Vie.
Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz est né le 1er juin 1780 à Burg, non loin de Magdebourg. Son père, Friedrich Gabriel Clausewitz (1740-1802), fils d’un professeur de théologie, est percepteur. Il revendique des origines nobles comme le montre l’introduction du von accolé au nom de Clausewitz. Il a reçu une commission d’officier pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Cette guerre oppose la France à la Grande Bretagne et l’Autriche à la Prusse. Friedrich Clausewitz est démis de ses fonctions à la fin de la guerre, soit à cause d’une blessure à la main, soit en raison de son extraction modeste qui infirme sa revendication de noblesse. Trois de ses frères choisiront la carrière militaire, le quatrième la théologie. Quant à son fils, Carl, il est le cinquième d’une phratrie de six enfants : il a trois frères et deux sœurs, Gustav, Friedrich (1771- ?), Wilhelm, Charlotte et enfin Johanna.
Jusqu’à l’âge de douze ans, il fréquente l’école latine locale (Lateinschule). Grâce aux relations de son père, il entre comme porte-enseigne ou porte-étendard (Fahnenjunker ou cadet) au 34ème régiment d’infanterie à Potsdam en 1792.
Nommé Officier en 1793, c’est-à-dire à treize ans (la notion d’enfant soldat est récente) il reçoit son baptême du feu au siège de Mayence. La ville fut remise par Kleber en l’échange d’un départ libre de ses troupes par une coalition de Prussiens et d’Autrichiens. Il participe aux campagnes de la première coalition en France durant les guerres révolutionnaires (1792-1794).
En 1795, il rejoint la garnison de Neuruppin où il est promu lieutenant. Il lit les écrits militaires de Frédéric II de Prusse (1712-1740-1786), un de ses héros (cf. Eric Weil, « Guerre et Politique selon Clausewitz, in : Revue française de science politique, volume 5, n°2, janvier-avril 1955 ; sur Frédéric II héros de Clausewitz, cf. René Girard [1923-2015], Achever Clausewitz – Entretiens avec Benoît Chantre, Carnets Nord, 2007, p.252-253).
De 1796 à 1801, il profite de la vie de garnison pour satisfaire sa curiosité intellectuelle et perfectionner ses connaissances dans de nombreux domaines.
Il est admis à l’académie militaire de Berlin en octobre 1801. L’établissement est dirigé par Gerhard Von Scharnhorst (1755-1813), qui n’est pas noble malgré le Von. Il devient son mentor et son protecteur.
En 1803, il devient sur la recommandation de Scharnhorst, aide de camp du prince Auguste de Prusse (1779-1843). Il lit et annote entre autres, le stratège et historien grec Polybe (203-120 av. J.-C.), l’homme politique et le philosophe politique florentin Nicolas Machiavel (1469-1527), auteur de L’art de la guerre (1521).
Il sort en 1804 parmi les meilleurs de sa promotion. Il rédige un traité : La Stratégie. Il fréquente la grande noblesse et la cour.
Il participe aux campagnes de 1806. Le 14 octobre, bataille d’Auerstaedt et d’Iena : victoires éclatantes de Napoléon 1er (1769-1821) ou déroutes prussiennes. Le 28, le prince capitule à Prenzlau. Clausewitz est capturé par les Français. Il passe pratiquement deux ans en captivité, en France (à Nancy) et en Suisse. Il profite de sa captivité pour se cultiver. Il apprécie les arts, notamment le poète Schiller. Le 27 octobre, Napoléon 1er entre dans Berlin occupé.
Clausewitz est libéré en 1807. Il séjourne chez l’écrivaine et essayiste suisse, Mme de Staël (1766-1817), adversaire de Napoléon 1er. Elle est l’amie du général Bernadotte (1763-1844). Il a des contacts avec le critique et philosophe Friedrich Schlegel (1772-1829). Il suit à Berlin les cours de Johann Kiesewetter (1766-1819), un vulgarisateur de la philosophie d’Emmanuel Kant (1724-1804). Le 13 décembre, le philosophe postkantien Fichte (1762-1814) commence à donner à Berlin les conférences constituant ses Discours à la nation allemande (« Reden an die deutsche Nation ») qui invitent à rejeter l’occupation française sur la base d’une supériorité des allemands sur les français, les premiers ayant conservé la pureté de leur langue à l’inverse des seconds.
En 1808, Fichte poursuit ses conférences contre les Français.
En 1809, Clausewitz devient l’assistant de Scharnhorst qui réorganise l’armée prussienne. Il est promu capitaine par le prince Auguste.
