lundi 3 août 2015

Corneille (1606-1684), biographie

Enfance et formation.
Pierre Corneille naît à Rouen le 6 juin 1606. Son père, Pierre Corneille (1572 ou 1574-1639) est licencié en droit et « maître particulier des eaux et forêts en la Vicomté de Rouen », autrement nommé la Table de Marbre. Sa mère, Marthe Le Pesant de Boisguilbert, est la fille d’un avocat de Rouen. Sa famille appartenait donc à la moyenne bourgeoisie. Elle était pieuse et économe. Ses parents eurent huit enfants. Outre Pierre, trois autres garçons qui sont : Vincent, né en 1603, mort en bas âge ; Antoine, né en 1611 sera curé et Thomas, né le 20 août 1625 (date donnée par le site de l’Académie française (http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html) ; selon Alain Niderst, il a été baptisé le 24 août 1624 (cf. Niderst 2006, p.14), fut également auteur dramatique et lui succéda à l’Académie française. Et puis quatre filles : Marie, née en 1609, Madeleine, née en 1610 qui mourut jeune, Marthe, née en 1623, future Madame Le Bovyer de Fontenelle et mère de Fontenelle (1657-1757), l’écrivain, et une seconde Madeleine qui mourut également jeune en 1635.
Pierre Corneille fait ses études chez les Jésuites au Collège de Maulevrier de sa ville natale où il entre en 1615. Il y obtiendra deux prix de versification latine en 1618 et 1620. En outre, les jésuites aimaient le théâtre. Ils faisaient jouer des pièces à leurs élèves. Il quitte le collège en 1622. Il a donc fait deux ans de studia superiora où figurent la logique et la métaphysique.
Il devient avocat le 18 juin 1624, ce qui suppose qu’à une date antérieure, il soit devenu diplômé en droit – « licencié ès lois » dans une autre ville que Rouen – Caen ou Poitiers ? – car sa ville natale n’a pas de faculté de droit. Corneille renonce à plaider. On lui prête une difficulté à parler correctement le français ou à le prononcer.
En 1628 et 1629, son père lui achète deux charges à la Table de Marbre du Palais à Rouen, celle d’avocat du roi pour les Eaux et Forêts et celle d’avocat du roi à l’Amirauté de France. Pendant une vingtaine d’années, il s’acquittera de ses charges, à raison de trois audiences par semaine en général, parallèlement à son activité d’homme de théâtre.
De sa vie privée, fort discrète, on connaît peu de chose. On lui prête une « petite aventure de galanterie » dans sa jeunesse dont sa première pièce serait l’écho selon une tradition qui date de son neveu Fontenelle dans sa « Vie de Corneille » (1702). On lit en ce sens également un passage de son Excuse à Ariste : « Je me sens tout ému quand je l’entends nommer. ». Brunetière (p.98) allait jusqu’à s’interroger sur le rôle de cette aventure pour sa vocation théâtrale.
Quoiqu’il en soit, il épouse, en 1640 ou 1641, Marie de Lempérière (1617-1694), fille d’un Lieutenant de Justice aux Andelys. Elle lui donnera sept enfants. Deux de ses fils feront une carrière militaire et le dernier entrera en religion. De la fille aînée descendra Charlotte Corday (née en 1768 elle sera guillotinée le 17 juillet 1793 pour avoir assassiné Marat le 13 juillet). Une autre fille se fera religieuse.

Débuts au théâtre.
Il écrit sa première comédie, Mélite ou les fausses lettres, en 1629 ou 1630 (publiée le 12 février 1633). [Curieusement, Fontenelle donne la date de 1625. Quant à Louis Herland, il veut que la pièce soit antérieure à la diatribe du vieux poète Hardy qui viserait Corneille et qui est de 1628 (cf. Louis Herland 1956, p.10)]. Elle est jouée à Paris en 1630 par le célèbre acteur Mondory (1594-1653), fondateur du Théâtre du Marais. Cette pièce respecte peu la future bienséance avec ses baisers, ses caresses et ses allusions à l’amour physique. L’action ne respecte pas l’unité de temps.
