COMME il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l’honneur, il faut de la CRAINTE dans un
gouvernement despotique : pour la vertu, elle n’y est point nécessaire ;
et l’honneur y serait dangereux.
Le pouvoir immense du prince y passe
tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s’estimer beaucoup
eux-mêmes seraient en état d’y faire des révolutions. Il faut donc que la
crainte y abatte tous les courages, et y éteigne jusqu’au moindre sentiment
d’ambition.
Un gouvernement modéré peut, tant qu’il
veut, et sans péril, relâcher ses ressorts. Il se maintient par ses lois et par
sa force même. Mais lorsque, dans le gouvernement despotique, le prince cesse
un moment de lever le bras ; quand il ne peut pas anéantir à l’instant
ceux qui ont les premières places, tout est perdu : car le ressort du
gouvernement, qui est la crainte, n’y étant plus, le peuple n’a plus de
protecteur.
C’est apparemment dans ce sens, que des cadis ont soutenu que le grand-seigneur
n’était point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu’il bornait
par-là son autorité.
Il faut que le peuple soit jugé par les
lois, et les grands par la fantaisie du prince ; que la tête du dernier
sujet soit en sûreté, et celle des bachas toujours exposée. On ne peut parler
sans frémir de ces gouvernements monstrueux. Le sophi de Perse, détrôné de nos
jours par Mirivéis, vit le
gouvernement périr avant la conquête, parce qu’il n’avait pas versé assez de
sang.
L’histoire nous dit que les horribles
cruautés de Domitien effrayèrent les gouverneurs, au point que le peuple se
rétablit un peu sous son règne. C’est ainsi qu’un torrent, qui ravage tout d’un
côté, laisse de l’autre des campagnes où l’œil voit de loin quelques prairies.
Montesquieu, De
l’esprit des lois (1748), livre III, Chapitre 9 Du principe du gouvernement
despotique.
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