mardi 17 octobre 2023

corrigé du sujet : La violence est-elle dans le réel ou dans le regard ?

 Le 21 janvier 1793, Louis XVI (1754-1774-1792-1793) est guillotiné. Là où certains voient un acte de justice ou un acte nécessaire, d’autres y voient un symbole de la violence révolutionnaire. De sorte qu’on peut s’interroger. La violence est-elle dans le réel ou dans le regard ?

D’un côté, la violence, soit l’usage abusif de la force semble appartenir au réel dans la mesure où elle se constate.

D’un autre côté, du côté de la victime, la violence est vécue, donc provient de son regard sur lui-même. Cette violence dans la mesure où elle dépend de normes paraît relever du regard du sujet ou d’une culture.

Dès lors la violence est-elle dans le réel où le regard la découvre ou bien est-elle constituée par le regard et alors comment ? La violence est comme constat dans le réel et non dans le regard du sujet ou de la culture. La violence est dans un regard qui observe le réel en tant qu’évaluation. La violence vient du regard des sujets désirant et s’inscrit ainsi dans le réel.

 

La violence est un usage abusif de la force en vue de soumettre autrui à notre volonté ou notre désir de sorte que le constat de l’abus ne peut apparemment venir que du regard. Mais, elle est un fait aussi, sinon le regard ne serait que relatif et l’homme serait la mesure de sa réalité selon le mot de Protagoras que cite Platon dans le Théétète (152a). Ainsi la violence est dans le réel en tant que fait pour qu’elle puisse être dévoilée par le regard. Par exemple Médée tue ses enfants et cette violence ne provient pas du regard du chœur. Ce fait, comment se manifeste-t-il ?

Sur le modèle de la distinction d’Aristote entre les mouvements naturels et les mouvements violents on peut dire que la violence va à l’encontre de ce qu’est un être. La contrainte empêche l’être de réaliser ce qu’il peut. Si la physique moderne a eu raison de rejeter l’idée de mouvement violent, on peut penser la violence comme un fait. Ainsi, l’élevage industriel exerce bien une violence contre les animaux comme le soutiennent Theodor Adorno et Max Horkheimer (cf. Adorno, Horkheimer, La dialectique de la raison. Fragments philosophiques, tr. fr. par E. Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974), d’où leur mot : « chaque animal fait penser à un désastre effroyable qui aurait eu lieu dans des temps immémoriaux » (p.270).

Ainsi la violence est-elle dans le réel, même s’il faut le regard pour qu’elle se montre. Il n’est pas nécessaire pour qu’elle soit mais uniquement pour le découvrir. Ainsi lorsque dans l’Ajax de Sophocle, les Grecs découvrent le charnier des animaux morts et de ceux qui les gardaient, ils ne doutent pas de la violence qui s’est déchaîné et les témoins et les traces découvrent au regard d’Ulysse l’auteur. Le héros est caché par Athéna pour ne pas subir la même violence. De même Ajax fouette les bête dont il croit qu’elles sont des Grecs qu’il a capturés : la violence est bien dans le réel. Quel lien donc entre violence, réel et regard ?

La violence est dans la force qui nuit ou exerce la contrainte, elle est dans le réel. Le regard la constate ou en dévoile la source. C’est à la déesse dans Ajax de découvrir que la folie meurtrière d’Ajax résidait dans son ressentiment de ne pas avoir eu les armes d’Achille. Ainsi, la violence d’une coutume peut se montrer au regard moral, comme les sacrifices humains des Aztèques. De même que la violence des colonisateurs espagnols que Montaigne (1533-1592) dénonçait dans ses Essais (2ème édition 1588), était aussi réelle que les pratiques cannibales qu’ils dénigraient chez les Tupunamba. Dévaloriser les violences des autres pour masquer les siennes ne modifie pas le réel, mais montre un regard imbu du préjugé ethnocentrique.

 

Néanmoins, si la violence apparaît dans le réel et est découverte par le regard, ne peut-on pas soutenir que le regard est un élément essentiel dans la mesure où la violence est intrinsèquement l’objet d’une évaluation ?

 

 

En effet, l’abus de force ne se montre pas immédiatement, c’est une évaluation qui détermine l’abus. Soit un viol par exemple ; c’est bien l’évaluation qui le qualifie de violence, l’évaluation du juge, mais d’abord, celle du sujet qui la subit qui a le sentiment de la contrainte qui s’exerce contre son désir. Force est de constater que longtemps la notion de viol conjugal a été niée. Ce qui montre que c’est le regard social qui constitue la violence. Dans son récit de sa captivité chez les Tupinamba, Hans Staden (1525-1579), indique que les prisonniers de guerre restaient libres de leur mouvement jusqu’au moment où ils allaient être tués pour être mangés. Certains faisaient même des enfants pendant leur captivité, enfants eux-aussi tués et mangés. Ils ne s’enfuyaient pas, signe d’une acceptation de leur sort. Le repas cannibale n’apparaît alors violent qu’aux yeux de l’occidental et de sa culture. De même, Margaret Mead (1901-1978) dans Mœurs et sexualité en Océanie(1963) voit dans la culture des Mundugumor une violence qu’eux ne voyaient pas, considérant normales leurs actions. Comment le regard peut-il constituer la violence ?

Elle est un abus de force. Ainsi, la violence n’a de réalité que par rapport à une norme car un abus n’a de réalité que par rapport à une évaluation reposant sur une norme de même qu’un excès de fièvre n’a de sens que par rapport à une fièvre normale. Et la norme est une exigence qui se situe dans le regard d’un sujet. Il peut être celui du membre d’une culture. En admettant avec Kant (1724-1804) que la morale est universelle et réside dans la loi selon laquelle il faut agir s’il est possible de faire de sa maxime le principe d’une législation universelle (cf. Critique de la raison pratique, 1788), la violence est dans le regard du sujet moral en tant qu’il juge qu’il y a eu contrainte illégitime contre un autre. Ainsi l’esclavage est une violence pour le regard du sujet moral dans la mesure où une loi qui commanderait de réduire tout autre homme à l’esclavage est absurde. Kant avait raison de condamner l’esclavage des noirs dans les îles produisant du sucre dans son essai Vers la paix perpétuelle (1796). Est-ce à dire que la violence n’est que relative ?

Subjectif désigne ici le mode d’être du regard. En effet, sans sujet, il n’y a pas de regard possible, mais ce regard dans la mesure où il est normatif constitue les actes violents du réel. Si chaque culture admet certains actes que d’autres jugent violents, Le regard du sujet moral quant à lui dépasse la limitation culturelle. Ainsi, c’est le sujet moral qui juge violent le traitement des femmes en Afghanistan par les Talibans qui leur interdisent la scolarité, le travail, les promenades dans des jardins publics, et un vêtement en public, la burqa qui leur fait voir le monde derrière une grille. Et tout homme ne peut que juger violent le meurtre de ses enfants et avant cela de son frère par Médée, le personnage éponyme de la pièce d’Euripide (480-406 av. J.-C.). ainsi le regard fait la réalité de la violence pour le sujet individuel ou moral.

 

Toutefois, si le regard constitue la réalité de la violence, ne faut-il pas qu’il en soit la source même ?

 

 

On peut avec René Girard ( 1923-2015) considérer que la violence provient du désir. En effet, ce dernier selon lui n’est pas désir d’un objet mais désir d’un objet qu’un autre désire (cf. Mensonge romantique et vérité romanesque, 1962), autre qui est alors un rival. C’est donc le regard désirant qui est la source de la violence. En effet, la violence résulte de la constitution par le regard désirant du rival qu’on veut éliminer. C’est lui qui l’inscrit dans le réel. Comment se manifeste-t-il ?

Il prend la forme d’une rivalité contagieuse et qui menace la société tout entière. Elle conduit au combat dont Goya (1746-1828) a donné une illustration dans son tableau Duel au gourdin (1819-1823) où les deux combattants se détruisent mutuellement peut-être en s’enfonçant dans des marécages selon la lecture de Michel Serres (1930-1919) dans Le contrat naturel (1990) La violence sociale la détourne alors sur un bouc-émissaire (qui dans le judaïsme est un bouc chargé des péchés qui est envoyé dans le désert selon le Lévitique, 16). Ainsi, le regard social se tourne vers un être chargé de tous les maux et sur qui s’abat la violence. Tel est le cas d’Œdipe selon René Girard. S’il est accusé des pires transgressions, parricide et inceste, c’est pour justifier son sacrifice. Il y a donc une universalité du mécanisme de la violence qui provient du regard désirant selon l’analyse de René Girard dans La violence et le sacré (1972).

3. ainsi , le regard rend possible la violence et la fait advenir dans le réel. C’est lui qui la constitue non pas en l’évaluant mais en faisant d’un autre un rival ou un bouc-émissaire. C’est la rivalité d’Ajax et d’Ulysse dans la pièce de Sophocle (495-406av. J.-C.) pour l’obtention des armes d’Ulysse qui déchaîne la violence du premier frustré de ne pas avoir été choisi par les Atrides. Et si cette violence s’exerce sur des animaux, elle dévoile selon René Girard dans La violence et le sacré le fait que l’animal sacrifié est un substitut d’humain.

 

En un mot, le problème était de savoir la violence est dans le réel où le regard la découvre ou bien si elle est constituée par le regard et dans ce cas comment. Si la violence semble s’inscrire dans le réel comme abus d’un sujet sur d’autres sujets, voire sur des êtres vivants, elle est toujours l’objet d’une évaluation, c’est-à-dire du regard d’un sujet. En fin de compte, c’est le regard qui constitue le rival ou le bouc-émissaire qui rend possible la violence et la fait apparaître dans le réel.

Dès, lors, comment serait-il possible d’empêcher son déploiement ?

 

 

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