Enfance et formation.
Pierre
Corneille naît à Rouen le 6 juin 1606. Son père, Pierre Corneille (1572 ou
1574-1639) est licencié en droit et « maître particulier des eaux et forêts en la Vicomté de Rouen »,
autrement nommé la Table
de Marbre. Sa mère, Marthe Le Pesant de Boisguilbert, est la fille d’un avocat
de Rouen. Sa famille appartenait donc à la moyenne bourgeoisie. Elle
était pieuse et économe. Ses parents eurent huit enfants. Outre Pierre, trois
autres garçons qui sont : Vincent, né en 1603, mort en bas âge ;
Antoine, né en 1611 sera curé et
Thomas, né le 20 août 1625 (date donnée par le site de l’Académie
française (http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html) ;
selon Alain Niderst, il a été baptisé le 24 août 1624 (cf. Niderst 2006,
p.14), fut également auteur dramatique
et lui succéda à l’Académie française. Et puis quatre filles : Marie, née
en 1609, Madeleine, née en 1610 qui mourut jeune, Marthe, née en 1623, future
Madame Le Bovyer de Fontenelle et mère de Fontenelle (1657-1757), l’écrivain, et une seconde Madeleine qui mourut
également jeune en 1635.
Pierre Corneille fait ses études chez les
Jésuites au Collège de Maulevrier de sa ville natale où il entre en 1615. Il y
obtiendra deux prix de versification latine en 1618 et 1620. En outre, les
jésuites aimaient le théâtre. Ils faisaient jouer des pièces à leurs élèves. Il
quitte le collège en 1622. Il a donc fait deux ans de studia superiora
où figurent la logique et la métaphysique.
Il devient avocat le 18 juin 1624, ce qui
suppose qu’à une date antérieure, il soit devenu diplômé en droit –
« licencié ès lois » dans une autre ville que Rouen – Caen ou
Poitiers ? – car sa ville natale n’a pas de faculté de droit. Corneille renonce à plaider. On lui prête
une difficulté à parler correctement le français ou à le prononcer.
En 1628 et 1629, son père lui achète deux charges à la Table de Marbre du Palais à
Rouen, celle d’avocat du roi pour les Eaux et Forêts et celle d’avocat du roi à
l’Amirauté de France. Pendant une vingtaine d’années, il s’acquittera de ses
charges, à raison de trois audiences par semaine en général, parallèlement à
son activité d’homme de théâtre.
De sa vie privée, fort discrète, on connaît
peu de chose. On lui prête une « petite aventure de galanterie » dans
sa jeunesse dont sa première pièce serait l’écho selon une tradition qui date
de son neveu Fontenelle dans sa « Vie de Corneille » (1702). On lit
en ce sens également un passage de son Excuse à Ariste : « Je me sens tout ému quand je l’entends
nommer. ». Brunetière (p.98)
allait jusqu’à s’interroger sur le rôle
de cette aventure pour sa vocation théâtrale.
Quoiqu’il en soit, il épouse, en 1640 ou 1641,
Marie de Lempérière (1617-1694), fille d’un Lieutenant de Justice aux Andelys.
Elle lui donnera sept enfants. Deux de ses fils feront une carrière militaire
et le dernier entrera en religion. De la fille aînée descendra Charlotte Corday
(née en 1768 elle sera guillotinée le 17 juillet 1793 pour avoir assassiné
Marat le 13 juillet). Une autre fille se fera religieuse.
Débuts au théâtre.
Il écrit sa première comédie, Mélite ou les
fausses lettres, en 1629 ou 1630 (publiée le 12 février 1633). [Curieusement,
Fontenelle donne la date de 1625. Quant à Louis Herland, il veut que la pièce
soit antérieure à la diatribe du vieux poète Hardy qui viserait Corneille et
qui est de 1628 (cf. Louis Herland 1956, p.10)]. Elle est jouée à Paris en 1630 par le célèbre acteur Mondory
(1594-1653), fondateur du Théâtre du Marais. Cette pièce respecte peu la future bienséance avec ses baisers, ses
caresses et ses allusions à l’amour physique. L’action ne respecte pas l’unité
de temps.
