mercredi 10 février 2016

Le monde des passions - sujet d'un résumé de texte de Chateaubriand

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S’il existait une religion qui s’occupât sans cesse de mettre un frein aux passions de l’homme, cette religion augmenterait nécessairement le jeu des passions dans le drame et dans l’épopée ; elle serait plus favorable à la peinture des sentiments que toute institution religieuse qui, ne connaissant point des délits du cœur, n’agirait sur nous que par des scènes extérieures. Or, c’est ici le grand avantage de notre culte sur les cultes de l’antiquité : la religion chrétienne est un vent céleste qui enfle les voiles de la vertu et multiplie les orages de la conscience autour du vice.
Les bases de la morale ont changé parmi les hommes, du moins parmi les hommes chrétiens, depuis la prédication de l’Évangile. Chez les anciens, par exemple, l’humilité passait pour bassesse, et l’orgueil pour grandeur ; chez les chrétiens, au contraire, l’orgueil est le premier des vices, et l’humilité une des premières vertus. Cette seule transmutation de principes montre la nature humaine sous un jour nouveau, et nous devons découvrir dans les passions des rapports que les anciens n’y voyaient pas.
Donc pour nous la racine du mal est la vanité, et la racine du bien la charité, de sorte que les passions vicieuses sont toujours un composé d’orgueil, et les passions vertueuses un composé d’amour.
Faites l’application de ce principe, vous en reconnaîtrez la justesse.
Pourquoi les passions qui tiennent au courage sont-elles plus belles chez les modernes que chez les anciens ? Pourquoi avons-nous donné d’autres proportions à la valeur et transformé un mouvement brutal en une vertu ? C’est par le mélange de la vertu chrétienne directement opposée à ce mouvement, l’humilité. De ce mélange est née la magnanimité, ou la générosité poétique, sorte de passion (car les chevaliers l’ont poussée jusque-là) totalement inconnue des anciens. (…)
Cette chaleur que la charité répand dans les passions vertueuses leur donne un caractère divin. Chez les hommes de l’antiquité l’avenir des sentiments ne passait pas le tombeau, où il venait faire naufrage. Amis, frères, époux, se quittaient aux portes de la mort, et sentaient que leur séparation était éternelle ; le comble de la félicité pour les Grecs et pour les Romains se réduisait à mêler leurs cendres ensemble : mais combien elle devait être douloureuse, une urne qui ne renfermait que des souvenirs ! Le polythéisme avait établi l’homme dans les régions du passé ; le christianisme l’a placé dans les champs de l’espérance. La jouissance des sentiments honnêtes sur la terre n’est que l’avant-goût des délices dont nous serons comblés. Le principe de nos amitiés n’est point dans ce monde : deux êtres qui s’aiment ici-bas sont seulement dans la route du ciel, où ils arriveront ensemble, si la vertu les dirige. De manière que cette forte expression des poètes : exhaler son âme dans celle de son ami, est littéralement vraie pour deux chrétiens, en se dépouillant de leur corps, ils ne font que se dégager d’un obstacle qui s’opposait à leur union intime, et leurs âmes vont se confondre dans le sein de l’Éternel.
Ne croyons pas toutefois qu’en nous découvrant les bases sur lesquelles reposent les passions le christianisme ait désenchanté la vie. Loin de flétrir l’imagination en lui faisant tout toucher et tout connaître, il a répandu le doute et les ombres sur les choses inutiles à nos fins ; supérieur en cela à cette imprudente philosophie qui cherche trop à pénétrer la nature de l’homme et à trouver le fond partout. Il ne faut pas toujours laisser tomber la sonde dans les abîmes du cœur : les vérités qu’il contient sont du nombre de celles qui demandent le demi-jour et la perspective. C’est une imprudence que d’appliquer sans cesse son jugement à la partie aimante de son être, de porter l’esprit raisonnable dans les passions. Cette curiosité conduit peu à peu à douter des choses généreuses ; elle dessèche la sensibilité et tue, pour ainsi dire, l’âme ; les mystères du cœur sont comme ceux de l’antique Égypte : le profane qui cherchait à les découvrir sans y être initié par la religion était subitement frappé de mort.

(…)
Il reste à parler d’un état de l’âme qui, ce nous semble, n’a pas encore été bien observé : c’est celui qui précède le développement des passions, lorsque nos facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l’on n’a plus d’illusions. L’imagination est riche, abondante et merveilleuse ; l’existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout.
L’amertume que cet état de l’âme répand sur la vie est incroyable ; le cœur se retourne et se replie en cent manières, pour employer des forces qu’il sent lui être inutiles. Les anciens ont peu connu cette inquiétude secrète, cette aigreur des passions étouffées qui fermentent toutes ensemble : une grande existence politique, les jeux du gymnase et du Champ-de-Mars, les affaires du Forum et de la place publique, remplissaient leurs moments et ne laissaient aucune place aux ennuis du cœur.
D’une autre part, ils n’étaient pas enclins aux exagérations, aux espérances, aux craintes sans objets, à la mobilité des idées et des sentiments, à la perpétuelle inconstance, qui n’est qu’un dégoût constant ; dispositions que nous acquérons dans la société des femmes. Les femmes, indépendamment de la passion directe qu’elles font naître chez les peuples modernes, influent encore sur les autres sentiments. Elles ont dans leur existence un certain abandon qu’elles font passer dans le nôtre ; elles rendent notre caractère d’homme moins décidé, et nos passions, amollies par le mélange des leurs, prennent à la fois quelque chose d’incertain et de tendre.
Enfin, les Grecs et les Romains, n’étendant guère leurs regards au delà de la vie et ne soupçonnant point des plaisirs plus parfaits que ceux de ce monde, n’étaient point portés comme nous aux méditations et aux désirs par le caractère de leur culte. Formée pour nos misères et pour nos besoins, la religion chrétienne nous offre sans cesse le double tableau des chagrins de la terre et des joies célestes, et par ce moyen elle fait dans le cœur une source de maux présents et d’espérances lointaines, d’où découlent d’inépuisables rêveries. Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici-bas dans une vallée de larmes et qui ne se repose qu’au tombeau. Le monde n’est point l’objet de ses vœux, car il sait que l’homme vit peu de jours, et que cet objet lui échapperait vite.
Les persécutions qu’éprouvèrent les premiers fidèles augmentèrent en eux ce dégoût des choses de la vie. L’invasion des barbares y mit le comble, et l’esprit humain en reçut une impression de tristesse et peut-être même une teinte de misanthropie qui ne s’est jamais bien effacée. De toutes parts s’élevèrent des couvents, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde et des âmes qui aimaient mieux ignorer certains sentiments de la vie que de s’exposer à les voir cruellement trahis. Mais de nos jours, quand les monastères ou la vertu qui y conduit ont manqué à ces âmes ardentes, elles se sont trouvées étrangères au milieu des hommes. Dégoûtées par leur siècle, effrayées par leur religion, elles sont restées dans le monde sans se livrer au monde : alors elles sont devenues la proie de mille chimères ; alors on a vu naître cette coupable mélancolie qui s’engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d’elles-mêmes dans un cœur solitaire.
Chateaubriand, Le génie du christianisme (1802), Deuxième Partie. Poétique du Christianisme, Livre 3. Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions, Chapitre I. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu (extrait) et Chapitre IX. Du vague des Passions
(1) Joan., Evang. ; cap. XIX, v. 26 et 27. (N.d.A.)





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