Le cardinal de Polignac aurait dit à un orang outan au Jardin des plantes : parle et je te baptise (cf.Diderot, Suite de l’entretien avec d’Alembert). Il lui demandait donc de manifester son humanité. L’animal se montre dans un silence qui est non pas volonté de se taire mais impossibilité de parler. L’homme lui parle et se reconnaît ainsi dans sa différence avec l’animal. Ce dernier apparaît donc d’emblée moins qu’un homme. L’homme étant plus que l’animal. Le silence caractérise-t-il la bête. Le singe qui, dans la nouvelle de Kafka, Rapport pour une académie (1917), raconte comment il est devenu humain, souligne que c’est en disant « hallo » Mais qui soutient que c’est la parole, sinon l’homme !
Platon, dans Le Politique (263) fait remarquer que c’est l’homme qui fait de lui-même un genre et met tous les autres dans un autre genre, celui des bêtes (synonyme d’animaux), une grue intelligente mettrait les grues d’un côté et tous les autres à part. En grec ancien le terme ζῷον désigne plutôt le vivant en général et l’image peinte et θηρίον l’animal sauvage.
De même, la distinction entre grecs et barbares est réversible.
On voit l’enjeu moral, voire politique. Si l’animal, est un moindre homme, ne va-t-on pas animaliser ou bestialiser certains hommes ou certaines activités humaines. Ce qui a été le cas des femmes et des peuples non européens.
Mais la question de l’animal est aussi une question métaphysique. Séparer l’homme de l’animal, penser un propre de l’homme, n’est-ce pas toujours oublier l’animalité en l’homme, la nier.
L’animal est présent dans l’existence de l’homme et dans la culture. L’homme se situe par rapport à l’animal : il ne doit pas l’être. Qu’on pense à la « bêtise » ou à la « bestialité ».
On peut illustrer cette situation avec ce texte d’Épictète :
Ce n'est pas une chose bien commune d'accomplir ce que promet la qualité d'homme. C'est un animal mortel, doué de raison, et c'est par la raison qu'il se distingue des bêtes. Toutes les fois donc qu'il s'éloigne de la raison, qu'il agit sans raison, l'homme périt, et la bête se montre. Épictète, Entretiens, II,23.
Cette définition traditionnelle de l’homme le situe comme ayant à ne pas être animal. Or, ne s’agit-il pas d’un déni de l’être de l’homme ? penser l’animal, c’est donc s’interroger sur la place de l’homme dans le monde.
Comment accéder à l’animal aussi bien hors de nous qu’en nous ?
On peut distinguer deux grandes attitudes : soit l’animal est assimilé à l’homme, soit il s’en distingue absolument, Montaigne représente la première, Descartes et surtout les cartésiens comme Malebranche la seconde.