Lucius Annaeus Seneca
ou Sénèque est né au début de notre ère à Corduba, l’actuelle Cordoue, cité
romanisée à cette époque.
Son père,
Marcus Annaeus Seneca était un rhéteur célèbre, d’où l’expression
« Sénèque le rhéteur » qui permet de le distinguer de notre
philosophe. Le père de Sénèque a laissé un ouvrage, Controverses et
Suasoriaes (Il s’agit de
discours d’apparat où l’orateur exhorte un personnage historique ou
mythologique qui doit prendre une décision embarrassante. Par exemple,
Alexandre devra-t-il conquérir les Indes ? ou Brutus doit-il condamner à mort
son fils qui a désobéi à ses ordres, etc. ? cf. Pierre Grimal, Sénèque Sa vie Son œuvre Sa
philosophie, Paris, P.U.F., 1948, note 1 p.2). Il donne ses souvenirs de
l’enseignement des rhéteurs qu’il avait entendus à Rome entre 40 et 20 av. J.-C.,
ouvrage qu’il aurait, selon le prologue, rédigé à la demande de ses enfants. Il
aurait aussi écrit un ouvrage consacré à l’histoire de Rome.
Sa mère,
Helvia, plus jeune d’une trentaine d’années que son mari, avait perdu sa propre
mère très jeune. Elle avait été élevée par sa sœur aînée dans les mœurs et les
valeurs familiales de l’époque héroïque. Son fils la décrit comme une femme à
la vie austère et retirée.
Il eut deux
frères. L’aîné, Lucius Annaeus Novatus, qui prit le nom de Gallion après avoir
été adopté par le rhéteur du même nom. Il est l’interlocuteur du dialogue La
vie heureuse. Il deviendra gouverneur de la Grèce. Il est par
ailleurs connu par les Actes des Apôtres car il eut au tribunal un
certain (saint Paul) en 52 en Thessalonique. Il refusa de le condamner. Il se
suicidera en 65. Le plus jeune, Mela, resta chevalier. Il fut au moins haut
fonctionnaire, procurateur, et se suicidera lui aussi en 65 en même temps que
son fils Lucain, sénateur et surtout grand poète.
En 14 ap.
J.-C., Auguste (63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), le premier empereur meurt. Il fut
le fondateur du principat, régime où le prince (princeps) est en apparence le premier des sénateurs et où les
institutions républicaines sont en apparence conservées mais qui en réalité
instaure le pouvoir d’un seul. Tibère (~42 av. J.-C.-37 ap.) lui succède.
Sénèque le
rhéteur amène son fils dans cette Rome déjà impériale pour qu’il acquière une
formation en rhétorique et en philosophie qu’on peut dater de 14 à 19. Il y
suit les cours du pythagoricien Sotion (cf. Sénèque,
Lettres à Lucilius, 49, 2), du stoïcien Attale (cf. Lettres à
Lucilius, 108, 3, 13-23) et de Papirius Fabianus (~35 av. J.-C.-~35 ap. J.-C.),
un ancien rhéteur. Sénèque se convertira à la philosophie, d’abord
pythagoricienne dont il suivra le régime végétarien selon son propre témoignage
dans la Lettre
à Lucilius 108 (17-22) et adhérera à la philosophie stoïcienne entre 14 ans
et 18 ans (On peut se référer à la
Lettre à Lucilius 108, 22 comme témoignage puisqu’elle
évoque le début du règne de Tibère).
Il séjourne en
Egypte entre 25 et 31 chez son oncle C. Galerius, le mari de sa tante
maternelle, qui y est préfet. Peut-être y a-t-il rédigé son ouvrage, perdu,
consacré à l’Égypte, intitulé Sur la géographie et les rites religieux de l’Égypte
et s’est-il intéressé à la pensée monarchique qui y règne.
Son retour
d’Egypte en 31 fut mouvementé. Une tempête tua son oncle et il faillit perdre
sa tante qui risqua sa vie pour sauver le corps de son mari comme il le raconte
dans sa Consolation à Helvia (19, 4). Grâce à sa tante comme il
l’indique dans ce même texte (19,2), il commence le cursus honorum,
c’est-à-dire la suite des fonctions politiques de plus en plus prestigieuses
qui conduisent au Sénat. Il fut d’abord questeur en 33 ou 34. Il composa des
ouvrages aujourd’hui perdus, Sur la nature des pierres, Sur la nature
des poissons et Sur les tremblements de terre.
À l’avènement
de l’empereur Caligula (12-41) en 37, il continue sa carrière politique, appuyé
par deux sœurs de l’empereur, Julia Livilla et Agrippine. Le règne, commencé
sous le signe de la collaboration du prince et du Sénat, va se transformer en
royauté de type oriental dont témoigne le mariage de Caligula avec sa troisième
sœur, Drusilla. A partir de 39, l’attitude de Caligula change totalement (Pour
une évaluation nuancée et loin des clichés de l’empereur fou, on peut lire
Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique, Paris,
Editions Tallandier, 1987, pp.244-249). Ses deux premières sœurs sont exilées
suite à un complot réel ou imaginaire. Sénèque ainsi que son jeune protégé
Lucilius sont compromis. Il aurait échappé à une condamnation à mort. En 39 son
père meurt et cette année-là ou en 40 qu’il compose son plus ancien texte
connu, la Consolation
à Marcia, adressé à une grande dame.
