Sujet.
Résumez le texte suivant en 100 mots (plus ou moins 10%). Vous indiquerez les sous totaux de 20 en 20 (20, 40, …) par un trait vertical et par le chiffre correspondant dans la marge. Vous indiquerez obligatoirement votre total exact à la fin de votre résumé.
Or, parmi les exigences idéales de la société civilisée, il en est une qui peut, ici, nous mettre sur la voie. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »[1], nous dit-elle. Célèbre dans le monde entier, cette maxime est plus vieille à coup sûr que le christianisme, qui s’en est pourtant emparé comme du décret dont il avait lieu de s’estimer le plus fier. Mais elle n’est certainement pas très ancienne. À des époques déjà historiques, elle était encore étrangère aux hommes. Mais adoptons à son égard une attitude naïve comme si nous l’entendions pour la première fois ; nous ne pouvons alors nous défendre d’un sentiment de surprise devant son étrangeté. Pourquoi serait-ce là notre devoir ? Quel secours y trouverions-nous ? Et surtout, comment arriver à̀ l’accomplir ? Comment cela nous serait-il possible ? Mon amour est à mon regard chose infiniment précieuse que je n’ai pas le droit de gaspiller sans en rendre compte. Il m’impose des devoirs que je dois pouvoir m’acquitter au prix de sacrifices. Si j’aime un autre être, il doit le mériter à un titre quelconque. (J’écarte ici deux relations qui n’entrent pas en ligne de compte dans l’amour pour son prochain : l’une fondée sur les services qu’il peut me rendre, l’autre sur son importance possible en tant qu’objet sexuel.) Il mérite mon amour lorsque par des aspects importants il me ressemble à tel point que je puisse en lui m’aimer moi-même. Il le mérite s’il est tellement plus parfait que moi qu’il m’offre la possibilité d’aimer en lui mon propre idéal ; je dois l’aimer s’il est le fils de mon ami, car la douleur d’un ami, s’il arrivait malheur à son fils, serait aussi la mienne ; je devrais la partager. En revanche, s’il m’est inconnu, s’il ne m’attire par aucune qualité personnelle et n’a encore joué aucun rôle dans ma vie affective, il m’est bien difficile d’avoir pour lui de l’affection. Ce faisant, je commettrais même une injustice, car tous les miens apprécient mon amour pour eux comme une préférence ; il serait injuste à leur égard d’accorder à un étranger la même faveur. Or, s’il doit partager les tendres sentiments que j’éprouve sensément pour l’univers tout entier, et cela uniquement parce que tel l’insecte, le ver de terre ou la couleuvre, il vit sur cette terre, j’ai grand-peur que seule une part infime d’amour émane de mon cœur vers lui, et à coup sûr de ne pouvoir lui en accorder autant que la raison m’autorise à̀ en retenir pour moi-même. À quoi bon cette entrée en scène si solennelle d’un précepte que, raisonnablement, on ne saurait conseiller à personne de suivre ?
En y regardant de plus près, j’aperçois plus de difficultés encore. Non seulement cet étranger n’est en général pas digne d’amour, mais, pour être sincère, je dois reconnaître qu’il a plus souvent droit à mon hostilité et même à ma haine. Il ne paraît pas avoir pour moi la moindre affection ; il ne me témoigne pas le moindre égard. Quand cela lui est utile, il n’hésite pas à̀ me nuire ; il ne se demande même pas si l’importance de son profit correspond à la grandeur du tort qu’il me cause. Pis encore : même sans profit, pourvu qu’il y trouve un plaisir quelconque, il ne se fait aucun scrupule de me railler, de m’offenser, de me calomnier, ne fût-ce que pour se prévaloir de la puissance dont il dispose contre moi. Et je peux m’attendre à ce comportement vis-à-vis de moi d’autant plus sûrement qu’il se sent plus sûr de lui et me considère comme plus faible et sans défense. S’il se comporte autrement, s’il a pour moi, sans me connaître, du respect et des ménagements, je suis alors tout prêt à lui rendre la pareille sans l’intervention d’aucun précepte. Certes, si ce sublime commandement était ainsi formulé : « Aime ton prochain comme il t’aime lui-même », je n’aurais alors rien à̀ redire. Mais il est un second commandement qui me paraît plus inconcevable et déchaîne en moi une révolte plus vive encore. « Aime tes ennemis »[2], nous dit-il. Mais, à la réflexion, j’ai tort de le récuser ainsi comme impliquant une prétention encore plus inadmissible que le premier. Au fond, il revient au même. (…)
Il est maintenant très vraisemblable, si on lui enjoint de m’aimer comme lui-même, que mon prochain réponde exactement comme moi et me répudie pour les mêmes raisons. Aurait-il à cela le même droit, ses motifs seront-ils aussi objectifs que les miens ? J’espère que non ; mais, même dans ce cas, il tiendra un raisonnement identique au mien.