Après ce premier succès Corneille donne Clitandre
ou l’Innocence délivrée, tragi-comédie créée fin 1630 – début 1631 (publié
le 20 mars 1632 avec une dédicace au duc Henri de Longueville (1593-1663), gouverneur de Normandie), pièce où l’unité de temps, règle alors
nouvelle, est respectée. Là encore la bienséance n’est pas de mise avec par
exemple une scène où un personnage rate un viol et se voit crevé l’œil par la
jeune fille.
Il donne ensuite La Veuve ou le
Traître trahi, une comédie, en 1631 ou 1632 (publiée le 13 mars 1634).
La cour séjourne près de Rouen entre le 15
juin et le 3 juillet. L’archevêque de Rouen demande à Corneille des vers pour
louer Richelieu. Il lui répond en latin en écrivant l’Excusatio [Excuse]
(publiée en 1634), où dans une longue prétérition, il s’excuse de ne pas louer
le roi et son ministre, le cardinal de Richelieu (1585-1642), ce qu’il fait,
tout en faisant l’éloge de son propre théâtre.
En 1635, le cardinal de Richelieu crée
l’Académie française. Corneille a droit à une pension de 1500 livres (Un
maçon gagnait annuellement 80 livres vers 1653) qu’il touchera jusqu’à la mort de Richelieu. Ce dernier fait appel à
lui pour constituer, avec Boisrobert (1592-1662), Colletet (1598-1659),
L’Estoile (1602-1652) et Rotrou (1609-1650) les « cinq auteurs »
chargés de rédiger tragédies et comédies sur des canevas imaginés par lui-même.
Ainsi est composée La
Comédie des Tuileries (créée en 1635 ;
publiée le 19 juin 1638). La
Grande pastorale et L’Aveugle de Smyrne
(publié le 17 juin 1638) des cinq auteurs sont créés en janvier et février
1636.
Corneille aborde la tragédie, avec Médée (publiée
le 16 mars 1639), dont il emprunte le sujet, mythologique, à Euripide (480-406)
et Sénèque (1-65 ap. J.-C.). Mairet avait eu, en 1634, un grand succès avec sa Sophonisbe
– dont le sujet est historique au sens de l’époque – et avait remis le genre au
goût du jour (1629 pour Voltaire. Cf. Voltaire,
Œuvres complètes, Théâtre VI, Sophonisbe (1770), tragédie
en cinq actes, Avertissement sur les tragédies de Sophonisbe).
L’Illusion comique, créée en 1635 ou 1636 (publiée le 16
mars 1639), comédie gigogne qui met en scène à la fois l’allégorie du théâtre
du monde et les différents genres dramatiques possibles, est créée en 1635,
peut-être dans la deuxième moitié de l’année. Corneille la nommait un « étrange monstre ».
La querelle du Cid.
Le Cid, dénommé tragi-comédie à sa
naissance, inspirée d’une épopée espagnole, est créée en janvier 1637 (Louis
Herland tient à décembre 1636 en se fiant au témoignage de Thomas
Corneille ; cf. op. cit, p.15). La pièce connaît un immense succès. Elle est très rapidement imprimée
(23 mars). Paris, qui n’a jamais connu un tel triomphe ne parle plus que du cas
de conscience de Rodrigue, partagé entre son amour pour Chimène et sa volonté
de venger Don Diègue, son père offensé par le père de son amante, don Gomès,
comte de Gormas. Ce triomphe est une date capitale dans la carrière de l’auteur
dramatique. C’est peut-être la raison pour laquelle Louis XIII (1601-1610-1643)
accorde au père de Corneille des lettres de noblesse.
Toutefois, la pièce donne lieu également à
la célèbre « querelle du Cid ». Il y eut au total trente-six
textes pour ou contre Corneille dont trente-quatre en 1637 et deux en 1638.
Corneille, dans l’Excuse à Ariste, se
proclame le maître incontesté de la dramaturgie. Est-ce là l’origine de la
polémique ?
