L’idée de vérité s’oppose à l’erreur et au mensonge. Comme opposée à l’erreur, l’idée de vérité désigne ce qui est valable universellement. Il n’y a qu’une vérité là où l’erreur est multiple. Opposée au mensonge, l’idée de vérité affirme la valeur de l’autre qui n’est pas un simple moyen d’arriver à nos fins. En lui disant la vérité, tout au moins ce qu’on croit tel, on s’oblige. Or, l’idée de vérité correspond-elle à quelque chose dans le réel ? Ne faut-il pas en démontrer l’existence ?
Or, il est impossible de la démontrer. Car démontrer, c’est justement déduire les conséquences nécessaires de prémisses vraies, conséquences qui sont alors démontrées, c’est-à-dire pensées légitimement comme vraies. Comme Descartes le montre, à supposer qu’on démontre la vérité, encore faudrait-il la connaître pour savoir si la démonstration est vraie ou ne l’est pas (cf. lettre à Mersenne du 16 octobre 1639). Il faut donc l’admettre, ce qui semble la réduire à l’état de simple croyance.
Si donc l’idée de vérité n’est qu’une simple croyance, on peut la remettre en cause. Et dès lors, peut-on s’en passer ? Doit-on penser l’idée de vérité comme une erreur ? Pire : un mensonge ?
Si on soutient que l’idée de vérité est une sorte de croyance ou plutôt ce qui accompagne toute croyance, elle est alors relative. La vérité est fonction de la croyance de l’individu, soit lorsqu’il croit, c’est-à-dire tient pour vraie une proposition ou un fait, soit lorsqu’il tient pour vraie que la vérité existe. On peut appeler relativismela position qui tient la vérité pour une croyance ou ce qui accompagne la croyance. Le relativisme a pour conséquence de considérer l’idée de vérité absolue comme une erreur.
Or, le relativisme, s’il est pris absolument est contradictoire. Il affirme comme vrai sa position tout en soutenant que la vérité est une affaire de croyance. Il faut donc le prendre relativement. Mais alors, comme Platon le faisait objecter au sophiste Protagoras par son maître Socrate dans le Théétète, le relativisme ne peut nier sa négation et donc on peut le considérer comme faux. Finalement, le relativisme affirme l’universalité de la croyance alors qu’elle est toujours multiple, c’est ce qui le rend intenable.
Mais comme la vérité ne peut se démontrer, on peut alors dire qu’elle n’est que recherchée, et qu’on peut douter de la possibilité de jamais la connaître. Telle est la position du scepticisme. Prenant acte de l’impossibilité de tout démontrer, notamment de l’idée de vérité, il mime les arguments du dogmatisme, c’est-à-dire de la philosophie qui prétend possible la connaissance de la vérité, pour mettre en doute l’idée de vérité. Si le scepticisme est irréfutable, il n’en reste pas moins vrai qu’il est traversé d’une difficulté irréductible. Du moment qu’il s’exprime, il lui faut admettre l’idée de vérité. Ce n’est que dans le silence – assumé par Pyrrhon (v.365-275 av. J.-C.) qui n’a, en conséquence rien écrit. En effet, comme Aristote le montre dans sa Métaphysique, le fait même de parler implique de vouloir dire quelque chose et quelque chose qui demeure et sur quoi se règle le discours qu’on peut alors qualifier de vrai.
Ne peut-on pas alors penser plutôt l’idée de vérité comme un mensonge, un long mensonge parce qu’elle implique l’opposition d’un monde vrai et d’un monde des apparences à l’instar de Nietzsche dans Le Crépuscule des Idoles ?
Si on peut critiquer l’opposition platonicienne entre monde réel et monde des apparences, on ne peut en faire le principe même de l’idée de vérité et encore moins un mensonge. D’abord parce que dénoncer un mensonge suppose de se référer à une vérité possible. On pourrait d’ailleurs montrer que l’apparence s’oppose moins à un réel qui n’apparaîtrait pas qu’à un apparaître comme lorsqu’on affirme qu’une ombre est une apparence d’un être qui, quant à lui, apparaît. Ensuite, parce que l’idée de vérité a un sens à supposer qu’il n’y ait pas de réel qui n’apparaisse pas. Il y a des apparences à hiérarchiser : et là la vérité est requise.
Finalement, on ne peut penser, on ne peut parler sans admettre l’idée de vérité. Comment pourrais-je penser si ma pensée errait systématiquement, si je ne pouvais énoncer quoi que ce soit de façon véridique. C’est qu’à supposer que je ne puisse connaître la vérité, il faut bien au moins que je le pense en vérité. Penser, c’est vraiment penser. Je ne puis parler que si et seulement si je tiens parole, c’est-à-dire si le sens de ma parole demeure. C’est pourquoi l’idée de vérité est consubstantielle à la parole. Elle n’est ni erreur, ni mensonge.
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