Introduction.
L’art
et la technique produisent des œuvres qui sont pour la plupart durables. On a
trouvé des outils en pierre datant de la préhistoire comme des peintures
rupestres. Ils manifestent la présence humaine dans sa dimension culturelle.
Si la
technique paraît nécessaire à la vie, l’art paraît superflu. Et pourtant, on
admire les œuvres d’art, on cherche à les conserver alors que les objets
techniques sont généralement jetés une fois usés.
On peut
donc se demander comment penser la différence entre art et technique.
I. L’imitation.
On
peut penser que l’art est imitation comme la peinture et la sculpture le montrent.
Mais une pièce de théâtre ou un roman imitent eux aussi une tranche de vie. La
musique même paraît imiter les émotions. Quant à la technique, elle implique
bien une part d’imitation, soit de fonctions naturelles – couper, broyer,
brûler, etc. – soit d’objets réels. Que penser alors de ces imitations ?
On
peut considérer avec Platon dans le livre X de La République que l’art qui est capable de tout imiter repose sur
l’ignorance et n’imite que des apparences à la différence de la technique qui
implique des connaissances, condition pour imiter la réalité et à faire des
œuvres utiles. L’imitation de l’apparence en quoi consiste l’art n’est qu’une
tromperie. L’artiste prétend connaître ce dont il parle et si son public est
ignorant, il croira dans les idées qu’il expose. Le technicien quant à lui fait
une œuvre sérieuse, qu’on peut utiliser. Il est spécialisé dans un domaine
qu’il connaît. Ainsi la différence entre l’art et la technique est celle du
superflu et du trompeur d’un côté et celle de l’utilité et de la vérité de
l’autre.
Pourtant,
loin de nous tromper, nous comprenons bien à voir Les souliers de Van Gogh qu’il s’agit de nous présenter autre chose
qu’une simple imitation de la réalité. L’œuvre d’art se présente comme une
fiction, c’est-à-dire quelque chose de faux qui ne vise pas à se présenter
comme vrai. L’art n’est-il pas plutôt l’expression d’idées ?
II. L’expression.
En
effet, l’artiste est celui qui par son talent est capable de créer une œuvre
qui se manifeste aux sens. Comme Hegel le soutient à juste titre dans son Esthétique (1835 posthume), il a besoin
d’une technique, c’est-à-dire d’un savoir-faire et d’une réflexion qui lui
permet de surmonter la résistance du matériau, de le dominer. C’est vrai de
l’architecte qui doit connaître les techniques relatives à la construction, du
sculpteur qui soit acquérir un savoir-faire pour modeler la matière, mais aussi
du peintre et du musicien. Même le poète doit maîtriser la langue qu’il
utilise. La technique est bien ainsi un ensemble de moyens qui peuvent être mis
au service de l’art, mais non inversement.
En
effet, l’artiste ne nous intéresserait pas si les idées qu’il propose n’étaient
pas celles des hommes. Hegel voit donc dans l’artiste celui qui présente les
idées universelles de l’humanité dans un matériau sensible. Cette présentation
n’est pas arbitraire comme dans le langage. L’œuvre d’art parle immédiatement à
l’homme. Elle lui ouvre la dimension du sens. Il faut donc la distinguer du
simple divertissement qui sert à passer le temps et non à réfléchir sur
l’homme.
Il
n’en reste pas moins vrai qu’elle ne lui parle que dans une culture donnée. Que
peut comprendre à une représentation religieuse celui qui n’est pas d’une
certaine culture ? Dès lors, n’est-ce pas en référence à la culture que
l’œuvre d’art a d’abord un sens ?
III. Le monde.
En
effet, les œuvres d’art à la différence des objets techniques ne sont faites ni
pour être utilisées et encore moins pour être consommées. C’est la raison pour
laquelle leur durée est potentiellement immortelle comme Hannah Arendt le
soutient dans La crise de la culture
(1968). En outre, elles ne sont donc pas éphémères comme les actions humaines
qui s’envolent une fois faites et qui disparaîtraient si justement l’homme ne
pouvait les conserver dans la mémoire et les fixer par écrit. Les œuvres
conservent ainsi les événements mais pas comme des documents. Dans son tableau,
La liberté guidant le peuple (1830)
Delacroix (1798-1863) ne donne pas une leçon d’histoire sur la révolution des
trois glorieuses de 1830 (27, 28 et 29 juillet). Il présente l’enjeu de cette
révolution. Il permet d’en chercher le sens.
On
peut donc dire avec Hannah Arendt dans La
crise de la culture, que les œuvres d’art à la différence des objets
techniques sont faites pour le monde que l’homme fabrique, c’est-à-dire sont la
réalisation fondamentale de la culture. Elles donnent à ce monde qu’aménage
l’homme et qui est à chaque fois sa culture, une durée, une dimension qui
échappe à la technique purement utilitaire. Elles donnent la possibilité d’un
sens. Raison pour laquelle chacun peut y chercher des idées pour se comprendre
lui-même.
Aussi
le monde que fait la culture est-il menacé à notre époque par les produits de
l’industrie culturelle dans la mesure où ils sont simplement faits pour être
consommés. D’où le pillage des grandes œuvres du passé. Ne voit-on pas dans
l’Aladin de Disney le pillage d’un conte arabo-persan des Mille et une Nuits dont un des personnages, Iago, a le nom du
traître haineux de l’Othello (1604) de
Shakespeare (1564-1616) ? C’est donc la fréquentation des grands œuvres
qui est le remède contre les produits de cette industrie culturelle.
Conclusion.
Disons
donc pour finir que l’œuvre d’art n’est pas une pâle réalité à côté de l’objet
technique car l’art a une dimension plus importante que la technique. Certes,
cette dernière permet de produire des objets utiles et les objets de
consommation sans laquelle la vie humaine ne serait pas possible. Mais sans
l’art, c’est l’humanité elle-même qui ne serait pas possible. Car l’homme
cherche aussi un sens et l’art est ce qui crée dans la culture la possibilité
d’un sens.
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