mardi 27 septembre 2016

Un exemple de dissertation : L'opinion a-t-elle toujours tort?

On valorise l’opinion à tel point qu’on admet qu’un homme qui n’aurait aucune opinion manquerait en quelque sorte de personnalité. On s’enquiert de ce que les autres pensent et les sondages ont l’heur de plaire. « On dit » est presque une preuve que ce qu’on avance a un sens. Bref, comment l’opinion pourrait-elle avoir toujours tort ? Et ce d’autant plus qu’une opinion qui est vraie ne peut être dite avoir tort sans contradiction puisqu’elle ne peut être vraie ou fausse en même temps.
Et pourtant, on valorise la science qui démontre et ne s’en tient pas à de simples avis sans preuves. Ce qui impliquerait de rejeter les opinions, en tant qu’opinions et non quant à leur contenu.
Dès lors, on peut se demander si l’opinion a toujours tort ou bien si elle est dans certaines conditions dans son bon droit.


Une opinion n’est pas simplement un avis ou un point de vue sur quelque chose. C’est qu’en effet, elle n’est pas hypothèse ou supposition : elle se présente comme vraie ou légitime. Dès lors, elle prétend avoir raison. Or, elle n’est pas connaissance. Car, elle ne repose ni sur des preuves, ni sur des démonstrations. On la revendique donc comme sienne. On la croit personnelle même lorsqu’elle est commune, voire l’expression de la dernière mode et plus répandue que les thèses scientifiques peu connues. Aussi du point de vue de la connaissance l’opinion a toujours tort ; elle ne repose pas sur une démarche légitime.
En effet, qui veut chercher la vérité doit commencer par remettre en cause ce qu’il croit savoir. Et il doit remettre en cause l’opinion, qu’elle se prétende personnelle ou qu’elle soit l’opinion commune. C’est comme cela que Socrate selon l’Apologie de Platon éprouva l’opinion du dieu Apollon à son égard selon laquelle il était l’homme le plus sage alors qu’il croyait le contraire. Il alla interroger ses concitoyens pour la mettre à l’épreuve. Il n’hésita pas à défier l’opinion commune qui accepte la croyance religieuse sans discussion.
Même dans le domaine pratique, on peut se passer de croire en nos opinions. Certes, il faut agir et le voyageur perdu dans la forêt doit choisir et suivre un chemin pour reprendre à Descartes un de ses exemples de la troisième partie du Discours de la méthode. Dès lors, on doit traiter même les opinions incertaines comme si elles l’étaient. Toutefois, on conserve ainsi la distance critique qui fait qu’on ne croit pas vraiment à l’opinion. On suivra la maxime selon laquelle chacun doit suivre « les mœurs de son pays » sans croire qu’on sait ce qu’est la justice à l’instar de Pascal dans le fragment 86 des Pensées (Lafuma). On restera convaincu dans le même temps que ce n’est pas la justice.

Toutefois, il peut se faire qu’une opinion soit vraie ou juste. On ne peut donc la considérer de la même façon qu’une opinion fausse ou injuste. Dès lors, si on suit l’opinion vraie ou juste, ne réussira-t-on pas ? Dans ce cas, ne peut-on pas penser que l’opinion n’a pas tort dans la mesure où elle amène le succès ?


     Ainsi Platon fait-il remarquer par l’intermédiaire de son personnage Socrate dans le Ménon qu’il n’est pas légitime de considérer qu’en matière d’action seule la connaissance guide. L’opinion vraie est un aussi bon guide. Il prend pour son interlocuteur, le personnage éponyme du dialogue, l’exemple de quelqu’un qui le guiderait vers sa ville de Larissa. Qu’il le fasse par opinion vraie ou par connaissance, il le fera tout aussi bien. De façon générale, qui agit bien par opinion vraie le fait aussi bien que celui qui agit par connaissance. Et dans l’hypothèse où nous ne connaissons de science certaine ce qui est bien et mal, dès lors, l’opinion non seulement n’a pas tort mais est seul à avoir raison. Dès lors, dans le champ pratique, l’opinion, loin d’avoir toujours tort, a raison lorsqu’elle rend possible l’action.
Et force est de constater que l’opinion parce qu’elle donne une lieu à une adhésion immédiate, a beaucoup plus d’efficacité que la connaissance. Elle n’exige pas que l’on commence par une phase de doute et par conséquent, qu’on remette en cause ce à quoi on adhérera peut-être après coup. C’est la raison pour laquelle on a pu défendre la valeur de ces opinions qui ont cours dans la vie sociale qui sont les préjugés, inculqués dès l’enfance ou qui cimentent une société comme l’a fait Herder (1744-1803) par exemple dans Une autre philosophie de l’histoire (1774).
Même dans les sciences l’opinion a une valeur. D’abord, l’opinion de la valeur des sciences est la condition pour qu’on puisse en faire puisque sans elle comment pourrait-on commencer. Il n’y a donc pas de science sans croyance comme Nietzsche le soutenait avec raison dans le n°344 du livre V de son ouvrage, Le Gai Savoir (1887). En outre, l’opinion peut guider la formulation d’hypothèses et donner la force de tenter de les prouver.

Toutefois, une telle valorisation de l’opinion est contradictoire puisque le propre de l’opinion est de s’ignorer. En conséquence, discuter son mérite, c’est déjà la détruire. Platon reprochait à juste titre dans le Ménon à l’opinion vraie d’être comme les statues de Dédale, incapable de demeurer si elles ne sont pas attachées. Ne peut-on pas alors penser que l’opinion, à la seule condition d’être personnelle peut ne pas avoir tort ? Mais une opinion personnelle n’est-elle pas une contradiction dans les termes ?


En effet, l’opinion publique implique de ne pas réfléchir. C’est pour cela qu’elle est identique au préjugé. Le terme dit bien qu’on juge avant d’avoir réfléchi. On suit ce qui se dit parce que tout le monde le dit. Socrate le fait remarquer dans l’Apologie de Platon : sa mauvaise réputation est installée depuis fort longtemps. Et il peut citer la pièce qui le caricature écrite par Aristophane (~450-385 av. J.-C.), Les Nuées (423 av. J.-C.). C’est pour cela qu’aucune opinion ne semble personnelle puisqu’elle ne provient pas de la réflexion du sujet. Toutefois, il se peut qu’après réflexion, aucune connaissance n’apparaisse, faute d’avoir trouvé des preuves qui permettent d’affirmer ou de nier une proposition. Mais la réflexion peut faire pencher la balance pour une thèse plutôt qu’une autre sans que le sujet puisse être sûr de la vérité. Dès lors, ce qui n’est ni connaissance ni hypothèse ou supposition est opinion sans être préjugé. Voilà ce qu’on peut nommer une opinion personnelle. En quoi peut-on dire qu’elle n’a pas toujours tort ?
Dans les sciences, une hypothèse peut ne pas trouver de preuves décisives ou se heurter à certaines objections. Si le savant penche pour elle, il a bien une opinion personnelle. Tel était le cas de Galilée (1564-1642) qui n’avait pas toutes les preuves nécessaires pour soutenir que la terre tourne autour du soleil. Dans la mesure où de nombreuses preuves penchaient en faveur de son opinion et qu’il ne lui apparaissait possible de rester dans un pur doute, il n’avait pas tort de la soutenir.
Or, dans le domaine moral ou politique, la réflexion peut nous conduire à certaines thèses sans que nous puissions dire que nous les tenons pour vraies étant données les preuves dont nous disposons. C’est qu’il s’agit alors d’obligations qui ne se prouvent pas par des faits. Au contraire, elles permettent de les juger. Par exemple, si je me décide à suivre les mœurs du pays où je vis parce que c’est le meilleur moyen pour assurer le minimum de cohésion sociale sans quoi il y a conflits, guerres civiles etc. la raison que je donne n’est pas décisive. Je la préfère à celle qui prétend que chacun doit suivre ce que lui dicte la conscience quoi qu’elle dicte parce qu’elle est ma conscience. Je n’ai pas tort parce que l’opinion personnelle me permet de réfléchir, ce que le préjugé interdit.


En un mot, le problème était de savoir si l’opinion a toujours tort. On a vu qu’on pouvait le penser dans la mesure où elle n’est pas fondée et se prétend vraie sans titre. Toutefois, comme elle peut aussi permettre la réussite et qu’elle est une force, en ce sens et à ces conditions, elle n’a pas toujours tort. Toutefois, elle reste illégitime car elle ne peut se défendre elle-même. C’est la raison pour laquelle ce n’est qu’à la condition d’être personnelle, c’est-à-dire d’être le fruit d’une réflexion théorique, morale ou politique qui n’aboutit pas à la connaissance mais qui dépasse le préjugé, que l’opinion n’a pas toujours tort.

samedi 24 septembre 2016

Platon, Criton - Plan analytique

L’édition utilisée est :
Platon, Apologie de Socrate, Criton, Phédon, traduction, introduction, notices et notes de Bernard et Renée Piettre, Le Livre de Poche, 1992.

