On oppose
généralement la liberté et l’obéissance à la loi. Et pourtant, s’il est vrai
que tenter de transgresser la loi, c’est un acte de liberté, pourquoi lui obéir
n’en serait-il pas un autre ?
Dès lors, la
liberté et l’obéissance à la loi s’opposent-elles vraiment ? Si oui, à
quelles conditions ?
I. Obligation,
nécessité et liberté.
On peut entendre
par liberté l’absence de contrainte, non seulement physique, mais également
mentale. Une contrainte est ce qui fait obstacle à notre désir. En ce sens, la
loi dans la mesure où elle interdit ou elle prescrit, est une obligation. Mais
elle enveloppe une contrainte au moins mentale puisqu’elle menace de sanction
celui qui la transgresse. Quant aux punitions, supplices, emprisonnement,
amendes, travaux forcés, etc. elles sont des contraintes sur la liberté du
sujet.
Dès lors, la loi
en ce sens s’oppose bien à la liberté et obéir à la loi paraît le contraire même de
la liberté comme Hobbes l’a soutenu à juste titre dans son Léviathan (1651, chapitre 21). En société, il n’y a de liberté que
dans le silence de la loi.
Si la loi
exprime la nécessité, elle limite notre liberté. Ainsi en va-t-il des lois de
la nature qui nous contraignent, qui limitent nos actions, qui pèsent sur notre
condition.
Néanmoins, c’est
librement que l’homme transgresse la loi ou qu’il l’utilise. Dès lors, il
paraît difficile d’opposer simplement la liberté et la loi.
II. Loi et libre
arbitre.
C’est que la
liberté est moins dans le fait d’agir sans contrainte que dans la décision même
d’agir : c’est ce qu’on nomme le libre arbitre. Il consiste dans le
pouvoir de penser ou d’agir sans être déterminé par des causes externes ou
internes (comme les désirs) comme Descartes l’a défini dans la quatrième de ses
Méditations métaphysiques (1641, 1642).
En ce sens, quelle que soit la loi, si l’homme est doué de libre arbitre, il
est libre car c’est lui qui décide.
C’est en ce sens
que Sartre a pu dire paradoxalement que « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’Occupation allemande. »
En effet, malgré un pouvoir pour le moins contraignant, chacun se trouvait dans
tous ses gestes les plus quotidiens face au choix qui fait l’essence de la
liberté.
C’est grâce à
son libre arbitre que l’homme se dirige en se soumettant la nature en utilisant
ses lois. Les vents et les courants sont les mêmes pour tous les marins. Les
bons marins dirigent leur bateau où ils veulent sans que les vents et les
courants changent pour eux (cf. Alain, Propos
sur le bonheur, XXII La fatalité).
Reste que la
libération a consisté justement à se débarrasser de ce pouvoir contraignant, ce
qui a permis à Sartre de soutenir son paradoxe. N’est-ce pas que la liberté
n’est pas seulement dans le choix ?
III. Connaître la
nécessité de la loi.
Si la tyrannie,
voire le totalitarisme, c’est-à-dire un pouvoir qui vise à façonner l’homme en
s’imposant par la terreur sont des pouvoirs qui s’opposent à la liberté, c’est
parce qu’ils refusent la loi. Le premier est le règne de l’arbitraire ou plutôt
des désirs des gouvernants. Le second prétend gouverner selon une loi
scientifique et non selon une loi instituée.
C’est que la loi
des hommes exige deux conditions. Il faut qu’elle soit instituée collectivement
de façon à ce que personne n’ait le pouvoir sur les autres. Il faut qu’elle
soit impartiale. Hors de ces deux conditions, les règles ne sont que des
instruments de domination de certains sur les autres. Connaître les conditions
de la loi permet justement lorsqu’elle est présente de la vouloir et donc d’être
libre. Et ceci d’autant plus qu’on se libère alors des vains désirs. On voit
donc que la loi n’est pas incompatible avec la liberté, mieux, elle la rend
possible en supprimant toute possibilité de contraintes des uns sur les autres.
C’est en ce sens que Rousseau voyait dans la justice, c’est-à-dire dans l’égalité
devant la loi, la liberté même.
Quant à la loi
de la nature, y compris si elle régit l’homme, il n’y a pas à y obéir mais à l’utiliser
pour les fins voulus. La loi de la gravitation est la même qui fait qu’on s’écrase
au sol si on saute d’un immeuble ou si on prend un avion. En aucun cas, elle ne
peut permettre de gouverner les hommes.
En un mot, la
liberté s’oppose à la loi si on la conçoit comme l’absence de contraintes. Mais
la liberté est plutôt dans l’action libre. Celle-ci est moins rendue possible
par le libre arbitre que par la loi entendue comme obligation voulue par tous
pour tous pour que la vie sociale soit juste. La liberté est compatible avec la
loi de la nature qui, connue, permet d’agir pour le bien des hommes, y compris
soi-même.
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