Après ce premier succès Corneille donne Clitandre ou l’Innocence délivrée, tragi-comédie créée fin 1630 – début 1631 (publié le 20 mars 1632 avec une dédicace au duc Henri de Longueville (1593-1663), gouverneur de Normandie), pièce où l’unité de temps, règle alors nouvelle, est respectée. Là encore la bienséance n’est pas de mise avec par exemple une scène où un personnage rate un viol et se voit crevé l’œil par la jeune fille.
Il donne ensuite La Veuve ou le Traître trahi, une comédie, en 1631 ou 1632 (publiée le 13 mars 1634).
La Galerie du Palais ou l’Amie rivale a dû être jouée en 1632 ou 1633 (publiée le 10 février 1637).
La cour séjourne près de Rouen entre le 15 juin et le 3 juillet. L’archevêque de Rouen demande à Corneille des vers pour louer Richelieu. Il lui répond en latin en écrivant l’Excusatio [Excuse] (publiée en 1634), où dans une longue prétérition, il s’excuse de ne pas louer le roi et son ministre, le cardinal de Richelieu (1585-1642), ce qu’il fait, tout en faisant l’éloge de son propre théâtre.
La Place Royale ou l’Amour extravagant, une comédie, est créée en 1633 ou 1634 (publiée le 10 février 1636).
La Suivante, une comédie, est jouée en 1633 ou 1634 (publiée le 9 septembre 1636). Les scènes y sont suivies. Les fameuses trois unités de temps de lieu et d’action sont à peu près respectées. [Rappelons la formule célèbre : « Qu’en un jour, qu’en un lieu, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. » Boileau, Art poétique, chant III.]
En 1635, le cardinal de Richelieu crée l’Académie française. Corneille a droit à une pension de 1500 livres (Un maçon gagnait annuellement 80 livres vers 1653) qu’il touchera jusqu’à la mort de Richelieu. Ce dernier fait appel à lui pour constituer, avec Boisrobert (1592-1662), Colletet (1598-1659), L’Estoile (1602-1652) et Rotrou (1609-1650) les « cinq auteurs » chargés de rédiger tragédies et comédies sur des canevas imaginés par lui-même. Ainsi est composée La Comédie des Tuileries (créée en 1635 ; publiée le 19 juin 1638). La Grande pastorale et L’Aveugle de Smyrne (publié le 17 juin 1638) des cinq auteurs sont créés en janvier et février 1636.
Corneille aborde la tragédie, avec Médée (publiée le 16 mars 1639), dont il emprunte le sujet, mythologique, à Euripide (480-406) et Sénèque (1-65 ap. J.-C.). Mairet avait eu, en 1634, un grand succès avec sa Sophonisbe – dont le sujet est historique au sens de l’époque – et avait remis le genre au goût du jour (1629 pour Voltaire. Cf. Voltaire, Œuvres complètes, Théâtre VI, Sophonisbe (1770), tragédie en cinq actes, Avertissement sur les tragédies de Sophonisbe).
L’Illusion comique, créée en 1635 ou 1636 (publiée le 16 mars 1639), comédie gigogne qui met en scène à la fois l’allégorie du théâtre du monde et les différents genres dramatiques possibles, est créée en 1635, peut-être dans la deuxième moitié de l’année. Corneille la nommait un « étrange monstre ».

La querelle du Cid.
Le Cid, dénommé tragi-comédie à sa naissance, inspirée d’une épopée espagnole, est créée en janvier 1637 (Louis Herland tient à décembre 1636 en se fiant au témoignage de Thomas Corneille ; cf. op. cit, p.15). La pièce connaît un immense succès. Elle est très rapidement imprimée (23 mars). Paris, qui n’a jamais connu un tel triomphe ne parle plus que du cas de conscience de Rodrigue, partagé entre son amour pour Chimène et sa volonté de venger Don Diègue, son père offensé par le père de son amante, don Gomès, comte de Gormas. Ce triomphe est une date capitale dans la carrière de l’auteur dramatique. C’est peut-être la raison pour laquelle Louis XIII (1601-1610-1643) accorde au père de Corneille des lettres de noblesse.
