Analyse.
On oppose
souvent la nature et la culture. Pierre Hadot, dans Qu’est-ce que la
philosophie antique ? (p.33) a montré que l’opposition phusis/nomos
provenait des sophistes. Si on identifie l’opposition phusis/nomos avec
l’opposition nature/culture, alors elle remonterait à l’Antiquité greco-latine.
On présupposerait alors de ne pas distinguer le sens spécifiquement latin de cultura sur lequel insiste Hannah Arendt
dans La crise de la culture (1968, vi « La crise de la culture »).
Par nature on
entend généralement tout ce qui se fait indépendamment de l’homme hors de lui
et en lui. La Terre ,
la respiration appartiennent à la nature. Par culture on entend tout ce que
l’homme fait de lui-même hors de lui et en lui (la technique, le langage,
l’histoire seraient de l’ordre de la culture). Cette opposition paraît
tellement aller de soi qu’habituellement on croit savoir ce qu’est la nature et
ce qui n’est pas elle de façon immédiate.
Il est
pourtant facile de remarquer que l’idée de nature dès qu’elle s’applique à
l’homme est fort variable. N’est-il pas naturel que l’homme commande à la femme
ou de manger les prisonniers que l’on fait à la guerre (comme le pensaient
certainement les Tupinamba que Hans Staden décrivaient au xvi° siècle ou les Mundugumor que décrit
Margaret Mead dans Mœurs et sexualité en
Océanie). Que les barbares soient esclaves, voilà qui était conforme à la
nature selon Aristote (cf. Politique,
livre I, chapitre 2). Ce qui conduit à nous demander si nous ne sommes pas
toujours victimes de nos préjugés sociaux lorsque nous distinguons la nature de
la culture en l’homme. Il y a donc lieu de chercher quelque critère plus sûr
que les préjugés sociaux pour distinguer la nature de la culture.
Or, cette
opposition présuppose d’une part que la culture serait comme « un empire dans un empire »
(Spinoza, Éthique, III, préface ;
Traité politique, chapitre II, § 6).
Ce qui ne va pas du tout de soi. Ne peut-on dire que tous les comportements
humains sont naturels et que s’il semble ne pas l’être, la raison en est notre
méconnaissance de la nature ? On peut appeler naturalisme
toute doctrine qui nie toute spécificité de la culture. En effet, l’idée de
culture présuppose que l’homme puisse s’arracher à la nature. Or, comment
pourrait-il le faire ? Ne faut-il pas plutôt élargir et approfondir la
notion de nature de telle façon à penser l’ensemble des actions humaines comme
naturelles ?
Cette
opposition présuppose d’autre part que la culture ne puisse pas s’articuler à
la nature, bref, qu’elle s’y oppose nécessairement. Or, en son origine latine,
la culture consiste à prendre soin de la nature d’où dérive agriculture. C’est au
moins depuis Cicéron que le terme de culture désigne métaphoriquement le soin
de l’âme, la cultura animi (Tusculanes ;
cf. Harendt, La crise de la culture, vi « La crise de la culture, II).
Qu’on exalte cette opposition ou qu’on la déplore, ne faut-il pas penser que la
culture est un moyen pour l’homme de réaliser sa nature, qu’elle est en quelque
sorte ce à quoi l’homme est destiné par la nature ou simplement ce qui résulte
de la nature en l’homme ?
Problème.
On peut donc
s’interroger sur la légitimité de cette opposition entre la nature et la
culture. La culture peut-elle s’opposer à la nature, c’est-à-dire qu’est-ce que
l’homme doit être pour qu’il soit capable d’une culture autonome ? Peut-on
distinguer la culture de la nature et comment ? Ou bien cette distinction
n’est-elle que l’effet d’une ignorance ? Comment alors en sortir ?
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