Sujet.
Les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sous peine de ne différer en aucun point des bêtes les plus totalement sauvages. La raison en est qu’aucune nature d’homme ne naît assez douée pour à la fois savoir ce qui est le plus profitable à la vie humaine en cité et, le sachant, pouvoir toujours et vouloir toujours faire ce qui est le meilleur. La première vérité difficile à connaître est, en effet, que l’art politique véritable ne doit pas se soucier du bien particulier, mais du bien général, car le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités, et que bien commun et bien particulier gagnent tous les deux à ce que le premier, plutôt que le second, soit solidement assuré.
Platon, Les Lois (vers 347 av. J.-C.)
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.
Questions
1. Dégagez les idées essentielles du texte et leur articulation.
2. Expliquez : « le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités. »
3. En l’absence des lois, les hommes seraient-ils vraiment réduits à l’état de bêtes sauvages ?
Corrigé
[Ce texte est extrait de l’ouvrage de Platon intitulé : Les Lois, livre IX, 874e-875b.]
Les sociétés humaines sont régies par des lois. On les perçoit souvent comme des entraves et il arrive qu’on rêve de s’en passer. Toutefois, les lois paraissent nécessaires pour définir ce que chacun peut faire dans une société. Sans elles, les hommes ne vivraient pas humainement.
En l’absence des lois, les hommes seraient-ils vraiment réduits à l’état de bêtes sauvages ?
Tel est le problème que résout Platon dans cet extrait de son ouvrage intitulé Les Lois. Platon y soutient deux idées essentielles. Premièrement, les lois doivent régir la vie des hommes en société et deuxièmement, l’art politique doit privilégier le bien commun.
On verra pourquoi les hommes ne peuvent pas se passer de lois pour vivre humainement, puis pourquoi ils doivent privilégier le bien commun et enfin pourquoi ce sont les lois qui définissent le bien commun.
Platon commence par énoncer deux thèses, à savoir premièrement que les hommes sont dans la nécessité conditionnelle d’énoncer des lois, c’est-à-dire des règles d’action et deuxièmement qu’ils sont dans la nécessité de vivre selon les lois qu’ils ont inventées. C’est qu’il est possible d’énoncer des lois sans les suivre, dans ce cas, c’est comme s’il n’y avait pas de lois. Il énonce ensuite la condition qui rend nécessaire ses deux thèses, à savoir qu’en l’absence d’une vie conforme aux lois les hommes ne vivraient pas comme des hommes, mais comme les bêtes les plus totalement sauvages. Il faut entendre par là des animaux qui font preuve de cruauté envers les autres. On voit donc que s’il y a des lois mais que les hommes ne les respectent pas, ils se comporteront comme des bêtes sauvages. Il faut donc comprendre que l’absence de lois désigne essentiellement le respect des lois.
Il donne les raisons de ses thèses. Elles sont négatives. Elles expriment ce qui rendrait possible que l’homme n’obéît à aucune loi. La première condition est qu’il faudrait qu’un homme naquît en sachant ce qui est le mieux pour la vie humaine. Or, ce n’est pas le cas. Il faut donc que les lois apprennent aux hommes ce qui est le mieux pour eux. C’est donc leur ignorance innée qui rend potentiellement les hommes dangereux comme des bêtes sauvages.
La deuxième condition qui est double et qui suit la première est de pouvoir faire ce qu’il sait être le mieux et de vouloir le faire. En effet, on peut savoir et ne pas pouvoir faire. On peut savoir et ne pas vouloir faire. C’est donc finalement l’absence de volonté constante pour agir pour le bien de la vie humaine qui explique l’attitude animale et cruelle des hommes en l’absence de lois.
Or, n’est-il pas possible que les hommes sans lois vivent pacifiquement entre eux ? Pourquoi devraient-ils s’affronter nécessairement ?