Toutefois, la pièce donne lieu également à la célèbre « querelle du Cid ». Il y eut au total trente-six textes pour ou contre Corneille dont trente-quatre en 1637 et deux en 1638.
Corneille, dans l’Excuse à Ariste, se proclame le maître incontesté de la dramaturgie. Est-ce là l’origine de la polémique ?
Mairet (1604-1686) l’attaque à plusieurs reprises dans divers pamphlets auxquels Corneille répond. Mairet reçoit une lettre de Boisrobert commandée par Richelieu daté du 5 octobre 1637 dans laquelle on apprend que le Cardinal est satisfait de ce qu’il a lu de lui mais qu’il lui intime l’ordre de cesser les attaques contre Corneille.
De son côté, Georges de Scudéry (1601-1667) dans ses Observations sur le Cid publié en avril lui reproche un mauvais sujet, le non-respect des règles, notamment l’absence de nœud au premier acte, le manque de vraisemblance – Chimène ne peut épouser Rodrigue, le manque de bienséances en une Chimène « fille dénaturée », « impudique » – en effet, elle accepte la visite du meurtrier de son père et va jusqu’à lui déclarer qu’elle l’aime … la nuit ; elle est prête à l’épouser – une durée qui excède largement le jour puisqu’il faut des années pour que les actions puissent avoir lieu, l’absence d’unité de lieu, bref, de ne pas respecter les trois unités de temps, de lieu et d’action. Même le style ne trouve grâce à ses yeux. Enfin il accuse Corneille d’avoir copié abusivement Guillen de Castro (1569-1631), un auteur espagnol qui a donné une Jeunesse du Cid à laquelle Corneille a emprunté.
Guez de Balzac (1597-1654), par ailleurs ami et correspondant de Descartes (1596-1650), défend Corneille dans une lettre datée du 27 août 1637 qu’il adresse à Scudéry. Corneille, quant à lui, se défend dans une Lettre apologétique. Il reproche à son adversaire d’invoquer Aristote alors qu’il ne le connaît pas. Scudéry revient à la charge dans ses Preuves des passages allégués dans les « Observations sur le Cid », texte adressé à l’Académie ainsi qu’une Lettre à l’Académie.
En décembre, les Sentiments de l’Académie sur le Cid, dont l’auteur principal est Jean Chapelain (1595-1674), encouragée en sous-main par Richelieu, peut-être parce que la pièce contient des maximes contraires à la raison d’État, mettent un terme officiel et apparent à la querelle. Chimène notamment est critiquées car « ses mœurs sont du moins scandaleuses, si en effet elles ne sont dépravées. » L’Académie souligne toutefois dans un jugement relativement équilibré sur le Cid : « la naïveté et la véhémence de ses passions, la force et la délicatesse de plusieurs de ses pensées, et cet agrément inexplicable qui se mêle dans tous ses défauts ».
Boileau (1636-1711) résumera la querelle en ces vers célèbres :
« En vain contre le Cid un ministre se ligue :
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue,
L'Académie en corps a beau le censurer :
Le public révolté s’obstine à l’admirer. »
Boileau, Satires, IX (1668).
Corneille garde ensuite le silence durant trois saisons. Il ne semble pas qu’il ait été inactif si on en croit Chapelain qui écrit en janvier 1639 que Corneille ne s’entretient que de règles et de ce qu’il aurait pu répondre aux Académiciens.

Retour au théâtre.