Mairet
(1604-1686) l’attaque à plusieurs reprises dans divers pamphlets auxquels
Corneille répond. Mairet reçoit une lettre de Boisrobert commandée par
Richelieu daté du 5 octobre 1637 dans laquelle on apprend que le Cardinal est
satisfait de ce qu’il a lu de lui mais qu’il lui intime l’ordre de cesser les
attaques contre Corneille.
De son côté,
Georges de Scudéry (1601-1667) dans ses Observations sur le Cid publié
en avril lui reproche un mauvais sujet, le non-respect des règles, notamment
l’absence de nœud au premier acte, le manque de vraisemblance – Chimène ne peut
épouser Rodrigue, le manque de bienséances en une Chimène « fille dénaturée », « impudique » – en effet, elle
accepte la visite du meurtrier de son père et va jusqu’à lui déclarer qu’elle
l’aime … la nuit ; elle est prête à l’épouser – une durée qui excède
largement le jour puisqu’il faut des années pour que les actions puissent avoir
lieu, l’absence d’unité de lieu, bref, de ne pas respecter les trois unités de temps, de lieu et
d’action. Même le style ne trouve grâce à ses yeux. Enfin il accuse
Corneille d’avoir copié abusivement
Guillen de Castro (1569-1631), un auteur espagnol qui a donné une Jeunesse
du Cid à laquelle Corneille a emprunté.
Guez de Balzac
(1597-1654), par ailleurs ami et
correspondant de Descartes (1596-1650), défend Corneille dans une lettre
datée du 27 août 1637 qu’il adresse à Scudéry. Corneille, quant à lui, se
défend dans une Lettre apologétique. Il reproche à son adversaire
d’invoquer Aristote alors qu’il ne le connaît pas. Scudéry revient à la charge
dans ses Preuves des passages allégués dans les « Observations sur le Cid »,
texte adressé à l’Académie ainsi qu’une Lettre à l’Académie.
En décembre,
les Sentiments de l’Académie sur le Cid, dont l’auteur principal est
Jean Chapelain (1595-1674), encouragée en sous-main par Richelieu, peut-être
parce que la pièce contient des maximes contraires à la raison d’État, mettent
un terme officiel et apparent à la querelle. Chimène notamment est critiquées
car « ses mœurs sont du moins
scandaleuses, si en effet elles ne sont dépravées. » L’Académie
souligne toutefois dans un jugement relativement équilibré sur le Cid :
« la naïveté et la véhémence de ses
passions, la force et la délicatesse de plusieurs de ses pensées, et cet
agrément inexplicable qui se mêle dans tous ses défauts ».
Boileau (1636-1711) résumera la querelle en ces vers
célèbres :
« En vain contre le Cid un
ministre se ligue :
Tout Paris pour
Chimène a les yeux de Rodrigue,
L'Académie en
corps a beau le censurer :
Le public
révolté s’obstine à l’admirer. »
Boileau, Satires, IX (1668).
Corneille garde ensuite le silence durant
trois saisons. Il ne semble pas qu’il ait été inactif si on en croit Chapelain
qui écrit en janvier 1639 que Corneille ne s’entretient que de règles et de ce
qu’il aurait pu répondre aux Académiciens.
Retour au théâtre.
Après trois ans de ce silence tout relatif
où il publie quelques-unes unes de ses pièces, Corneille revient au théâtre où
il connaît à nouveau le succès avec Horace,
une tragédie romaine dont le sujet selon son propre témoignage est emprunté à
l’Histoire romaine (livre I, chapitres 22 à 26) de Tite-Live (59 av.
J.-C.-17 ap. J.-C.). L’histoire se trouve également dans les Antiquités
romaines (livre III, 5-22) de Denys d’Halicarnasse (~54av. J.-C.-~8 ap.
