samedi 16 mars 2019

Corrigé d'une dissertation (terminales technologiques) : Peut-on accuser la technique ?

En ces temps où les problèmes de pollution occupent l’actualité, où le souvenir des explosions nucléaires militaires ou civiles reste vivace, il semble évident qu’on puisse accuser la technique, notamment moderne, des maux qui assaillent l’humanité.
Toutefois, il semble non moins évident que la technique n’est pas une personne, bref, que c’est plutôt son usage et donc son utilisateur, l’homme, qui doit être accusé.
Dès lors, on peut se demander s’il est possible et comment d’accuser la technique ?


En effet, la technique peut s’entendre comme l’ensemble des outils et des savoir-faire relatifs à ses outils qui permettent aux hommes de fabriquer ce dont ils ont besoin. Un outil est toujours fait dans un but mais il est possible de le détourner du but initial pour réaliser un autre but. Dès lors, c’est l’usage qui est fait de la technique qui peut être bon ou mauvais.
Ainsi, la médecine dont le but est la santé peut être utilisée pour tuer. N’a-t-on pas vu des médecins tortionnaires ou des médecins se servant d’humains comme des cobayes dans les camps d’extermination nazis ? Les maux qu’on impute à la technique sont donc des maux dont les hommes sont responsables. C’est eux qui décident de l’usage qu’ils vont faire de la technique.

Toutefois, l’homme ne peut être ainsi séparé abstraitement de la technique car, sans elle, il n’est rien. Dès lors, en tant qu’elle est une condition de son existence, la technique n’est-elle pas responsable des maux qu’elle génère ? Ne peut-on donc pas l’accuser en ce sens ?


En effet, la technique n’est pas seulement un ensemble de moyens à disposition de l’homme en général. Elle est également un ensemble de conditions qui permettent à l’homme de vivre. La technique détermine comment il peut vivre. On peut faire remarquer avec Rousseau que les hommes ne vivent pas de la même façon lorsqu’ils usent comme les Amérindiens d’outils simples qui impliquent que chacun puisse vivre sans dépendre des autres. Au contraire, avec les techniques de ce que nous nommons le néolithique, les hommes dépendent les uns des autres. La domination technique sur la nature implique une domination de certains hommes sur d’autres (cf. François Châtelet [1925-1985], Une histoire de la raison, posthume 1992).
De façon plus générale, chaque homme naît dans un monde technique déjà existant. Celui-ci modèle ses désirs. La technique moderne qui, selon le mot de Descartes dans le Discours de la méthode, vise à « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », oriente la recherche scientifique vers des applications dont les effets ne dépendent pas de tel ou tel individu. C’est en ce sens qu’il paraît légitime d’accuser la technique comme projet de société plutôt que l’individu qui en dépend.

Cependant, ce n’est pas la technique qui se met elle-même en œuvre de sorte qu’il n’est pas possible de l’accuser seule. Qui donc ? L’individu et il faudrait prononcer un non-lieu ou alors n’est-ce pas la culture à laquelle elle appartient ?


C’est que la responsabilité ne consiste pas seulement à être la condition d’exercice d’une activité. Il faut qu’il y ait un choix. Dès lors, ce n’est pas la technique qui choisit. C’est la culture dans laquelle chacun se trouve. L’arc chez les anciens Tahitiens ne servait qu’au sport alors qu’il servait à la guerre en Europe. De même on peut concevoir que le progrès technique soit orienté vers la libération d’un temps pour la culture plutôt que pour la consommation de nouveaux gadgets.
Aussi, la responsabilité incombe aussi à l’individu qui accepte sa culture. C’est que s’il n’est pas possible de s’abstraire de la société à laquelle on appartient, il est possible de ne pas accepter ce qu’elle propose comme une évidence. Si donc on peut accuser la technique, c’est surtout l’individu qui se refuse à la penser qu’il faut accuser. Car s’il est insuffisant de la considérer comme un simple ensemble de moyens, la prendre pour un être totalement autonome est une autre illusion. Dès lors, on ne peut pas légitimement accuser la seule technique.


Disons donc en guise de conclusion qu’au problème de savoir s’il est possible d’accuser la technique, on répond habituellement que c’est impossible parce que, n’étant qu’un ensemble de moyens, il dépend de l’individu de les utiliser pour le bien ou pour le mal. Or à cette réponse si évidente, il faut opposer que la technique appartient essentiellement à l’existence humaine. Si des maux sont par elle rendus possibles, elle peut être accusée. Pourtant, elle n’a pas de véritable autonomie. Dès lors, ce n’est pas seulement elle qu’il faut accuser, mais la culture de la société et celle de l’individu.


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