Freud, Malaise dans la civilisation, 1929.
Corrigé.
1. Analyse du texte.
Freud se propose d’analyser la maxime qui invite à aimer son prochain comme soi-même pour arriver à résoudre un problème dont il n’est pas question dans l’extrait.
Il précise d’abord son insertion historique. Elle est selon lui plus ancienne que son usage par le christianisme mais plus récente que la période historique.
Puis il passe à une analyse critique du point de vue de celui qui la découvrirait pour la première fois. Pour ce faire il pose deux séries de questions : l’une sur le caractère de devoir de la maxime, l’autre sur la possibilité de réaliser ce qu’elle exige.
Freud analyse alors l’amour en posant d’abord qu’il s’agit de quelque chose qui a une valeur et qu’il ne faut pas gaspiller. Il écarte de l’amour du prochain la recherche de l’intérêt ou de la satisfaction sexuelle. Il en déduit un devoir pour ses proches dans la mesure où, soit ils nous sont semblables, soit ils représentent un idéal. L’amour exclut les étrangers, la raison qu’avance Freud est qu’il y aurait gaspillage, voire amour infime. Dans le cas des étrangers, il s’agirait même d’une injustice dans la mesure où l’amour implique des préférences. Freud en tire comme conséquence l’interrogation suivante : comment comprendre l’apparition d’un précepte qui paraît déraisonnable ?
Freud propose deux autres difficultés qui tendent à montrer que le précepte n’est pas valide. D’une part, l’étranger soutient-il mérite plutôt mon hostilité parce qu’il me nuit lorsqu’il en a l’utilité. D’autre part, l’étranger le fait souvent pour le simple plaisir en manifestant ainsi sa puissance vis-à-vis de moi. Freud remarque alors que le respect doit être réciproque. Il reformule le précepte en ce sens.
Il critique alors un autre commandement, celui qui invite à aimer ses ennemis. Il reconnaît finalement qu’il revient au premier.
Enfin, Freud se plaçant du point de vue du prochain, fait remarquer qu’il raisonnera de la même manière même s’il espère ne pas être, quant à lui, le sujet des mêmes critiques.
Remarques :
(1) Les époques déjà historiques se distinguent des époques préhistoriques. La distinction entre les deux peut se comprendre selon deux critères. L’écriture d’une part qui fonde vraiment l’histoire, la préhistoire se rapprochant plutôt de l’archéologie. Ce critère concerne la connaissance. L’État d’autre part qui fonde l’histoire objectivement. L’État n’est pas impossible sans écriture. Par contre l’écriture paraît apparaître lorsqu’il y a État.
(2) Le précepte qui incite à aimer ses ennemis est plutôt chrétien. On peut se demander s’il revient vraiment au commandement qui incite à aimer son prochain dans la mesure où le prochain peut se distinguer de l’ennemi. Dans le sermon sur la Montagne qui contient le message de Jésus de Nazareth (Évangile selon Matthieu, 5 à 7), le précepte d’aimer ses ennemis est explicitement mis en opposition avec le précepte d’aimer son prochain comme l’indique le passage suivant :
« 43. Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi.
44. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,
45. afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.
46. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains aussi n’agissent-ils pas de même ?
47. Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens aussi n’agissent-ils pas de même ?
48. Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »La Bible, nouveau testament, Évangile selon Matthieu, 5.
(3) L’interrogation de Freud reste entière concernant l’apparition d’un précepte déraisonnable.
2. Proposition de résumé.
Le précepte que se sont approprié les chrétiens, d’aimer son prochain comme soi-même, paraît étrange à qui le [20] regarde naïvement. Est-ce un devoir ? Peut-on le réaliser ? L’amour, valeur limitée, est donc un devoir pour ceux [40] que j’aime, qui me ressemblent ou forment mon idéal. Ainsi exclut-il les étrangers. Comment l’exiger universellement ? Pire : [60] qui me nuit par intérêt mérite ma haine, ou s’il le fait par plaisir. Le respect exige donc la [80] réciprocité. Commander d’aimer ses ennemis serait absurde s’il ne s’agissait du même commandement. L’autre peut raisonner [100] comme moi, espérons-le sans être objectif.
107 mots.
[1]On trouve cette maxime dans le Lévitique, 19, 18b, le troisième livre de la Torahet de l’Ancien Testament.
[2]« Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pourceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux (…) » Bible, Nouveau testament, Matthieu, 5, 43-45 (notes de Bégnana : ne pas en tenir compte dans le résumé).
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