Sujet
David Thoreau, écrivain et philosophie américain, a développé une critique de la civilisation urbaine et industrielle. Il a aussi choisi, à un certain moment de sa vie, de se retirer au fond des bois.
Chacun doit trouver en lui-même son propre rythme, et c’est la vérité. Le jour naturel est très calme et il ne reprochera jamais à quiconque son indolence.
Mon mode de vie me fournissait du moins cet avantage sur ceux qui étaient contraints d’aller chercher ailleurs leurs distractions, dans la société et au théâtre, car ma vie elle-même était devenue ma distraction et elle ne cessait jamais de se renouveler. C’était un drame aux nombreuses scènes, et sans fin. Si vraiment nous trouvions toujours de quoi vivre et réglions sans cesse notre existence selon la dernière et meilleure façon que nous avons apprise, jamais nous ne connaîtrions l’ennui. Suivez votre génie d’assez près, il ne manquera pas de vous montrer à chaque heure une perspective inédite. Les tâches domestiques étaient un agréable passe-temps. Quand mon sol était sale, je me levais de bonne heure, j’installais tout mon mobilier dehors sur l’herbe, le lit et la literie en vrac, je jetais de l’eau sur mon plancher, j’y répandais du sable blanc venant du lac, puis je le frottais avec un balai pour le rendre propre et immaculé ; et à l’heure où les villageois prenaient leur petit-déjeuner, le soleil du matin avait suffisamment séché ma maison pour me permettre d’y réaménager, et c’est à peine si mes méditations s’en trouvaient interrompues. J’avais plaisir à voir tous mes meubles et mes objets dehors dans l’herbe, faisant un petit tas comme le ballot d’un bohémien, et ma table à trois pieds d’où je n’ôtais pas les livres, la plume et l’encrier, dressée parmi les pins et les hickories[1] .Ils semblaient heureux de prendre l’air, et presque réticents à l’idée de réintégrer leur décor initial. Parfois, j’avais envie d’installer un auvent au-dessus d’eux et de m’asseoir dessous. Cela valait vraiment la peine de voir le soleil briller sur toutes ces choses et d’entendre le vent souffler librement sur elles; nos objets les plus familiers semblent tellement plus intéressants quand ils sont dehors que dans la maison. Un oiseau est perché sur la branche toute proche, l’immortelle pousse sur la table et les ronces s’enroulent autour de ses pieds ; les pommes de pin, les bogues de châtaignes et les feuilles de fraisier jonchent l’herbe. On dirait que c’est la manière dont ces formes ont été métamorphosées en meubles, tables, chaises et lits – parce qu’ils ont été un jour parmi elles.
Henry David Thoreau, Walden ou la Vie dans les bois, 1854 - traduction de Brice Matthieussent
Première partie : interprétation philosophique
Comment Thoreau montre-t-il que l’attention aux choses sensibles suffit à remplir l’existence ?
Deuxième partie : essai littéraire
Les œuvres littéraires renouvellent-elles notre approche du quotidien ?
Corrigé de la Première partie : interprétation philosophique
Vivant seul dans les bois, Thoreau a rompu avec la civilisation urbaine. Il lui faut donc vivre hors des sollicitations de la société et trouver dans les choses naturelles ou artificielles qu’il utilise de quoi remplir sa vie. Or, ces choses sont sensibles au sens où elles sont accessibles aux sens et à l’activité du corps humain.
Comment Thoreau, dans cet extrait de Walden ou la vie dans les bois de 1854, montre-t-il que l’attention aux choses sensibles suffit à remplir l’existence de celui qui rompt avec la société moderne ?
Dans un premier temps, Thoreau au début de cet extrait propose une règle de vie, ce qui présuppose qu’elle est souhaitable mais non suivie. Cette règle est que chacun doit trouver dans sa propre vie son rythme, c’est-à-dire un mouvement relativement régulier avec une certaine répétition, dont la musique donne l’exemple le meilleur.
Ce que cette règle que Thoreau énonce comme vérité doit permettre à chacun de trouver en soi de quoi se distraire. il s’oppose ainsi à la vie urbaine qui amène les individus à chercher à se distraire en société ou au théâtre. En société, c’est-à-dire dans la relation avec les autres. Au théâtre, c’est-à-dire dans le spectacle d’une action comique ou tragique, voire le deux. Dans les deux cas l’individu cherche à l’extérieur de soi de quoi l’occuper et le détourner de lui-même. Thoreau oppose aux distractions de la civilisation urbaine, la possibilité de se distraire avec soi-même avec sa propre vie qui présente des drames, c’est-à-dire des actions de nature théâtrale. Or, se distraire avec soi, ce n’est pas se détourner de soi, mais au contraire se retrouver avec soi. Aussi Thoreau en vient-il à conseiller de régler son existence sur ce qu’on a découvert. Il en vient à conseiller de suivre son génie, ce terme désigne une entité qui accompagne l’individu chez les Romains et qui en est comme le double, autrement dit, le génie de chacun est lui-même. C’est en suivant sa propre inspiration qu’on peut donc éviter l’ennui, c’est-à-dire une vie où rien n’attire l’intérêt, où le vide prédomine. Ces règles ne permettent pas de savoir quelle est la présence des choses sensibles.
Comment interviennent-elles dans cette existence qui se satisfait d’elle-même ?
Thoreau prend un exemple assez paradoxal. Il s’agit du plaisir qu’il prend à faire le ménage, tâche pénible habituellement, tâche qui engage le corps et donc la sensibilité. Lorsqu’il doit laver son sol, il se lève tôt, ce qui indique un changement de rythme de vie. Son procédé consiste à tout sortir et à laver avec des produits simples, eau et sable, faciles d’accès. Lorsqu’il a fini, il est plongé encore dans ses méditations, des réflexions solitaires qui accompagnent sa tâche alors que ses voisins prennent leur petit déjeuner. Alors il contemple ses meubles dehors. Ce spectacle visuel suffit à l’occuper. Ils sont tous mêlés sauf sa table où se trouvent de quoi écrire montrant ainsi la dimension sensible du travail de l’écrivain et son importance pour lui.
Ses meubles se trouvent dans le spectacle de la nature et leur importance se montre en ce qu’il les personnifie. Ainsi trouve-t-il bien en lui un spectacle dans l’activité la plus humble. Au milieu des arbres, ses meubles reçoivent la lumière et la chaleur du soleil et sont touchés par le souffle du vent , autres aspects sensibles. Situés à l’extérieur, les objets deviennent intéressants : ils font spectacle. Après la vue et le toucher, c’est l’ouïe qui est sollicité par le chant d’un oiseau aperçu. Et la nature semble enlacer les meubles d’autant plus que Thoreau note qu’ils en proviennent.
Bref, pour permettre de faire de son existence le spectacle qui permet de se distraire de soi, Thoreau montre comment l’activité la plus ordinaire et la contemplation des réalités ordinaires et naturelles peuvent donner un spectacle réjouissant de sorte que l’attention aux choses sensibles permet de remplir l’existence en rompant avec une vie urbaine aliénante.
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