On a vu des Américains croire un ancien président candidat à sa réélection qui déclarait que des migrants haïtiens mangeaient de chats et des chiens, des animaux domestiques.
Comme il suffit d’une courte recherche pour savoir qu’il s’agit d’une fausse information, y croire montre de la crédulité, c’est-à-dire une capacité amoindrie de chercher la vérité de façon rationnelle, soit une faiblesse de la raison, voire de la volonté.
Toutefois, croire implique un engagement, donc une volonté résolue, une force donc et non une faiblesse.
On peut donc se demander si croire est ou non une faiblesse, et si oui laquelle ?
Croire, c’est céder dans l’usage de ses propres facultés, c’est s’en remettre aux autres et se faire dominer, ce n’est une force que dans la foi en l’homme.
Croire, c’est adhérer à une pensée sans preuve. Même si le croyant a conscience du caractère douteux, voire discutable de sa croyance elle n’est pas une hypothèse puisqu’il l’affirme. On pourrait la nommer une supposition. Or, s’il le fait, il se distingue du savant qui émet une hypothèse pour la tester et qui s’attend à ce qu’elle soit éventuellement fausse. S’il n’avait pas vu les phases de Vénus dans sa lunette (1609), Galilée (1564-1642) aurait vu l’hypothèse héliocentrique réfutée. Ces phases de Vénus qui s’expliquent dans l’hypothèse héliocentrique ne devraient pas être pour l’hypothèse géocentrique. Les jésuites qui s’accrochaient au géocentrisme y croyaient à la différence de Galilée. Lui ne croyait pas à ses thèses scientifiques, il les défendait par des observations ou des expérimentations, ou parfois avec de simples expériences de pensée. Comment en vient-on à croire ?
Pour croire et ne pas se remettre en cause il suffit de ne pas faire usage de sa raison qui nous invite à ne pas adhérer à une pensée pour laquelle on manque de certitude comme Descartes l’indique dans sa première règle de la méthode énoncée dans son Discours de la méthode (1637) : « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle ». C’est donc un défaut de croire. Or comment est-ce possible ?
Ce qui fait croire peut être la passion comme la haine le montre ou la coutume, l’habitude sociale. Ainsi voit-on se développer des croyances qui lient des individus en des communautés comme celle des platistes qui soutiennent qu’un complot mondial veut faire croire aux hommes que la Terre n’est pas plate pour les détourner de la religion qui n’a pas besoin d’une telle croyance jamais admises à la notable exception dans le christianisme de Cosmas Indicopleustès, un chrétien du VI° siècle, que l’Église rejeta comme absurdité. Les platistes constituent une communauté unie par leurs croyances, ce qui les mènent à faire un faible usage de leur raison. Comme dirait Popper (1902-1994) dans Conjectures et réfutations (1963), une démarche scientifique exige qu’on cherche à falsifier ce qu’on avance et non qu’on adhère à n’importe quelle idée du moment qu’elle semble en accord avec ce qu’on croit. Même le prestige de la science, prestige sociale fait croire en des représentations qu’on ne peut pas soi-même prouver. On croit au Big bang sans savoir ce que c’est.
Ainsi croire fait adhérer à des préjugés par paresse et lâcheté comme Kant (1724-1804) le soutient dans son article « Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ? » (décembre 1784) C’est donc bien être faible, et c’est une faiblesse volontaire, en tant qu’on dispose de la raison pour examiner et de la volonté pour se résoudre à le faire. C’est une faiblesse de la volonté, l’akrasia (ἀκρασία) comme les Grecs la pensaient, une incapacité à faire ce qu’on sait être bon, en l’occurrence utiliser sa raison pour déterminer ce qu’on peut croire ou non. Ainsi croire est bien être faible au sens d’une incapacité à utiliser ses facultés.
Néanmoins, si c’est le non usage de nos facultés qui fait la croyance, elle ne constitue pas une faiblesse absolue dans la mesure où on pourrait s’en ressaisir. N’est-ce pas plutôt le fait que croire nous soumet aux autres qui peuvent ainsi nous dominer ?
Croire c’est donner son assentiment à une proposition que nous n’avons pas formée. Soit elle émane de notre imagination et/ou de nos désirs et alors, c’est notre raison qui est soumise. On est esclave de soi-même comme l’analyse Platon dans La république (livre IV). La faiblesse alors est celle de l’individu qui croit. Il est déterminé à croire par quelque chose qui est extérieure à sa raison. Or, ce qui nous fait croire ne vient-il pas des autres ?
En effet croire, c’est aussi adhérer à une proposition que nous trouvons dans la vie sociale. Dans cette mesure, nous sommes soumis au groupe ou à ceux qui dominent le groupe. C’est pourquoi Spinoza (1632-1677), dans la préface du Traité théologico-politique (anonyme 1670) montre que la superstition qui provient des désirs changeant des hommes leur font croire à des présages favorables ou non et les conduit à obéir à des rois qui utilisent la religion pour les soumettre. La faiblesse réside donc dans cette soumission et elle est volontaire pour le disait l’ami de Montaigne (1533-1592), La Boétie (1530-1563) dans son Discours sur la servitude volontaire. « Croyance, c’est esclavage, guerre et misère. » comme le disait Alain dans son propos du 5 mai 1931 intitulé les ânes rouges. Esclavage car on est soumis, guerre car on ne peut accepter d’autres croyances, misère car on ne pense pas.
