samedi 16 mars 2019

Corrigé d’une dissertation (terminales technologiques) : L’art est-il une activité sérieuse ?

À contempler certaines des productions de l’art contemporain ou à déplorer les sommes immenses englouties par le passé dans de splendides monuments au milieu de la plus effroyable misère, on peut se poser la question de savoir si l’art est une activité sérieuse.
C’est qu’en effet, la science nous fait connaître des vérités, les techniques nous sont utiles ; même nuisibles leur sérieux ne paraît pas discutable. L’art quant à lui semble une activité gratuite, bref, un jeu, voire un jeu de dupes.
Pourtant, si un simple jeu divertit au sens où il nous fait oublier pour quelque temps notre existence, une comédie de Molière quant à elle nous fait rire des travers de l’existence humaine. En ce sens l’art semble une activité sérieuse.
C’est pourquoi on peut se demander s’il y a un sens qui permet de définir l’art comme une activité sérieuse.


On peut distinguer l’œuvre d’art du jeu en ce sens que la première demeure d’une façon ou d’une autre. Certes, l’exécution d’une pièce de théâtre, d’un morceau de musique ou d’une danse se rapproche du jeu. Toutefois, la pièce, le morceau ou la chorégraphie peuvent demeurer et constitue l’œuvre. Alors qu’une partie de cartes ou un match de football a définitivement disparu. Ce n’est jamais la même qu’on va rejouer. En ce sens l’art semble plutôt une activité sérieuse comme Alain le soutenait dans Les idées et les âges.
Mais il faut distinguer l’œuvre d’art des objets techniques. Ceux-ci sont utiles. Ils servent. Ce qu’ils produisent peut se consommer. Le couteau qui sert à couper s’use. Le pain disparaît dans la consommation. L’œuvre d’art quant à elle est faite pour être contemplée. Cela implique que l’homme lui trouve un intérêt. On peut alors penser avec Hegel dans son Esthétique, que l’œuvre d’art permet à l’homme d’objectiver ce qu’il est. En voyant Le Cid (1636) de Corneille (1606-1684), j’apprends qu’il y a dans l’existence des choix cruels entre le devoir et l’amour par exemple. Une grande œuvre demeure parce qu’elle dit quelque chose de l’homme.

Toutefois, s’il s’agit de connaître, il paraît préférable de s’adresser à une connaissance et chaque artiste semble montrer un point de vue plus personnel qu’objectif. Dès lors, croire que l’œuvre d’art instruit n’est-il pas une illusion ? L’art n’est-il pas une activité sérieuse qu’en apparence ?


En effet, si on part de l’idée que l’art représente la réalité, force est alors d’admettre selon La république de Platon qu’il ne peut représenter le réel à proprement parler mais seulement son apparence. Un tableau me montre seulement l’aspect visuel et dans une seule position d’un modèle. Un morceau de musique qui m’émeut me donne l’apparence d’un sentiment et non le sentiment réel.
Dès lors, l’œuvre d’art est tributaire des idées de l’artiste. S’il est ignorant, il n’est alors qu’un illusionniste. Et si Platon pense que tous les artistes sont des illusionnistes, c’est parce que dans les récits notamment, les poètes représentent tous les métiers, toutes les activités humaines comme s’ils les connaissaient. Aussi l’art ne peut être une activité sérieuse pour qui a des connaissances. Il est plutôt l’activité d’un charlatan, c’est-à-dire une activité qui n’a que l’apparence du sérieux.

Toutefois cette critique de l’art laisse de côté l’intérêt universel pour l’art qu’on trouve dans toutes les cultures et depuis la préhistoire. Car, ce n’est pas la copie qui nous intéresse dans l’art. N’est-ce pas plutôt la beauté ?


En effet, le propre d’une œuvre d’art comme Alain le dit avec raison dans Les idées et les âges (1927), c’est d’être une fin et non de servir. C’est en ce sens qu’elle est proche de l’activité technique tout en s’en distinguant. Si donc elle est une fin, elle ne peut servir d’instrument de connaissance. C’est pour cela que des œuvres peuvent nous toucher sans qu’elles disent quoi que ce soit. C’est le cas notamment de l’architecture ou de la musique. Une belle cathédrale peut être admirée même de celui qui n’est pas religieux ou qui est d’une autre religion. Certes, elle exprime aussi certaines idées mais ce ne sont pas les idées qui font sa beauté.
Ce n’est même pas la relation entre les idées exprimées et le matériau mis en œuvre qui fait la beauté. Car on peut ne pas comprendre ou comprendre autrement une œuvre d’art et la trouver belle. Elle se donne donc dans une évidence qui fait sa beauté, qui touche et qui transporte l’homme hors du sérieux de la vie comme de sa futilité. Elle lui donne à penser le sérieux de ce qui est une fin et qui n’est pas qu’utile.


Disons donc pour conclure que le problème était de savoir s’il y a un sens à penser que l’art est une activité sérieuse. L’œuvre d’art n’est pas un jeu. Mais elle n’est pas une connaissance. C’est pourquoi on ne peut la penser comme une activité sérieuse que si on conçoit l’œuvre d’art comme une fin, c’est-à-dire comme ce qui se donne hors de tout usage à la contemplation de sa beauté.



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