mercredi 25 septembre 2019

La démocratie - résumé d'un texte d'Alain: la démocratie consiste à surveiller les gouvernants

Sujet.
Quand on dit que les gouvernants ont de puissance, selon la justice, que par le consentement des gouvernés, je crois qu’on manque l’idée. C’est remonter au déluge. De toute façon : car, d’un côté, c’est partir à la recherche d’une race pure et non croisée ; si un Irlandais a seul droit de gouverner les Irlandais, le plus pur Irlandais aura aussi le droit le plus clair ; et, d’un autre côté, c’est vouloir construire les nations d’après le modèle patriarcal. Le fils obéit au père, il n’obéirait pas à un étranger. « Et s’il me plaît, à moi, d’être battue »[1] ; c’est la formule la plus parfaite de l’esprit national en tous pays. Fouetté, le citoyen veut bien l’être. Mais il regarde aux baguettes ; il veut savoir dans quel bois on les a coupées.
Cette idée mystique produit bientôt ses preuves. Car un pouvoir contesté devient aussitôt tyrannique ; on ne peut plus prononcer sur ce qu’il serait, bon, médiocre ou mauvais, s’il s’exerçait simplement ; il s’établit, il se défend, il soupçonne. Dans ces luttes, le droit périt ; les révoltés ont toujours raison ; ils sont toujours tyranniquement gouvernés. À bien meilleur compte, et par la centième partie seulement de l’énergie qu’ils emploient à chasser un mauvais maître, ils le rendraient bon. Comte[2], homme d’avant-garde, aperçoit que les discussions sur l’origine et la légitimité des pouvoirs sont métaphysiques, et que la fonction positive du citoyen est plutôt de surveiller et limiter l’action des pouvoirs, quels qu’ils soient.
Le faible des démocraties est qu’elles déposent trop aisément leurs rois éphémères. Cette puissance purement négative ne résout rien, d’autant que comme il n’y a pas tant d’hommes qui sachent le métier de roi, tant bien que mal, nous voyons toujours revenir les mêmes rois ; et les chutes font noblesse et force, comme aux récidivistes ces innombrables condamnations, qui désarment le juge. Le citoyen n’a pas encore bien saisi cette idée que tout pouvoir est mauvais, s’il n’est surveillé, mais que tout pouvoir est bon, autant qu’il sent une résistance pacifique, clairvoyante et obstinée. La liberté n’est pas d’institution ; il faut la refaire tous les jours.
Nos prolétaires ne sont pas encore délivrés de cette idée, qui est métaphysique aussi, c’est que les patrons ayant pour règle de payer les ouvriers le moins possible, il faut supprimer les patrons. Mais pourquoi se priver de coopérateurs qui ont appris un métier difficile ? Le prolétariat organisé aurait une puissance invincible ; on verrait et l’on a vu déjà comment l’opinion commune acclamerait le cortège des travailleurs, si seulement ils jetaient toutes leurs armes. Mais la guerre est plus facile à conduire que la paix. Il est plus facile de mener les citoyens aux barricades que d’obtenir qu’ils observent et jugent à chaque instant. Bref il est plus vite fait de détruire que de construire.
Les pouvoirs sont arrogants en guerre, inquiets et flexibles en paix, comme on a vu et comme on voit. Cette loi trouve son application dans les luttes intérieures aussi. La presse, tant calomniée par les journalistes, est toujours plus juste qu’on n’attendrait, par le jeu des rivalités et par le besoin d’étonner, qui font que tout ce qui importe est bientôt connu. Que pourrait-on attendre, et que ne pourrait-on pas espérer si les journaux, au lieu de se servir des ambitions, exerçaient seulement la fonction du spectateur et du juge. Et, au lieu de dire que c’est impossible, il faut le faire, comme nous faisons en ces feuilles, menant cette bonne révolution qui vise moins à détrôner les rois qu’à les rendre sages.
AlainLe citoyen contre les pouvoirs, 1926

