Lucas Cranach
l’ancien (1472-1553), Adam et Eve
(1538-1539), Huile sur bois, 49 × 39 cm, Národní Galerie,
Prague.
Analyse.
La morale, à
l’origine, désigne une certaine réflexion sur ce qu’il faut faire ou ne pas
faire. En effet, le mot est dérivé du latin « moralis ». Cicéron, dans
son Traité du destin (De fato), affirme l’avoir inventé pour
traduire le terme grec « éthikos ». Ce dernier était utilisé par les
philosophes grecs. Il a donné « éthique » en français.
Étymologiquement, il n’y a aucune raison de distinguer la morale de l’éthique.
L’« éthique »
chez les philosophes grecs est ce domaine d’interrogations qui porte sur les
fins de la vie humaine et sur les moyens d’y parvenir. Dans la tradition
scolaire qui s’instaure après Platon et Aristote, l’éthique est une des trois
parties de la philosophie après la logique et la physique comme on le voit chez
les Stoïciens, les Épicuriens, voire les Sceptiques. Elle est souvent
considérée comme la fin des deux autres dans la mesure où la philosophie est
d’abord une manière de vivre. Elle s’appuie sur l’existence des mœurs (grec ήθος « éthos », pluriel ἤθη « éthè » ; latin « mores »),
c’est-à-dire des manières de vivre qu’on qualifie de bonnes ou de mauvaises et
qui sont la visée de l’éducation. C’est pourquoi le domaine éthique chez les philosophes
de l’antiquité est celui de la réflexion en vue de la pratique du bonheur, de
la vertu et de la véritable liberté.
Or, les mœurs
sont variables en fonction des peuples savaient les anciens. Non seulement, il
y a des variantes entre les différents citoyens des Cités-États qui font la Grèce , mais les penseurs
grecs ont insisté sur les barbares aux mœurs si étranges. Par exemple, Hérodote
(~484-420 av. J.-C.) dans ses Histoires
(III, 38) confronte la crémation des morts par les Grecs avec leur consommation
par les Indiens Calaties, les uns et les autres trouvant horribles les mœurs
des autres. Aussi la première réflexion grecque sur la question, celle des
sophistes et des rhéteurs a-t-elle insisté sur cette diversité et sur le refus
de considérer les mœurs grecques comme les meilleurs. Bref, cette réflexion a
rompu avec l’ethnocentrisme si fréquent qui consiste à considérer les façons de
vivre de son peuple comme les seules humaines et les autres comme inhumaines. Cette
première réflexion éthique a conduit au relativisme éthique, c’est-à-dire à l’idée
selon laquelle en matière de morale ou d’éthique, il n’y a pas de valeurs
supérieures, mais uniquement des croyances ou des opinions variables qui
forment la coutume toute puissante.
Mais la
philosophie grecque s’est construite contre ce relativisme de la plupart des
rhéteurs et des sophistes. Certains comme Hippias opposaient la nature, universelle,
valable à la diversité des institutions humaines – le nomos – particulières et
sans fondement. La philosophie grecque a commencé avec Platon à considérer le
relativisme comme intrinsèquement contradictoire. En effet, il ne peut nier une
thèse sur l’universalité de la morale ou de l’éthique au nom de la validité de
chaque point de vue. Il lui faut donc accepter la thèse qui le nie comme Platon
argumente contre le sophiste Protagoras (485-411 av. J.-C.) dans le Théétète.
Toute autre
est la thèse sceptique qui elle aussi refuse de poser de bonnes mœurs par
opposition à des mauvaises. Elle nie la possibilité de connaître les bonnes
mœurs. Elle préconise de s’abstenir de juger et non d’en adopter les plus
utiles. Lorsque le scepticisme se fait probabiliste comme dans la nouvelle
Académie, il cherche à déterminer quelles mœurs méritent plus que d’autres
d’être suivies même si on ne peut se prononcer avec certitude. C’est ainsi
qu’est possible d’atteindre la fin de l’existence humaine.
Or, quelle est
cette fin ? On peut distinguer en gros deux thèses.
Si la fin de
l’existence humaine est le bonheur, alors l’éthique a pour rôle de le définir
et d’indiquer comment y parvenir. Tel est le sens de la réflexion des Anciens.
Soit le bonheur est défini indépendamment de la vertu, soit il l’accompagne,
soit il s’identifie à lui. Dans tous les cas, le bonheur est ce que tous les
hommes recherchent et la philosophie a pour rôle d’indiquer comment y parvenir.
On peut, tout
en admettant que le bonheur est une fin de l’existence humaine, nier qu’il soit
le principe de la morale. C’est le sens de la réflexion de Kant (Fondements de la métaphysique des mœurs,
1785 et Critique de la raison pratique,
1788). Le devoir y est défini par différence avec la recherche du bonheur comme
une action désintéressée, ce pourquoi il requiert comme critère l’universalité.
Si on conserve
l’aspiration au bonheur comme principe de la morale chez les modernes, c’est à
la façon des utilitaristes comme Stuart Mill (cf. L’utilitarisme, 1863), en le définissant comme le plus grand
bonheur du plus grand nombre, ce qui conduit alors à l’idée qu’il peut définir
la vertu de façon non intéressée. Le bonheur propre est alors une fin
subordonnée.
Cette
séparation que font les modernes entre le devoir et le bonheur individuel permet
de fonder – contre l’étymologie – la différence entre l’éthique comme réflexion
sur le bonheur ou sur l’utile propre et la morale comme réflexion sur le devoir
et sur le bien et le mal.
L’éthique entendue
en ce sens ne signifie nullement la relativité des valeurs. Elle repose sur la
distinction entre le bon et le mauvais qui est la distinction fondamentale
lorsqu’on pense par delà bien et mal comme Nietzsche l’indique dans sa Généalogie de la morale (I, 17) alors
que l’opposition du bien et du mal est la distinction de principe de la morale.
Problèmes.
1. Dans la
mesure où la morale prescrit ce qu’il faut faire, n’est-il pas nécessaire
qu’elle soit nécessairement relative dans la mesure où il n’est pas possible de
s’appuyer sur ce qui est pour déterminer ce qui doit être ?
2. Si le
bonheur est la seule fin de l’existence humaine, comment la morale
pourrait-être autre chose qu’un calcul d’intérêt ?
3. Si la
morale doit écarter le bonheur pour prescrire ce qui est bien et interdire ce
qui est mal, comment sera-t-il possible de ne jamais tenir compte des
conséquences prévisibles sans faire de la morale une source de cruauté ?
4. La morale
prônant le bien et refusant le mal, peut-elle, alors que l’expérience montre
que les méchants sont rarement les plus malheureux, se passer d’un fondement
religieux ?
5. L’éthique
entendue comme recherche de l’utile propre conduit-elle à se dispenser de toute
morale ?
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