Un tsunami qui dévaste tout sur son passage ou un lycaon qui dévorent les viscères de sa proie encore vivante, une foule lynchant un noir prétendument coupable du viol d’une blanche, de tels faits ne sont-ils pas des manifestations de la violence naturelle.
Elle consisterait en un déchaînement d’une force naturelle au sens où elle n’est pas le produit de la culture mais est un automatisme qui naît de lui-même sans intervention de l’homme (cf. Hannah Arendt [1906-1975], La condition de l’homme moderne, 1958, chapitre IV) que ce soit hors de lui ou en lui.
On parlera de violence en tant que la force détruit un étant, soit ce qui est, qui serait sans cela.
Cependant, la violence n’est-elle pas toujours culturelle, soit comme vision d’une culture sur la nature ou en tant qu’elle est la mise en forme de l’agressivité humaine.
On peut penser l’existence d’une violence naturelle, et contester son anthropomorphisme pour en dévoiler l’origine humaine.
La nature peut être pensée comme ayant une violence qui est dislocation. En effet, lorsqu’un animal carnivore en dévore un autre, il le disloque, c’est-à-dire lui ôte son unité. De même une catastrophe naturelle détruit un certain équilibre qui constitue la nature d’un milieu dans lequel des vivants peuvent réaliser leur vie, et cette impuissance est une violence pour eux. Y a-t-il des êtres violents naturellement ?
L’animal prédateur est violent par nature. En effet, il détruit les autres vivants et même le darwinien orthodoxe pour qui ce sont les plus aptes qui survivent ne peut rester insensible au spectacle d’une jeune antilope que des hyènes dépècent même s’il conçoit que ses lointains ancêtres les homo habilis ont pu ensuite racler les restes de viande avec leurs outils, les galets aménagés. L’homme est-il habité par la violence naturelle ?
3. L’homme est violent à l’état de nature selon Hobbes (Léviathan, chapitre 13, 1651), c’est-à-dire que dans la situation fictive ou réelle où il n’y a pas de pouvoir politique. La raison en est trois passions qui le meuvent, la peur, l’appétit de jouissance et le besoin de reconnaissance. La peur ne m’éloigne pas des autres car la raison comme calcul des conséquences, conduit à ce que la peur me fait me défier des autres et donc je vais les attaquer et ainsi des autres. D’où le bellum omnium contra omnes. L’appétit de jouissance fait que désirant les mêmes choses que l’autre, il est mon ennemi. Hobbes précède René Girard. Le besoin de reconnaissance – et Hobbes anticipe Hegel – impliquant le refus de ma vie animale est la source de la volonté de tuer. On peut dire qu’il s’agit des causes de guerre ou violences entre États comme celle entre les individus.
Néanmoins, la violence, entendue comme dislocation d’un étant par un autre, si elle semble avoir des causes naturelles et une réalité naturelle, repose sur une intention et en ce sens, elle est plutôt humaine de sorte que l’idée de violence naturelle semble plutôt être anthropomorphique.
La violence naturelle comme violence de la nature est anthropomorphique. En effet, les expressions dont on use comme « la vengeance de la nature, etc. le montrent et impliquent de la considérer comme une déesse, ce que Descartes dans son Traité posthume du Monde contestait à juste titre. La nature, c’est seulement la matière en tant qu’elle est régie par des lois qui expriment des régularités. Le mouvement des plaques tectoniques expliquent les tremblements de Terre sans qu’il soit besoin d’attribuer une intention vengeresse à une entité nommée Nature qui se comporterait comme une divinité du polythéisme.
De même, l’animal n’est pas violent, il suit ses instincts. Les buffles qui tuent des lions sont tout aussi peu violents que ceux qui les mangent. Les seconds sont carnivores et chasseurs, en partie par apprentissage tandis que les premiers se défendent avec leurs moyens. La violence est plutôt humaine et se sert d’instruments comme Hannah Arendt le soutient dans « Sur la violence » (repris dans un volume d’essais dont le titre en français est Du mensonge à la violence, 1972). Elle implique l’intention de soumettre à sa volonté. Ainsi c’est par anthropomorphisme que les griffes ou les dents nous paraissent des armes.
L’amour-propre, source de la violence, est un produit social selon Rousseau de sorte que la violence n’est pas naturelle en l’homme. Contre Hobbes, il distingue dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) l’amour de soi qui nous porte à nous conserver et l’amour propre qui nous porte à faire plus de cas de nous que de tout autre. Ce sentiment naît en société de sorte que la violence n’est pas naturelle mais est éminemment culturelle. La violence repose sur l’intention de faire passer son intérêt avant celui des autres qu’on peut aller jusqu’à détruire pour se satisfaire. Margaret Mead (1901-1978) a ainsi comparé les doux Arapesh élevés pour l’être aux féroces Mundugumor qui sont violents, hommes comme femmes dans Mœurs et sexualité en Océanie (1935).
Toutefois, que la violence soit culturelle plutôt que naturelle n’interdit pas de penser qu’elle a sa source en l’homme, et que c’est en cela qu’elle est naturelle, elle découlerait de la nature humaine.
La violence de la nature provient de la violence de l’homme ou de sa culture. La violence de la nature trouve sa source en l’homme. Un tsunami ou un tremblement de terre n’est violent que parce que les hommes se placent dans une situation pour les subir. Soit comme au Japon, ils oublient pour le profit les phénomènes naturels, tsunami est un mot japonais, et la centrale nucléaire de Fukushima a été construite sur un site où les anciens japonais avaient marqués les passages de tsunami précédant. Est-ce à dire que la violence de la nature n’existe que pour l’homme qui la rend possible.
L’animal n’est pas qu’instincts, c’est-à-dire de comportements innés, automatiques et spécifiques, il y a de l’intention aussi en lui. Aussi a-t-on remarqué avec Lorenz que les combats pour la domination chez les animaux sociaux autres que l’homme sont souvent ritualisés de sorte que les animaux ne se font pas mal. Ainsi chez les loups, le vainqueur est celui qui fait tomber l’autre. Il lui pose ensuite les dents sur la carotide mais ne le tue pas. le loup n’a pas la cruauté de la fable ou que lui attribue implicitement Plaute dans sa formule de La comédie de ânes, « homo homini lupus ». Chez les chimpanzés, il en va autrement car ils sont capables d’agression concertée, et mangent parfois d’autres singes, voire se livrent à des guerres (cf. Jacques Ruffié [1921-2004], Le sexe et la mort,1986). Il faut donc leur prêter une attitude intentionnelle et une certaine violence. Peut-être est-elle plus générale dans le monde animal. D’où provient alors la violence ?
Le désir humain en tant qu’il est mimétique implique une violence naturelle et le désir existe aussi dans le monde animal. En effet, comme René Girard le montre dans La violence et le sacré, l’homme sait quel objet il doit désirer par le désir de l’autre pour cet objet. Il a ainsi un rival et ceci dans toutes les cultures. Il en découle la violence pour s’emparer du bien convoité. Elle n’est rien d’autre que la tentative d’obtenir par la force un bien en usant de la force contre le désir ou la volonté de l’autre. Et la société dévie vers une victime émissaire sa violence pour être, de sorte que cette violence est toujours présente. Ainsi dans la tragédie de Sophocle (495-406 av. J.-C.) Ajax (vers 445 av. J.-C.), le héros aurait aimé avoir les armes d’Achille qu’Ulysse a eues. Il va donc se venger en attaquant les Grecs pour les massacrer. Mais il ne massacrera que le bétail qu’ils avaient capturé et les gardes égaré par Athéna. La tragédie montre donc que l’animal est un substitut de la victime émissaire humaine.
En un mot, le problème était de savoir si la violence naturelle est possible ou si elle n’est qu’un point de vue anthropomorphique. Elle est apparue possible comme dislocation des étants par la nature ou chez les animaux, voire chez l’homme. Cependant, c’est la culture qui fait la possibilité de la violence comme comportement humain et représentation de la nature, culture qui trouve dans le désir humain sa source. Ainsi la violence naturelle est rendue possible par le désir humain, y compris la violence de la nature qui résulte des actions humaines.
On peut alors se demander si l’absence de violence est possible.
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