mercredi 14 juin 2023

Corrigé du sujet: Manquer de volonté

 Manquer de volonté : c’est ce qu’on dit de celui qui a un certain but mais ne fait rien pour le réaliser. C’est surtout ce qui se dit de celui qui ne fait pas ce qu’il doit faire. Manquer, c’est ne pas avoir ou ne pas avoir assez. Or, il paraît étrange de parler de manque pour la volonté qui ne paraît pas une quantité.

Comment donc manquer de volonté est possible ? Le manque de volonté ne serait-il pas une forme de mauvaise foi ? Ou bien ne serait-il pas une impuissance dû au désir ou une volonté coupable ? Ou plutôt ne serait-il pas le choix du contraire du devoir ?

 

 

On manque de volonté lorsqu’on cède à son désir comme Phèdre le personnage éponyme de la pièce (1677) de Racine (1639-1699) qui avait résisté à son amour coupable pour Hyppolite jusqu’à ce qu’elle profite de la mort supposée de son mari pour l’avouer à son beau-fils. On peut dire que son désir ou sa passion a triomphé de sa volonté. Elle-même invoque conformément à la tradition une malédiction des dieux, comme si une force extérieure agissait sur la volonté.

Vouloir, c’est se décider pour une certaine action qu’on estime bonne. Or, le désir quant à lui vise le plaisir. Aussi le sujet peut être tiraillé entre le désir et la volonté et le désir peut surmonter la volonté. Telle est l’explication habituelle du manque de volonté. Or, c’est la volonté qui suit le désir. Ainsi la nourrice dans la Phèdre de Sénèque (1-65) critique-t-elle l’explication par une intervention extérieure : « faire de l’amour un dieu, c’est une passion honteuse et favorable au vice qui l’a imaginé » (Deum esse amorem turpis et uitio fauens/finxit libido) (Sénèque, Phèdre, 195-203),. Autrement dit, c’est la passion qui imagine l’explication qui justifie. Aussi fait-elle remarquer qu’une passion commençante peut toujours être combattue à sa naissance et que sa force future dépend d’une adhésion de la volonté. Dès lors dire qu’on manque de volonté, c’est être de mauvaise foi. Comment est-ce possible ?

3. Soutenir que le désir annihile notre volonté, c’est se chosifier alors qu’un être qui veut est conscience. Telle est la possibilité de la mauvaise foi selon Sartre (1905-1980) dans L’être et le néant (1943). Il insiste d’ailleurs sur l’idée que la passion comme torrent dévastateur est une excuse de mauvaise foi, on choisit sa passion (cf. L’existentialisme est un humanisme, 1946, Folio essais, p.40).

 

Cependant, soutenir que manquer de volonté recouvrirait une attitude de mauvaise foi se heurte à la force du désir dont chacun peut faire l’expérience. D’où pourrait donc venir cette impuissance ?

 

 

« video Meliora proboque deteriora sequor » (je vois le bien, je l’approuve et je fais le mal fait dire Ovide (43-17av. J.-C.) à Médée, lorsqu’elle trahit son pays pour Jason qu’elle aime dans les Métamorphoses (livre VII). Ovide reprend un thème qu’on trouve dans la Médée d’Euripide (480-406 av. J.-C.) : « je mesure le mal que je vais faire, la passion est plus forte que mes intentions » (« καὶ μανθάνω μέν οἷα δρᾶν μέλλω κακά, / θυμὸı δὲ κρείσσων τῶν ἐμω§ν βουλευμάτων »v.1078-79) C’est le désir, si fort qui fait la motivation de la volonté dont on peut dire avec Spinoza (1632-1677) dans l’Éthique (posthume 1677), qu’elle n’est pas intrinsèquement différente du désir. Or, on peut considérer qu’il est plus ou moins grand comme on en fait souvent l’expérience. Lorsque le désir nous pousse vers une certaine fin et que nous apercevons une autre fin qui nous paraît préférable, alors nous manquons de volonté pour la fin que nous ne réalisons pas.

