Sujet
Dans
cette autobiographie intellectuelle qui sert de préface à trois essais
scientifiques, La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie, Descartes expose
les disciplines qu’il a apprises au collège de la Flèche (enseignement
secondaire).
Je ne laissais pas toutefois d’estimer
les exercices, auxquels on s’occupe dans les écoles. Je savais que les langues
qu’on y apprend sont nécessaires pour l’intelligence des livres anciens ;
que la gentillesse des fables réveille l’esprit ; que les actions mémorables
des histoires le relèvent, et qu’étant lues avec discrétion, elles aident à
former le jugement ; que la lecture de tous les bons livres est comme une
conversation avec les plus honnêtes
gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs
pensées ; que
l’éloquence a des
forces et des beautés
incomparables ; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très
ravissantes ; que les mathématiques ont des inventions très subtiles et
qui peuvent beaucoup servir, tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous
les arts et diminuer le travail des hommes ; que les écrits qui traitent
des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ;
que la théologie enseigne
à gagner le
Ciel ; que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement de
toutes choses, et se faire admirer des moins savants ; que la
jurisprudence, la médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des
richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin, qu’il est bon de les avoir
toutes examinées, même
les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connaître leur juste valeur et se garder d’en
être trompé. (…)
J’estimais fort l’éloquence, et
j’étais amoureux de la poésie ; mais je pensais que l’une et l’autre
étaient des dons de l’esprit, plutôt
que des fruits de l’étude. Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui
digèrent le mieux
leurs pensées afin de les
rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu’ils
proposent, encore qu’ils ne parlassent que bas breton, et qu’ils n’eussent
jamais appris de rhétorique. Et ceux qui ont les inventions les plus agréables,
et qui les savent exprimer avec le plus d’ornement et de douceur, ne
laisseraient pas d’être les meilleurs poètes, encore que l’art poétique leur fût inconnu.
Descartes (1596-1650), Discours de la méthode (Pour bien conduire sa raison et découvrir la
vérité dans les sciences), Première partie, 1637.
Question
de compréhension philosophique : Y a-t-il un art de la rhétorique selon
Descartes ?
Corrigé
Question :
Y a-t-il un art de la rhétorique selon Descartes ?
Dans le premier
extrait du Discours de la méthode
(écrit en français), Descartes présente les différentes disciplines ou matières
qui lui ont été enseignées puis, dans le second extrait, il porte un jugement sur
l’éloquence et la poésie.
Parmi elle, il y a l’éloquence dont il
a pu goûter les forces et les beautés incomparables. Si le deuxième aspect est
esthétique, le premier renvoie à la capacité de persuader. Cette éloquence se
situe dans le passage où il est question de l’apprentissage des langues
anciennes qui permettent de lire les ouvrages. Descartes énumère tour à tour
les fables, les histoires qu’on peut peut-être prendre au double sens de récit
de faits réels ou fictifs. Il pense la lecture comme une conversation avec les
auteurs du passé qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Il définit la philosophie
comme donnant la capacité de parler vraisemblablement de toutes choses, ce qui l’identifie
avec la rhétorique. Quant aux autres matières, elles n’intéressent pas vraiment
notre propos. Rien ne permet alors de parler de la rhétorique comme d’un art ou
non.
Lorsqu’il juge plus particulièrement
de la rhétorique, c’est lorsqu’il énonce son rapport à l’éloquence et à la
poésie. Traditionnellement, la poésie comprend de l’histoire, sous la forme
d’épopée, de tragédie, etc. Aussi faut-il placer sous l’égide de la rhétorique
tout ce qui est susceptible de persuader (y compris la philosophie).
En effet, par rhétorique, on entend
l’art de persuader, art qu’on peut comprendre comme un savoir-faire ou bien
comme un ensemble de procédés qu’on peut expliciter.
Or, Descartes conteste l’idée d’un art
de la rhétorique à tous les points de vue. En effet, que ce soit l’éloquence ou
la poésie, il considère qu’il ne s’agit pas des fruits de l’étude, c’est-à-dire
de ce qu’on pourrait apprendre. Ce sont plutôt des dons de l’esprit, donc
quelque chose d’inné. L’art, au contraire, exige plutôt une acquisition.
S’exercer n’est donc pas pour Descartes nécessaire et suffisant pour être
capable de persuader.
Pour l’éloquence, Descartes considère
que c’est le bon raisonnement qui persuade le mieux. La langue est
indifférente. Il l’exprime par l’idée que l’utilisation du bas breton,
c’est-à-dire non seulement une langue commune et non savante comme le latin,
mais en outre peu conforme aux canons de la langue, est suffisante pour
persuader lorsqu’on raisonne bien. Il fait le parallèle avec l’art poétique.
Son ignorance n’empêche pas des inventions. Par conséquent, il n’y a pas
vraiment d’art poétique. De même, il n’y a pas d’art rhétorique.
On peut donc dire que pour Descartes,
seuls les dons de l’esprit permettent l’éloquence ou la poésie. L’art
rhétorique comme l’art poétique qui en est le pendant lui semblent donc ne pas
exister, voire ne pas pouvoir exister. La persuasion dépend selon lui seulement
de la capacité à raisonner.
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