On entend
souvent qu’être juste, c’est obéir à la loi. Pourtant, non seulement cela peut
être injuste si la loi n’est pas juste mais aussi si cela permet d’agir pour
son intérêt au dépend d’autrui. Dès lors, y a-t-il des conditions qui
permettent que la loi suffise à définir la justice ?
I. La justice comme
ordre légal.
La diversité des
sociétés plaide en faveur d’une définition légaliste de la justice. En effet,
les lois instituées dans une société répartissent ce qui appartient à chacun. La
justice est donc de rendre à chacun le sien selon la loi. Désobéir est injuste.
Il n’est donc pas injuste d’agir dans le silence de la loi. La loi suffit donc à
définir la justice car elle est comme la règle d’un jeu (cf. Hobbes, Léviathan, 1651, chapitre 30).
S’il fallait
définir une justice au-delà des lois telles qu’elles existent dans les sociétés,
ne faudrait-il pas une loi pour montrer que celle-ci est juste et ainsi de
suite à l’infini ? Aussi, des lois qu’on dit injustes, il faudrait plutôt
dire qu’elles sont mauvaises, c’est-à-dire ne remplissent pas la fonction de la
loi qui est de permettre la vie en société la meilleure.
Toutefois, on
trouve des sociétés qui fonctionnent mais où la vie en société est mauvaise
pour nombre d’hommes. La loi paraît ne pas suffire à moins qu’on la redéfinisse.
II. L’égalité.
En effet, toute
règle n’est pas une loi. Pour qu’il y ait loi, il faut deux conditions selon
Rousseau dans Du contrat social
(1762, II, chapitre 6). Il faut que la règle provienne de tout le peuple et
soit valable pour tout le peuple. Autrement dit, l’égalité dans la législation
et l’application définit la loi véritable. À cette condition, la loi ne peut
pas être injuste.
En effet,
lorsqu’un peuple légifère pour lui-même, il ne peut le faire à son détriment
comme lorsqu’un groupe d’homme (oligarchie ou aristocratie) ou un seul
(monarchie ou tyrannie) légifère pour les autres. La distribution des biens et
des droits est voulue par tous. Et s’il faut que la loi s’applique à tous,
c’est pour empêcher la tyrannie de la majorité sur la minorité comme la nommait
Tocqueville dans De la démocratie en
Amérique. Ainsi en allait-il des lois de ségrégation raciale aux États-Unis
jusque dans les années 1960.
Néanmoins, la
stricte application de la loi peut empêcher que chacun conserve ce qui lui
appartient. Comment, sans passer par la loi, pourrait-on être juste ?
III. La jurisprudence.
Il faut convenir que la loi
instituée n’est pas suffisante dans la mesure où elle ne peut prévoir tout ce
qui est possible. La loi est générale disait à juste titre Aristote dans l’Éthique à Nicomaque (IV° av. J.-C., l.
V, ch. 14) ; elle ne prend en compte que ce qui arrive le plus souvent. Dès
lors, lorsque le cas particulier échappe à la loi ou bien lorsque sa
réalisation est contraire à son intention, il n’est pas juste de s’en tenir à
elle. On peut appeler jurisprudence les interprétations et les décisions prises
dans le silence de la loi.
Ce qui permet d’éviter
alors l’arbitraire, c’est que l’interprétation et la décision doivent se faire
dans l’esprit de la législation. Autrement dit, il faut prendre en compte la
fin recherchée par la loi pour juger en dehors d’elle voire contre elle mais
pour mieux réaliser la fin qu’elle visait.
La loi est une
règle du jeu sociale. Pour qu’elle permette la réalisation de la justice, c’est-à-dire
que chacun ait les biens et les droits auxquels il peut légitimement prétendre
dans la société, il faut qu’elle soit voulue par tous et valable pour tous. Même
ainsi, elle ne suffit pas pour réaliser la justice, il faut aussi que l’esprit
vienne la vivifier.
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