Il faut donc renoncer à l’idée de décision libre ou de libre arbitre qu’on accorde à la volonté ou conclure avec Augustin, voire Luther que notre libre arbitre n’est plus à notre disposition. En effet, nous ne manquons de volonté que pour faire le bien, jamais pour faire le mal. Ainsi Augustin raconte-t-il dans les Confessions (livre II) comment il participa à un vol de poires non parce qu’elles étaient bonnes mais pour la transgression. Cette répétition du péché originel montre l’inclination de l’homme pour le mal, son manque de volonté pour le bien. Martin Luther (1483-1546) parlait de serf arbitre (1637) dans sa polémique contre Érasme (1466-1536), voulant montrer que sans Dieu l’homme ne peut rien, ni avoir la foi et ni se tourner vers le bien. 

Il faut donc penser que le désir humain est profondément corrompu comme le soutient saint Augustin (354-430) dans la Cité de Dieu ( 426) (livre XIV) qui écrit que la faiblesse de la volonté vient de ce que l’homme n’ayant pas « voulu ce qu’il pouvait, il ne peut plus ce qu’il veut (…) (Cité de Dieu, XIV, XV, 2). Le créateur a ainsi puni l’homme de sa désobéissance en faisant qu’en lui le désir désobéisse à la volonté ou que la volonté manque d’elle-même. Le manque de volonté s’explique par le péché même si le péché est folie, autrement dit inexplicable pour la raison comme le soutient Pascal dans les Pensées (Lafuma 695).

 

Néanmoins, l’explication du manque de volonté par la corruption de la volonté, revient à enlever toute responsabilité au sujet, et semble conduire à revenir à la mauvaise foi. Comment la volonté peut d’elle-même être en manque d’elle-même ?

 

 

Or, vouloir ne se divise pas, c’est un acte qui résulte d’un choix. Et la volonté implique une action correspondante. Ainsi, je veux vraiment ce que je fais. Par conséquent si je manque de volonté pour une action, c’est parce que j’en choisis une autre. Le manque de volonté est volontaire. Ainsi, si les hommes n’osent pas penser dit Kant dans son article Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ? ( 1784), c’est qu’ils restent volontiers mineurs, sous la tutelle d’hommes qui les dominent par paresse et lâcheté. Ils manquent de volonté pour exercer leur raison et ont peur de le faire.

En réalité, le choix qui s’offrent à la volonté, c’est celui du devoir ou de la passion au sens large d’un désir dominant et qui fixe un but. Aussi selon Kant dans la Critique de la raison pratique (1788), l’homme est libre lorsqu’il fait son devoir dans la mesure où il domine ses désirs. Inversement le choix du désir contre le devoir est soumission. Il consiste non à vouloir le mal mais à s’excepter de la loi morale. Le menteur ne veut pas que tous mentent ou le tueur que tous tuent, il veut s’excepter de l’universalité de la loi morale. Telle est la formule du mal selon Kant dans La religion dans les limites de la simple raison (1792).

Ainsi le manque de volonté est un choix de la volonté, choix du mal, c’est-à-dire choix de s’excepter de son devoir. On ne manque jamais de volonté lorsqu’on veut ce qu’on ne doit pas vouloir. Le manque de volonté est le choix d’une action contraire à son devoir, qu’il soit moral ou social et ne témoigne nullement d’une volonté faible ou corrompue ; la faiblesse ou la corruption de la volonté est son propre fait.

 

 

En un mot, le problème était de savoir comment manquer de volonté est possible. Il est apparu que la mauvaise foi semblait la source de l’idée d’un manque de volonté, en tant qu’on explique la volonté par une force extérieure. Or, si désir et volonté ne sont pas essentiellement différents, l’impuissance de la volonté s’entend d’une volonté ou d’un désir moindre : manquer de volonté est bien une quantité moindre de volonté dont la source est une impuissance due à la corruption de l’homme. Mais, finalement, cette corruption doit être attribuée à la volonté actuelle de l’homme et non d’une volonté corrompue à l’origine. Manquer de volonté, c’est la volonté qui se manque à elle-même.

Resterait à savoir comment on peut reprendre sa volonté.

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