Après trois ans de ce silence tout relatif où il publie quelques-unes unes de ses pièces, Corneille revient au théâtre où il connaît à nouveau le succès avec Horace, une tragédie romaine dont le sujet selon son propre témoignage est emprunté à l’Histoire romaine (livre I, chapitres 22 à 26) de Tite-Live (59 av. J.-C.-17 ap. J.-C.). L’histoire se trouve également dans les Antiquités romaines (livre III, 5-22) de Denys d’Halicarnasse (~54av. J.-C.-~8 ap. J.-C.), un historien grec, avec des variantes significatives [Sur Denys d’Halicarnasse et l’histoire romaine, cf. Georges Dumézil (1898-1986), Horace et les Curiaces (Paris, Gallimard, 1942), pp.61-65 et sur sa version du combat entre les Horaces et les Curiaces, pp.116-119.] Aux personnages de Tite-Live, Corneille a ajouté Sabine, la sœur des Curiaces et femme d’Horace et Valère, l’amoureux de Camille. Corneille, imitant peut-être partiellement Denys d’Halicarnasse chez qui les Horaces et les Curiaces sont cousins (les mères des Curiaces et des Horaces sont des jumelles respectivement mariées à un Albain et à un Romain), renforce donc les liens de famille. En cela, il suit comme il l’indiquera dans son Examen de 1660 le principe d’Aristote selon lequel le conflit tragique naît entre personnes proches par l’affection ou les liens familiaux. En effet, le philosophe écrivait :
« Mais que les événements se passent entre personnes amies ; que, par exemple, un frère donne ou soit sur le point de donner la mort à son frère, une mère à son fils, un fils à sa mère, ou qu’ils accomplissent quelque action analogue, voilà ce qu’il faut chercher. » Aristote, Poétique, chapitre 14.
L’opposition de Rome et d’Albe pouvait se lire comme un conflit contemporain, celui de la France et de l’Espagne, deux pays catholiques. Et qui plus est, la sœur du roi de France, Élisabeth (1602-1644) était la femme du roi d’Espagne, Philippe IV (1605-1665), dont la sœur était l’épouse du roi de France, Anne d’Autriche (1601-1666).
La pièce fut d’abord lue chez Boisrobert en présence de Chapelain comme nous l’apprend une lettre de Guez de Balzac du 11 novembre 1640.
La pièce doit être déjà écrite au tout début de 1640. Une lettre de Chapelain du 19 février est claire : « Corneille a fait une nouvelle pièce du combat des trois Horaces et des trois Curiaces ». En outre, il y eut une première représentation privée chez le cardinal de Richelieu en février 1640 si on en croit une lettre de Chapelain du 9 mars 1640. Des doctes, dont Chapelain justement, Baro (1600-1650) [membre de l’Académie française à partir de 1636, il fut un des examinateurs du Cid (cf. http://www.academie-francaise.fr/immortels/base/academiciens/fiche.asp?param=40)], Claude de l’Estoile (1602-1656) [il fut un des examinateurs du Cid] et l’abbé d’Aubignac (1604-1676), ont examiné la pièce. On a demandé à Corneille un certain nombre de modifications qu’il ne fera pas. L’histoire paraît invraisemblable : un héros qui tue sa sœur pour un motif apparemment futile. Corneille préfèrera respecter le vrai ou l’Histoire plutôt que de s’en tenir au vraisemblable.
La pièce est créée en février-mars 1640 au Marais (c’est l’hypothèse de Jacques Scherer ; cf. Scherer 1984, p.133). Elle sera publiée le 15 janvier 1641 avec une dédicace apparemment élogieuse à Richelieu.
C’est dans cette pièce que la fameuse unité de lieu apparaît le plus clairement si on en croit un des doctes qui l’ont examinée.
«    hors les horaces de M Corneille, je doute que nous en ayons un seul, où l’unité du lieu soit rigoureusement gardée ; pour le moins est-il certain que je n’en ay point veû. » Abbé d’Aubignac, Pratique du théâtre (1657). (cf. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k87358f)
La même année est créée Cinna ou la Clémence d’Auguste, une tragédie inspirée d’un passage du De la clémence de Sénèque (1-65). À Rouen, Corneille encourage Jacqueline Pascal (1625-1661) dans sa vocation poétique.
En janvier 1642 naît Marie, sa première fille.
Après Horace et Cinna, paraît Polyeucte, martyr, tragédie (1642 ou 1641 pour Scherer ; publié le 20 octobre 1643) qui passe pour la troisième pièce d’une sorte de trilogie : après le héros païen exaltant la cité terrestre à l’origine de Rome, puis le héros qui la dépasse à la fin de la République et la naissance de l’empire, et enfin le héros de la cité de Dieu lors de l’établissement du christianisme dans l’empire romain.
Après la mort de Richelieu (4 décembre 1642) puis de Louis XIII (14 mai 1643), Corneille écrit un sonnet peu flatteur les concernant.
La Mort de Pompée, tragédie, est représentée à l’automne 1643 (et publiée le 16 février 1644).
Il revient à la comédie avec Le Menteur (1643 ; publié le 31 octobre 1644) et La Suite du Menteur (1644 ; publié le 30 septembre 1645). Une première édition de ses Œuvres paraît.
Puis la série des tragédies continue avec Rodogune, princesse des Parthes (1644 ou 1645 ; publiée le 31 janvier 1647), que Corneille prétendra préférer à toutes les autres.
Théodore vierge et martyre, créée en 1645 ou 1646 (publié le 31 octobre 1646), est un échec à Paris mais un succès en province.
Héraclius, empereur d'Orient est créé en 1646 ou janvier 1647 (publié le 28 juin 1647).
Corneille est élu à l’Académie française le 22 janvier 1647.
En 1648, commence la Fronde qui va durer cinq années, période d’opposition à la monarchie absolue de la part notamment de la haute noblesse et qui s’achèvera par le renforcement définitif du pouvoir royal. Le deuxième tome de ses œuvres paraît.
En 1650, Corneille reste fidèle à Mazarin (1602-1661), le ministre de Louis XIV (1638-1643-1715) et d’Anne d’Autriche. Il est nommé par ce dernier procureur général des États de Normandie en remplacement de Baudry, destitué parce qu’il est le protégé du duc de Longueville, à ce moment un des chefs de la Fronde. Aussi vend-il ses charges d’avocat du roi.
Une commande de Mazarin qui le pensionnait depuis quelques années, Andromède, n’a pu être représentée ni en 1648, ni en 1649 à cause de la situation politique. Elle est créée en janvier 1650. C’est une tragédie à machines jouée dans les décors du peintre Torelli (1608-1678) et avec la musique, perdue, de d’Assouci (1605-1675/77). Elle triomphe et sera jouée pendant dix ans.
Don Sanche d’Aragon, créé en 1649 ou 1650 (publié le 14 mai 1650), est une « comédie héroïque » selon la formule inventée par Corneille.
Nicomède, tragédie a été créée fin février ou début mars 1651 et publiée le 29 novembre. Molière la reprendra lorsqu’il jouera la première fois devant Louis XIV.
Corneille, le 23 mars, perd sa charge de procureur général des États de Normandie qui est restituée à Baudry. Il se retrouve marguillier et trésorier de sa paroisse.
Pertharite est jouée fin 1651 ou au début 1652. La pièce est boudée par le public parisien : elle tombe au bout de deux représentations au plus.
Cet échec incite peut-être Corneille à renoncer une nouvelle fois au théâtre. Il publie en novembre le début de son adaptation de l’Imitation de Jésus-Christ, texte anonyme du moyen âge, travail qu’il a commencé avant Pertharite.

Deuxième sortie.
Corneille se consacre à la traduction et la mise en vers de L’Imitation de Jésus-Christ. Sa publication en 1655 sera un succès d’édition.
En 1657, paraît la Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac (1604-1676) qui comprend notamment une critique laudative quant au respect des règles classiques de l’Horace de Corneille.
En 1658, la troupe de Molière (1622-1673) joue à Rouen ; Corneille aurait été sensible à la beauté d’une des comédiennes, Marquise du Parc (1633-1668), la future maîtresse de Racine (1639-1699). La troupe de Molière donne Nicomède à Paris le 24 octobre devant Louis XIV.
C’est vraisemblablement durant cette période où il ne compose pas pour le théâtre qu’il a préparé la grande édition de 1660 de ses Œuvres.

Deuxième retour au théâtre.
