Francisco Goya (1746-1828), Le Sommeil de la raison produit des monstres (Caprice 43, 1797-98)
Analyse.
1. La raison se dit d’abord au sens faible de la faculté qui permet
de lier des termes pour constituer des propositions (« le raisonnement n’est rien autre chose qu’un
assemblage et enchaînement de mots par ce mot est » selon Hobbes, Objection quatrième in Descartes, Méditations métaphysiques). Raison et
entendement ne sont pas alors distingués en nature.
On entend plus
particulièrement par entendement la faculté ou capacité à former et comprendre
des propositions. Une proposition a pour propriété essentielle d’être vraie ou
fausse (cf. Robert Blanché, Le
raisonnement, 1973, pp.23-24). Pour qu’il y ait proposition, il faut qu’il
y ait un sujet au sens de ce dont on va affirmer quelque chose et un prédicat,
c’est-à-dire ce qu’on affirme ou nie du sujet (cf. Platon, Sophiste, 262c, pour qu’il y ait logos, discours, proposition, il
faut un nom et un verbe). On peut entendre alors la raison par différence avec
l’entendement comme la faculté d’enchaîner des propositions selon des règles ou
principes. La raison produit des raisonnements. Son opération principale en ce
sens est la déduction. Car, un raisonnement repose sur la relation de principe
à conséquence. Si le principe est vrai, la conséquence l’est. Mais si la
conséquence est vraie, le principe ne l’est pas nécessairement. En fait, le
faux implique tout. Par contre, si la conséquence est fausse, le principe est
faux. Il n’y a pas alors de différence de nature entre la raison et
l’entendement.
2. La raison se dit ensuite au sens fort de la faculté qui permet
de découvrir et fonder le réel en sa vérité et d’exposer les propositions qui
l’expriment. C’est en ce sens que Descartes la prend explicitement au début de
son Discours de la méthode. Comme la
raison ne peut, à l’infini, remonter de conséquences à des principes, il faut
alors admettre qu’elle est capable de saisir directement les principes (« Il faut s’arrêter » dit Aristote, Métaphysique, livre a, 994b). On lui accorde alors d’être aussi
une intuition (cf. Descartes, Règles pour
la direction de l’esprit, règle III). On peut en ce sens fort distinguer en
nature la raison de l’entendement dans la mesure où le second s’en tient aux
propositions alors que la première est susceptible de fonder tout discours,
toute compréhension. Elle seule paraît susceptible de connaître la vérité.
3. On parle également de la raison comme de la faculté qui permet
de penser le bien et le mal ou de se comporter selon le bien, ce qu’on nomme
parfois être raisonnable. La raison en ce sens se révèle capable de discerner
le principe de l’action tel qu’il est universellement valable pour tous les
êtres doués de raison (y compris Dieu, s’il existe). La raison s’entend comme la
faculté qui découvre la fin dernière de l’existence. Si par contre on agit
simplement de façon rationnelle, c’est-à-dire selon l’utile, il n’est pas
question de bien et de mal. On peut parler alors de raison instrumentale (cf.
Dans l’école de Francfort, Habermas [né en 1929], La technique et la science comme « idéologie », 1968).
Lorsqu’on
parle de la raison comme faculté, on la distingue du réel qu’elle vise à
connaître en vérité ou qu’elle vise à modifier pour le rendre conforme à ses
exigences.
1. Le réel s’oppose à l’imaginaire, c’est-à-dire à ce qu’on peut
arbitrairement se représenter ou à la simple représentation. Il s’oppose donc à
ce qui est simplement pensé et qui peut ne pas être, voire qui peut être
impossible.
2. Le réel s’oppose aussi au simple possible comme catégorie
abstraite. Est possible, en ce sens ce qui n’est pas contradictoire. Un cercle
est possible, un cercle carré, non. Un cercle réel est là. Il s’oppose aussi au
possible entendu comme ce qui est conforme aux lois physiques. Qu’une mouche jongle
avec des vaches est impossible. Que mon stylo puisse tomber ne signifie pas
qu’il tombe. Le réel repose donc en lui-même. Aussi le réel doit-il avoir des
caractères déterminés.
3. Comme le réel est indépendant du sujet, il prend le sens de
l’objectif, c’est-à-dire de ce qui demeure identique à soi-même quelle que soit
la façon dont on le considère ou, ce qui revient en un sens au même, ce que
tout sujet doit reconnaître comme lui appartenant. La permanence apparaît comme
un premier caractère du réel. À ce caractère s’associe du côté du sujet,
l’universalité de la représentation du réel.
Outre, la
distinction entre la raison comme faculté et le réel qu’elle vise à saisir, on
peut aussi penser la raison comme réelle.
1. Or, justement, on parle pour le réel de la raison au sens du
motif pour les actes humains ou de la cause pour les choses réelles. Autrement
dit, le réel doit avoir une raison qui elle-même doit être réelle, et ainsi de
suite. Le deuxième caractère qu’on attribue au réel est donc d’être conforme à
la régularité causale ou à la loi de causalité. Le réel doit être conforme au
principe de raison suffisante, c’est-à-dire au principe qui pose que le réel
repose sur une raison qui rend compte de son essence, c’est-à-dire de ce sans
quoi il n’est pas ce qu’il est, et de son existence, c’est-à-dire de sa
présence ici et maintenant.
2. Mais la raison comme dimension du réel, c’est aussi ce pour quoi
une chose est faite. Autrement dit, sa finalité. C’est éminemment le cas des
objets techniques qui appartiennent ainsi au réel. On peut se demander si ce
n’est pas le cas pour d’autres parties du réel comme les vivants voire pour le
réel tout entier.
Problème.
D’un côté donc
la raison désigne une faculté qui serait universelle en laquelle chacun se
retrouverait. Cette faculté a la prétention de découvrir le réel, voire de
déterminer ce qu’est le réel. Mieux, le réel est en son fond raison. Il exige
la raison comme son fondement. Et, la raison également est réelle. Sans elle,
l’homme ne sombre-t-il dans l’erreur, la faute, la folie ?
Toutefois,
cette prétention de la raison à recouvrir la totalité du réel n’est-elle pas au
fond arbitraire ? Ne repose-t-elle pas sur une décision a priori qui pourrait être remise en
cause ?
Dès lors,
comment rendre compte de son insertion dans le réel et de sa réalité ?
Est-elle indépendante du réel et dès lors peut-elle le représenter ?
Est-elle dépendante du réel et dès lors, comment peut-elle le représenter en
entier ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire