Art.
204. De la gloire.
Ce que j’appelle ici du nom de
gloire est une espèce de joie fondée sur l’amour qu’on a pour soi-même, et qui
vient de l’opinion ou de l’espérance qu’on a d’être loué par quelques autres. Ainsi
elle est différente de la satisfaction intérieure qui vient de l’opinion qu’on
a d’avoir fait quelque bonne action. Car on est quelquefois loué pour des
choses qu’on ne croit point être bonnes, et blâmé́ pour celles qu’on croit être
meilleures. Mais elles sont l’une et l’autre des espèces de l’estime qu’on fait
de soi-même, aussi bien que des espèces de joie. Car c’est un sujet pour
s’estimer que de voir qu’on est estimé par les autres.
Art.
205. De la honte.
La honte, au contraire, est une espèce
de tristesse fondée aussi sur l’amour de soi-même, et qui vient de l’opinion ou
de la crainte qu’on a d’être blâmé́. Elle est, outre cela, une espèce de
modestie ou d’humilité́ et défiance de soi-même. Car, lorsqu’on s’estime si
fort qu’on ne se peut imaginer d’être méprisé́ par personne, on ne peut pas aisément
être honteux.
Art.
206. De l’usage de ces deux passions.
Or la gloire et la honte ont même
usage en ce qu’elles (483) nous incitent à la vertu, l’une par l’espérance,
l’autre par la crainte. Il est seulement besoin d’instruire son jugement
touchant ce qui est véritablement digne de blâme ou de louange, afin de n’être
pas honteux de bien faire, et ne tirer point de vanité́ de ses vices, ainsi
qu’il arrive à plusieurs. Mais il n’est pas bon de se dépouiller entièrement
de ces passions, ainsi que faisaient autrefois les cyniques. Car, encore que le
peuple juge très mal, toutefois, à cause que nous ne pouvons vivre sans lui,
et qu’il nous importe d’en être estimés, nous devons souvent suivre ses
opinions plutôt que les nôtres, touchant l’extérieur de nos actions.
Descartes, Les passions de l’âme (1649), AT, XI, 482-483.
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