Certains
continuent à croire que les femmes qui ont leurs règles font rater la
mayonnaise tant paraissent puissants les préjugés. D’où vient donc leur
force ?
La force des
préjugés paraît être la force de l’ignorance. En effet, qui sait par définition
ne préjuge pas.
Pourtant, on
continue à préjuger malgré les progrès de la connaissance et l’augmentation des
moyens de communication, ce qui donne à penser que la force des préjugés n’est peut-être
pas seulement dans l’ignorance.
Ainsi, on peut
se demander quelle est la provenance de la force de préjugés.
Tient-elle à
leur ancienneté, aux défauts moraux des hommes ou bien à l’exigence même de
chercher la vérité ?
Les hommes ne peuvent pas réfléchir sans
base. Aussi sont-ils nécessairement amenés à préjuger. Déjà les enfants se
voient inculquer des préjugés pour qu’ils agissent bien en attendant qu’ils
puissent réfléchir. Dans toutes les sociétés, on leur apprend ce qui est bien
et mal. L’adulte répète donc souvent ce qu’on lui a appris. L’ancienneté fait la
force du préjugé.
On peut alors avec Taine (1823-1890) dans
Les origines de la France contemporaine
(1875-1893) dire que le préjugé provient d’une longue expérience qui est une
sorte de raison inconsciente d’elle-même. Il permet de vivre dans une société
donnée. Sans lui, l’homme ne serait qu’un animal. C’est pour cela que le
préjugé a une telle force.
Cependant, quelle que soit l’ancienneté
d’une expérience, une expérience opposée est susceptible de remettre en cause
un préjugé. Par conséquent, sa force n’est pas seulement dans la tradition
comme le prouvent les révolutions politiques ou intellectuelles. Dès lors, la
force des préjugés ne provient-elles pas des défauts moraux des hommes ?
On peut penser que comme le préjugé
consiste à juger avant d’avoir examiné, c’est-à-dire sans savoir, il apparaît
comme un effet de la paresse. Telle une des causes des préjugés selon Kant dans
son article Réponse à la question :
qu’est-ce que les Lumières ? Le philosophe explique que c’est
l’absence de courage qui conduit des hommes, majeurs d’un point de vue naturel,
à ne pas penser par eux-mêmes et à s’en remettre à d’autres qu’ils paient à cet
effet.
De même, préjuger implique de ne pas
penser par soi-même par peur, c’est-à-dire par lâcheté. On peut donc avec Kant
considérer que la force des préjugés tient à une éducation qui brime la volonté
de penser par soi-même. Ils nomment tuteurs ceux qui ont intérêt à traiter les
autres hommes comme du bétail et à qui ils inculquent des préjugés pour pouvoir
exercer sur eux un pouvoir despotique.
Or, s’il suffisait de penser par
soi-même pour écarter tous les préjugés, le développement de la recherche
scientifique, la liberté de penser dans de nombreux pays, l’augmentation des
moyens de communication auraient dû faire disparaître la plupart des préjugés.
Ne doit-on pas alors penser que la force des préjugés provient, paradoxalement,
de l’exigence même de la recherche de la vérité ?
En effet, comme Alain dans son ouvrage Définitions (1953 posthume) le souligne,
la vérité implique un serment à soi, à savoir celui de la conserver. En effet,
la vérité est une et toujours la même. Par conséquent, qui pense détenir une
vérité ne peut vouloir s’en dessaisir. Et si cette vérité, il l’a reçue, il
considérera qu’il est coupable de s’en dessaisir au profit d’une autre, voire
simplement du doute. Le préjugé, c’est ce qu’on juge avant de savoir, mais
c’est surtout, ce qu’on tient pour vrai. La force du préjugé vient donc d’une
idée vraie concernant la vérité elle-même.
Certes, celui qui préjuge est ignorant.
Certes, le préjugé est bien souvent ancien. Mais justement, comme la vérité ne
peut qu’être antérieure à son énoncé, le préjugé acquiert ainsi sur la base
d’une idée juste mais mal appliquée une force supplémentaire. Car, comme il a
toujours été répété, comme nombreux sont ceux qui le répètent, il paraît être
la vérité même. Et cette apparence lui donne sa force.
Disons donc pour finir que le problème
était de déterminer ce qui faisait la force des préjugés, c’est-à-dire ce qui
faisait qu’ils demeuraient malgré la preuve de leur fausseté ou tout au moins
de leur manque de fondement. Il est apparu que leur ancienneté fait leur force,
mais aussi la paresse et la lâcheté de la plupart des hommes qui n’osent pas
penser. Mais en fait les préjugés trouvent l’essentiel de leur force qui
renforce les autres raisons dans l’exigence juste que la vérité doit être
conservée.
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