Corneille renoue avec le théâtre et la tragédie le 24 janvier 1659 avec Œdipe, une tragédie écrite à la demande de Nicolas Fouquet (1615-1680), le surintendant des Finances qui lui alloue une pension. Cette pièce est un succès. Corneille la publie le 26 mars. Il en expurge tout ce qui choquerait la bienséance (Œdipe ne s’y crève pas les yeux comme dans la tragédie de Sophocle, Œdipe-roi). Il y défend la conception de la liberté humaine des Jésuites par l’intermédiaire de Thésée qui déclare à la scène 4 de l’acte III :
« Le ciel, juste à punir, juste à récompenser
Pour rendre aux actions leur peine ou leur salaire,
Doit nous offrir son aide, et puis nous laisser faire. »
Corneille publie, en 1660, la première grande édition de ses Œuvres en trois volumes. On y trouve en tête de chacun des trois volumes trois Discours théoriques sur le théâtre : le Discours sur le poème dramatique, le Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire et le Discours des trois unités, d’action, de jour et de lieu. Corneille y propose des Examens de chacune de ses pièces jusque là jouées.
Dans le même temps, il travaille à sa nouvelle pièce : La Conquête de la Toison d’Or. C’est une tragédie à grand spectacle, créée en novembre 1660, au château de Neubourg, devant Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac (~1620-1695), créateur de la machinerie. Il lui avait commandé la pièce pour le mariage de Louis XIV. C’est le retour du personnage de Jason qu’on trouvait dans sa Médée. La pièce est reprise à Paris par la troupe du Marais avec toute la machinerie à partir de février 1661. Ce sera un grand succès qui ne se démentira pas puisque la pièce sera reprise jusqu’en 1683.
Le 5 septembre 1661, Foucquet est arrêté à Nantes par d’Artagnan (1611 ou 1615-1673) et ses mousquetaires. Il est emprisonné. C’est le début du pouvoir personnel de LouisXIV.
Corneille donne ensuite Sertorius en février 1662. Avec cette pièce, il décide de renoncer à plaire au public. La politique prime désormais sur l’amour dans ses tragédies. Reste que Sertorius connaît le succès : la pièce est jouée en même temps dans les trois théâtres de Paris. Elle est publiée le 8 juillet.
En octobre, Pierre et Thomas Corneille s’installent à Paris.
Avec Sophonisbe, créée en janvier 1663 et publiée le 10 avril, Corneille tente d’appliquer sa nouvelle manière à un sujet déjà traité par Mairet et dont le succès ne s’était pas démenti.
Le 20 juin 1664 est créée la Thébaïde de Racine. Othon est créé en juillet-août 1664 (publié le 3 février 1665). Corneille publie un poème religieux, les Louanges de la Sainte Vierge.
Agésilas est créé en février 1666 et publié le 3 avril.
En 1667, Racine connaît avec Andromaque, un triomphe qui n’est pas sans rappeler celui du Cid, quelques trente ans plus tôt. Il se montre désormais un terrible rival pour Corneille.
C’est la troupe de Molière qui créé Attila le 4 mars 1667, pièce publiée le 20 novembre.

Troisième sortie.
Corneille, peut-être mécontent du manque de succès éclatant d’Attila, s’éloigne de nouveau du théâtre. Le succès de Racine ne se dément pas avec Les plaideurs (1668) puis Britannicus (1669).

Troisième retour.
Le 21 novembre 1670 est créée la Bérénice de Racine qui triomphe. Le 28, la troupe de Molière créé Tite et Bérénice (publiée le 3 février 1671), comédie héroïque de Pierre Corneille. Cette dernière pièce ne connaît qu’un succès d’estime. L’opposition des deux poètes qui sera un thème de dissertation pour les lycéens n’est pas totalement factice.
Corneille publie des Psaumes, l’Office de la Sainte Vierge et des Hymnes.
Il collabore à Psyché, la comédie ballet de Molière, Quinault (1635-1688) avec une musique Lully (1632-1687) qui est créée le 16 janvier 1671 et publié le 6 octobre.
