Sujet
Expliquer le texte suivant :
C’est la fonction de la morale de nous dire quels sont nos devoirs, ou quel est le critère qui nous permet de les reconnaître ; mais aucun système de morale n’exige que le seul motif de tous nos actes soit le sentiment du devoir : au contraire, nos actes, dans la proportion de quatre-vingt-dix-neuf sur cent, sont accomplis pour d’autres motifs, et, tout de même, sont des actes moraux si la règle du devoir ne les condamne pas. Il est particulièrement injuste de fonder sur cette singulière méprise une objection contre l’utilitarisme. Car les utilitaristes, allant plus loin que la plupart des autres moralistes, ont affirmé que le motif n’a rien à̀ voir avec la moralité de l’action quoiqu’il intéresse beaucoup la valeur de l’agent. Celui qui sauve un de ses semblables en danger de se noyer accomplit une action moralement bonne, que son motif d’action soit le devoir ou l’espoir d’être payé de sa peine ; celui qui trahit l’ami qui a placé sa confiance en lui se rend coupable d’un méfait, même s’il se propose de rendre service à̀ un autre ami envers lequel il a de plus grandes obligations qu’envers le premier.
John Stuart Mill, L’utilitarisme (1863)
Corrigé
On voit souvent des chanteurs sur le retour se livrer à des actions caritatives. Est-ce par souci moral ou bien est-ce par intérêt, pour la publicité ? Mais est-ce important ?
Qu’est-ce qui en effet, fait la moralité d’une action, c’est-à-dire sa valeur morale ? Est-ce l’intention de l’agent ou bien est-ce sa conformité à une règle ?
Tel est le problème que résout John Stuart Mill dans cet extrait de L’utilitarisme de 1863.
Le philosophe veut montrer que seule la conformité à la règle morale fait la valeur morale de l’action, peu importe au fond, l’intention de l’agent.
Il explique d’abord ce qui constitue la morale ; puis il répond à une objection adressée à la théorie morale utilitariste ; enfin, il illustre sa thèse en prenant des situations assez communes qui reposent sur le sens moral de son lecteur.
Mill commence donc par définir la morale comme théorie. Il en donne deux définitions qui lui semblent équivalentes dans la mesure où elles forment une disjonction inclusive. La première définition est qu’une théorie morale doit énoncer « quels sont nos devoirs », c’est-à-dire les obligations qui permettent de faire le bien et d’éviter le mal. La seconde est qu’elle doit nous donner « quel est le critère qui nous permet de les [devoirs] reconnaître ». Or, il est clair que si nous avons le critère des devoirs, nous les connaissons et pour les connaître, il faut savoir en quoi un devoir est bien tel, ce qui implique la connaissance du critère qui permet de les reconnaître. Les deux définitions sont donc équivalentes.
À cette définition de la morale, il semple opposer l’idée qu’une morale fasse reposer l’essentiel sur le sentiment du devoir, c’est-à-dire finalement sur l’intention de l’agent. Or, on estime bien souvent qu’une action ne peut être morale si elle est purement intéressée, bref, on fait bien entrer le sentiment du devoir dans l’appréciation de la valeur morale de l’action.
C’est justement ce que récuse l’auteur, son argument étant que pratiquement tous nos actes n’ont pas pour motifs, c’est-à-dire pour raison d’agir le sentiment du devoir. Est-ce à dire qu’ils ne sont pas moraux ? Nullement selon Mill s’ils ne sont pas contraires à la règle morale.
Or, peut-on encore qualifier de morale une action dont le motif est éloigné du sentiment du devoir, c’est-à-dire qui n’est pas faite par devoir mais pour de tout autre motif ?
Pour montrer qu’il en va bien ainsi, Mill répond donc à une objection implicite faite aux utilitaristes, c’est-à-dire à ceux qui soutiennent la théorie morale de l’utilitarisme dont il est un partisan comme semble l’indiquer le titre de son livre. Cette objection reviendrait à dire que si on agit par utilité, l’action n’est donc pas morale puisqu’elle n’est pas faite par sentiment du devoir.
Pour Mill, cette objection est une méprise, c’est-à-dire un erreur. Car les utilitaristes soutiennent justement à la différence d’autres théoriciens de la morale que l’intention de l’agent n’entre pour rien dans la qualification de la moralité de l’action, mais seulement dans la valeur de l’agent. Autrement dit, un agent est meilleur qu’un autre s’il agit par sentiment du devoir plutôt que de façon intéressée. Mais l’action est morale à la seule condition qu’elle n’aille pas à l’encontre du devoir, ce que Mill exprime en disant que la règle morale ne la condamne pas.
Reste à comprendre le sens de cette distinction. Mill introduit des exemples pour la faire comprendre.
Il prend donc une situation morale. Quelqu’un est en train de se noyer, un autre essaye de le sauver. Mill donne deux motifs possibles de l’action du sauveteur : le sentiment du devoir ou l’espoir d’une récompense. Le deuxième motif est intéressé. L’action est morale dans la mesure où Mill présuppose que son lecteur considère que c’est un devoir moral d’empêcher la mort d’autrui. L’action est bonne selon lui quel que soit le motif. en effet l’essentiel est de sauver celui qui est en danger.
Le second exemple est celui d’une action immorale malgré les bonnes intentions de l’agent. Il s’agit de trahir un ami au profit d’un autre avec qui on a de plus grandes obligations. Le motif de l’action qui entraîne l’acte peut être considéré comme lié au sentiment du devoir puisqu’il dépend des obligations qui lient l’individu à son second ami. Par contre l’acte est mauvais et Mill s’appuie sur le sentiment moral de son lecteur.
Disons donc pour finir que le problème dont traite cet extrait de L’utilitarisme de John Stuart Mill est celui de se savoir si le sentiment du devoir entre dans l’appréciation morale de l’action. L’auteur défend la doctrine utilitariste qui distingue rigoureusement entre l’action qui est morale si et seulement elle est conforme au devoir et la valeur de l’agent qui dépend de ses motifs d’action.
Le sentiment du devoir n’entre en rien dans la qualification morale de l’action, raison pour laquelle seule les conséquences des motifs, soient les actions comptent. C’est un strict conséquentialisme que défend ici Mill selon la terminologie d’Elizabeth Anscombe.
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