mercredi 24 juin 2015

Le monde des passions - Descartes : Définition des passions (texte)

Art. 27. La définition des passions de l’âme.
Après avoir considéré en quoi les passions de l’âme différent de toutes ses autres pensées, il me semble qu’on peut généralement les définir des perceptions ou des sentiments, ou des émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées, entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits (1).

Art. 28. Explication de la première partie de cette définition.
On les peut nommer des perceptions lorsqu’on se sert généralement de ce mot pour signifier toutes les pensées qui ne sont point des actions de l’âme ou des volontés, mais non point lorsqu’on ne s’en sert que pour signifier des connaissances évidentes. Car l’expérience fait voir que ceux qui sont les plus agités par leurs passions ne sont pas ceux qui les connaissent le (350) mieux, et qu’elles sont du nombre des perceptions que l’étroite alliance qui est entre l’âme et le corps rend confuses et obscures. On les peut aussi nommer des sentiments, à cause qu’elles sont reçues en l’âme en même façon que les objets des sens extérieurs, et ne sont pas autrement connues par elle. Mais on peut encore mieux les nommer des émotions de l’âme, non seulement à cause que ce nom peut être attribué à tous les changements qui arrivent en elle, c’est-à-dire à toutes les diverses pensées qui lui viennent, mais particulièrement parce que, de toutes les sortes de pensées qu’elle peut avoir, il n’y en a point d’autres qui l’agitent et l’ébranlent si fort que font ces passions.

Art. 29. Explication de son autre partie.

J’ajoute qu’elles se rapportent particulièrement à l’âme, pour les distinguer des autres sentiments qu’on rapporte, les uns aux objets extérieurs, comme les odeurs, les sons, les couleurs ; les autres à notre corps, comme la faim, la soif, la douleur. J’ajoute aussi qu’elles sont causées, entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits, afin de les distinguer de nos volontés, qu’on peut nommer des émotions de l’âme qui se rapportent à elle, mais qui sont causées par elle-même, et aussi afin d’expliquer leur dernière et plus prochaine cause, qui les distingue derechef des autres sentiments. (351)
Descartes, Les passions de l'âme (1649)

Note.
(1) Voilà comment Descartes définit les "esprits" ou "esprits animaux" dans la même oeuvre :
[O]n sait que tous ces mouvements des muscles, comme aussi tous les sens, dépendent des nerfs, qui sont comme de petits filets ou comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et contiennent ainsi que lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux.

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