il refuse qu’elle soit jouée au nom du principe selon lequel un comédien n’a pas à instruire sur les affaires religieuses. Molière en veut à Mgr. Hardouin De Péréfixe (1605-1671), membre de l’académie française, qu’il pense être le chef de la cabale des dévots. Un second « Placet au roi » est porté par Lagrange et La Thorillère, sans succès. Le 11 août une lettre de Mgr. De Péréfixe est publiée qui dénonce la comédie de Molière comme un texte de libertin (le terme désignait un homme dont la pensée est affranchie de la religion quelles que soient ses mœurs par ailleurs). Elle fait interdiction aux chrétiens de la jouer ou de la lire. Texte de droit canonique, il échappe au pouvoir temporel du roi. Un texte anonyme relatif au Tartuffe intitulé Lettre sur la comédie de l’Imposteur et daté du 20 août est publié. Il est peut-être dû à l’entourage de Chapelle, voire a été dicté par Molière lui-même. Le 21 août, Molière connaît un premier séjour forcé à Auteuil. La Du Parc suit Racine, son amant, à l’hôtel de Bourgogne. Au mois de décembre, la troupe joue une nouvelle pièce de La Thorillière, Cléopâtre.
Le 13 janvier 1668 Amphitryon est créé au Palais-Royal. La pièce est démarquée de deux pièces : l’Amphitryon (187 av. J.-C.) de Plaute (~254-184 av. J.-C.) et Les deux Sosies (1636) de Rotrou qui est la traduction de la précédente. Jupiter se change en Amphitryon pour obtenir son épouse, Alcmène. Sont ainsi représentés, et la nouvelle conquête du roi, Françoise Athénaïs de Rochechouart, Marquise de Montespan (1640-1707) et la douleur du mari, le marquis (1640-1691), qui la clame à qui veut l’entendre. La pièce justifie l’adultère royal – ce qui scandalisera Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758). En janvier, Tartuffe est représenté à nouveau à titre privé chez le prince de Condé. Georges Dandin est représenté à Versailles le 18 juillet avec une musique de Lully. Le Dandin des Plaideurs de Racine qui était démarqué de La Jalousie du barbouillé est repris par Molière. Ce dernier réussit à désamorcer un conflit avec un dénommé Dandin, une personne réelle. Le 9 septembre, L’Avare est représenté au Palais-Royal. La pièce est démarquée de l’Aulularia ou Comédie de la marmite du poète comique latin Plaute. Molière a-t-il connu La Comédie de l’Aridosia de Lorenzo de Médicis (1514-1548) ? Harpagon, l’avare, veut épouser la jeune Mariane, aimée par son fils Cléante et donner en mariage sa fille Élise au vieil et riche Anselme alors qu’elle est l’amante de Valère, un jeune homme qui l’a sauvée et qui est devenu l’intendant d’Harpagon. Le valet de Cléante volera le trésor d’Harpagon qui abandonne finalement ses idées de mariage lorsque le vieil Anselme se révèlera le père de Mariane et Valère et se proposera d’assurer tous les frais des mariages alors qu’Harpagon retrouve son cher trésor. Molière joue Harpagon à qui il prête sa toux (cf. Acte II, scène 5). La pièce ne fait pas recette. En décembre, il reprend L’Avare. Il se sépare d’Armande, sa femme, qu’il ne voit plus qu’à la scène. Il prête de l’argent à son père dont les affaires vont mal. Le 1er décembre, Mlle Du Parc meurt.
En 1669, la première représentation du Tartuffe autorisé a lieu le 5 février. Un dévot, le personnage éponyme, s’est introduit dans une famille bourgeoise où il tyrannise tout le monde. Le bourgeois Orgon qui s’en est entiché sera détrompé par un stratagème de sa femme que Tartuffe tente de séduire. Le roi intervient tel un deux ex machina pour dénouer la captation d’héritage ourdi par l’hypocrite. Jusqu’à la clôture de Pâques, la pièce est jouée avec succès. Molière donne son « Troisième placet au roi ». Le 21 février, la pièce est jouée chez la reine, Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683). Elle est représentée à Saint-Germain le 3 août. Le père de Molière meurt le 27, endetté, presque pauvre. Une succession difficile s’ouvre. La comédie-ballet, Monsieur de Pourceaugnac, est donnée à Chambord le 6 octobre avec une musique de Lully.
Début 1670, un dénommé Le Boulanger de Chalussay (un pseudonyme) publie Élomire hypocondre ou les Médecins vengés. Élomire est l’anagramme de Molière qui est montré soucieux de sa santé et despotique, voire incestueux. Molière réussit à faire retirer la pièce. Le 4 février la comédie-ballet, Les Amants magnifiques, est représentée à Saint-Germain. Le sujet en a été dicté par le roi lui-même qui y joue Neptune puis Apollon. Il y danse pour la dernière fois. Puis, une autre comédie-ballet, Le Bourgeois gentilhomme, est créée à Chambord le 13 octobre. À la première représentation, le roi ne rit pas. Cinq jours plus tard, à la seconde, il félicite Molière qui l’a échappé belle. Alors que la Bérénice de Racine triomphe à l’hôtel de Bourgogne, Tite et Bérénice de Corneille joué par la troupe de Molière au Palais-Royal n’a pas le même succès.
Le 17 février 1671 Psyché, la comédie ballet à laquelle ont collaboré, Corneille et Quinault (1635-1688) avec une musique de Lully est créée. C’est un grand succès. Les Fourberies de Scapin sont créées au Palais-Royal le 24 mai. Psyché est publiée le 6 octobre. La comédie-ballet, La Comtesse d’Escarbagnas est créée à Saint-Germain le 2 décembre sur une musique de Marc Antoine Charpentier (1643-1704) pendant que Lully présente Le Ballet des ballets où il reprend plusieurs de ses compositions : le premier intermède de Psyché, la troisième entrée du Ballet des Muses, le troisième intermède de George Dandin et la cérémonie turque du Bourgeois gentilhomme. Le sujet de La Comtesse d’Escarbagnas est le ridicule d’une femme d’Angoulême éblouie par ce qu’elle a vu lors de son séjour à la cour à Paris. Psyché est publiée le 6 octobre.
Le 17 février 1672, Madeleine Béjart meurt. Molière rompt avec Lully après que ce dernier a obtenu le privilège de l’Académie royale de musique. Les Femmes savantes sont créées au Palais-Royal le 11 mars. Le sujet en est deux amants dont les amours sont contrariés par leur mère. Molière y raille l’écrivain Gilles Ménage (1613-1692) et l’abbé et poète Charles Cotin (1604-1682) sous les personnages de Vadius et de Trissotin qui se disputent l’attachement littéraire de la dame de la maison. Pour ce dernier, il va jusqu’à le citer textuellement. Le 13 mars, Lully obtient le monopole de la musique et de la danse pour l’Académie royale de musique. Dès deux musiciens, il faut son autorisation et payer une redevance. Les comédiens du Palais-Royal attaquent en justice et obtiennent de pouvoir utiliser douze violons et six chanteurs. C’est insuffisant pour certaines parties de ballet et un coup dur pour les recettes de la troupe. Le 15 septembre, Armande accouche de Pierre-Jean-Baptiste-Armand. Baptisé le 1er octobre, il est enterré le 11.
Le 10 février 1673 est créée au Palais-Royal la comédie-ballet, Le Malade imaginaire, dont la musique a été composée par Marc Antoine Charpentier. Le 17 février, Molière meurt après s’être écroulé sur scène lors de la quatrième représentation du Malade imaginaire. Il n’a pas renié son métier de comédien.

Le 21, il est enterré après intervention du roi au cimetière Saint-Joseph. Lully fait du Palais-Royal l’Opéra. Lagrange et Armande transportent la troupe rue Guénégaud où ils sont rejoints par les comédiens du Marais.
En 1674 le bruit court que le corps de Molière a été exhumé et jeté à la fosse commune des non-baptisés.
En 1680, le roi fait des troupes des comédiens de la rue Guénégaud et de l’Hôtel de Bourgogne une seule troupe : la Comédie française.
En 1792, la Révolution exhume les restes présumés de Molière et de La Fontaine. Ils sont transférés à la mairie du troisième arrondissement puis au couvent des Petits-Augustins.
En 1817, leurs restes sont transportés au Père Lachaise.


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