Sujet
Je vois, par exemple, que 2 fois 2 font 4, et qu’il faut préférer son ami à son chien, et je suis certain qu’il n’y a point d’homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or, je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu’il y ait une raison universelle qui m’éclaire et tout ce qu’il y a d’intelligence. Car si la raison que je consulte n’était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison universelle. Je dis quand nous rentrons en nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu’un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu’elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent.
Malebranche, La recherche de la vérité, 1674.
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.
Questions
1. Dégagez l’idée principale du texte et les différentes étapes de l’argumentation.
2. « 2 fois 2 font 4 » et « il faut préférer son ami à son chien » : qu’est-ce qui permet, d’après Malebranche, d’affirmer que ce sont des vérités ?
3. Définissez et distinguez les sens du terme « raison » dans les expressions « la raison que nous consultons » et « il a ses raisons ».
4. Peut-on accepter la formule « À chacun sa vérité » ?
Corrigé
Qu’est-ce qui nous assure de l’universalité de ce que nous pensons, c’est-à-dire finalement de la vérité ? Malebranche, dans ce texte extrait de La recherche de la véritéde 1674, soutient que c’est la raison universelle lorsque nous la consultons en nous qui garantit la vérité de ce que nous pensons.
Or, comme il est impossible de sortir de son propre esprit pour savoir si ce qu’on affirme est conforme à la réalité, ne faut-il pas plutôt soutenir « À chacun sa vérité » ?
Malebranche commence par donner des exemples de vérités. Le premier exemple « 2 fois 2 font 4 » provient des mathématiques, le second « il faut préférer son ami à son chien » du domaine moral. Ce qui importe c’est qu’en admettant de telles vérités, je les attribue à tout autre homme.
Or, Malebranche fait remarquer que ces vérités, je ne puis les voir dans l’esprit de quelqu’un d’autre. Quant aux autres, ils ne peuvent non plus les voir dans mon esprit. Dès lors, ne sont-ce pas plutôt des vérités propres à chacun ? Que nous soyons d’accord ou non avec les autres, ne faut-il pas soutenir « À chacun savérité » ?
Malebranche n’en tire pas cette conséquence. Il admet que les vérités que notre raison nous découvre, elle les voit bien, non dans la raison des autres, mais dans une raison universelle. Que ce soit l’exemple de vérité mathématique « 2 fois 2 font 4 » ou l’exemple de vérité morale « il faut préférer son ami à son chien », les deux exigent que nous rentrions en nous pour consulter la raison universelle. C’est donc elle qui fonde toutes les vérités.
Malebranche explique que cette raison doit être la même quelle que soit la culture. C’est pourquoi il prend comme exemple les Chinois, culture éloignée, surtout au XVII° siècle, de la culture européenne. La vérité doit être la même quelle que soit la culture. L’auteur en déduit que la raison doit être universelle.
Est-ce à dire que tout ce que nous considérons comme vrai l’est ?
La condition pour que ce que nous pensions soit vrai est selon Malebranche que nous rentrions en nous-mêmes. C’est dire que la raison universelle est ce qu’il y a de plus intime en nous. Mais qu’entendre par rentrer en nous-mêmes ?
Il faut comprendre par là qu’on examine ce qui se présente comme vrai. Autrement dit, on cherche à déterminer si ce qu’on pense est valable universellement ou non. Si on reprend les exemples de Malebranche, c’est à la condition de réfléchir qu’on fera correctement une multiplication ou qu’on traitera tout autrement un humain qu’un animal. La raison que nous consultons a donc pour caractère l’universalité.
Il faut également comprendre qu’on ne se laissera pas éblouir par les apparences ou le premier mouvement. Dès lors, la vérité apparaît bien comme un absolu. Qu’est-ce qui empêche de la reconnaître ? Et pourquoi les hommes agissent et pensent comme si chacun avait sa vérité ?
Malebranche oppose à la réflexion qui se tourne vers l’intériorité, voire l’intimité de l’homme, la passion qui l’égare. Un homme passionné suit également une raison, entendue non pas comme la faculté de la vérité qui est en tout homme mais comme ce qui fait agir ou penser quelqu’un en particulier.
Il l’illustre par un exemple moral. L’homme passionné préfère son cheval à son cocher. C’est l’inverse du premier exemple qui impliquait une préférence pour l’humain plutôt que l’animal. C’est donc un homme riche qui a un domestique mais qui inverse la priorité morale de l’humain sur l’animal. Ce renversement est dû à sa passion pour les chevaux. Dire « il a ses raisons », c’est dire qu’il a des motifs d’agir.
Or, la raison qui le pousse n’est pas universelle, c’est-à-dire valable partout et pour tous : elle est particulière, c’est-à-dire valable localement pour certains. Et c’est pour cela que cette raison n’est pas raisonnable. Il faut donc comprendre que l’universalité est le critère du raisonnable. Comment pourrait-on penser que tout homme doit préférer son cheval à son cocher ? Le cocher lui-même ne pourrait le penser. Quant à celui qui préfère son cheval à son cocher, il ne voudrait pas qu’on préfère son cheval à lui-même.
Si donc cet homme ne s’en rend pas compte, c’est qu’il ne rentre pas en lui-même. Il est en quelque sorte hors de lui-même dans sa passion. Il ne consulte pas la raison universelle qui est en lui. C’est pourquoi Malebranche explique que ses raisons ne sont pas raisonnables. L’explication est qu’elles ne sont pas conformes à la raison universelle que nous pouvons consulter en nous-mêmes.
Aussi lorsqu’un homme suit des raisons particulières, ses raisons sont différentes de celles des autres parce qu’elles expriment sa passion, qui toujours le concerne lui et personne d’autres. La formule « à chacun sa vérité » n’a de sens que pour ses raisons particulières. Mais justement, niant l’universalité de la raison, elle ramène finalement l’homme au même rang que l’animal incapable de raisonner, c’est-à-dire de s’élever à l’universel. C’est dire que soutenir « à chacun sa vérité » est finalement absurde.
Disons pour finir que Malebranche dans ce texte montre que c’est à la condition de consulter la raison universelle qui est en nous qu’il est possible d’accéder à la vérité absolue. C’est pourquoi la formule « à chacun sa vérité » qui exprime les raisons particulières de chacun n’est pas acceptable car elle empêche la recherche de la vérité en laquelle seuls les hommes peuvent s’accorder et se réaliser en tant qu’homme.
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RépondreSupprimercavani
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pouvez vous m'aider avec ce texte à répondre à mes question ?
RépondreSupprimer1- " quelle différence y a t-il entre voir que 2fois2 font 4 et voir qu'il faut préférer son ami à son chien ?
2-En quel sens ici faut-il comprendre ici le verbe voir ?
3- Expliquez
" je ne vois point ces vérités dans l'esprit des autres, comme les autres ne le voient point dans le mien"
" Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables"