Art. 27. La définition
des passions de l’âme.
Après avoir considéré en quoi les
passions de l’âme différent de toutes ses autres pensées, il me semble qu’on
peut généralement les définir des perceptions ou des sentiments, ou des
émotions de l’âme, qu’on rapporte particulièrement à elle, et qui sont causées,
entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits (1).
Art. 28. Explication de
la première partie de cette définition.
On les peut nommer des perceptions
lorsqu’on se sert généralement de ce mot pour signifier toutes les pensées qui
ne sont point des actions de l’âme ou des volontés, mais non point lorsqu’on ne
s’en sert que pour signifier des connaissances évidentes. Car l’expérience fait
voir que ceux qui sont les plus agités par leurs passions ne sont pas ceux qui
les connaissent le (350) mieux, et qu’elles sont du nombre des perceptions que l’étroite
alliance qui est entre l’âme et le corps rend confuses et obscures. On les peut
aussi nommer des sentiments, à cause qu’elles sont reçues en l’âme en même
façon que les objets des sens extérieurs, et ne sont pas autrement connues par
elle. Mais on peut encore mieux les nommer des émotions de l’âme, non seulement
à cause que ce nom peut être attribué à tous les changements qui arrivent en
elle, c’est-à-dire à toutes les diverses pensées qui lui viennent, mais
particulièrement parce que, de toutes les sortes de pensées qu’elle peut avoir,
il n’y en a point d’autres qui l’agitent et l’ébranlent si fort que font ces
passions.
Art. 29. Explication de
son autre partie.
J’ajoute qu’elles se rapportent
particulièrement à l’âme, pour les distinguer des autres sentiments qu’on
rapporte, les uns aux objets extérieurs, comme les odeurs, les sons, les
couleurs ; les autres à notre corps, comme la faim, la soif, la douleur.
J’ajoute aussi qu’elles sont causées, entretenues et fortifiées par quelque
mouvement des esprits, afin de les distinguer de nos volontés, qu’on peut
nommer des émotions de l’âme qui se rapportent à elle, mais qui sont causées
par elle-même, et aussi afin d’expliquer leur dernière et plus prochaine cause,
qui les distingue derechef des autres sentiments. (351)
Descartes, Les passions de l'âme (1649)
Note.
(1) Voilà comment Descartes définit les "esprits" ou "esprits animaux" dans la même oeuvre :
[O]n sait que tous ces mouvements des muscles, comme
aussi tous les sens, dépendent des nerfs, qui sont comme de petits filets ou
comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et contiennent ainsi que
lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux.
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