Ainsi, les sophistes de l’antiquité soutenaient à juste titre qu’on obtient le pouvoir sur les autres en les persuadant, c’est-à-dire en leur faisant croire ce qu’il est bon de faire, qui est bon pour les gouvernants. C’est ce font les libertins dans leurs relations avec les femmes. Dom Juan le personnage éponyme (1665) de la pièce de Molière (1622-1673) par exemple séduit deux paysannes à l’acte II en leur promettant le mariage. La perspective d’une élévation sociale suffit pour qu’elle croit le séducteur et que l’une abandonne son fiancé. Dans le roman épistolaire de Choderlos de Laclos (1741-1803), Les liaisons dangereuses (1782), Le Vicomte de Valmont séduit la prude Madame de Tourvel en lui faisant croire qu’elle pourra le remettre sur le droit chemin.
Toutefois, si croire nous soumet aux autres, toujours est-il que je puis croire en m’engageant. N’est-ce pas qu’on doit ainsi penser que croire est bien plutôt une force ?
Croire n’est pas avoir la foi. Saint Thomas selon l’évangile de Jean (20) ne veut pas croire en la résurrection du Christ car il ne l’a pas vu, ni n’a mis ses doigts dans ses plaies lorsque les autres apôtres lui en donnent la bonne nouvelle (sens du terme évangile, εὐαγγέλιον , euangélion en grec ancien). Quelque temps plus tard dans une pièce hermétiquement fermée, Le Christ apparaît et « Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru ! » (Bible, Nouveau Testament, Évangile de Jean, 20, 29). Autrement dit, la foi au sens religieux s’affirme surtout dans l’absence de preuve empirique. Elle exige donc la force de croire sans raison explicite, ce qui fera dire à Pascal que « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » (Pensées, Lafuma 423) et que « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison. » (Pensées, Lafuma, 424). N’y a-t-il de foi que religieuse ?
Avoir la foi, c’est croire en quelqu’un. Dans la foi religieuse, croire en Dieu implique de croire que Dieu existe, même si le second n’implique pas le premier comme Voltaire qui croyait qu’un Dieu existe mais ne croyait pas en Dieu car il combattait les religions abrahamiques. Toujours est-il qu’on a foi dans les autres dans la vie sociale, dans l’amitié ou l’amour. Sans foi en autrui, aucune relation n’est possible ou plutôt, ça en détruit la possibilité. Ainsi Cervantès (1547-1616) dans la première partie de son Don Quichotte (1615) aux chapitres 33 à 35, insère une nouvelle intitulé « le curieux mal avisé » où il raconte l’histoire de deux amis, Anselme et Lothaire. Le premier se marie avec l’approbation du second à la belle Camille. Après les noces, Lothaire rend moins visite à son ami, marié à une très belle femme, pour ne pas ternir sa réputation. Un jour, Anselme fait part à Lothaire de son désir d’éprouver la vertu de sa femme. Il lui propose de tenter de la séduire pour vérifier sa fidélité. Il est clair que le projet montre un manque de foi et donc un manque d’amour. Il repose sur une certaine foi en son ami qu’il n’imagine pas aller jusqu’au bout de la séduction. Lothaire proteste à juste titre que cette demande est excessive par rapport à l’amitié car s’il réussit à séduire Camille il nuira à l’honneur de son ami. Et aussi vis-à-vis de sa femme. Mais finalement il accepte en sacrifiant à l’amitié. Il diffère l’entreprise de séduction et finit lui-même par tomber amoureux et séduit Camille. On le voit, c’est l’absence de foi qui a détruit une amitié et un amour. Ne faut-il pas pourtant penser que croire est une faiblesse par rapport à la science.
La foi rend même possible la science. En effet, pour que la science soit possible, il faut accepter que toutes les croyances soient sacrifiées au profit d’hypothèses à tester. Pour cela comme Nietzsche le soutient dans le n°344 du Gai savoir (1882, 1887), il faut croire en la nécessité de la vérité, telle est la foi en la science. Il faut croire en la possibilité d’accéder à la vérité par la méthode scientifique. La foi, c’est-à-dire la « croyance volontaire » repose sur la force, celle de la volonté comme le soutient à juste titre Alain (cf. Définitions, 1953, posthume).
En un mot, le problème était de savoir si croire est ou non une faiblesse, et si oui laquelle ? C’est le cas lorsque le sujet ne fait pas usage de ses facultés, mais surtout dans la mesure où cela conduit à être dominé par autrui. Mais lorsque croire c’est avoir la foi en soi, en autrui, en la capacité humaine en général, croire est la force de la volonté.
Une foi sans Dieu est-elle possible ?