jeudi 30 janvier 2025

corrigé d'une explication de texte de Leibniz sur la rationalité de la création divine

 Sujet 

Expliquer le texte suivant :

Les vérités de la raison sont de deux sortes : les unes sont ce qu'on appelle les vérités éternelles, qui sont absolument nécessaires, en sorte que l'opposé implique contradiction ; et telles sont les vérités dont la nécessité est logique, métaphysique et géométrique, qu'on ne saurait nier sans pouvoir être mené à des absurdités. Il y en a d'autres qu'on peut appeler positives parce que ce sont les lois qu'il a plu à Dieu de donner à la nature, ou parce qu'elles en dépendent. Nous les apprenons, ou par expérience, c'est-à-dire  a posteriori ou par la raison et a priori, c'est-à-dire par des considérations de convenance qui les ont fait choisir. Cette convenance a aussi ses règles et ses raisons ; mais c'est le choix libre de Dieu, et non pas une nécessité géométrique, qui fait préférer le convenable et le porte à l'existence. Ainsi, on peut dire que la nécessité physique est fondée sur une nécessité morale, c'est-à-dire sur le choix du sage digne de sagesse ; et que l'une aussi bien que l'autre doit être distinguée de la nécessité géométrique. Cette nécessité physique est ce qui fait l'ordre de la nature, et consiste dans les règles du mouvement et dans quelques autres lois générales qu'il a plu à Dieu de donner aux choses en leur donnant l'être. Il est donc vrai que ce n'est pas sans raison que Dieu les a données ; car il ne choisit rien par caprice et comme au sort ou par une indifférence toute pure ; mais les raisons générales du bien et de l'ordre qui l'y ont porté peuvent dans quelques cas par des raisons plus grandes d'un ordre supérieur.

LeibnizEssais de Théodicée, 1710, Garnier-Flammarion, 1969, p. 51.

 

Corrigé

 

Si ce monde dans lequel nous vivons et que nous essayons de connaître a une rationalité, est-ce le fruit d’un certain arbitraire ou bien a-t-il une dimension morale ?

Tel est le problème dont traite Leibniz (1646-1716) dans cet extrait de ses Essais de Théodicée paru en 1710 au soir de sa vie.

Le philosophe veut montrer que le monde est fait par un Dieu créateur et morale sur la base de considérations de bien et d’ordre et non d’une nécessité absolue.

Après avoir distingué les vérités absolument nécessaires des vérités positives, Leibniz montre comment on les connaît, d’où il déduit que les secondes sont fondées sur une nécessité morale différentes de la nécessité absolue.

 

 

Le texte débute par la thèse selon laquelle la raison a affaire à deux types de vérités. Les premières énoncées sont les vérités éternelles, terme qui désigne ce qui est hors du temps et existe sans succession, sans avant et après, ce qui peut être le cas de l’immortel. Éternel est un des noms de Dieu et sa caractéristique dans les religions abrahamiques notamment dans le christianisme. Comment donc comprendre la relation entre les vérités que Leibniz définit comme éternelles et Dieu.

Lui-même doit être conçu comme une vérité éternelle. Or, elle se définissent ce dont la contradictoire implique contradiction et est donc impossible. Le possible c’est donc le non contradictoire de sorte que Dieu étant possible, la négation de son existence est contradictoire : son existence est donc une vérité éternelle de la métaphysique selon cette démonstration qu’on trouve dans le Discours de métaphysique (1686, §23).

De même, le principe de non contradiction ou les syllogismes valides sont des vérités éternelles de la logique ou la commutativité de l’addition des entiers naturels (a+ b = b + a où a et b sont des entiers naturels) ou le théorème de Pythagore sont des vérités éternelles des mathématiques. On reconnaît les vérités éternelles à ce que leur négation est absurde pour la raison et non parce qu’elles s’opposent à l’expérience. Toujours est-il qu’en tant que vérités éternelles, l’expérience ne peut que s’y conformer. C’est ainsi qu’il est impossible que ce qui est ne soit pas en même temps.

 

En effet, les vérités éternelles ne concernent que la raison et se distinguent des vérités positives qui sont définies par Leibniz comme celles que Dieu a choisies d’établir pour le monde. Comment sont-elles connues ?

