mardi 2 juin 2015

Sénèque : biographie

Lucius Annaeus Seneca ou Sénèque est né au début de notre ère à Corduba, l’actuelle Cordoue, cité romanisée à cette époque.
Son père, Marcus Annaeus Seneca était un rhéteur célèbre, d’où l’expression « Sénèque le rhéteur » qui permet de le distinguer de notre philosophe. Le père de Sénèque a laissé un ouvrage, Controverses et Suasoriaes (Il s’agit de discours d’apparat où l’orateur exhorte un personnage historique ou mythologique qui doit prendre une décision embarrassante. Par exemple, Alexandre devra-t-il conquérir les Indes ? ou Brutus doit-il condamner à mort son fils qui a désobéi à ses ordres, etc. ? cf. Pierre Grimal, Sénèque Sa vie Son œuvre Sa philosophie, Paris, P.U.F., 1948, note 1 p.2). Il donne ses souvenirs de l’enseignement des rhéteurs qu’il avait entendus à Rome entre 40 et 20 av. J.-C., ouvrage qu’il aurait, selon le prologue, rédigé à la demande de ses enfants. Il aurait aussi écrit un ouvrage consacré à l’histoire de Rome.
Sa mère, Helvia, plus jeune d’une trentaine d’années que son mari, avait perdu sa propre mère très jeune. Elle avait été élevée par sa sœur aînée dans les mœurs et les valeurs familiales de l’époque héroïque. Son fils la décrit comme une femme à la vie austère et retirée.
Il eut deux frères. L’aîné, Lucius Annaeus Novatus, qui prit le nom de Gallion après avoir été adopté par le rhéteur du même nom. Il est l’interlocuteur du dialogue La vie heureuse. Il deviendra gouverneur de la Grèce. Il est par ailleurs connu par les Actes des Apôtres car il eut au tribunal un certain (saint Paul) en 52 en Thessalonique. Il refusa de le condamner. Il se suicidera en 65. Le plus jeune, Mela, resta chevalier. Il fut au moins haut fonctionnaire, procurateur, et se suicidera lui aussi en 65 en même temps que son fils Lucain, sénateur et surtout grand poète.
En 14 ap. J.-C., Auguste (63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), le premier empereur meurt. Il fut le fondateur du principat, régime où le prince (princeps) est en apparence le premier des sénateurs et où les institutions républicaines sont en apparence conservées mais qui en réalité instaure le pouvoir d’un seul. Tibère (~42 av. J.-C.-37 ap.) lui succède.
Sénèque le rhéteur amène son fils dans cette Rome déjà impériale pour qu’il acquière une formation en rhétorique et en philosophie qu’on peut dater de 14 à 19. Il y suit les cours du pythagoricien Sotion (cf. Sénèque, Lettres à Lucilius, 49, 2), du stoïcien Attale (cf. Lettres à Lucilius, 108, 3, 13-23) et de Papirius Fabianus (~35 av. J.-C.-~35 ap. J.-C.), un ancien rhéteur. Sénèque se convertira à la philosophie, d’abord pythagoricienne dont il suivra le régime végétarien selon son propre témoignage dans la Lettre à Lucilius 108 (17-22) et adhérera à la philosophie stoïcienne entre 14 ans et 18 ans (On peut se référer à la Lettre à Lucilius 108, 22 comme témoignage puisqu’elle évoque le début du règne de Tibère).
Il séjourne en Egypte entre 25 et 31 chez son oncle C. Galerius, le mari de sa tante maternelle, qui y est préfet. Peut-être y a-t-il rédigé son ouvrage, perdu, consacré à l’Égypte, intitulé Sur la géographie et les rites religieux de l’Égypte et s’est-il intéressé à la pensée monarchique qui y règne.
Son retour d’Egypte en 31 fut mouvementé. Une tempête tua son oncle et il faillit perdre sa tante qui risqua sa vie pour sauver le corps de son mari comme il le raconte dans sa Consolation à Helvia (19, 4). Grâce à sa tante comme il l’indique dans ce même texte (19,2), il commence le cursus honorum, c’est-à-dire la suite des fonctions politiques de plus en plus prestigieuses qui conduisent au Sénat. Il fut d’abord questeur en 33 ou 34. Il composa des ouvrages aujourd’hui perdus, Sur la nature des pierres, Sur la nature des poissons et Sur les tremblements de terre.
À l’avènement de l’empereur Caligula (12-41) en 37, il continue sa carrière politique, appuyé par deux sœurs de l’empereur, Julia Livilla et Agrippine. Le règne, commencé sous le signe de la collaboration du prince et du Sénat, va se transformer en royauté de type oriental dont témoigne le mariage de Caligula avec sa troisième sœur, Drusilla. A partir de 39, l’attitude de Caligula change totalement (Pour une évaluation nuancée et loin des clichés de l’empereur fou, on peut lire Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique, Paris, Editions Tallandier, 1987, pp.244-249). Ses deux premières sœurs sont exilées suite à un complot réel ou imaginaire. Sénèque ainsi que son jeune protégé Lucilius sont compromis. Il aurait échappé à une condamnation à mort. En 39 son père meurt et cette année-là ou en 40 qu’il compose son plus ancien texte connu, la Consolation à Marcia, adressé à une grande dame.
Il devient sénateur peu avant la quarantaine. Caligula est assassiné en janvier 41. Peut-être compose-t-il alors La colère (De ira), un dialogue en ce sens qu’il est adressé à son frère Gallion dont on peut penser qu’il engage le nouveau prince, Claude, à ne pas céder à cette passion.
Membre de la cour impériale, il est pourtant contraint à l’exil en Corse fin 41 par l’empereur Claude. Messaline, la femme de l’empereur, l’accusait d’adultère avec Julia Livilla, fille de Germanicus et une des sœurs de Caligula, qui passait pour s’opposer à la politique impériale. Elle fut exilée et mise à mort. Il y écrit vraisemblablement en 42 une Consolation à Helvia, sa mère, pour la réconforter de son exil. En 43, c’est une Consolation à Polybe, un influent affranchi de Claude qui venait de perdre son frère. Polybe était chargé de transmettre au prince les requêtes ou les suppliques que présentaient les citoyens de l’Empire. On peut donc interpréter cette consolation comme une tentative de la part de Sénèque d’être rappelé à la cour. On peut quelque peu s’étonner qu’après avoir expliqué à sa mère que l’exil n’est pas un mal, le voir faire tout pour le faire cesser. L’étonnement grandit lorsqu’on le voit montrer un respect pour Claude qui contraste avec les critiques qu’il lui adressera après sa mort. On peut a contrario y voir l’expression d’un monarchisme teinté de libéralisme sénatorial qui s’oppose à la tyrannie.
Toujours est-il que Sénèque demeura en exil. Peut-être y écrivit-il certaines de ses tragédies. Elles sont au nombre de dix : Hercule furieux, les Troyennes, les Phéniciennes, Médée, Phèdre, Œdipe, Agamemnon, Thyeste, Hercule sur l’Œta et l’Octavie. Cette dernière est peut-être apocryphe. Il est difficile de les dater et de savoir si elles ont été représentées. Pierre Corneille (1606-1684) et Racine (1639-1699° subirent leur influence.
En 48, Messaline est mise à mort. En janvier 49, Claude se remarie avec Agrippine, sœur donc de Caligula et mère de Néron (37-68 ap. J.-C.). Cette dernière rappelle notre philosophe à Rome pour qu’il soit le précepteur de son fils (cf. Tacite, Annales, xii, 8) avec le nouveau préfet du prétoire, Afranius Burrus (Il est un des personnages du Britannicus de Racine qui évite Sénèque ). Agrippine lui permet d’accéder à la préture qu’il exerça durant l’année 50. Il accroît son énorme fortune et se marie à une date inconnue avec une riche provinciale d’Arles, Paulina. Il compose vraisemblablement De la brièveté de l’existence humaine (De brevitate vitae) en 49. Le traité est adressé à Pompeius Paulinus, vraisemblablement son beau-père, préfet de l’annone, c’est-à-dire chargé de l’approvisionnement en blé de Rome. Il l’invite à une vie de loisir consacrée à la philosophie, seul moyen pour ne pas gaspiller le temps qui nous est imparti et être heureux.
Pourtant, à l’accession de Néron à l’empire en 54, suite à l’empoisonnement de Claude par Agrippine, il devient le conseiller politique personnel de son ancien élève durant huit ans avec Burrus. Les dons de Néron lui permettent d’acquérir une des fortunes les plus importantes de l’Empire. Ce qui ne manqua pas de lui attirer des critiques sur la contradiction entre sa richesse et sa volonté affichée d’être philosophe. La doctrine stoïcienne à laquelle il a adhéré permet de résoudre la contradiction car elle engage le sage à être utile aux hommes en participant à la vie de la cité si c’est possible. Il fait prononcer par Néron l’éloge de Claude qui sera divinisé et dans le même temps compose l’Apocoloquintose (Apocolocyntosis Diui Claudi, c’est-à-dire « la transformation en citrouille du dieu Claude »), une satire de Claude qui le venge du défunt prince et fait la louange du nouveau.
Il compose peut-être à ce moment-là La tranquillité de l’âme (De tranquillitate animi) adressé à Sérénus, vraisemblablement un de ses parents venu d’Espagne. Né vers 30 il se mit sous la protection de Sénèque. Il passera pour l’amant d’Acté aux yeux d’Agrippine pour protéger Néron. Il deviendra préfet des vigiles, c’est-à-dire chargé de combattre les incendies. Il mourra empoisonné en 62.
