Introduction.
On reproche parfois aux hommes d’être
inhumains mais il n’y a rien de tel pour les espèces animales. Un chien, un
chat, un bonobo ou une fourmi sont ce qu’ils sont. N’est-ce pas que l’homme a à
se faire lui-même, c’est-à-dire qu’il est essentiellement un être de
culture ?
Or, la culture, c’est-à-dire l’ensemble
de ce que l’homme acquiert et transmet, est ambivalente. Elle semble nécessaire
pour faire l’homme qui paraît dépourvu d’instincts qui dirigeraient sa conduite.
Cependant, elle paraît également le dénaturer. La grande diversité des cultures
amène ainsi à se poser la question de savoir si certaines, comme celles des
cannibales, ne font pas des monstres plutôt que des hommes.
Y a-t-il des conditions qui rendent la
culture nécessaire à l’homme ? Peut-on considérer qu’il y a des cultures
supérieures à d’autres, voire que la culture existe ?
I. Les cultures et l’ethnocentrisme.
Les hommes vivent en société. Aussi loin
qu’on remonte dans la préhistoire, on trouve des traces de vie sociale. Mais
surtout les sociétés humaines sont d’une grande diversité. Elle est due à la
culture. Il faut entendre par là tout ce qui est acquis et transmis par le
langage et l’exemple. Sans technique,
l’homme ne peut préparer ses aliments ni les objets qui lui permettent de se
les procurer. Le confort requiert encore plus la technique. La division des rôles implique des échanges et donc des règles qui
varient d’une société à l’autre. Sans art,
il lui manque la possibilité de s’exprimer, voire d’accéder à la beauté. La
culture comprend des croyances
qui permettent d’organiser la vie sociale ou encore des lois instituées, voire
une justice qui prend la forme
du tribunal.
On peut appeler ethnocentrisme la
tendance à considérer que les autres sont des barbares. Comme Montaigne (cf. Essais, I, 31, Les cannibales) l’a
montré, ce point de vue est celui de chaque culture. En ce sens, il n’est pas
possible de critiquer une autre culture puisqu’on utilise les termes de sa propre
culture. Montaigne affirme que le peuple cannibale découvert au Brésil au XVI° est
sauvage au sens où il est plus prêt de la nature que les Européens. Il considère
même que la culture européenne est plus sauvage que celle des cannibales dans
la mesure où ses réalisations plus nombreuses la rendent plus artificielles.
On voit donc que l’ethnocentrisme peut
se renverser. Or, la difficulté qu’on peut relever dans la critique par
Montaigne de la supériorité des Européens auxquels il appartient c’est qu’il
rejette à la fois l’idée qu’une culture soit supérieure mais il fait aussi l’éloge
de la culture des Amérindiens tout en blâmant la sienne. N’y a-t-il pas alors une
nature de l’homme qui explique pourquoi il a nécessairement une culture ?
II. Nature de l’homme et culture.
On peut concevoir l’homme abstraction
faite de la culture. C’est seulement un animal, mais il présente deux
caractères essentiels comme Rousseau l’a mis en lumière dans son Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes : la liberté et surtout la
perfectibilité. Les hommes peuvent nier leur nature biologique à la différence
des animaux qui, même s’ils apprennent quelque peu, le font dans le cadre d’instincts
qui dirigent leur existence. En cela, ils paraissent libres. Et surtout les
hommes possèdent la perfectibilité, qui leur permet de développer toutes leurs
facultés. Or, pour qu’elles se développent, les hommes doivent vivre en
société. C’est en ce sens que la culture leur est nécessaire.
Or, souvent la culture, loin de
permettre à l’homme de se réaliser, le conduit bien plutôt à être inhumain. De
libre il se fait esclave. Il se montre cruel vis-à-vis des autres hommes, voire
des animaux. Si les hommes doivent véritablement s’humaniser, cela doit être
sur d’autres bases que celles des cultures qui existent.
Reste que si on enlève toute culture, il
ne reste rien qu’un pur animal, et encore. Dès lors, à quelle condition l’homme
peut-il véritablement devenir homme ? Ne faut-il pas qu’il s’éduque
lui-même ? Comment est-ce possible ?
III. La culture comme éducation.
L’homme ne peut être homme que par la
culture, entendue au sens de l’éducation. Ce qui l’exige, c’est l’absence d’instincts qui
gouverneraient sa conduite. Cette éducation comprend les soins dus à l’enfant
beaucoup plus longs que chez les animaux. Elle comprend aussi la discipline,
purement négative, par laquelle l’homme apprend à ne pas suivre en tout ses
penchants animaux. Elle comprend enfin l’instruction par laquelle il apprend à
connaître et à faire. C’est elle qui assure notamment l’acquisition des
techniques, mais aussi du savoir ou de l’art, voire de la religion. C’est donc
seulement par l’éducation que l’homme peut apprendre à devenir homme. Or, l’homme
ne peut être éduqué par un homme qui lui-même doit être éduqué. Il faudrait
donc que l’éducateur de l’homme soit un être parfait pour qu’il soit
parfaitement éduqué. La conséquence, c’est que l’éducation étant imparfaite,
désigner une culture comme meilleure pose problème.
En effet, d’un côté, on peut penser qu’une
culture est supérieure à une autre si sa discipline et son instruction sont
meilleures que celles des autres. Toutefois, comme aucune n’est vraiment la
culture, il paraît impossible de considérer une culture comme meilleure que les
autres à tous les points de vue.
Aussi, chaque culture est une expérience
d’humanité, elle permet d’apporter quelque chose à l’homme. C’est le cas en
matière de techniques, d’art, de savoir. C’est le cas aussi au niveau des
mœurs. Ce qu’une culture découvre, elle peut trouver en d’autres des modèles
possibles. Dans la mesure où une culture permet aux autres de se développer, de
créer, d’augmenter finalement les capacités humaines, surtout si elle apporte à
l’homme cette réalisation de la liberté qui le caractérise, elle peut présenter
un intérêt particulier dans qu’il soit possible d’affirmer sa supériorité en
tout.
Bilan.
La diversité des cultures est un fait qu’il
faut admettre sous peine de préjuger que sa culture est la seule. En effet, il
n’y a pas d’homme sans culture ou plutôt sans culture l’homme n’est pas vraiment
un homme. Sa nature, c’est de ne pas rester toujours identique à lui-même comme
l’animal qui répète les caractéristiques de son espèce. Cependant aucune
culture ne suffit pour en faire un homme. Il doit en effet être éduqué par lui-même,
donc il l’est de façon toujours imparfaite. Il faut donc que la culture soit
ouverte aux autres cultures et surtout qu’elle vise la liberté, pour qu’elle
puisse prétendre à une valeur pour l’homme, ce vivant singulier.
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