dimanche 13 décembre 2015

Sénèque : un exemple de tyran, Caligula

1. Caligula (1), parmi tous les vices qui abondaient en lui, avait une merveilleuse aptitude aux sarcasmes, comme l’éprouvaient tous ceux qui donnaient prise à quelque stigmate, bien qu’il fût lui-même un ample sujet de moquerie. C’était cette pâleur caractéristique de sa folie, et si repoussante ; c’étaient ces yeux disparaissant presque sous un front de vieille, et si affreusement louches ; c’était cette tête chauve, que des cheveux d’emprunt semés par places rendaient si difforme, et puis cette nuque hérissée d’une soie rude, ces jambes grêles, ces pieds énormes. Je ne finirais pas si je voulais citer tous les mots méprisants qui lui échappèrent contre les auteurs de ses jours, contre ses aïeux, contre tous les ordres de l’État : rapportons seulement ceux qui lui furent mortels. 2. Asiaticus Valérius, son ami, honoré des premières entrées, était un homme peu traitable, à peine capable de souffrir une offense même faite à autrui. C’est à ce Valérius qu’en plein banquet, autant dire en assemblée publique, Caligula, d’une voix haute et claire, osa dépeindre comment se comportait sa femme dans les bras d’un homme. Justes dieux ! un mari entendre ces choses, le prince les savoir, et pousser l’impudeur jusqu’à raconter je ne dis pas au consulaire, à l’ami, mais, lui empereur, à l’époux la honte de l’épouse et les dégoûts de son corrupteur ! 3. Chéréa, tribun militaire, avait une voix qui ne répondait pas à son courage et dont les sons peu mâles et cassés pouvaient faire suspecter ses mœurs. Lorsqu’il demandait le mot d’ordre, le prince lui donnait tantôt Vénus, tantôt Priape, accusant ce guerrier d’infâmes complaisances dans des termes toujours nouveaux ; quand lui était en robe transparente, en sandales (2), chamarré d’or ! Chéréa fut contraint de recourir au glaive pour se soustraire à de pareils mots d’ordre. Le premier d’entre les conjurés il leva le bras sur l’empereur ; il lui fendit d’un seul coup la tête ; puis mille autres épées vinrent de toutes parts achever de venger les injures des citoyens et de la patrie. Mais le premier qui fut homme alors, c’est celui qui l’avait paru le moins.
4. Ce Caligula ne voyait en tout que des offenses, aussi incapable de les souffrir qu’avide de les faire. Il s’emporta contre Hérennius Macer, qui l’avait salué du nom de Caïus (3) ; et un centurion primipilaire eut à se repentir de l’avoir appelé Caligula (4). On sait que, né dans les camps, il n’était familièrement désigné par le soldat que sous ce nom-là et sous celui d’enfant des légions ; mais Caligula lui parut une satire et un outrage dès qu’il eut chaussé le cothurne impérial.
Sénèque, De la constance du sage, XVIII.

(1) 12-37-41, 3ème empereur romain.
(2) Comprendre, avec des chaussures de femmes.
(3) Caius était son nom de famille alors que son pouvoir exigeait qu’il fût appeler César.
(4) Diminutif de caliga, la chaussure du simple légionnaire. Il a vécu enfant sur le front germanique dans des camps de soldats avec son père, Germanicus (15 av. J.-C-19 ap. J-C.).


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