Plan analytique

Prologue.
(« Socrate : Quoi ! Tu arrives à une pareille heure, Criton ? (…) Criton : Un peu trop, apparemment. » 43a-44b)
1) Il est cinq heures, Socrate s’éveille.
(« Socrate : Quoi ! (…) Criton. – Un temps raisonnable. » 43a)
2) L’étonnante tranquillité de Socrate.
(« Socrate : Mais alors (…) Tu as raison. » 43b-c)
3) Criton et Socrate discutent pour savoir quand ce dernier sera exécuté.
(« Socrate : (…) Mais enfin pourquoi arriver si tôt ? (…) Criton. – (…) apparemment. » 43c-44b)
a) Selon Criton, les témoins de l’arrivée du navire de Délos conduisent à fixer la date de la mort de Socrate au lendemain matin.
(« Criton : – Pour une nouvelle que j’apporte (…) Socrate. – (…) qu’il en soit ainsi. » 43c-d)
b) Selon Socrate, un rêve lui permet de conjecturer que ce sera le surlendemain qu’il mourra.
(« Socrate : – (…) Mais moi je ne crois pas (…) Criton. – (…) apparemment. »

A. Le plaidoyer de Criton en faveur de l’évasion.
(« Criton : – (…) Pourtant, sacré Socrate, maintenant encore (…) Socrate, écoute-moi et ne va surtout pas faire autrement. » 44b-46a)
1) Socrate doit sauver sa vie pour la réputation de ses amis selon Criton. Socrate ne s’inquiète que de l’avis des hommes les plus raisonnables.
(« Criton : – (…) Pourtant (…) Socrate. – (…) comme elles se seront passées. » 44b-c)
2) Criton soutient que le grand nombre est capable des plus grands des maux. Socrate conteste qu’il en soit capable puisqu’il ne peut rendre aucun homme sensé.
(« Criton : – Mais tu vois bien qu’il est nécessaire (…) Là-dessus tu as raison, je veux bien. » 44d-e)
3) La crainte des sycophantes qui pourrait nuire à ses amis paraît arrêter Socrate. Criton le rassure : ils ont de l’argent. Tout est prêt pour qu’il s’exile en Thessalie.
(« Criton : – (…) Mais dis-moi encore, Socrate (…) que personne n’attente à toi en Thessalie. » 44e-45c)
3) Selon Criton, ne pas se sauver serait une faute morale et politique qui a commencé dès le procès.
(« Criton : – (…) En plus, Socrate, tu ne me sembles même pas (…) moi et ne va surtout pas faire autrement. » 45c-46a)
a) Une faute politique : Socrate se livre à ses ennemis.
(« Criton : – (…) En plus, Socrate (…) dans leur volonté de te perdre. » 45c)
b) Une faute morale : Socrate va abandonner ses enfants.
(« Criton : – (…) En plus, ce sont tes propres fils aussi que tu trahis (…) prendre le parti du moindre effort. » 45c-d)
c) Socrate est incohérent. Il n’est pas juste alors qu’il prône la vertu comme le montre son procès et ce qui en semble une fin comique.
(« Criton : – (…) Le parti qu’il fallait choisir (…) autrement. » 45d-46a)

B. Le rappel des principes qui ont guidé l’existence de Socrate et leur confirmation.
(« Socrate : – Ah ! Mon cher Criton (…) Criton. – (…) Allons, parle. » 46a-49e)
1) Conditions du dialogue. Socrate s’en tient à la raison. Il ne peut changer d’avis que si la raison lui montre quelque chose de meilleur et non à cause des menaces de l’opinion.
(« Socrate : – Mon cher Criton, ton empressement (…) à cet examen ? » 46b-c)
2) Il rappelle le premier principe avec lequel ils étaient d’accord, Criton et lui. Il y a des opinions qui méritent d’être retenues et d’autres non.
(« Socrate : – (…) Si nous commencions par reprendre le raisonnement (…) qu’il avait tout à l’heure. » 46c-48b)
a) Énoncé du principe et position du problème : est-il le fruit du dialogue ou du bavardage ?
(« Socrate : – (…) Si nous commencions (…) persuader. » 46c-d)
b) Le principe à examiner par Criton qui, lui, ne risque pas la mort, est que seules les opinions des hommes sensées méritent l’attention.
(« Socrate : – (…) Chaque fois, je crois, le raisonnement qui était tenu (…) Criton. – Comment non ? » 46d-47a)
c) L’établissement du principe.
(Socrate : – Voyons maintenant (…) qu’il avait tout à l’heure. » 47a-48b)
a) Analogie avec le corps et la gymnastique : seuls le médecin ou le maître de gymnastique (ou pédotribe) ont des opinions qui méritent d’être suivies en les appliquant.
(« Socrate : – (…) Un homme qui fait de la gymnastique (…) Criton. – Car c’est cela qui est détruit. » 47b-c)
b) Généralisation de l’analogie aux valeurs : juste et injuste, laid et beau, bon et mauvais.
(Socrate : – Bien parlé. (…) Criton. – Je suis de ton avis, moi, Socrate. » 47c-d)
g) La santé du corps est essentielle.
(« Socrate : – Voyons : si ce qui devient meilleur (…) Criton. – Pas du tout. » 47d-e)
d) La santé de l’âme [mot non utilisé dans le texte] est encore plus essentielle.
(« Socrate : – Mais est-ce qu’il nous est possible de vivre (…) Criton. – Beaucoup plus. » 47e-48a)
e) Le premier principe a bien été établi. Criton a eu tort d’invoquer l’opinion du plus grand nombre, même si elle est capable de faire mourir quelqu’un.
(« Socrate : – Il ne faut donc pas du tout (…) qu’il avait tout à l’heure. » 48a-b)
3) Le second et le troisième principe : – il faut chercher à bien vivre et non seulement à vivre ; – le bien, le beau et le juste sont identiques.
(« Socrate : – (…) À la maxime suivante (…) Criton. – Elle subsiste. » 48b)
4) Il faut selon Socrate s’en tenir aux principes établis pour examiner s’il est juste ou non de s’évader. Le dialogue doit conduire à ce que Criton lui-même soit persuadé du bien fondé de la thèse qui sera établie.
(« Socrate : – Eh bien ! Partons de ces principes (…) Criton. Je vais essayer. » 48b-49a)
5) Rappel d’un principe relatif à la justice et au mal qu’il est possible d’identifier avec le principe d’identité entre le bien, le beau et le juste : il ne faut jamais être injuste, ni répondre à l’injustice par l’injustice.
(« Socrate : – Affirmons-nous qu’en aucun cas il ne faut être injuste en certains cas (…) Criton. – Non c’est clair. » 49a-c)
6) Autre formulation du principe : il ne faut jamais faire le mal même à qui nous en a fait, donc ne jamais être injuste.
(« Socrate : – Autre question : faire du mal à quelqu’un (…) Criton. – (…) Allons, parle. » 49c-e)

C. Réponse à la question : est-il juste de s’évader lorsqu’on a été injustement condamné. La prosopopée des Lois.
(« Socrate : – J’en viens donc à la suite du raisonnement (…) c’est le chemin où le Dieu nous invite. » 49e-54e)
1) Tout contrat doit être exécuté soutient Socrate puis il applique cette thèse à la cité. Criton ne comprend pas.
(« Socrate : J’en viens donc à la suite du raisonnement (…) Criton : (…) Car je ne la comprends pas. » 49e-50a).
a) Socrate soutient la thèse que tout contrat doit être exécuté. Criton y souscrit.
(« Socrate : J’en viens donc (…) Criton : On doit l’exécuter. » 49e)
b) Socrate demande à Criton si cela n’est pas le cas s’il s’évade ce que son ami ne comprend pas.
(« Socrate : À partir de là réfléchis. (…) Criton : (…) Car je ne la comprends pas. » 49e-50a)
2) Socrate fait parler les Lois et l’État athénien (= prosopopée) qui l’accusent en voulant s’évader de détruire l’autorité des jugements rendus, condition de la justice dans la cité. Criton quant à lui retient l’argument que l’injustice du jugement justifie l’évasion.
(« Socrate : Eh bien, examine la chose ainsi (…) Criton : Parbleu ! Nous dirons cela, Socrate. » 50a-c)
3) La prosopopée des Lois.
(« Socrate : Mais quoi ? Si les Lois répliquaient (…) [Les Lois] (…) disons nous-mêmes. » 50c-54d)
a) Les lois du mariage comme les lois de la nourriture (grec ancien : τροφή, trophê) et de l’éducation (grec ancien : παιδεία, païdéïa) sont bonnes de sorte que Socrate est l’esclave des lois : il doit leur obéir, d’autant plus qu’il prétend être juste. En tout, la patrie et les Lois sont sacrées.
([Les lois] : « « Socrate, est-ce cela qui a été convenu entre toi et nous (…) Criton : Je le crois, moi. » 50c-51c)
a) Les Lois questionnent Socrate sur la nécessité de s’en tenir aux jugements rendus par la cité. Devant son incompréhension, elles lui indiquent qu’elles vont procéder comme lui, par questions et réponses.
(« [Les Lois] : « « Socrate, est-ce cela (…) l’habitude d’user de questions et de réponses. » 50c)
b) Socrate n’a rien à reproché aux lois et à la Cité concernant la nourriture et l’éducation.
(« [Les Lois] : (…) Voyons, que nous reproches-tu à nous-mêmes (…) [Socrate] : Elles étaient bonnes, dirais-je. » 50d-e)
g) Les lois en concluent que Socrate est comme leur esclave et qu’il doit leur obéir en tant qu’elles sont avec la patrie ce qu’il y a de plus sacré.
(« [Les Lois] Fort bien. (…) Criton : Je le crois, moi. » 50e-51c)
b) L’évasion serait injuste car le contrat entre les Lois et la Cité d’une part et le citoyen d’autre part implique qu’une fois adulte, soit il part avec ses biens, soit il reste et obéit à ce que les Lois prescrivent, à moins qu’il n’arrive à les persuader de changer.
(« Socrate : « [Les Lois] « Examine donc, Socrate (…) plus délibérée » 51c-52a)
a) Le citoyen adulte peut quitter la cité et partir fonder une colonie ou émigrer.
(« Socrate : « [Les Lois] « Examine donc (…) conserver ses biens. » 51c-e)
b) S’il reste, alors il y a un contrat entre lui et les Lois et la Cité qui stipule qu’il doit obéir aux Lois ou les persuader de changer.
(« [Les Lois] (…) Mais si l’un d’entre vous (…) il ne fait ni l’un ni l’autre. » 51e-52a)
g) Socrate serait encore plus coupable de s’évader.
(« [Les Lois] Et ces accusations-là (…) plus délibérée. » 52a)
c) Les Lois, pour montrer que Socrate serait encore plus coupable de s’évader, lui font remarquer qu’elles vont prouver qu’il se plaisait avec elles et la Cité.
(« Socrate : (…) Elles diraient en effet (…) [Les Lois] (…) sortir de notre cité. »52a-53a)
a) Socrate n’a quasiment jamais quitté Athènes où il a fait souche.
(« [Les Lois] (…) Car jamais tu n’y résiderais (…) tant elle te plaisait. » 52a-c)
b) Lors de son procès, Socrate a refusé l’exil. Il se contredirait, selon les Lois, s’il s’enfuyait maintenant.
(« [Les Lois] (…) Mieux encore, dans ce procès (…) quand tu entreprends de nous corrompre. » 52c-d).
g) Les Lois en concluent que Socrate, comme un esclave, violerait son contrat avec elles, ce qu’il n’a pas fait pendant soixante-dix ans. Criton acquiesce.
(« [Les Lois] (…) Tu te conduis comme se conduirait le plus vil esclave (…) manquer à la justice. » 52d-e)
d) Socrate, même s’il a défendu les lois de Sparte et de la Crète, a montré sa préférence pour Athènes.
(« [Les Lois] (…) Mais toi, tu n’a préféré ni Lacédémone ni la Crète (…) le ridicule de sortir de notre cité. » 52e-53a)
d) Les Lois montrent à Socrate les conséquences négatives d’une évasion.
(« [Les Lois] (…) Examine en effet ceci : (…) Oui, il faut croire qu’ils s’occuperont d’eux. » 53a-b)
a) En cas d’évasion les amis de Socrate perdraient leur cité ou leurs biens.
(« [Les Lois] (…) en transgressant ces accords (…) c’est à peu près évident » 53a-b)
b) Si Socrate part en exil à Thèbes ou Mégare qui ont de bonnes lois, il passera pour un corrupteur des lois comme il en a été accusé à Athènes.
(« [Les Lois] (…) mais toi-même d’abord (…) des faibles d’esprit. » 53b-c)
g) Si Socrate part en exil dans des cités qui ont de mauvaises lois et dialogue avec des gens de mauvaises mœurs, son langage paraîtra peu pertinent.
(« [Les Lois] (…) Alors, est-ce que tu fuiras (…) tu le penses. » 53c-d)
d) Socrate en Thessalie, chez les hôtes de Criton, sera ridicule, notamment de discourir sur la vertu.
(« [Les Lois] (…) Mais tu te détourneras de ces lieux (…) où seront-ils allés ? » 53d-54a)
e) Les Lois montrent à Socrate que l’éducation de ses enfants ne peut être un argument pour se soustraire à sa condamnation : ses amis s’en occuperont.
(« [Les Lois] (…) Oui, bien sûr, c’est pour tes enfants (…) Oui, il faut croire qu’ils s’occuperont d’eux. » 54a-b)
e) Conclusion de la prosopopée des Lois : Socrate ne doit rien mettre au-dessus de la justice. Les Lois de l’Hadès l’accueilleront favorablement.
(« [Les Lois] (…) Allons, Socrate, écoute-nous (…) disons nous-mêmes. » 54b-d)
4) Socrate conclut qu’il ne peut que se soumettre à ce discours auquel finalement Criton acquiesce. Socrate s’en remet au Dieu.
(« Socrate : (…) Voilà Criton, sache-le bien (…) le dieu nous invite. » 54d-e)


dimanche 18 septembre 2016

Servitude et soumission - Montesquieu Du principe du gouvernement despotique

COMME il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l’honneur, il faut de la CRAINTE dans un gouvernement despotique : pour la vertu, elle n’y est point nécessaire ; et l’honneur y serait dangereux.
Le pouvoir immense du prince y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s’estimer beaucoup eux-mêmes seraient en état d’y faire des révolutions. Il faut donc que la crainte y abatte tous les courages, et y éteigne jusqu’au moindre sentiment d’ambition.
Un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, et sans péril, relâcher ses ressorts. Il se maintient par ses lois et par sa force même. Mais lorsque, dans le gouvernement despotique, le prince cesse un moment de lever le bras ; quand il ne peut pas anéantir à l’instant ceux qui ont les premières places, tout est perdu : car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n’y étant plus, le peuple n’a plus de protecteur.
C’est apparemment dans ce sens, que des cadis ont soutenu que le grand-seigneur n’était point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu’il bornait par-là son autorité.
Il faut que le peuple soit jugé par les lois, et les grands par la fantaisie du prince ; que la tête du dernier sujet soit en sûreté, et celle des bachas toujours exposée. On ne peut parler sans frémir de ces gouvernements monstrueux. Le sophi de Perse, détrôné de nos jours par Mirivéis, vit le gouvernement périr avant la conquête, parce qu’il n’avait pas versé assez de sang.
L’histoire nous dit que les horribles cruautés de Domitien effrayèrent les gouverneurs, au point que le peuple se rétablit un peu sous son règne. C’est ainsi qu’un torrent, qui ravage tout d’un côté, laisse de l’autre des campagnes où l’œil voit de loin quelques prairies.

Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), livre III, Chapitre 9 Du principe du gouvernement despotique.

samedi 17 septembre 2016

Sartre "Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande."

Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande. Nous avions perdu tous nos droits et d’abord celui de parler ; on nous insultait en face chaque jour et il fallait nous taire ; on nous déportait en masse, comme travailleurs, comme Juifs, comme prisonniers politiques ; partout sur les murs, dans les journaux, sur l’écran, nous retrouvions cet immonde et fade visage que nos oppresseurs voulaient nous donner de nous-mêmes : à cause de tout cela nous étions libres. Puisque le venin nazi se glissait jusque dans notre pensée, chaque pensée juste était une conquête ; puisqu’une police toute-puissante cherchait à nous contraindre au silence, chaque parole devenait précieuse comme une déclaration de principe ; puisque nous étions traqués, chacun de nos gestes avait le poids d’un engagement. Les circonstances souvent atroces de notre combat nous mettaient enfin à même de vivre, sans fard et sans voile, cette situation déchirée, insoutenable qu’on appelle la condition humaine. L’exil, la captivité, la mort surtout que l’on masque habilement dans les époques heureuses, nous en faisions les objets perpétuels de nos soucis, nous apprenions que ce ne sont pas des accidents évitables, ni même des menaces constantes mais extérieures : il fallait y voir notre lot, notre destin, la source profonde de notre réalité d’homme ; à chaque seconde nous vivions dans sa plénitude le sens de cette petite phrase banale : « Tous les hommes sont mortels. » Et le choix que chacun faisait de lui-même était authentique puisqu’il se faisait en présence de la mort, puisqu’il aurait toujours pu s’exprimer sous la forme « Plutôt la mort que... ». Et je ne parle pas ici de cette élite que furent les vrais Résistants, mais de tous les Français qui, à toute heure du jour et de la nuit, pendant quatre ans, ont dit non. La cruauté même de l’ennemi nous poussait jusqu’aux extrémités de notre condition en nous contraignant à nous poser ces questions qu’on élude dans la paix : tous ceux d’entre nous ‑ et quel Français ne fut une fois ou l’autre dans ce cas ? ‑ qui connaissaient quelques détails intéressant la Résistance se demandaient avec angoisse : « Si on me torture, tiendrai-je le coup ? » Ainsi la question même de la liberté était posée et nous étions au bord de la connaissance la plus profonde que l’homme peut avoir de lui-même. Car le secret d’un homme, ce n’est pas son complexe d’Œdipe[1] ou d’infériorité[2], c’est la limite même de sa liberté, c’est son pouvoir de résistance aux supplices et à la mort. À ceux qui eurent une activité clandestine, les circonstances de leur lutte apportaient une expérience nouvelle : ils ne combattaient pas au grand jour, comme des soldats ; traqués dans la solitude, arrêtés dans la solitude, c’est dans le délaissement, dans le dénuement le plus complet qu’ils résistaient aux tortures : seuls et nus devant des bourreaux bien rasés, bien nourris, bien vêtus qui se moquaient de leur chair misérable et à qui une conscience satisfaite, une puissance sociale démesurée donnaient toutes les apparences d’avoir raison. Pourtant, au plus profond de cette solitude, c’étaient les autres, tous les autres, tous les camarades de résistance qu’ils défendaient ; un seul mot suffisait pour provoquer dix, cent arrestations. Cette responsabilité totale dans la solitude totale, n’est-ce pas le dévoilement même de notre liberté ? Ce délaissement, cette solitude, ce risque énorme étaient les mêmes pour tous, pour les chefs et pour les hommes ; pour ceux qui portaient des messages dont ils ignoraient le contenu comme pour ceux qui décidaient de toute la résistance, une sanction unique : l’emprisonnement, la déportation, la mort. Il n’est pas d’armée au monde où l’on trouve pareille égalité de risques pour le soldat et le généralissime. Et c’est pourquoi la Résistance fut une démocratie véritable : pour le soldat comme pour le chef, même danger, même responsabilité, même absolue liberté dans la discipline. Ainsi, dans l’ombre et dans le sang, la plus forte des Républiques s’est constituée. Chacun de ses citoyens savait qu’il se devait à tous et qu’il ne pouvait compter que sur lui-même ; chacun d’eux réalisait, dans le délaissement le plus total son rôle historique. Chacun d’eux, contre les oppresseurs, entreprenait d’être lui-même, irrémédiablement et en se choisissant lui-même dans sa liberté, choisissait la liberté de tous. Cette république sans institutions, sans armée, sans police, il fallait que chaque Français la conquière et l’affirme à chaque instant contre le nazisme. Nous voici à présent au bord d’une autre République : ne peut-on souhaiter qu’elle conserve au grand jour les austères vertus de la République du Silence et de la Nuit.
Sartre, « La République du silence », Les lettres françaises, n°20 du 9 septembre 1944, repris in Situations, III (1949), Gallimard, 1976, pp.11-14.




[1] Sartre fait allusion ici à la psychanalyse de Freud.
[2] Sartre fait ici allusion à la psychanalyse d’Adler (1870-1937), un disciple dissident de Freud (notes de Bégnana).

jeudi 1 septembre 2016

repère : ressemblance/analogie

Ressemblance/analogie

La ressemblance se dit de caractères communs entre des objets par ailleurs différents. L’analogie c’est l’égalité – la proportion – ou la ressemblance de deux rapports.



repère : transcendant/immanent

Transcendant/immanent

Transcendant désigne ce qui est au-delà une réalité donnée. Immanent se dit par opposition de ce qui est du même ordre d’une réalité donnée ou qui lui appartient.