Platon explique ensuite d’où vient cette absence de connaissance de ce qui est préférable pour la vie humaine. Il s’agit de la deuxième idée essentielle. Elle exige de connaître une première vérité relative à l’art politique. On peut comprendre par là le savoir et le savoir-faire appliqués à la politique comme on parle de l’art médical. L’art politique véritable selon l’auteur a pour finalité le bien de la communauté tout entière et non le bien particulier de celui qui exerce le pouvoir ou celui de l’individu qui doit agir. Ce bien particulier peut être celui d’un groupe.
Il l’explique en disant que le bien commun, c’est-à-dire le bien de la cité, permet à celle-ci de s’unir. Chaque cité a donc son bien propre. Par bien, il faut entendre ce qu’on doit vouloir pour réaliser une certaine fin. Par exemple, la santé est la fin de l’art médical et le bien pour un vivant. La vie en commun harmonieuse est donc le bien de la cité. À l’inverse, le bien particulier déchire les cités, c’est-à-dire qu’il empêche s’il est poursuivi, de rendre possible la cité, c’est-à-dire la vie ensemble. On comprend en quoi l’homme s’il ne vit pas en cité se comporte comme une bête sauvage. Il faut comprendre par là que, solitaire, il ne peut pas ne pas s’en prendre aux autres hommes qu’il attaque lorsque son bien est en jeu. Et s’il s’agit de groupes particuliers, ils se combattent mutuellement comme dans les cas de guerres civiles.
Platon justifie cette préférence pour le bien commun en considérant que non seulement le choisir permet de le satisfaire mais également de réaliser le bien particulier alors que l’inverse paraît impossible. La raison en est que chercher uniquement le bien particulier contribue à faire la guerre en quelque sorte contre les autres. Dès lors, on est conduit à ne pas se satisfaire. À l’inverse, satisfaire le bien commun permet de satisfaire le bien particulier sans s’affronter avec les autres. L’individu trouve alors dans le bien commun de quoi satisfaire ses aspirations. Sa vie n’est pas une guerre continuelle.
Pourquoi alors les lois sont-elles nécessaires ? Ne peuvent-elles pas conduire au contraire à favoriser certains au détriment d’autres ?
En effet, il est toujours possible que les lois servent certains et en desservent d’autres. C’est d’ailleurs ce que soutiendra Rousseau dans ses Lettres écrites de la Montagne. Dans ce cas, les hommes pourraient être comme des bêtes sauvages dans la mesure où les uns se serviraient des lois contre les autres. Plus précisément, ce sont les chefs qui se comporteraient comme des sortes de loups dévorant le troupeau de ceux qui leur sont soumis. N’est-ce pas cela la tyrannie ?
Cependant, lorsqu’on analyse la tyrannie, force est de remarquer qu’elle est justement un pouvoir sans loi. C’est pourquoi le tyran est comme un loup. Il fait ou croit faire tout ce qui lui plait. Suivre son bon plaisir n’est pas une loi. Et on ne peut même pas parler de loi du plus fort puisque le tyran n’est jamais assez fort pour dominer. Il lui faut compter sur des alliés. Dès qu’il y a des lois, celles-ci, qu’elles prévoient une hiérarchie ou qu’elles soient les mêmes pour tous, organisent la vie en collectivité. Tout le monde y est soumis. Nul ne peut les utiliser à son propre avantage.
Plus précisément, les lois constituent le bien commun en l’absence d’un homme capable de le connaître et surtout capable de le mettre en œuvre. Il doit donc lui aussi être soumis aux lois même s’il a un poste de gouvernant. Il ne peut avoir de pouvoir qu’en fonction des lois. Même s’il fait les lois, elles ne peuvent pas ne pas s’appliquer à lui. Telle est la différence entre une cité organisée selon les lois et une tyrannie qui n’obéit à aucune loi.
Bref, Platon montre dans ce texte que les lois jouent un rôle essentiel dans la vie des hommes. Parce qu’ils ne sont pas capables par eux-mêmes d’agir pour pouvoir vivre avec les autres, elles définissent le bien commun et donc la condition pour que les hommes ne se comportent pas comme des bêtes sauvages, c’est-à-dire des animaux qui n’ont d’autre fin que de réaliser leurs impulsions au détriment des autres.
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