Pulchérie, comédie héroïque, est créée au Théâtre du Marais le 20 janvier 1672 (publiée le 20 janvier 1673). Corneille affirme qu’il va « contre le goût du temps ». Il plaît à Madame de Sévigné car il a, selon elle, des « tirades (…) qui font frissonner » alors que Racine pour elle n’écrit pas pour la postérité (lettre du 16 mars 1672 à sa fille, Madame de Grignan, Lettres choisies, Bibliothèque nationale, 1911, tome 1, p.169).
Suréna est créé en octobre-décembre 1674 (publié le 2 janvier 1675). La pièce est en concurrence avec l’Iphigénie de Racine. La carrière dramatique de Corneille s’arrête là.

Dernière sortie.
Corneille n’écrira plus rien et sera désormais relativement silencieux.
En 1682, paraît sous son contrôle la onzième et dernière édition de son Théâtre. Il assiste à une reprise triomphale d’Andromède. Sa pension, inexplicablement suspendue sept ans auparavant, est alors rétablie.
Pierre Corneille meurt à Paris le 1er octobre 1684.
Son frère Thomas (mort le 8 décembre 1709) lui succède à l’Académie française l’année suivante. Racine le reçoit. Il prononce un superbe éloge du grand Corneille dont voici les lignes essentielles :
« Vous, Monsieur, qui non seulement étiez son frère, mais qui avez couru longtemps une même carrière avec lui, vous savez les obligations que lui a notre poésie, vous savez en quel état se trouvait la Scène française, lorsqu’il commença à travailler. Quel désordre ! quelle irrégularité ! Nul goût, nulle connaissance des véritables beautés du théâtre. Les auteurs aussi ignorants que les spectateurs ; la plupart des sujets, extravagants et dénués de vraisemblance ; point de mœurs ; point de caractères ; la diction encore plus vicieuse que l’action, et dont les pointes, et de misérables jeux de mots faisaient le principal ornement. En un mot toutes les règles de l’art, celles même de l’honnêteté et de la bienséance partout violées.
Dans cette enfance, ou pour mieux dire dans ce chaos du poème dramatique parmi nous, votre illustre frère, après avoir quelque temps cherché le bon chemin, et lutté, si j’ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siècle, enfin, inspiré d’un génie extraordinaire, et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements dont notre langue est capable, accorda heureusement le vraisemblable et le merveilleux, et laissa bien loin derrière lui tout ce qu’il avait de rivaux, dont la plupart désespérant de l’atteindre, et n’osant plus entreprendre de lui disputer le prix, se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui, et essayèrent en vain, par leurs discours et par leurs frivoles critiques, de rabaisser un mérite qu’ils ne pouvaient égaler.
La scène retentit encore des acclamations qu’excitèrent à leur naissance, le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous ces chef-d’œuvre représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. À dire le vrai, où trouvera-t-on un poëte qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d’excellentes parties ? L’art, la force, le jugement, l’esprit ! Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets ! Quelle véhémence dans les passions ! quelle gravité dans les sentiments ! quelle dignité, et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères ! Combien de Rois, de Princes, de Héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu’ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres ! Parmi tout cela, une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l’ancienne Rome a eu d’excellents tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort heureuse, mais aux Eschyles, aux Sophocles, aux Euripides dont la fameuse Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocles, des Périclès, des Alcibiades, qui vivaient en même temps qu’eux. »
Réponse de M. Racine aux discours de MM. Thomas Corneille et Bergeret, Discours prononcé dans la séance publique le 2 janvier 1685, Éloge de Pierre Corneille.

Bibliographie.
Bénichou 1948 : Paul Bénichou (1908-2001), Morales du grand siècle, Gallimard, 1948.
Brunetière 1910 : Ferdinand Brunetière (1849-1906), Études critiques sur la littérature française, Paris, Hachette, 1910.
Herland 1956 : Louis Herland, Corneille par lui-même, Seuil, 1956
Niderst 2006 : Alain Niderst, Pierre Corneille, Paris, Fayard, 2006
Scherer 1984 : Jacques Scherer (1912-1997), Le théâtre de Corneille, Paris, Nizet, 1984.




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