Il devient sénateur peu avant
la quarantaine. Caligula est assassiné en janvier 41. Peut-être compose-t-il
alors La colère (De ira), un dialogue en ce sens qu’il est
adressé à son frère Gallion dont on peut penser qu’il engage le nouveau prince,
Claude, à ne pas céder à cette passion.
Membre de la
cour impériale, il est pourtant contraint à l’exil en Corse fin 41 par
l’empereur Claude. Messaline, la femme de l’empereur, l’accusait d’adultère
avec Julia Livilla, fille de Germanicus et une des sœurs de Caligula, qui
passait pour s’opposer à la politique impériale. Elle fut exilée et mise à
mort. Il y écrit vraisemblablement en 42 une Consolation à Helvia, sa
mère, pour la réconforter de son exil. En 43, c’est une Consolation à Polybe,
un influent affranchi de Claude qui venait de perdre son frère. Polybe était
chargé de transmettre au prince les requêtes ou les suppliques que présentaient
les citoyens de l’Empire. On peut donc interpréter cette consolation comme une
tentative de la part de Sénèque d’être rappelé à la cour. On peut quelque peu
s’étonner qu’après avoir expliqué à sa mère que l’exil n’est pas un mal, le
voir faire tout pour le faire cesser. L’étonnement grandit lorsqu’on le voit
montrer un respect pour Claude qui contraste avec les critiques qu’il lui
adressera après sa mort. On peut a contrario y voir l’expression d’un
monarchisme teinté de libéralisme sénatorial qui s’oppose à la tyrannie.
Toujours
est-il que Sénèque demeura en exil. Peut-être y écrivit-il certaines de ses
tragédies. Elles sont au nombre de dix : Hercule furieux, les
Troyennes, les Phéniciennes, Médée, Phèdre, Œdipe,
Agamemnon, Thyeste, Hercule sur l’Œta et l’Octavie.
Cette dernière est peut-être apocryphe. Il est difficile de les dater et de
savoir si elles ont été représentées. Pierre Corneille (1606-1684) et Racine (1639-1699°
subirent leur influence.
En 48,
Messaline est mise à mort. En janvier 49, Claude se remarie avec Agrippine,
sœur donc de Caligula et mère de Néron (37-68 ap. J.-C.). Cette dernière
rappelle notre philosophe à Rome pour qu’il soit le précepteur de son fils (cf.
Tacite, Annales, xii, 8) avec le nouveau préfet du
prétoire, Afranius Burrus (Il est un des personnages du Britannicus de
Racine qui évite Sénèque ). Agrippine
lui permet d’accéder à la préture qu’il exerça durant l’année 50. Il accroît
son énorme fortune et se marie à une date inconnue avec une riche provinciale
d’Arles, Paulina. Il compose vraisemblablement De la brièveté de l’existence
humaine (De brevitate vitae) en 49. Le traité est adressé à Pompeius
Paulinus, vraisemblablement son beau-père, préfet de l’annone, c’est-à-dire
chargé de l’approvisionnement en blé de Rome. Il l’invite à une vie de loisir
consacrée à la philosophie, seul moyen pour ne pas gaspiller le temps qui nous
est imparti et être heureux.
Pourtant, à l’accession de
Néron à l’empire en 54, suite à l’empoisonnement de Claude par Agrippine, il
devient le conseiller politique personnel de son ancien élève durant huit ans
avec Burrus. Les dons de Néron lui permettent d’acquérir une des fortunes les
plus importantes de l’Empire. Ce qui ne manqua pas de lui attirer des critiques
sur la contradiction entre sa richesse et sa volonté affichée d’être
philosophe. La doctrine stoïcienne à laquelle il a adhéré permet de résoudre la
contradiction car elle engage le sage à être utile aux hommes en participant à
la vie de la cité si c’est possible. Il fait prononcer par Néron l’éloge de
Claude qui sera divinisé et dans le même temps compose l’Apocoloquintose
(Apocolocyntosis Diui Claudi, c’est-à-dire « la transformation en
citrouille du dieu Claude »), une satire de Claude qui le venge du défunt
prince et fait la louange du nouveau.
Il compose peut-être à ce
moment-là La tranquillité de l’âme (De tranquillitate animi)
adressé à Sérénus, vraisemblablement un de ses parents venu d’Espagne. Né vers
30 il se mit sous la protection de Sénèque. Il passera pour l’amant d’Acté aux
yeux d’Agrippine pour protéger Néron. Il deviendra préfet des vigiles, c’est-à-dire
chargé de combattre les incendies. Il mourra empoisonné en 62.
Sénèque écrit aussi Sur la
clémence (De clementia) au début de l’année 56, ouvrage qui expose
cette vertu du bon roi dont les exemples sont Auguste (Corneille (1606-1684)
s’en inspirera pour sa tragédie, Cinna ou la clémence d’Auguste jouée en
1640) et bientôt Néron qui manquent chez les tyrans, Tibère, Caligula et
Claude. Sénèque se fait ainsi idéologue du principat. La constance du sage
(De constantia sapientis) adressé au même Sérénus peut être daté de 55.
Le dialogue La vie heureuse
(De uita beata), dont l’interlocuteur est Novatus-Gallion, fut
vraisemblablement rédigé entre 55 et 59, disons en 58. Sénèque fit engager des
poursuites contre Suillius, un fidèle de Claude, qui lui reprochait sa richesse
– qui était équivalente au dixième voire au cinquième des revenus annuels de l’empire
– et ses mœurs. Suilius fut exilé. Sénèque dans La vie heureuse répond
aux accusations de Suillius. En outre, il se présente non comme un sage, mais
comme un aspirant à la sagesse. À celui qui l’accuserait de ne pas suivre ses
propres préceptes, il répond :
« Je ne suis pas un sage véritable et, je donne
cet aveu en pâture à ta malveillance, je ne le serai jamais. Exige donc de moi,
non que je sois l’égal des meilleurs, mais que je vaille mieux que les
méchants. Il me suffit d’ôter chaque jour quelque force à mes vices et de
châtier mes égarements. Je ne suis pas parvenu à la guérison, je n’y
parviendrai même jamais. Je compose pour ma goutte des calmants plutôt que des
remèdes, content si les crises sont plus rares et les élancements moins
violents : car si je compare mes pieds aux vôtres, moi, infirme, je suis
un coureur. » Sénèque, La
vie heureuse, trad. François Rosso, Arléa, 1995, p.55.
Notre philosophe est mêlé aux
amours adultères de Néron et Poppée : il aurait conseillé d’envoyer comme
gouverneur en Lusitanie, Othon (32-69), le mari de Poppée et futur empereur
pour faciliter la tâche à Néron. Or, Agrippine et Poppée se disputaient les
faveurs de Néron. Néron fit assassiner sa mère, vraisemblablement sur les
conseils de Sénèque et de Burrus en mars 59. Il tenta, sans succès de maquiller
le meurtre de sa mère en accident. Le Néron criminel, celui dont le Britannicus de Racine raconte la
naissance, s’est révélé. On ne peut manquer de s’étonner du rôle du philosophe
dans cette affaire.
Toutefois les rapports du
philosophe et de l’empereur se distendent. Celui-ci tend à devenir un monarque
oriental, c’est-à-dire à se passer de la caste sénatorial. En quoi il deviendra
bientôt un mauvais empereur aux yeux des historiens de cette caste.
À la mort de Burrus en 62,
Sénèque tombe en disgrâce (cf. Tacite, Annales, xiv, 52) pendant que se transforme la politique de Néron. Il
demande à se retirer de la vie politique et propose de rendre les biens que
Néron lui a donnés : ce dernier refuse. Toutefois, sous divers prétextes,
Sénèque participe le moins possible à la vie publique et se défait de certains
de ses biens. L’empereur répudie Octavie et épouse Poppée.
Sénèque compose Sur le
loisir (De oto) dont l’interlocuteur est Sérénus qui forme avec Sur
la constance du sage et De la tranquillité de l’âme une sorte
de trilogie. Il rédige également le début des Questions naturelles (Quaestiones
naturales) adressé à Lucilius.
La retraite (otium)
lui permet d’écrire notamment ses fameuses Lettres à Lucilius dont on a
pu penser qu’elles étaient de pure forme littéraire. Sénèque y joue le rôle de
directeur de conscience. Il adopte un procédé de composition qui consiste à
aller de l’essentiel puis au détail et inversement. En 63, il compose Sur la
providence (De prouidentia) et en 64, il achève Les bienfaits
(De beneficiis) commencés en 59-60.
Certains
ouvrages composés à cette époque ne nous sont pas parvenus : les Livres
de philosophie morale (Moralis philosophiae libri), les Exhortations
à la philosophie, un traité Du mariage, un De la Superstition (De
superstitione), un autre Sur l’amitié.
Trois ans plus
tard, lors de la découverte de la conjuration de Pison, un conjuré rapporte des
propos de Sénèque favorable à Pison. L’empereur ne croit pas aux vagues
dénégations de son ancien précepteur et lui ordonne de mourir. Son suicide nous
est connu par la description de Tacite dans les Annales (XV, 62-64) où
celui-ci le montre courageux face à la mort.
Néron
finalement sera détrôné et devra se donner la mort trois ans après son ancien
précepteur, le 9 juin 68.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire