Qui ne voudrait réaliser tous ses
désirs ? Qui ne se plaint pas de ne pas y arriver ?
Or une solution se dessine : la
tyrannie. En effet, le tyran paraît réaliser tous ses désirs car il a le
pouvoir.
Néanmoins, on rejette généralement la
tyrannie. Personne n’avouerait désirer être un tyran.
Est-ce par impuissance ou parce qu’elle
est mauvaise ou alors parce que le bonheur ne réside pas dans la réalisation de
tous ses désirs ?
I. Éloge de
la tyrannie.
Il ne peut y avoir de plaisirs sans
désirs. Aussi, ce qui procure à l’un du plaisir n’en procure aucun à l’autre,
voire produit l’effet inverse. Plus grands sont les désirs, plus grands les
plaisirs, mais plus difficiles sont-ils à réaliser. Aussi faut-il pouvoir le
faire faire aux autres. Mais la vie en société s’oppose au bonheur puisque elle
trace des limites sous la forme des lois ; elle menace de sanctions ceux
qui désirent plus ; et elle les applique lorsqu’ils le font. Pourtant, qui
a le pouvoir peut négliger les lois.
Ainsi dans son Gorgias, Platon fait-il parler le rhéteur Polos qui loue Archélaos,
tyran macédonien qui est arrivé au faîte du pouvoir et du bonheur. Car le tyran
peut assouvir tous ses désirs. C’est lui qui menace ; il ordonne, il fait
faire. Il peut profiter de tout ce que les autres fabriquent, inventent. Aussi,
certains hommes cherchent à obtenir le pouvoir suprême : la tyrannie. C’est
« le gouvernement où un seul homme
exerce un pouvoir irresponsable sur tous les citoyens, qu’ils soient égaux ou
supérieurs, et n’a en vue que son propre intérêt, non celui de ses sujets. »
(Aristote, La politique, IV, 10,
1295a).
Quant aux hommes ordinaires, ils ne
respectent la justice et la loi que
par impuissance. Platon expose cette conception dans une sorte d’apologue,
celui de l’ancêtre de Gygès le Lydien, modeste berger qui a découvert un anneau
magique grâce auquel il a séduit la reine et s’est emparé du pouvoir. Ainsi, le
tyran accède à la liberté au sens
ordinaire de faire tout ce qui nous plaît. En lui, liberté et bonheur
semblent se réaliser.
Y a-t-il véritablement un bonheur du
tyran ou bien ne subit-il pas une série de contraintes malgré
l’apparence ?
II. L’épée
de Damoclès.
Dans les Tusculanes, Cicéron relate une histoire qui est passée en proverbe,
celle de l’épée de Damoclès. Ce flatteur de Denys, le tyran de Syracuse,
faisait son éloge. Le tyran lui propose de prendre sa place, il l’installe au
milieu des plaisirs. Bientôt, Damoclès voit au-dessus de lui une épée près de
son cou, tenue par un fil de crin. Il en est effrayé et renonce à la place
octroyée par Denys. Celui-ci alors lui indique que lui ne peut même plus
quitter cette place. Hiéron, le tyran dit la même chose au sage Simonide dans
le dialogue de Xénophon (~430-~355 av. J.-C.) qui porte son nom (chapitre VII,
12).
Ainsi, loin d’être heureux, le tyran vit
dans la crainte continuelle. Celle-ci lui gâche tous ses plaisirs. Loin d’être
libre, il vit dans la crainte continuelle de la mort, dans le soupçon perpétuel :
tous ses sujets sont ses ennemis. Et en même temps, il en a besoin puisqu’il ne
fait rien lui-même. La tyrannie comme moyen de réaliser tous ses désirs est
donc un mirage.
Il paraît donc préférable en suivant
Epicure et ses disciples, d’avoir des désirs limités et de pouvoir les
satisfaire plutôt que d’avoir des désirs illimités et ne jamais pouvoir les
satisfaire. À cette condition, il est possible d’être libre en ce sens que non
seulement on réalise ses désirs mais on réussit aussi à ne pas dépendre des
autres.
Il n’en reste pas moins vrai qu’en
voulant limiter ses désirs et les moyens de s’en satisfaire, en voulant vivre
de peu, on se destine à une vie étriquée qui n’est guère satisfaisante. Le
bonheur du tyran, pour risqué qu’il soit, paraît plus exaltant. Comment alors
sortir de cette idée du bonheur du tyran puisque nous rêvons d’assouvir tous
nos désirs ?
III.
Bonheur et action.
On doit distinguer le bonheur reçu du
bonheur agi. Le premier, tel le loto, ne dépend pas de nous et file entre nos
doigts. Le second comme l’objet que nous réalisons où le jeu auquel nous participons
dépend de nous et est toujours à notre disposition.
Il faut donc agir et que le plaisir ou
la joie comme on voudra dire vienne de l’action, l’accompagne. À ce compte, la
peine elle-même est voulue comme on le voit dans les coups reçus quand on joue
au ballon qui ne sont pas incompatibles avec le bonheur de jouer. Loin de ne
chercher que le plaisir, l’homme veut la peine mais seulement si cette peine
est libre soutient à juste titre Alain dans ses Propos sur le bonheur (1925). La liberté est bien la condition et
le contenu du bonheur.
Dès lors, la règle n’est plus une
contrainte pour peu qu’elle soit elle aussi voulue comme les règles d’un jeu
que chacun accepte comme sa condition. De même pour la vie sociale. Qui trouve
le bonheur dans l’action n’envie pas les autres. La maison que le maçon se
construit pendant ses congés a plus de valeur que celle qu’il recevrait.
Bilan.
En un mot, le bonheur du tyran est une
sorte de mirage qui habite tous les hommes lorsqu’ils n’agissent pas, ou pas
assez. Ils rêvent alors de tout avoir sans rien faire. Quelques uns cherchent à
occuper la place de tyran mais ne trouvent pas le bonheur escompté.
Renoncer à cette illusion, c’est peut-être trouver que ce qu’on cherche, on le possède déjà pour peu qu’on se débarrasse de l’illusion du bonheur reçu.
Renoncer à cette illusion, c’est peut-être trouver que ce qu’on cherche, on le possède déjà pour peu qu’on se débarrasse de l’illusion du bonheur reçu.
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