Texte.
Art.
15. Quelles sont les causes de leur
diversité.
Et
cette inégalité peut procéder des diverses matières dont ils sont composés,
comme on voit en ceux qui ont bu beaucoup de vin que les vapeurs de ce vin,
entrant promptement dans le sang, montent du cœur au cerveau, où elles se convertissent
en esprits qui, étant plus forts et plus abondants que ceux qui y sont
d’ordinaire, sont capables de mouvoir le corps en plusieurs étranges façons.
Cette inégalité des esprits peut aussi procéder des diverses dispositions du
cœur, du foie, de l’estomac, de la rate et de toutes les autres parties qui
contribuent à leur production. Car il faut principalement ici remarquer
certains petits nerfs insérés dans la base du cœur qui servent à élargir et
étrécir les entrées de ces concavités, au moyen de quoi le sang, s’y dilatant
plus ou moins fort, produit des esprits diversement disposés. Il faut aussi
remarquer que, bien que le sang qui entre dans le cœur y vienne de tous les
autres endroits du corps, il arrive souvent néanmoins qu’il y est davantage poussé
de quelques parties que des autres, à cause que les nerfs et les muscles qui
répondent à ces parties-là le pressent ou l’agitent davantage, et que, selon la
diversité des parties desquelles il vient le plus, il se dilate diversement
dans le cœur, et ensuite produit des esprits qui ont des qualités différentes.
Ainsi, par exemple, celui qui vient de la partie inférieure du foie, où est le
fiel, (341) se dilate d’autre façon dans le cœur que celui qui vient de la
rate, et celui-ci autrement que celui qui vient des veines des bras ou des
jambes, et enfin celui-ci tout autrement que le suc des viandes, lorsque, étant
nouvellement sorti de l’estomac et des boyaux, il passe promptement par le foie
jusques au cœur.
Descartes,
Les passions de l’âme, première partie
(1649).
Analyse.
Descartes
se propose de rendre compte de la diversité des esprits.
L’explication
est l’origine des esprits, c’est-à-dire les matières à partir desquelles ils se
forment. Pour le montrer, Descartes propose une explication qui s’appuie sur le
phénomène de l’ivresse. Les esprits appartenant à l’alcool produisent des
effets dans le cerveau par le passage des vapeurs d’alcool dans le sang qui
produit les esprits. C’est leur force et leur abondance qui conduit aux
mouvements aberrants du sujet. Descartes ajoute que différents organes « cœur »,
« foie », « estomac », « rate », etc. qui
fabriquent les esprits leur donnent leur diversité.
Il
explique qu’il y a des nerfs près du cœur dont le rôle est d’augmenter ou
diminuer les cavités du cœur, ce qui produit une plus ou moins importante
dilatation du sang. De cette dernière proviennent des esprits constitués de
diverses façons.
Enfin,
il donne une dernière explication purement quantitative, à savoir la diversité
plus grande de provenance du sang des parties du corps. De là découle in fine
des esprits de qualités différentes. Il illustre cela en donnant quatre
exemples dont il affirme seulement qu’il diffère les uns des autres. Ces quatre
exemples reprennent partiellement les organes mentionnés précédemment : ce
sont celui du sang qui vient de la partie inférieure du foie qui contient le
fiel, le second est celui qui vient de la rate, le troisième est celui qui vient
des veines des bras et des jambes et enfin le dernier est celui du sang qui
provient du suc des viandes qui sort de l’estomac et des boyaux et qui passe
par le foie pour arriver au cœur.
On
ne peut qu’être frappé par l’absence de précision ni sur les effets des
différences quantitatives, ni sur les différences qualitatives, c’est-à-dire
que Descartes, abstraction faite des effets dus l’alcool – qu’il ne décrit d’ailleurs
pas rigoureusement – n’indique nullement en quoi les esprits provenant de telle
ou telle partie en plus grand nombre déterminent tel ou tel mouvement.
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