jeudi 3 décembre 2015

Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 13

Texte.
Art. 13. Que cette action des objets de dehors peut conduire diversement les esprits dans les muscles.
Et j’ai expliqué en la Dioptrique comment tous les objets de la vue ne se communiquent à nous que par cela seul qu’ils meuvent localement, par l’entremise des corps transparents qui sont entre eux et nous, les petits filets des nerfs optiques qui sont au fond de nos yeux, et ensuite les endroits du cerveau d’où viennent ces nerfs ; qu’ils les meuvent, dis-je, en autant de diverses façons qu’ils nous font voir de diversités dans les choses, et que ce ne sont pas immédiatement les mouvements qui se font en l’œil, mais ceux qui se font dans le cerveau, qui représentent à l’âme ces objets. À l’exemple de quoi il est aisé de concevoir que les sons, les odeurs, les saveurs, la chaleur, la douleur, la faim, la soif, et généralement tous les objets, tant de nos autres sens extérieurs que de nos appétits intérieurs, excitent aussi quelque mouvement en nos nerfs, qui passe par leur moyen jusqu’au cerveau. Et outre que ces divers mouvements du cerveau font avoir à notre âme divers sentiments, ils peuvent aussi faire sans elle que les esprits prennent leur cours vers certains muscles plutôt que vers d’autres, et ainsi qu’ils meuvent nos membres. Ce que je prouverai seulement ici par un exemple. Si quelqu’un avance promptement (339) sa main contre nos yeux, comme pour nous frapper, quoique nous sachions qu’il est notre ami, qu’il ne fait cela que par jeu et qu’il se gardera bien de nous faire aucun mal, nous avons toutefois de la peine à nous empêcher de les fermer ; ce qui montre que ce n’est point par l’entremise de notre âme qu’ils se ferment puisque c’est contre notre volonté, laquelle est sa seule ou du moins sa principale action, mais que c’est à cause que la machine de notre corps est tellement composée que le mouvement de cette main vers nos yeux excite un autre mouvement en notre cerveau, qui conduit les esprits animaux dans les muscles qui font abaisser les paupières.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
L’objet de l’article est de continuer à mettre en lumière la diversification des mouvements.
Comment l’action des objets extérieurs produit une diversité d’effets sur les esprits animaux ? À cette question Descartes répond ici en ajoutant que les objets sont vus grâce aux mouvements qui, des nerfs, traversent les corps transparents, et, touchant les nerfs optiques, se transmettent au cerveau d’où part la communication à l’âme. Il paraît difficile de comprendre pourquoi la perception se ferait à partir du cerveau plutôt qu’à partir de l’objet lui-même.
L’analyse de la perception visuelle sert de modèle pour rendre compte des perceptions des autres sens, de la sensation de chaleur, des sentiments comme la douleur, ainsi que des appétits intérieurs comme la faim et la soif.
Les mouvements ainsi pensés permettent deux actions différentes. Premièrement, l’âme peut avoir des représentations des objets ou des sentiments ou affects – ce que Descartes nomme des sentiments, terme qui marque le caractère passif et en même temps affectif des états mentaux. Deuxièmement, le corps peut se mouvoir sans l’âme dans une action en retour qu’on se gardera d’identifier avec des réflexes (cf. Canguilhem, La formation du concept de réflexe au XVII° et au XVIII° siècle, 1955). Pour le prouver Descartes prend l’exemple de ce que nous considérons comme un réflexe, le réflexe palpébral. Il décrit le phénomène à partir du mouvement de la main d’un ami dont on connaît les intentions amicales. Le mouvement des paupières est difficile à réprimer remarque-t-il. Ce qui montre que l’âme n’a rien à y voir, c’est que ce mouvement se fait contre la volonté : il est donc involontaire, purement mécanique, il ne présuppose aucune âme.
Il s’agit donc pour Descartes de montrer comment un phénomène qu’on peut qualifier de vital se résout en pures mouvements mécaniques. D’où la référence à « la machine de notre corps ». Descartes précise le mécanisme qui va de la main aux yeux, puis au cerveau avec retour vers les paupières par l’intermédiaire des esprits animaux.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire