mardi 30 mai 2023

corrigé : La croyance et la foi

 On dit très souvent et indifféremment d’un homme religieux qu’il a des croyances ou qu’il a la foi. De même on parle de croire en quelqu’un ou en une institution ou d’avoir foi en lui ou en elle. La croyance et la foi semble identiques si ce n’est que la foi semble être un degré supérieur de croyance.

Toutefois l’engagement de l’homme animé par la foi semble d’une tout autre nature que celui qui a une simple croyance.

On peut donc se demander si la croyance et la foi se distinguent et comment. La foi et la croyance semble se distinguer par le degré, mais surtout la foi est religieuse et non la croyance, et même la foi est essentiellement chrétienne.

 

 

La foi et la croyance impliquent d’adhérer à une ou plusieurs représentations pour des raisons subjectives. Je crois qu’il va faire beau, non parce que je suis météorologiste mais parce que j’ai l’habitude qu’il fasse beau en telle saison. De même, on est juif, chrétien ou musulman parce qu’on a eu l’habitude de vivre dans une communauté juive chrétienne ou musulmane. On peut penser aux communautés juive d’Alexandrie qui ont résisté au paganisme, au christianisme et à l’islam jusqu’à leur exil dans les années 1950 suite aux conflits israélo-arabes. Quelle différence peut-on faire entre croyance et foi ?

La différence est de degré, en ce sens que la foi est plus importante que la croyance. Qui a la foi véritablement adhère plus fortement que celui qui a une simple croyance. Avoir foi en Dieu comme Abraham, c’est croire en la promesse d’une longue descendance malgré la demande du sacrifice du fils légitime, Isaac, c’est croire même si c’est absurde, c’est faire le saut dans la foi selon Crainte et tremblement (1843) de SørenKierkegaard (1813-1855) ; l’engagement du sujet dans la foi est totale alors qu’elle peut être très faible dans la croyance dont on change facilement.

En effet, croire comme avoir la foi implique de donner son assentiment en l’absence de raison, à la différence de la science où l’absence de preuve fait que la représentation est une simple hypothèse. Dans la foi, le sujet s’engage vraiment. Dans la simple croyance, le motif pour croire est facilement balayé. On peut dire que le point commun, c’est le cœur qui sent la vérité comme le soutient Pascal (1623-1662) dans les Pensées ( Lafuma 110). « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point : on le sait en mille choses » (Pensées, Lafuma 423), « Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison » (Pensées, Lafuma 424).

 

Néanmoins, distinguer la foi et la croyance par la seule intensité de l’adhésion à la représentation, n’est-ce pas réduire la foi à la croyance et ainsi perdre sa spécificité, notamment religieuse puisqu’elle a Dieu pour objet ?

 

 

En effet, la foi est essentiellement religieuse même si on la pense dans les relations entre les personnes. On a foi en un ami. Or, n’est-ce pas l’idolâtrer et donc finalement en revenir au religieux. La foi, c’est faire confiance en Dieu, ce qui en retour présuppose qu’on croit en une révélation. La croyance ne concerne en rien la révélation. Si je crois que la science a raison dans ses affirmations, je ne peux lui attribuer ce qu’est la confiance en Dieu, qui est absolue. Croire est souvent une affaire de simple culture. On adhère aux représentations par coutume comme disait Alain (1868-1951) (Définitions, posthume 1953). On peut donc ne faire que croire en une religion, ce qui n’est pas avoir la foi.

La différence entre la foi et la croyance est de nature. L’homme qui a la foi a confiance en Dieu et elle lui vient de Dieu à qui il attribue sa foi, là où celui qui croit en quelqu’un ou quelque chose ne l’attribue pas à l’objet de sa croyance. Par exemple, si je crois en un ami, cela ne peut être parce qu’il s’est montré digne de cette confiance, car la recherche de preuve détruit la foi. Ainsi dans le Don Quichotte (1605) de Cervantès (1547-1616), dans la nouvelle insérée à partir du chapitre 33, lorsque Anselme demande à son ami Lothaire de vérifier la fidélité de sa femme, Camille, il montre son manque de foi ou de croyance comme on voudra dire.

La foi donc s’adresse à Dieu et la croyance à tout le reste. Il y a donc une différence de nature en ce que l’objet de la foi n’est pas ceux de la croyance qui est relative aux choses, voire aux personnes. Dans ce dernier cas la croyance se modèle sur la foi en Dieu, d’où l’expression avoir foi en quelqu’un.

 

Cependant, si la foi est essentiellement religieuse à la différence de la croyance, n’est-ce pas qu’elle appartient à une religion particulière ?

 

Toutes les religions ont en commun de distinguer entre un domaine sacré et un domaine profane sans qu’il y ait nécessairement un ou plusieurs Dieux comme dans le bouddhisme, comme Durkheim (1858-1917) l’a soutenu à juste titre dans Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912). Elles enveloppent donc des croyances qui peuvent même être révélées comme on le voit dans les religions antiques où les Dieux se révèlent aux poètes. S’agit-il de foi ? Ne s’agit-il pas plutôt de croire des témoins qu’on estime crédibles ?

La religion est fondamentalement collective, elle est sociale comme Durkheim le soutient avec raison. On croit car les autres croient et qu’ainsi on se fond dans une communauté. La foi est plutôt individuelle. Elle est un mouvement du sujet qui vient de sa volonté disait Alain dans les Définitions (posthume, 1953). On peut croire en Dieu parce qu’il s’est révélé au peuple auquel on appartient comme dans le judaïsme, parce que Dieu exprime une loi. Il en va de même dans l’islam où le prophète à qui la parole de Dieu s’est révélée est essentiellement une loi comme le soutenait Léo Strauss (1899-1973) dans La persécution et l’art d’écrire (1952). Par contre, dans le christianisme, Jésus dans les Évangiles exige la foi pour le salut. N’est-ce pas la religion chrétienne et elle seule qui exige la foi ?

En effet, on parlera de foi pour le judaïsme ou l’islam, mais il ne s’agit pas que de croire : le respect des prescriptions est fondamental. Dans le christianisme, la foi est exigée. Elle porte sur la folie de la croix pour parler comme Saint Paul dans la première Épître aux Corinthiens (23), donc sur la résurrection du Christ, promesse du salut, c’est-à-dire de vaincre la mort. Aussi Kant (1724-1804), dans La religion dans les limites de la simple raison (1793), montre que la morale exige la foi en un Dieu et en l’immortalité de l’âme, comme condition pour que le bonheur soit proportionnel à la moralité du sujet et pour penser une aide qui permette à la volonté morale, celle d’agir par devoir moral, de s’exercer et de ne pas succomber au désir égoïste et de toujours progresser dans la moralité. Cette foi aide à la moralité. Il peut donc en conclure qu’elle n’existe que dans le christianisme, religion morale par excellence.

 

 

En un mot, le problème était de savoir quelle était la nature de la différence entre la foi et la croyance. elle n’est pas une simple différence de degré, la foi étant plus intense que la croyance, mais une différence de nature, car la foi est essentiellement religieuse, et elle est même essentiellement chrétienne en ce sens que le christianisme fait de la foi en la résurrection de Dieu qui s’est fait homme la condition du salut, Dieu qui permet de penser la réalisation de la moralité.

Ne faut-il pas alors abandonner le concept de religion qui recoupe des réalités humaines radicalement différentes ?