Sénèque écrit aussi Sur la clémence (De clementia) au début de l’année 56, ouvrage qui expose cette vertu du bon roi dont les exemples sont Auguste (Corneille (1606-1684) s’en inspirera pour sa tragédie, Cinna ou la clémence d’Auguste jouée en 1640) et bientôt Néron qui manquent chez les tyrans, Tibère, Caligula et Claude. Sénèque se fait ainsi idéologue du principat. La constance du sage (De constantia sapientis) adressé au même Sérénus peut être daté de 55.
Le dialogue La vie heureuse (De uita beata), dont l’interlocuteur est Novatus-Gallion, fut vraisemblablement rédigé entre 55 et 59, disons en 58. Sénèque fit engager des poursuites contre Suillius, un fidèle de Claude, qui lui reprochait sa richesse – qui était équivalente au dixième voire au cinquième des revenus annuels de l’empire – et ses mœurs. Suilius fut exilé. Sénèque dans La vie heureuse répond aux accusations de Suillius. En outre, il se présente non comme un sage, mais comme un aspirant à la sagesse. À celui qui l’accuserait de ne pas suivre ses propres préceptes, il répond :
« Je ne suis pas un sage véritable et, je donne cet aveu en pâture à ta malveillance, je ne le serai jamais. Exige donc de moi, non que je sois l’égal des meilleurs, mais que je vaille mieux que les méchants. Il me suffit d’ôter chaque jour quelque force à mes vices et de châtier mes égarements. Je ne suis pas parvenu à la guérison, je n’y parviendrai même jamais. Je compose pour ma goutte des calmants plutôt que des remèdes, content si les crises sont plus rares et les élancements moins violents : car si je compare mes pieds aux vôtres, moi, infirme, je suis un coureur. » Sénèque, La vie heureuse, trad. François Rosso, Arléa, 1995, p.55.
Notre philosophe est mêlé aux amours adultères de Néron et Poppée : il aurait conseillé d’envoyer comme gouverneur en Lusitanie, Othon (32-69), le mari de Poppée et futur empereur pour faciliter la tâche à Néron. Or, Agrippine et Poppée se disputaient les faveurs de Néron. Néron fit assassiner sa mère, vraisemblablement sur les conseils de Sénèque et de Burrus en mars 59. Il tenta, sans succès de maquiller le meurtre de sa mère en accident. Le Néron criminel, celui dont le Britannicus de Racine raconte la naissance, s’est révélé. On ne peut manquer de s’étonner du rôle du philosophe dans cette affaire.
Toutefois les rapports du philosophe et de l’empereur se distendent. Celui-ci tend à devenir un monarque oriental, c’est-à-dire à se passer de la caste sénatorial. En quoi il deviendra bientôt un mauvais empereur aux yeux des historiens de cette caste.
À la mort de Burrus en 62, Sénèque tombe en disgrâce (cf. Tacite, Annales, xiv, 52) pendant que se transforme la politique de Néron. Il demande à se retirer de la vie politique et propose de rendre les biens que Néron lui a donnés : ce dernier refuse. Toutefois, sous divers prétextes, Sénèque participe le moins possible à la vie publique et se défait de certains de ses biens. L’empereur répudie Octavie et épouse Poppée.
Sénèque compose Sur le loisir (De oto) dont l’interlocuteur est Sérénus qui forme avec Sur la constance du sage et De la tranquillité de l’âme une sorte de trilogie. Il rédige également le début des Questions naturelles (Quaestiones naturales) adressé à Lucilius.
La retraite (otium) lui permet d’écrire notamment ses fameuses Lettres à Lucilius dont on a pu penser qu’elles étaient de pure forme littéraire. Sénèque y joue le rôle de directeur de conscience. Il adopte un procédé de composition qui consiste à aller de l’essentiel puis au détail et inversement. En 63, il compose Sur la providence (De prouidentia) et en 64, il achève Les bienfaits (De beneficiis) commencés en 59-60.
Certains ouvrages composés à cette époque ne nous sont pas parvenus : les Livres de philosophie morale (Moralis philosophiae libri), les Exhortations à la philosophie, un traité Du mariage, un De la Superstition (De superstitione), un autre Sur l’amitié.
Trois ans plus tard, lors de la découverte de la conjuration de Pison, un conjuré rapporte des propos de Sénèque favorable à Pison. L’empereur ne croit pas aux vagues dénégations de son ancien précepteur et lui ordonne de mourir. Son suicide nous est connu par la description de Tacite dans les Annales (XV, 62-64) où celui-ci le montre courageux face à la mort.
Néron finalement sera détrôné et devra se donner la mort trois ans après son ancien précepteur, le 9 juin 68.



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