J.-C.), un historien grec, avec des variantes significatives [Sur Denys
d’Halicarnasse et l’histoire romaine, cf. Georges Dumézil (1898-1986), Horace
et les Curiaces (Paris, Gallimard, 1942), pp.61-65 et sur sa version du
combat entre les Horaces et les Curiaces, pp.116-119.] Aux personnages de Tite-Live, Corneille a ajouté Sabine, la sœur des
Curiaces et femme d’Horace et Valère, l’amoureux de Camille. Corneille, imitant
peut-être partiellement Denys d’Halicarnasse chez qui les Horaces et les
Curiaces sont cousins (les mères des Curiaces et des Horaces sont des
jumelles respectivement mariées à un Albain et à un Romain), renforce donc les liens de famille. En
cela, il suit comme il l’indiquera dans son Examen de 1660 le principe
d’Aristote selon lequel le conflit tragique naît entre personnes proches par
l’affection ou les liens familiaux. En effet, le philosophe écrivait :
« Mais que les événements se passent entre personnes amies ; que,
par exemple, un frère donne ou soit sur le point de donner la mort à son frère,
une mère à son fils, un fils à sa mère, ou qu’ils accomplissent quelque action
analogue, voilà ce qu’il faut chercher. » Aristote,
Poétique, chapitre 14.
L’opposition de Rome et d’Albe pouvait se
lire comme un conflit contemporain, celui de la France et de l’Espagne,
deux pays catholiques. Et qui plus est, la sœur du roi de France, Élisabeth
(1602-1644) était la femme du roi d’Espagne, Philippe IV (1605-1665), dont la
sœur était l’épouse du roi de France, Anne d’Autriche (1601-1666).
La pièce fut d’abord lue chez Boisrobert en
présence de Chapelain comme nous l’apprend une lettre de Guez de Balzac du 11
novembre 1640.
La pièce doit être déjà écrite au tout début
de 1640. Une lettre de Chapelain du 19 février est claire : « Corneille a fait une nouvelle pièce du
combat des trois Horaces et des trois Curiaces ». En outre, il y eut
une première représentation privée chez le cardinal de Richelieu en février 1640 si on en croit une lettre de
Chapelain du 9 mars 1640. Des doctes, dont Chapelain justement, Baro (1600-1650)
[membre de l’Académie française à partir de 1636, il fut un des examinateurs du
Cid (cf. http://www.academie-francaise.fr/immortels/base/academiciens/fiche.asp?param=40)], Claude de l’Estoile (1602-1656) [il
fut un des examinateurs du Cid] et
l’abbé d’Aubignac (1604-1676), ont examiné la pièce. On a demandé à Corneille
un certain nombre de modifications qu’il ne fera pas. L’histoire paraît
invraisemblable : un héros qui tue sa sœur pour un motif apparemment
futile. Corneille préfèrera respecter le vrai ou l’Histoire plutôt que de s’en
tenir au vraisemblable.
La pièce est créée en février-mars 1640 au
Marais (c’est l’hypothèse de Jacques Scherer ; cf. Scherer 1984,
p.133). Elle sera publiée le 15
janvier 1641 avec une dédicace apparemment élogieuse à Richelieu.
C’est dans cette pièce que la fameuse unité
de lieu apparaît le plus clairement si on en croit un des doctes qui l’ont
examinée.
« hors les horaces de M Corneille, je
doute que nous en ayons un seul, où l’unité du lieu soit rigoureusement
gardée ; pour le moins est-il certain que je n’en ay point veû. »
Abbé d’Aubignac, Pratique du
théâtre (1657). (cf. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k87358f)
La même année
est créée Cinna ou la
Clémence d’Auguste, une tragédie inspirée d’un passage du
De la clémence de Sénèque (1-65). À Rouen, Corneille encourage
Jacqueline Pascal (1625-1661) dans sa vocation poétique.
En janvier
1642 naît Marie, sa première fille.
Après Horace et Cinna, paraît Polyeucte, martyr, tragédie (1642 ou 1641
pour Scherer ; publié le 20 octobre
1643) qui passe pour la troisième pièce d’une sorte de trilogie : après le
héros païen exaltant la cité terrestre à l’origine de Rome, puis le héros qui
la dépasse à la fin de la
République et la naissance de l’empire, et enfin le héros de
la cité de Dieu lors de l’établissement du christianisme dans l’empire romain.
Après la mort de Richelieu (4 décembre 1642)
puis de Louis XIII (14 mai 1643), Corneille écrit un sonnet peu flatteur les
concernant.
Il revient à la comédie avec Le Menteur
(1643 ; publié le 31 octobre 1644) et La Suite du Menteur (1644 ;
publié le 30 septembre 1645). Une première édition de ses Œuvres paraît.