 

 

Selon lui de deux façons : premièrement par l’expérience ou a posteriori. En ce sens, la gravitation serait une vérité positive, même si Leibniz ne l’a jamais admise, reprochant à Newton (1642-1727) et à ses disciples d’introduire une action à distance qui lui paraissait absurde comme le montre sa correspondance avec le théologien et ami de Newton Samuel Clarke (1675-1729) – preuve qu’il est difficile d’établir a priori les vérités éternelles. Il n’admet pas la force d’attraction mais une force toujours interne, notamment la force vive ; la quantité de la force est constante pour lui et c’est une loi de la nature. On doit comprendre que l’expérience permet de connaître les vérités positives qui ne sont pas absolument nécessaires donc qui sont contingentes, c’est-à-dire qu’elles auraient pu être autrement. C’est en ce sens que Leibniz a rejeté une prétendue loi cartésienne que le philosophe français prenait pour une vérité éternelle, celle de la conservation de la quantité du mouvement. De même qu’il rejette l’idée cartésienne que Dieu crée les vérités éternelles par sa libre volonté selon ce que Descartes soutient dans une lettre à Mersenne du 15 avril 1630 : « les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C’est en effet parler de Dieu comme d’un Jupiter ou Saturne, et l’assujettir au Styx et aux destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d’assurer et de publier partout, que c’est Dieu qui a établi ces lois en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume », thèse qu’il réitère dans les lettres du 6 et 27 mai 1630. Dieu, première vérité éternelle, crée par un acte libre les vérités éternelles qui auraient pu être autre, mais il ne les change pas, sans quoi elles ne seraient pas éternelles. Selon Descartes, elles ne sont donc pas absolument nécessaires et ne se distinguent pas des vérités positives de la physique.

 

Pour Leibniz, les vérités positives peuvent être connues aussi par la raison en prenant en compte la convenance. Qu’entendre par là ?

 

 

La convenance est ce qui fait que Dieu choisit certaines lois et non d’autres. Ce qui présupposent qu’ils en pensent plusieurs différentes pour différents mondes possibles dont le seul monde réel provient. Un monde sera conforme aux vérités nécessaires qui permettent d’en penser plusieurs possibles. Et la convenance permettra à Dieu de choisir le monde qu’il crée. Leibniz s’oppose donc à l’idée que le monde réel découle lui-même de la nécessité. Autrement dit, il n’est pas le résultat nécessaire de la vérité éternelle qui est Dieu, ce qui est la thèse de Spinoza (1632-1677) dans l’Éthique (posthume 1677) qui écrivait « Il n'est rien donné de contingent dans la nature, mais tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet d'une certaine manière. (première partie, proposition XXIX » ou encore « Les choses n'ont pu être produites par Dieu d'aucune manière autre et dans aucun ordre autre, que de la manière et dans l'ordre où elles ont été produites. (première partie, proposition 33) » Autrement dit, il n’y a aucune différence entre Dieu et la Nature, d’où la formule stoïcienne reprise par Spinoza « Deus sive natura » (Éthique, quatrième partie, préface). Leibniz quant à lui par sa distinction entre les lois de la nature et les vérités éternelles, préserve la transcendance de Dieu et la possibilité de la création du monde, dogme du christianisme.

 

Si donc le monde a des lois qui auraient pu être autre, sont-elles nécessaires et si oui en quel sens ?

 

 

Leibniz va préciser le statut des lois de la nature à n’entendre que comme génitif objectif pour ne pas être dans la perspective spinoziste qui écarte le Dieu des religions abrahamiques (judaïsme, christianisme et islam). Elles sont choisies par Dieu pour des raisons de convenance, c’est-à-dire pour le bien. Créées par Dieu, les lois de la nature sont nécessaires. Elles le sont en ce sens qu’elles reposent sur une nécessité morale. Il faut comprendre par là que Dieu choisit librement ce qui est bon mais ne peut choisir que ce qui est bon. Cela reste un choix quoique nécessaire, à la différence de la nécessité géométrique qui exclut le choix.

Leibniz écarte le caprice, soit la décision impulsive tout comme la pure indifférence, c’est-à-dire ce qui est un choix sans raison qui incline à faire quelque chose. Dieu est un être moral et donc le monde est le meilleur possible. Il écarte ainsi certaines représentations de la liberté pour ne garder qu’un choix moral et nécessaire pour cela. Il préserve ainsi l’idée de création qui implique le passage du néant à l’être, soit la création ex nihilo.

Enfin, si Dieu crée les lois de la nature qui sont ainsi nécessaires, il peut se faire que les considérations morales l’amènent à y déroger. Leibniz ménage une place pour les miracles niés par Spinoza pour qui, tout ce qui découle de Dieu est nécessaire et suit des lois immuables comme on le comprend à la lecture de son Traité théologico-politique (1670, anonyme) qui lui a fait sa réputation d’athée. Leibniz quant à lui trouve une métaphysique tout à fait conforme aux dogmes religieux.

 

 

En un mot, il s’agissait de savoir si le monde est arbitraire ou sensé. Dans cet extrait de ses Essais de théodicée, Leibniz distingue les vérités éternelles qui s’imposent à Dieu des lois de la nature qu’il crée librement par moralité. Ainsi, le monde est le meilleur possible et la religion se montre conforme à la raison.

Reste à savoir si cela suffit pour résoudre le problème de l’existence du mal dans un monde créé par un Dieu bon.

 

 

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