lundi 13 avril 2015

Fiche B : La culture

Analyse.
On oppose souvent la nature et la culture. Pierre Hadot, dans Qu’est-ce que la philosophie antique ? (p.33) a montré que l’opposition phusis/nomos provenait des sophistes. Si on identifie l’opposition phusis/nomos avec l’opposition nature/culture, alors elle remonterait à l’Antiquité greco-latine. On présupposerait alors de ne pas distinguer le sens spécifiquement latin de cultura sur lequel insiste Hannah Arendt dans La crise de la culture (1968, vi « La crise de la culture »).
Par nature on entend généralement tout ce qui se fait indépendamment de l’homme hors de lui et en lui. La Terre, la respiration appartiennent à la nature. Par culture on entend tout ce que l’homme fait de lui-même hors de lui et en lui (la technique, le langage, l’histoire seraient de l’ordre de la culture). Cette opposition paraît tellement aller de soi qu’habituellement on croit savoir ce qu’est la nature et ce qui n’est pas elle de façon immédiate.
Il est pourtant facile de remarquer que l’idée de nature dès qu’elle s’applique à l’homme est fort variable. N’est-il pas naturel que l’homme commande à la femme ou de manger les prisonniers que l’on fait à la guerre (comme le pensaient certainement les Tupinamba que Hans Staden décrivaient au xvi° siècle ou les Mundugumor que décrit Margaret Mead dans Mœurs et sexualité en Océanie). Que les barbares soient esclaves, voilà qui était conforme à la nature selon Aristote (cf. Politique, livre I, chapitre 2). Ce qui conduit à nous demander si nous ne sommes pas toujours victimes de nos préjugés sociaux lorsque nous distinguons la nature de la culture en l’homme. Il y a donc lieu de chercher quelque critère plus sûr que les préjugés sociaux pour distinguer la nature de la culture.
Or, cette opposition présuppose d’une part que la culture serait comme « un empire dans un empire » (Spinoza, Éthique, III, préface ; Traité politique, chapitre II, § 6). Ce qui ne va pas du tout de soi. Ne peut-on dire que tous les comportements humains sont naturels et que s’il semble ne pas l’être, la raison en est notre méconnaissance de la nature ? On peut appeler naturalisme toute doctrine qui nie toute spécificité de la culture. En effet, l’idée de culture présuppose que l’homme puisse s’arracher à la nature. Or, comment pourrait-il le faire ? Ne faut-il pas plutôt élargir et approfondir la notion de nature de telle façon à penser l’ensemble des actions humaines comme naturelles ?
Cette opposition présuppose d’autre part que la culture ne puisse pas s’articuler à la nature, bref, qu’elle s’y oppose nécessairement. Or, en son origine latine, la culture consiste à prendre soin de la nature d’où dérive agriculture. C’est au moins depuis Cicéron que le terme de culture désigne métaphoriquement le soin de l’âme, la cultura animi (Tusculanes ; cf. Harendt, La crise de la culture, vi « La crise de la culture, II). Qu’on exalte cette opposition ou qu’on la déplore, ne faut-il pas penser que la culture est un moyen pour l’homme de réaliser sa nature, qu’elle est en quelque sorte ce à quoi l’homme est destiné par la nature ou simplement ce qui résulte de la nature en l’homme ?

Problème.

On peut donc s’interroger sur la légitimité de cette opposition entre la nature et la culture. La culture peut-elle s’opposer à la nature, c’est-à-dire qu’est-ce que l’homme doit être pour qu’il soit capable d’une culture autonome ? Peut-on distinguer la culture de la nature et comment ? Ou bien cette distinction n’est-elle que l’effet d’une ignorance ? Comment alors en sortir ?

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