Puis la série des tragédies continue avec Rodogune,
princesse des Parthes (1644 ou 1645 ; publiée le 31 janvier 1647), que
Corneille prétendra préférer à toutes les autres.
Théodore vierge et martyre, créée en 1645 ou 1646 (publié le 31 octobre
1646), est un échec à Paris mais un succès en province.
Héraclius, empereur d'Orient est créé en 1646 ou janvier 1647 (publié le
28 juin 1647).
Corneille est élu à l’Académie française le
22 janvier 1647.
En 1648, commence la Fronde qui va durer cinq
années, période d’opposition à la monarchie absolue de la part notamment de la
haute noblesse et qui s’achèvera par le renforcement définitif du pouvoir
royal. Le deuxième tome de ses œuvres
paraît.
En 1650, Corneille reste fidèle à Mazarin
(1602-1661), le ministre de Louis XIV (1638-1643-1715) et d’Anne d’Autriche. Il
est nommé par ce dernier procureur général des États de Normandie en remplacement
de Baudry, destitué parce qu’il est le protégé du duc de Longueville, à ce
moment un des chefs de la
Fronde. Aussi vend-il ses charges d’avocat du roi.
Une commande de Mazarin qui le pensionnait
depuis quelques années, Andromède, n’a pu être représentée ni en 1648,
ni en 1649 à cause de la situation politique. Elle est créée en janvier 1650.
C’est une tragédie à machines jouée
dans les décors du peintre Torelli (1608-1678) et avec la musique, perdue, de
d’Assouci (1605-1675/77). Elle triomphe et sera jouée pendant dix ans.
Don Sanche d’Aragon, créé en 1649 ou 1650 (publié le 14 mai
1650), est une « comédie héroïque » selon la formule inventée par
Corneille.
Nicomède, tragédie a été créée fin février ou début mars 1651 et publiée le 29
novembre. Molière la reprendra lorsqu’il jouera la première fois devant Louis
XIV.
Corneille, le 23 mars, perd sa charge de
procureur général des États de Normandie qui est restituée à Baudry. Il se
retrouve marguillier et trésorier de sa paroisse.
Pertharite est jouée fin 1651 ou au début 1652. La
pièce est boudée par le public parisien : elle tombe au bout de deux
représentations au plus.
Cet échec incite peut-être Corneille à
renoncer une nouvelle fois au théâtre. Il publie en novembre le début de son
adaptation de l’Imitation de Jésus-Christ, texte anonyme du moyen âge,
travail qu’il a commencé avant Pertharite.
Deuxième sortie.
Corneille se consacre à la traduction et la
mise en vers de L’Imitation de Jésus-Christ. Sa publication en 1655 sera un succès
d’édition.
En 1657, paraît la Pratique du
théâtre de l’abbé d’Aubignac (1604-1676) qui comprend notamment une
critique laudative quant au respect des règles classiques de l’Horace de
Corneille.
En 1658, la troupe de Molière (1622-1673)
joue à Rouen ; Corneille aurait été sensible à la beauté d’une des
comédiennes, Marquise du Parc (1633-1668), la future maîtresse de Racine
(1639-1699). La troupe de Molière donne Nicomède à Paris le 24 octobre
devant Louis XIV.
C’est vraisemblablement durant cette période
où il ne compose pas pour le théâtre qu’il a préparé la grande édition de 1660
de ses Œuvres.
Deuxième retour au théâtre.
Corneille renoue avec le théâtre et la
tragédie le 24 janvier 1659 avec Œdipe, une tragédie écrite à la demande de Nicolas Fouquet (1615-1680), le
surintendant des Finances qui lui alloue une pension. Cette pièce est un
succès. Corneille la publie le 26 mars. Il en expurge tout ce qui choquerait la
bienséance (Œdipe ne s’y crève pas les yeux comme dans la tragédie de
Sophocle, Œdipe-roi). Il y défend la conception de la liberté
humaine des Jésuites par l’intermédiaire de Thésée qui déclare à la scène 4 de
l’acte III :
« Le ciel, juste à
punir, juste à récompenser
Pour rendre aux actions leur peine ou leur
salaire,
Doit nous offrir
son aide, et puis nous laisser faire. »
Corneille publie, en 1660, la première
grande édition de ses Œuvres en trois volumes. On y trouve en tête de
chacun des trois volumes trois Discours théoriques sur le théâtre :
le Discours sur le poème dramatique, le Discours de la tragédie et
des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire et le Discours
des trois unités, d’action, de jour et de lieu. Corneille y propose des Examens
de chacune de ses pièces jusque là jouées.
