Introduction.
Lorsqu’on
pense aux échanges, on pense essentiellement au fait d’acheter ou de vendre.
Or, échanger, c’est donner et recevoir. On peut vraiment parler d’échanges chez
l’homme car il sait qu’il donne et qu’il reçoit.
Si
acheter ou vendre est bien l’échange par excellence dans la société moderne
toute tournée vers l’activité économique, il n’est pas évident qu’on puisse
ramener tout échange à l’échange marchand. C’est qu’en effet, il paraît
possible de chercher dans l’échange le rapport à l’autre. Et surtout, on peut
remettre en cause que le sujet de l’échange puisse lui-même être objet
d’échange.
Dès
lors, en quoi doit-on admettre d’autres échanges que les échanges
économiques ?
I. L’échange social.
On
peut d’abord distinguer entre l’échange marchand et l’échange social. Pour ce
faire, on peut reprendre l’exemple que donne Lévi-Strauss dans Les structures élémentaires de la parenté(1949)
de ces petits restaurants où l’on sert un plat unique avec une petite bouteille
de vin. Si chacun est soucieux de la quantité de la nourriture qu’il reçoit, il
fait un autre usage du vin. En effet, il le sert à son voisin qui lui rend la
réciproque. Tel est le principe des échanges dans les cérémonies comme le
mariage.
On
peut ainsi distinguer l’échange commercial qui consiste à donner pour recevoir
de l’échange social qui consiste à donner et recevoir pour la relation à
l’autre. Cette dimension sociale de l’échange n’est pas étrangère aux échanges
commerciaux même si elle n’apparaît pas dans sa pureté comme lorsque deux
parties échangent le même objet, montrant par-là que ce n’est pas la valeur
économique qui prime. Aller au marché, c’est certes trouver des biens, mais
c’est aussi établir ou renforcer des contacts avec les autres.
Si
l’échange a une dimension sociale, il arrive qu’on donne sans rien attendre et
qu’éventuellement on reçoive de même. Ne faut-il pas alors distinguer un
troisième type d’échange : l’échange moral ?
II. L’échange moral.
C’est
que l’échange commercial exige une réciprocité voulue. Il s’oppose donc à
l’échange moral. Quand on rend un service à un ami comme l’indique Hume dans le
Traité de la nature humaine, on
n’attend rien en retour. Et lorsqu’il nous remercie ou lorsqu’il nous rend un
service en retour, c’est également sans rien attendre en retour. Il y a bien
échange puisque chacun donne et reçoit, mais il n’y a pas de recherche de
l’intérêt, ni concernant des biens, ni même concernant la relation à l’autre.
Aussi l’échange commercial exige la promesse, c’est-à-dire l’engagement à
remplir sa part de l’échange, promesse qui, si elle n’est pas tenue, conduit à
retirer sa confiance au menteur. On ne promet pas un service.
C’est
pour cela que l’échange moral est différent de l’échange social. En celui-ci, chacun
fait de la réciprocité un principe pour créer ou renforcer le lien social. En
celui-là, le sujet n’attend rien en retour et reçoit de façon tout autant
désintéressée. L’échange moral repose sur le don gratuit dont la réciprocité
apparaît après coup sans être recherchée.
Or,
dans la mesure où l’échange marchand est efficace, ne peut-il être le principe
de tout échange ?
III. La dignité.
Pour
que tout puisse se vendre, il faudrait que tout fût marchandise et que tout eût
un prix. Le premier ministre anglais Robert Walpole (1676-1745) déclarait ainsi
que « tout homme a son prix pour
lequel il se livre » (cité par Kant dans La religion dans les limites de la simple raison). Cela
impliquerait que l’homme pût se vendre, voire qu’il pût être vendu.
On
peut au contraire considérer avec Kant, dans les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785) que l’homme en tant
qu’être raisonnable, c’est-à-dire en tant qu’être capable de moralité n’a pas
un prix mais une dignité. Il faut comprendre par là qu’il n’est pas possible
qu’il soit une valeur relative à laquelle on peut substituer une autre valeur
relative équivalente. Il a au contraire une valeur absolue supérieure à tout
prix.
C’est
pourquoi l’homme est le fondement des échanges. Un échange commercial présuppose
le respect des personnes qui échangent, respect qui repose sur leur dignité. Et
l’échange moral repose justement sur la dignité de l’homme.
Conclusion
Les
échanges sont divers par leurs objets mais surtout par leur forme. Malgré son
importance dans la société moderne, l’échange commercial ou marchand par lequel
chacun donne pour recevoir n’est pas la seule forme d’échange. Il présuppose
l’échange social qui vise le lien social mais surtout la dignité du sujet qui
échange qui rend possible l’échange moral, c’est-à-dire cette forme paradoxale
d’échange où on donne sans chercher à recevoir et où on reçoit de façon tout
aussi désintéressée.
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