Corrigé.
1) Analyse du texte et remarque.
Alain critique l’idée selon laquelle les gouvernements tiennent leur puissance légitime du consentement des gouvernés. Il lui objecte que cela conduit à tomber dans une recherche des origines qu’il présente sous forme métaphorique de la remontée au déluge. Il l’illustre avec l’exemple de l’Irlandais qui devrait remonter à une race pure. Dès lors, c’est introduire des inégalités entre les citoyens actuels dont certains seraient plus citoyens que les autres. Une telle idée implique en outre qu’on s’appuie sur un modèle patriarcal pour lequel tout remonte au père. Citant un propos de Martine, personnage du Médecin malgré lui (1666) de Molière (1622-1673), qui affirme vouloir être battue, Alain veut montrer que l’esprit national consiste à accepter la contrainte au seul motif qu’elle est d’origine nationale. Le ton montre l’absurdité de cette idée.
Il qualifie l’idée d’origine du pouvoir de mystique, ce qui la dévalorise. Une fois acceptée, cette idée produit comme effet la tyrannie et justifie ici la révolte des gouvernés. Alain oppose à la révolte contre la tyrannie, une autre démarche qui rendrait bon le pouvoir. Il loue Auguste Comte d’avoir dénoncé le caractère métaphysique, c’est-à-dire non empirique, des considérations sur l’origine du pouvoir pour insister sur le rôle des gouvernés qui doivent surveiller et limiter le pouvoir, de quelque origine qu’il soit.
Il énonce une faiblesse des démocraties qui consiste en ce qu’elles renvoient trop souvent leurs dirigeants qu’il nomme rois pour indiquer le caractère monarchique du gouvernement. Ce mouvement n’empêche pas le retour à cause de la faiblesse numérique du personnel politique. Il préconise plutôt de surveiller le pouvoir car c’est ce qui le rend bon et sans quoi il est mauvais. Il en déduit que la liberté est dans l’action et non dans l’institution définitive.
Il applique l’idée à la volonté des prolétaires de supprimer le patronat au motif qu’il paie le moins possible. Il pense préférable pour le prolétariat de le conserver mais de s’organiser pour acquérir de la puissance sur lui. L’opinion serait avec les prolétaires s’ils jetaient les armes, c’est-à-dire renonçaient à la révolution. Il explique le fait de ne pas renoncer au combat par la facilité, la paix étant difficile selon lui.
Il ajoute que les pouvoirs sont d’autant plus forts qu’ils sont en guerre. En paix, ils sont plus faibles et malléables. Il précise qu’il s’agit d’une loi qui s’applique aux luttes intérieures. Il l’illustre par l’exemple des journalistes qui, concurrents, découvrent ainsi ce qu’il faut montrer. S’ils ne jouaient que le rôle d’observateurs et de juges, il serait encore plus un instrument démocratique. C’est en jouant ce rôle qu’on en montre la possibilité. Le journal où il écrit en montre l’exemple selon lui.

Remarque :
Le texte est écrit après les révolutions russes de 1917. La deuxième, celle d’octobre, a permis au parti bolchevique de prendre le pouvoir et de supprimer la propriété privée des moyens de production, donc le patronat. On comprend qu’Alain ne soutenait pas cette voie politique.

2) Proposition de résumé.
Faire du consentement des gouvernés la source légitime du pouvoir, conduit à remonter vainement aux origines et accepter ainsi la [20] soumission. Et cette représentation favorise le despotisme par la résistance qu’elle produit. Plutôt que cette doctrine fumeuse, le peuple [40] devrait surveiller le pouvoir.
Les démocraties souffrent de chasser leurs dirigeants alors que le pouvoir surveillé agit bien. Les prolétaires [60] croient être exploités par les patrons. Or, plutôt que la révolution, il devrait s’associer pour contenir pacifiquement le pouvoir [80] patronal. Mais, on préfère la guerre.
Les pouvoirs sont bons sous surveillance. La presse, efficace dans la concurrence, pourrait jouer [100] le rôle de contrôle comme ce journal le montre.
109 mots



[1]Molière, Le médecin malgré lui, acte I, scène 2. Un voisin de Sganarelle, Monsieur Robert, accourt alors qu’il bat sa femme, Martine, pour empêcher la violence du mari. Celle-ci fait front avec son mari et réplique à Monsieur Robert : « Il me plaît d’être battue ».
[2]Auguste Comte (1798-1857), polytechnicien de formation, fondateur du positivisme, c’est-à-dire d’une doctrine philosophique selon laquelle la connaissance doit se limiter à découvrir les lois des phénomènes dans l’ordre théorique et donc abandonner toute prétention métaphysique, c’est-à-dire l’idée d’une connaissance des principes de toute réalité. L’homme doit se penser comme un être fondamentalement social qui a d’abord des devoirs envers la société à qui il doit tout.

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