En 1810, il est promu major, nommé professeur à l’académie militaire et devient responsable de la formation militaire du prince cadet de Prusse, le futur Guillaume Ier (1797-1861-1888) lorsqu’il succédera à son frère aîné, mort sans enfant. Il deviendra après la défaite française de 1870 le premier empereur d’Allemagne. Clausewitz se marie avec Marie comtesse Von Brühl (1879-1836).
Le 31 décembre 1811, l’alliance franco-russe est rompue : la guerre va reprendre.
En 1812, Napoléon 1er soumet la Prusse à une alliance, c’est-à-dire à l’intégration à la politique française. Clausewitz refuse la collaboration militaire avec les Français. Il participe à la rédaction de manifestes (Bekenntnisse) rejetant cette alliance avec d’autres officiers prussiens. Il publie son enseignement au prince cadet sous le titre : Des principes de la guerre ou Principes de l’enseignement ou Théorie du combat. Il quitte en mai son pays, la Prusse, pour rejoindre l’armée impériale russe. Il est recommandé par le général et comte Neidhardt Von Gneisenau (1760-1831). En juin commence la campagne de Russie qui oppose la Grande armée de Napoléon 1er au tzar Alexandre 1er (1777-1801-1825). Clausewitz conseille au tzar le repli conformément à sa théorie de la supériorité de la défense sur l’attaque. Des 5 au 7 septembre a lieu la bataille de la Moskowa. Le 14 septembre, Napoléon 1er entre dans Moscou. Le 19 octobre, il abandonne Moscou. Commence le retrait. Clausewitz parvient à retourner les généraux prussiens notamment le corps d’armée du Général Johann David Ludwig Yorck von Wartenburg (1759-1830) contre les Français. La contre attaque russe après la prise de Moscou incendiée par l’armée française est un désastre pour l’armée de Napoléon 1er. Il est symbolisé par le passage de la Bérézina du 26 au 28 novembre. Clausewitz apparaîtra dans le roman de Léon Tolstoï (1828-1910), Guerre et paix, (1865-1869) qui porte sur la campagne de Russie.
En 1813, il devient alors officier de liaison russe auprès de l’état-major de Gebhard Leberecht Von Blücher (1742-1819) puis chef d’état-major de la légion germano-russe.
En 1814, il réintègre l’armée prussienne avec le grade de colonel. Il participe à la campagne de France qui se déroule de janvier à avril où Napoléon Bonaparte fait montre de son génie militaire contre la coalition de la Russie, de la Prusse, de l’Angleterre, de la Suède – dont l’armée est dirigée par Bernadotte, l’ancien général de Napoléon Bonaparte devenu roi de Suède –, de l’Autriche, de la Bavière et du Wurtemberg. Le 6 avril, Napoléon 1er abdique à Fontainebleau (sur cette campagne et sur Napoléon, modèle de Clausewitz, cf. René Girard, Achever Clausewitz, p.247-251. Clausewitz commente la campagne dans le livre II de son De la guerre).
Le 1er mars 1815, Napoléon revient. Il reprend le pouvoir et les hostilités reprennent. Clausewitz participe à la campagne contre la France en tant que chef d’état-major du 3ème corps d’armée de Prusse du général Von Thielmann (1765-1824). Il participe d’abord à la défaite des Prussiens commandés par Blücher à la bataille de Ligny le 16 juin. Il participe ensuite à la bataille de Wavre les 18 et 19 juin opposant les Prussiens au maréchal Grouchy. Ce dernier est vainqueur. Mais, il a été suffisamment bloqué pour ne pas pouvoir rejoindre la bataille de Waterloo qui a lieu le 18 juin, au contraire de Blücher qui, aidant Arthur Wellesley, 1ercomte puis marquis puis duc de Wellington (1769-1852), vit la défaite de Napoléon 1er dont il ne se relèvera pas. Au lendemain du congrès de Vienne (18 septembre 1814 au 9 juin 1915), au cours duquel les vainqueurs du conflit contre le premier empire français ont défini les frontières de l’Europe, Clausewitz est mécontent de son résultat. Car la France lui paraît toujours dangereuse comme le montre la correspondance avec sa femme (cf. Alexandre Adler, « Vers une nouvelle théorie de la guerre », Études, 2002/1 Tome 396, p. 9-16 ; René Girard, Achever Clausewitz, p.162-163).
En 1816, il est membre de l’ état-major du général Von Gneisenau (1760-1831) à Coblence. C’est à cette époque qu’il rédige pour lui-même quelques pages sous le titre : Des avantages et inconvénients de la milice (Landwehr) prussienne dans laquelle il analyse la situation politique impliquée par le fait d’armer le peuple (cf. Eric Weil, op. cit. p.309).
En 1818, il est promu major-général. Le 9 mai, il est nommé directeur de l’administration de l’académie militaire de Berlin, poste qu’il occupe jusqu’en 1830. Écarté de l’enseignement, il met ces années à profit pour se consacrer à l’étude et à la rédaction de son œuvre. Dans le même temps, Hegel (1770-1831) arrive à Berlin. Contrairement à ce que Lénine (1870-1924) croira et écrira dans Le krach de la II° Internationale (1915), Clausewitz semble l’avoir méconnu.
En 1819, il publie Des Avantages et inconvénients de la milice (Landwehr) prussienne.
Sur la base de son œuvre, la noblesse de sa famille est reconnue par un patent royal de Frédéric Guillaume III (1770-1790-1840) en 1827 (cf. Eric Weil, « Guerre et Politique selon Clausewitz in : Revue française de science politique, 1955, n°2). On peut citer de lui un passage d’une lettre à Friedrich Erhard Leopold Von Röder (1768-1834), un général de cavalerie prussien. Il y énonce sa grande idée :
« La guerre n’est pas un objet indépendant, mais la continuation de la politique avec des moyens changés ; c’est pourquoi pour leur majeure partie, les lignes principales de tous les grands projets stratégiques sont de nature politique… Aussi ne saurait-il être question d’une appréciation purement militaire d’un grand Tout stratégique ni d’un projet purement militaire pour un tel Tout. » cité par Eric Weil, op. cit).
La même année, il relate dans La Campagne de 1815 en France, sa participation à la défaite de Napoléon 1er durant les Cent jours.
À partir de 1829, il rédige le chapitre I du livre I de De la guerre.
Le 19 août 1830, Clausewitz est nommé inspecteur de l’artillerie à Breslau (l’actuelle Wroclaw).
En 1831, il est chef d’état-major de l’armée de Gneisenau qui réprime la révolution polonaise. Nommé suite au décès de Gneisenau par le choléra, il est cependant remplacé peu de temps après. Comme militaire, il n’a pas démontré de qualités de stratège (cf. Eric Weil, ibid.). Il meurt du choléra le 16 novembre 2 jours après Hegel terrassé par la même maladie ou par la dépression.
Œuvres.
Entre 1832 et 1837, sa femme Marie fait publier son œuvre.
Son traité majeur De la guerre (Vom Kriege) est avant tout une compilation d’écrits épars qui est publié la première fois en trois volumes de 1832 à 1834.
On trouve plusieurs éditions de cette œuvre en français.
De la guerre, traduction par le Lieutenant-Colonel De Vatry, éditée une première fois en trois tomes par la Librairie militaire Baudoin (1886), puis édition complétée et révisée par Jean-Pierre Baudet, volume relié, Champ Libre, 1989 ; éditions Ivrea, 2000.
De la guerre, traduction de Jean-Baptiste Neuens, Paris, Astrée, 2014.
De la guerre, traduction de Denise Naville, préface de Camille Rougeron et Pierre Naville, Paris, Minuit, 1955.
De la guerre, traduction de Nicolas Waquet, Éditions Rivage poche, 2006. L’ouvrage est un abrégé.
On trouve également d’autres œuvres en français :
Théorie du Combat. Enseignement militaire au prince de Prusse, Astrée, 2013.
De la révolution à la restauration. Ecrits et lettres, trad. M. L. Steinhauser, Paris, Gallimard, 1976.
Principes fondamentaux de stratégie militaire, rédigé en 1812 et destiné à la formation militaire du Prince de Prusse, traduction de Grégoire Chamayou, Paris, Mille et une nuits, 2006.
Sur la guerre et la conduite de la guerre : Éclairage stratégique de plusieurs campagnes (tomes IX et X) : Gustave Adolphe, Luxembourg, Frédéric Le Grand, La Maison du dictionnaire, Traduction de G. Reber, 2008.
La Campagne de 1796 en Italie, Librairie militaire Baudoin, Paris, 1899.
Campagne de 1799 en Italie et en Suisse, Librairie militaire Chapelot, Paris, 1906. Réédition aux éditions Champ libre en 1979.
Notes sur la Prusse dans sa grande catastrophe, traduction de A. Niessel, Paris, Champ libre, 1976.
La Campagne de 1812 en Russie, traduction de M. Bégouën, Bruxelles, Complexe, 2005
La Campagne de 1813 et la campagne de 1814, Librairie militaire Chapelot, Paris, 1900
Campagne de 1814, traduction de G. L. Duval de Fraville, Paris, Champ libre, 1972.
Campagne de 1815 en France, traduction de A. Niessel, Paris, Champ libre, 1973.
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