Dans le même temps, il travaille à sa
nouvelle pièce : La Conquête de la Toison d’Or. C’est une
tragédie à grand spectacle, créée en novembre 1660, au château de Neubourg,
devant Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac (~1620-1695), créateur de la
machinerie. Il lui avait commandé la pièce pour le mariage de Louis XIV. C’est
le retour du personnage de Jason qu’on trouvait dans sa Médée. La pièce
est reprise à Paris par la troupe du Marais avec toute la machinerie à partir
de février 1661. Ce sera un grand succès qui ne se démentira pas puisque la
pièce sera reprise jusqu’en 1683.
Le 5 septembre 1661, Foucquet est
arrêté à Nantes par d’Artagnan (1611 ou 1615-1673) et ses mousquetaires. Il est
emprisonné. C’est le début du pouvoir personnel de LouisXIV.
Corneille donne ensuite Sertorius en
février 1662. Avec cette pièce, il décide de renoncer à plaire au public. La
politique prime désormais sur l’amour dans ses tragédies. Reste que Sertorius
connaît le succès : la pièce est jouée en même temps dans les trois
théâtres de Paris. Elle est publiée le 8 juillet.
En octobre, Pierre et Thomas Corneille
s’installent à Paris.
Avec Sophonisbe, créée en janvier 1663
et publiée le 10 avril, Corneille tente d’appliquer sa nouvelle manière à un
sujet déjà traité par Mairet et dont le succès ne s’était pas démenti.
Le 20 juin 1664 est créée la Thébaïde de Racine. Othon est créé en
juillet-août 1664 (publié le 3 février 1665). Corneille publie un poème
religieux, les Louanges de la Sainte Vierge.
Agésilas est créé en février 1666 et publié le 3 avril.
En 1667, Racine connaît avec Andromaque,
un triomphe qui n’est pas sans rappeler celui du Cid, quelques trente
ans plus tôt. Il se montre désormais un terrible rival pour Corneille.
C’est la troupe de Molière qui créé Attila
le 4 mars 1667, pièce publiée le 20 novembre.
Troisième sortie.
Corneille, peut-être mécontent du manque de
succès éclatant d’Attila, s’éloigne de nouveau du théâtre. Le succès de
Racine ne se dément pas avec Les plaideurs (1668) puis Britannicus
(1669).
Troisième retour.
Le 21 novembre 1670 est créée la Bérénice de Racine
qui triomphe. Le 28, la troupe de Molière créé Tite et Bérénice (publiée
le 3 février 1671), comédie héroïque de Pierre Corneille. Cette dernière pièce
ne connaît qu’un succès d’estime. L’opposition des deux poètes qui sera un
thème de dissertation pour les lycéens n’est pas totalement factice.
Corneille publie des Psaumes, l’Office
de la Sainte Vierge
et des Hymnes.
Il collabore à Psyché, la comédie
ballet de Molière, Quinault (1635-1688) avec une musique Lully (1632-1687) qui
est créée le 16 janvier 1671 et publié le 6 octobre.
Pulchérie, comédie héroïque, est créée au Théâtre du Marais le 20 janvier
1672 (publiée le 20 janvier 1673). Corneille affirme qu’il va « contre le goût du temps ». Il plaît
à Madame de Sévigné car il a, selon elle, des « tirades (…) qui
font frissonner » alors que Racine pour elle n’écrit pas pour la postérité
(lettre du 16 mars 1672 à sa fille, Madame de Grignan, Lettres choisies, Bibliothèque nationale, 1911, tome 1, p.169).
Suréna
est créé en octobre-décembre 1674 (publié le 2 janvier 1675). La pièce est en
concurrence avec l’Iphigénie de Racine. La carrière dramatique de
Corneille s’arrête là.
Dernière sortie.
Corneille n’écrira plus rien et sera désormais
relativement silencieux.
En 1682, paraît sous son contrôle la onzième
et dernière édition de son Théâtre. Il assiste à une reprise triomphale
d’Andromède. Sa pension, inexplicablement suspendue sept ans auparavant,
est alors rétablie.
Pierre
Corneille meurt à Paris le 1er octobre 1684.
Son frère
Thomas (mort le 8 décembre 1709) lui succède à l’Académie française l’année suivante.
Racine le reçoit. Il prononce un superbe éloge du grand Corneille dont voici
les lignes essentielles :
« Vous, Monsieur, qui non
seulement étiez son frère, mais qui avez couru longtemps une même carrière avec
lui, vous savez les obligations que lui a notre poésie, vous savez en quel état
se trouvait la Scène
française, lorsqu’il commença à travailler. Quel désordre ! quelle
irrégularité ! Nul goût, nulle connaissance des véritables beautés du
théâtre. Les auteurs aussi ignorants que les spectateurs ; la plupart des
sujets, extravagants et dénués de vraisemblance ; point de mœurs ;
point de caractères ; la diction encore plus vicieuse que l’action, et
dont les pointes, et de misérables jeux de mots faisaient le principal
ornement. En un mot toutes les règles de l’art, celles même de l’honnêteté et
de la bienséance partout violées.
Dans cette
enfance, ou pour mieux dire dans ce chaos du poème dramatique parmi nous, votre
illustre frère, après avoir quelque temps cherché le bon chemin, et lutté, si
j’ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siècle, enfin, inspiré d’un
génie extraordinaire, et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scène
la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements
dont notre langue est capable, accorda heureusement le vraisemblable et le
merveilleux, et laissa bien loin derrière lui tout ce qu’il avait de rivaux,
dont la plupart désespérant de l’atteindre, et n’osant plus entreprendre de lui
disputer le prix, se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui,
et essayèrent en vain, par leurs discours et par leurs frivoles critiques, de
rabaisser un mérite qu’ils ne pouvaient égaler.
La scène retentit
encore des acclamations qu’excitèrent à leur naissance, le Cid, Horace, Cinna,
Pompée, tous ces chef-d’œuvre représentés depuis sur tant de théâtres, traduits
en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. À dire
le vrai, où trouvera-t-on un poëte qui ait possédé à la fois tant de grands
talents, tant d’excellentes parties ? L’art, la force, le jugement,
l’esprit ! Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets ! Quelle
véhémence dans les passions ! quelle gravité dans les sentiments !
quelle dignité, et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères !
Combien de Rois, de Princes, de Héros de toutes nations nous a-t-il
représentés, toujours tels qu’ils doivent être, toujours uniformes avec
eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres ! Parmi tout
cela, une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde qu’il
fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de
descendre jusqu’aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore
inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier une certaine force,
une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses
défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les
vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays,
comparable, je ne dis pas à tout ce que l’ancienne Rome a eu d’excellents
tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort
heureuse, mais aux Eschyles, aux Sophocles, aux Euripides dont la fameuse
Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocles, des Périclès, des
Alcibiades, qui vivaient en même temps qu’eux. »
Réponse de M. Racine aux discours de MM. Thomas
Corneille et Bergeret, Discours prononcé dans la séance publique le 2
janvier 1685, Éloge de Pierre Corneille.
Bibliographie.
Bénichou 1948 : Paul Bénichou
(1908-2001), Morales du grand siècle,
Gallimard, 1948.
Brunetière 1910 :
Ferdinand Brunetière (1849-1906), Études critiques sur la littérature
française, Paris, Hachette, 1910.
Herland 1956 : Louis Herland, Corneille par lui-même,
Seuil, 1956
Niderst 2006 : Alain Niderst,
Pierre Corneille, Paris, Fayard, 2006
Scherer 1984 : Jacques
Scherer (1912-1997), Le théâtre de Corneille, Paris, Nizet, 1984.
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